Archives pour la catégorie Actualité 400

De Stephen Harper à Lawrence Cannon, en passant par Me Patrice Garant

Monsieur Patrice Garant s’est précipité dans une porte largement ouverte en relevant les occurrences du mot « Canada » dans notre histoire en vue de convaincre les lecteurs de La Presse (22 mai 2008) qu’il s’agit d’un concept qui a plus de quatre siècles et demi; le Canada, conclut-il, n’est pas apparu « 250 ans après la fondation de Québec ».
À force de citations, monsieur Garant pourrait bien nous amener à une conclusion paradoxale: si le Canada existait avant Cartier, Champlain ne peut pas en être le fondateur et 1608 ne peut en marquer l’origine ! Plus sérieusement, ses propos illustrent l’ambiguïté qu’on entretient autour du concept « Canada » pour justifier le gouvernement fédéral de s’inviter à la fête. Le Canada qui existe aujourd’hui comme État de type fédéral a été créé en 1867 ; on a assez fêté en 1967 pour s’en souvenir. Mais « Canada » désigne aussi une réalité qui a pris diverses formes depuis 500 ans : une région qui se confond avec la vallée du Saint-Laurent du temps de Cartier ; la partie centrale de la Nouvelle-France sous le régime français ; la colonie où vivaient des « Canadiens » entre 1763 et 1791 mais qui s’appelait « province de Québec » ; l’ensemble de deux provinces de 1791 à 1840 (Bas-Canada et Haut-Canada), ces deux provinces réunies en 1840 sous une forme déjà quasi fédérale…
Les citoyens s’y retrouvent-ils quand leurs leaders s’y perdent ? À deux reprises, dans le programme officiel des fêtes du 400e, monsieur Harper a écrit que la fondation de Québec « marque aussi la fondation de l’État canadien ». On comprend tous qu’il parlait du pays qu’il dirige, créé en 1867, et non du Canada de Jacques Cartier. Si quelqu’un avait encore des doutes, le ministre des Transports les a clarifiés le 2 juin: « Comme vous savez, nous célébrons le mois prochain le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec, et surtout, de l’État canadien » a-t-il déclaré devant un parterre de dignitaires, dont le maire de Québec qui doit maintenant avoir compris ce que le gouvernement fédéral veut fêter en 2008: « Surtout, de l’État canadien ».
La reconstruction de l’Histoire progresse : on n’est plus trop sûr si Champlain a fondé Québec mais le voilà presque père de la Confédération! On l’imagine pourtant assez mal en train de se fédérer avec les colons anglais qui s’installaient à Terre-Neuve à son époque et les Écossais qui tentaient de faire de même en Acadie…

Pour voir Champlain, visitez Montréal… ou Ottawa !

L’exposition qui se tenait jusqu’en mai dans les locaux des Archives nationales du Québec à Montréal permettait de constater la différence entre le traitement qu’on a réservé à Champlain en 1908 et le sort qui lui est fait en 2008. Lors des fêtes du Tricentenaire, le fondateur de la ville était au centre des célébrations et des spectacles, sur les affiches, les publications, les banderoles et d’innombrables produits dérivés.
Dans le programme initial du 400e, Champlain était plus que discret. Mis à part un « salut » officiel le 3 juillet (la moindre des choses), on annonçait une série de duels humiliants contre son ancien patron, une exposition modeste dans un espace secondaire du Musée de la Civilisation, une exposition de son « Grand Livre » à la redoute de la Citadelle (gracieuseté de madame la gouverneure générale), le remodelage de « son » boulevard… Dans la très courte section (moins de 500 mots) que le site Internet du 400e consacrait, au départ, à « Québec et son histoire », le nom de Champlain n’apparaissait pas. Dans le programme officiel publié en brochure à l’automne, on pouvait jouer à « Où est Charlie ? » et trouver finalement le fondateur de la ville dans une petite illustration de la page 52.
Devant les réactions de plusieurs citoyens qui déploraient cette lacune, des correctifs ont été apportés au début de l’année. Des personnificateurs ont été recrutés. La mise au rancart de l’Opéra urbain a permis de remodeler le spectacle qui sera présenté devant le Parlement au début de juillet et d’y introduire un Champlain incarné par Yves Jacques. Tout récemment, une nouvelle section est apparue sur le site Internet pour présenter une « biographie de Champlain » en 17 dates…
On est encore loin du compte. Dans la boutique virtuelle, il n’y a toujours qu’un simple t-shirt à son effigie ; dans le pavoisement, on l’a ignoré totalement. Comme on peut le constater sur la photo ci-dessous, pour voir Champlain accroché aux lampadaires, sur des bannières « présentées en partenariat avec la Société du 400e anniversaire de Québec », il faut aller dans la capitale fédérale. À Québec, il est devenu très in de remettre en question le rôle de Champlain dans la fondation de Québec, comme en témoignent les deux seuls livres publiés sur Champlain en ce 400e anniversaire. La Société du 400e a succombé à la tendance en gardant Champlain à l’ombre; pendant ce temps, Ottawa s’est empressé d’en faire le « fondateur du Canada » et la gouverneure générale s’est emparée de sa succession.
P5270067d.jpg

