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« Les premiers seront les derniers »

On apprenait ce matin que monsieur Philippe Couillard, ministre responsable de la capitale et représentant du gouvernement du Québec, avait quitté en coup de vent la réception offerte par la ville de La Rochelle, jeudi soir, immédiatement après les discours officiels qu’il avait dû écouter de loin, n’ayant pas été invité à l’avant-scène avec la gouverneure générale, la présidente du conseil régional de Poitou-Charentes (Ségolène Royal) et le maire de Québec ; de plus, le lendemain, il ne s’est pas présenté au brunch réunissant à nouveau tout ce beau monde.
Insulté, choqué ? Monsieur Couillard ne l’est peut-être pas au point de joindre les rangs des « chiqueux de guenilles » de Denis Bouchard ou des « colons » de notre maire, mais il aurait toutes les raisons d’être offusqué, tant à titre de représentant du gouvernement qu’à titre personnel.
Ses ancêtres ont vécu les premières années de Québec. Guillaume Couillard est arrivé à Québec en 1613, ce qui en fait un des premiers habitants établis à demeure ici. C’est lui qui aurait été le premier à utiliser une charrue dans la vallée du Saint-Laurent au printemps de 1628. Le 26 août 1621, il épouse Guillemette, fille de Louis Hébert (arrivé « seulement » en 1617), et leur nombreuse descendance fait figurer ce couple dans la généalogie de presque toutes les vieilles familles québécoises. Pendant l’occupation anglaise (1628-1632), la famille Couillard est une des rares à demeurer sur place; elle prend d’ailleurs soin des deux jeunes « sauvagesses » que Champlain avait adoptées et que les Kirke lui interdisent d’amener avec lui. En 1759, deux descendants de Couillard mourront au combat en défendant leur territoire contre l’envahisseur à la Rivière-du-Sud (Montmagny).
Quatre siècles plus tard, il n’y avait pourtant pas de place à l’avant-scène des réceptions de La Rochelle pour celui de nos représentants officiels qui avait, de très loin, les plus profondes racines en terre québécoise, tout comme il n’y a pas eu de place, dans le programme du 400e, pour un hommage aux vieilles familles terriennes ou une exposition sur les familles-souches, qui se contenteront d’un marathon.
En 1654, Guillaume Couillard est anobli par Louis XIV. Au bas de ses armoiries, sa devise était « Dieu aide au premier colon »… Ça ne s’invente pas.

Manqué le bateau!

À La Rochelle, le départ du Belem ne manquera pas de couleurs avec son escorte de plaisanciers, la présence de la « presque reine du Canada » et celle des « personnages québécois hilarants Orange et Ketchup [sic] » qui animent la place avec autant de pertinence que Gaspard et Théo l’an dernier au Québec…
Que Champlain soit parti de Honfleur, et non de La Rochelle (comme les médias québécois le répètent bêtement depuis quelques jours), n’est qu’un autre accommodement de l’histoire pour les fins du spectacle, mais serait-ce aussi la cause de l’absence du premier ministre? Serait-il en attente sur un quai de Normandie, à Honfleur, Dieppe ou Rouen, points de départ des voyages du fondateur de SA capitale?
Le programme qu’il a préfacé il y a bien six mois, en compagnie de son homologue fédéral, avait pourtant bien identifié le lieu de départ de « la Grande Traversée sur les traces de Champlain » (p. 29). Mieux encore, cette activité figurait avec le reste du programme de 2008 en France sous un intitulé sans équivoque : « 2008, un rendez-vous unique pour 400 ans des liens profonds entre le Québec et la France ».
« Liens profonds »? Peut-être entre les deux populations mais, pour ce qui est des gouvernements, le 8 mai 2008 illustrera plutôt l’emprise du gouvernement fédéral sur les fêtes du 400e de Québec et, au-delà de 2008, l’envasement des relations France Québec à l’ère du « bling-bling » et des clowns québécois hilarants.

Montagnais et familles-souches, même combat!?

Vue dans une perspective historique, l’annulation regrettable du rassemblement autochtone de Saint-Malo ne manque pas d’ironie. La Société du 400e ne pouvait octroyer de subvention à cet événement proposé par la communauté montagnaise du Lac-Saint-Jean car il ne se tenait pas dans la région de Québec. Finalement, seuls les Hurons-Wendats, nation-hôte du 400e, pouvaient inscrire leurs activités de commémoration dans la programmation officielle de 2008. Elles sont d’ailleurs nombreuses et très visibles.
Curieux retour de l’histoire! En 1603, c’est avec les Montagnais que Dupont-Gravé et Champlain auraient conclu une alliance que certains historiens ont élevé récemment au rang d’« acte fondateur » déterminant. Et quand Champlain vient ensuite fonder Québec en 1608, il est en territoire montagnais.
Les Hurons? Ils vivaient alors en Huronnie, près du lac qui porte leur nom. En 1649, cette communauté est dévastée par des épidémies et pratiquement exterminée par les Iroquois; quelques centaines de Hurons rescapés se réfugient dans la région de Québec et sont installés initialement à l’île d’Orléans. Ils iront plus tard à Lorette où il sont une centaine, en 1760, d’après le gouverneur Murray. C’est donc avec un gros grain de sel qu’il fallait accueillir les propos tenus par monsieur Gros-Louis à Tout le monde en parle sur les « immigrants » blancs venus sur leurs terres… La question est de toute manière oiseuse : les Amérindiens sont aussi des immigrants en Amérique du Nord.
En fin de compte, les Montagnais se retrouvent, en 2008, dans le même lot que les familles de vieille souche française : leurs ancêtres ont vécu côte à côte les premières années de Québec et mais ils vont fêter le 400e en marge de la commémoration officielle.