Les larmes de madame Gros-Louis

De passage à Brouage, à l’occasion du lancement des fêtes du 400e de Québec, l’épouse du grand chef des Hurons aurait éclaté en sanglots en voyant son nom (Allard) «sur un mur dédié aux familles souches [sic] de la Nouvelle-France». Et l’émotion aurait été encore plus forte, selon le reportage du Soleil (samedi 24 mai 2008) «lorsqu’elle a retrouvé son nom sur La grande vague, une œuvre longue de 10 mètres qui porte les noms de 400 familles fondatrices de la Nouvelle-France».
Une fois passé l’étonnement (les Hurons ont des ancêtres français ?!), plusieurs autres sentiments surgissent. L’envie, évidemment, puisque le nom de mon ancêtre Miville (qui était justement de Brouage) est probablement sur le mur et sur l’œuvre de Marc Lincourt. La déception aussi, car il faut aller à Brouage pour vivre ce genre d’émotion.
À Brouage ou ailleurs. Comme à Larochelle, où le Centre des monuments nationaux de France rend hommage «à tous ces piliers de la Nouvelle-France» dans une exposition où on peut aussi «avoir accès aux bases de données généalogiques des familles souches [re-sic]». Ou encore, à Montréal, où le Musée de Pointe-à-Callière présente «France, Nouvelle-France, naissance d’un peuple français en Amérique», une exposition coproduite avec le Musée d’histoire de Nantes qui évoque les motifs qui ont poussé les Français à venir s’établir en Amérique. Voire même dans l’autre capitale nationale, où le Musée des Civilisations de Gatineau présente «Jamestown, Québec, Santa Fe, trois berceaux nord-américains» en collaboration avec la Smithsonian Institute.
Et à Québec, pour ceux qui veulent s’émouvoir tout en «ménageant leur gaz» ? Rien de comparable, sur le plan thématique, avec ce que madame Gros-Louis a pu voir en Charente. L’Espace 400e offrira de multiculturels «Passagers/Passengers», comme si Québec devait être «ramenée exclusivement à sa fonction de port», selon l’expression de madame Bertho-Lavenir ; le Musée des Beaux-Arts prépare son mini-Louvre, le Musée de la Civilisation présente des expos de taille modeste sur Champlain (c’est la moindre des choses), Mgr de Laval, les Huguenots en Nouvelle-France et, «en exclusivité» deux expositions en provenance de musée du quai Branly à Paris : «Objets blessés – La réparation en Afrique» et «Ideqqi – Art des femmes berbères»…
Ce n’est pas évident à première vue mais ces deux dernières expositions prétendent en remplacer une autre qui devait représenter une contribution de la France au 400e et porter sur… les familles souches du Québec. «Ce n’est pas un prix de consolation», nous a-t-on dit sérieusement. Bien sûr. Et l’exposition sur les familles souches a «été reportée en 2009». Tiens donc: juste à temps pour le 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham.

Le sens de la fête

(Intervention au lancement du collectif Commémoration 1608-2008, le 15 mai 2008)
S’il y a une fête en 2008, si on a mobilisé autant de ressources et d’énergies pour organiser des célébrations, c’est parce que Champlain a fondé un établissement à Québec en 1608 pour servir de comptoir à la compagnie qui avait le monopole de la traite, de base pour ses explorations, de retranchement pour se défendre éventuellement. Ce faisant, il a marqué le début de la présence continue des Français sur le continent et le début de l’Amérique française. 1608 marque le début d’une ville, d’une capitale et d’un peuple dont on retrouve des traces à la grandeur du continent.
Qu’il y ait eu des Amérindiens ici avant et d’autres immigrants de toutes origines après, que les descendants de pionniers qui se sont établis soient devenus par la suite Canadiens ou Américains, Manitobains ou Californiens, favorables à l’annexion aux États-Unis en 1849 ou partisans de l’union des provinces en 1867, tout cela ne change rien à l’essentiel de l’événement : nos ancêtres français se sont établis à demeure ici en 1608 et c’est l’anniversaire qu’il faut souligner avec ceux et celles qui voudront s’y associer. Autrement, quand pourra-t-on le fêter, et quand nous permettra-t-on de le fêter, en paix ?
Il est dommage que l’essence de cette fête — le rappel de la présence française en Amérique — ne soit pas plus évidente dans la thématique, dans le pavoisement et les couleurs ainsi que dans les produits dérivés du 400e. Ce n’est pas ici le temps de faire le procès de la Société du 400e; les historiens, qui n’ont pas été beaucoup impliqués dans la préparation, se chargeront sûrement du post mortem. Monsieur Gélinas a donné un grand coup de barre cet hiver, mais il est impossible de reformuler le programme. On voudrait bien, par exemple, annuler rétroactivement tous les refus que les sociétés historiques de la région de Québec ont essuyés lorsqu’elles ont présenté des projets. Ne pas impliquer les sociétés d’histoire dans le 400e anniversaire de LEUR ville n’est pas la façon la plus honorable de passer à l’histoire…
Le Collectif veut contribuer à donner un sens au 400e et agir de façon positive. Personnellement, si la Société du 400e pouvait me faire une faveur, ce serait de faire un ménage dans les produits dérivés offerts dans sa boutique virtuelle. En général, ils ne portent pas de messages précis: ils sont « festifs » et peu signifiants. Champlain est presque totalement absent (il apparaît sur un seul objet). Mais il y a un produit qui détonne fortement dans le lot, un tee-shirt appelé « couronne » qui illustre le « passé monarchique » de Québec et n’a vraiment aucune pertinence dans le contexte du 400e de la ville. Ce produit devrait être retiré des tablettes: il pourait devenir une pièce de collection.

Le Canada prend un coup de vieux

À la question « 400e : on fête quoi? », Alain Dubuc (La Presse, 11 mai 2008) aligne cinq réponses « toutes différentes » mais « toutes valides » : 1, la fondation d’une ville et ses quatre siècles d’histoire, 2, l’arrivée des Européens blancs dans le nord-est du continent, 3, la naissance du fait français en Amérique, 4, la naissance d’un peuple « dont nous sommes les héritiers » (comme s’il était mort?), 5, « la naissance du Canada, en ce sens que cette colonie française a donné naissance à l’un des deux peuples fondateurs ».
Monsieur Dubuc croit que cette dernière réponse « en fait tiquer plusieurs ». Pas de la manière qu’il la formule. Qui va nier que la colonie fondée par Champlain « a donné naissance à l’un des deux peuples fondateurs » du Canada en 1867? Cela ne fait pas de 2008 la fête du Canada.
On ne chicanera pas monsieur Dubuc parce qu’il évite soigneusement le mot « nation ». Le vrai problème de sa liste est qu’elle omet l’interprétation avancée la semaine dernière par le gouvernement fédéral et exprimée il y a déjà plusieurs mois par le premier ministre dans le programme officiel de la Société du 400e : « la fondation de Québec marque aussi la fondation de l’État canadien ». Bref, le Canada a fêté ses 100 ans en 1967 et il célèbrerait maintenant son 400e… Parti sur cet élan, le gouvernement canadien de 2008 s’invite au party où il choisit la musique et le menu.
Il est trop facile pour le chroniqueur de La Presse de conclure que « tout le monde » a raison, qu’on a fait un débat « hallucinant » sur une question mineure, que les réactions ont été simplistes et mesquines, que toutes les interprétations se valent alors qu’il « oublie » justement de rapporter sans ambiguïté celle qui a mis le feu aux poudres.