« Tout l’monde est fondateur » (air connu)

L’Enquête Champlain menée par l’humoriste Christopher Hall (première partie présentée par Historia le 20 mars) a laissé le spectateur dans le « relativisme absolu ». Champlain ne serait pas LE fondateur de Québec ; il y aurait aussi Pierre Dugua de Mons, qui avait investi dans le commerce des fourrures, le capitaine Dupont-Gravé, qui a négocié l’alliance franco-indienne de 1603 à Tadoussac, Anadabijou, le chef montagnais qui était partie à cette alliance qui a rendu possible l’installation de Français dans la vallée du Saint-Laurent, et le roi Henri IV qui se trouvait l’homologue lointain du chef dans ce traité.
La partie de l’Enquête qui portait sur la fondation de Québec se situe dans le sillage d’une thèse récente qui s’intéresse à la « déconstruction des mythes fondateurs » ; il n’est donc pas étonnant de se retrouver avec un tas de pièces détachées auxquelles il faudrait bien aussi ajouter les compagnons de Champlain, sans qui l’établissement de Québec n’aurait pu prendre forme, et deux autres personnages, qui sont absents du casting de l’émission, les hommes d’affaires qui détenaient la majorité du capital dans cette compagnie où Pierre Dugua de Mons était minoritaire, malgré son titre de lieutenant général du roi. Québec n’est pas une capitale mais une commune !
Qui a fondé Québec ? L’Enquête pose la question au début alors qu’il aurait été plus approprié d’attendre à la fin, une fois le personnage examiné sous toutes ses dimensions. Au-delà de toutes les vertus, véritables ou exagérées, qu’on a pu lui prêter au cours des ans, de toutes les qualités que ses déconstructeurs lui reconnaissent malgré tout, le mérite incontestable de Champlain est l’acharnement : il était à Québec en 1608 pour poser le premier pieu et il y est resté, de corps ou d’esprit, jusqu’à sa mort en 1635 (même s’il aurait eu les moyens de rester tranquillement chez lui, comme ce lieutenant général qui avait pour mandat de représenter le roi dans une contrée où il n’est venu qu’une fois en dix ans). Plus encore, Champlain avait reconnu le site de Québec avec Dupont-Gravé avant 1608 et, depuis 1635, ce ne sont pas seulement les Québécois mais aussi plusieurs biographes anglo-protestants qui ont su distinguer le vrai fondateur dans le lot des participants à l’histoire de Québec et qui le considèrent comme un héros.

Champlain sort du placard!

Le 400e de Québec est comme un long convoi ferroviaire : il se met en branle lentement, dure longtemps et ne peut pas changer facilement de direction.
Les changements apportés au pavoisement la semaine dernière témoignent d’une volonté de réajuster le tir et d’une sensibilité aux commentaires des citoyens. Il faut aussi saluer la libération de Champlain qui sera davantage utilisé pour promouvoir le 400e à Québec et dans les régions. Pourquoi l’avait-on bâillonné jusqu’à maintenant? On le saura peut-être un jour, tout comme on comprendra éventuellement les facteurs qui ont influencé les choix de la Société du 400e, quand les historiens se pencheront en observateurs sur les préparatifs de la fête, à défaut d’y avoir joué un rôle actif.
Il est amusant de relier la « résurrection » de Champlain à une chronique publiée par Stéphane Laporte dans La Presse du 10 février (http://www.cyberpresse.ca/article/20080210/CPOPINIONS05/802100591/6978/CPOPINIONS05).
« Le problème avec les fêtes du 400e, c’est qu’on n’explique pas assez les raisons de la célébration. On devrait fêter beaucoup plus qu’une ville. On devrait fêter la vision de son fondateur. Fêter le fait français en Amérique. Ce petit miracle que ni l’abandon de la mère patrie ni la conquête des Anglais n’ont empêché de se produire.
« Encore plus que de trouver des événements, les membres du comité organisateur doivent trouver un sens à cette fête. Et ce ne peut être que le sens de l’histoire. Honorer ceux grâce à qui, durant 400 ans, le français est resté ici.
« Tous ces perdants qui n’ont jamais accepté la défaite. Jamais accepté l’éloignement. Tellement qu’ils sont devenus des gagnants. C’est en le rappelant que nos enfants pourront continuer à gagner.
« Les grands peuples fêtent toujours leurs victoires. Champlain a remporté la plus belle des victoires. Celle sur le temps. »
On n’entend pas beaucoup ce genre de propos à Québec, mais on a justement encore du temps.