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« C’est la seule métropole qui élève des gondoles »

 « On cherche des chansons sur Montréal ».

Le 17 mai dernier, jour anniversaire de Montréal, Le Devoir s’est intéressé aux chansons consacrées à Montréal. Mémoire de chacun, collection de disques de la maison, bibliothèque de MP3, YouTube, Spotify : la récolte fut abondante et variée, mais les fruits n’avaient pas de très longues racines. Un seul titre avant Beau dommage, À Rosemont sous la pluie de Raymond Lévesque, grand succès de Guylaine Guy au milieu des années 1950 (https://www.youtube.com/watch?v=MoYE26jYeWo).

Les chansons que Marc Gélinas a composées en 1967 appartiennent à la catégorie des œuvres de circonstances qui sont souvent vite oubliées. Gélinas a composé Rendez-vous à Montréal, La Ronde et Lorsque le rideau tombe, pour souligner la clôture de l’Expo 67 de Montréal.

Difficile d’oublier cependant Les Nuits de Montréal (1949), grand succès interprété par Jacques Normand, dans un style situé quelque part entre Trenet et Chevalier (https://www.youtube.com/watch?v=UCk3aTEXlXs).

Émule de Tino Rossi, Paolo Noël adopte aussi une allure parisienne avec Carré Saint-Louis (1962) accompagné à l’accordéon-musette (https://www.youtube.com/watch?v=uAmLjv7nOJ4).

Une autre grande vedette des années 1950, Rolande Desormeaux, a interprété La croix du Mont-Royal (1957) qui, malgré son titre, rend aussi hommage à d’autres attraits de la ville (https://www.youtube.com/watch?v=WdQBTTCBocE).

La meilleure, à cet égard, est cependant À Montréal (vers 1950), œuvre d’un autre grand artiste oublié, Lionel Daunais.

Daunais-BANQc-e1401809886211Daunais

Celui qui nous a aussi donné La tourtière et Le petit chien de laine s’est amusé à décrire sa ville avec un humour qui requiert parfois explication, deux générations plus tard. Heureusement, il y a des choses qui restent: il faut  « faire des neuvaines pour pouvoir circuler »…

À MONTRÉAL
(https://www.youtube.com/watch?v=PneCcigSfLU)
1
C’est une grande cité,
La plus belle d’Amérique.
Elle a bien a mérité
Qu’on la mette en musique.
C’est une ville qui chante
« Vive monsieur d’ Maisonneuve »
Et ses rues vont en pente
Baigner leurs pieds dans l’ fleuve.
New-York, Londres, Paris,
Pardi! c’est bien joli,
Hé, mais que voulez-vous?
Montréal, c’est chez nous.

À Montréal,
On a le Mont-Royal,
Ancien volcan
Qui n’est pas bien méchant.
Dans ses sentiers tout frais,
Ya pas d’ sens interdits,
Au café du Chalet,
On boit des symphonies.

En été, quelle aubaine,
Les amoureux très sages
Écoutent Beethoven
Le cœur dans les nuages.
Y en a d’autres moins sages
Qui diront que, dans l’herbe,
En louchant ton corsage
Le point d’ vue est superbe.

On a aussi un port,
Unique sous tous rapports
On r’met une canne d’or
Au premier bouton d’or
Qui va prendre à son bord
Not’ porc, nos céréales.
C’est pas banal
À Montréal.

2
C’est la seule métropole
Qui élève des gondoles*.
P’tits bonnets, jour de Pâques,
Gros bonnets, rue Saint-Jacques.
Des enseignes lumineuses
Plus grosses que les boutiques
Et des respectueuses
Aux regards séraphiques.
Y a le parc Lafontaine,
Y a le bon frère André,
Faut bien faire des neuvaines
Pour pouvoir circuler!

A Montréal
Y a quelque chose de spécial
Des escaliers
En fer tirebouchonné
Y a le collier du maire
Qui brille comme un gros sou
Et y a des réverbères
Qui ne brillent pas du tout.

Il y a 100 clochers fiers
Qui font vibrer nos âmes,
Y a des arbres tout verts
Qui poussent dans l’macadam,
Y a le château Ramezay,
Y a le carré Dominion
Où les vieux vont jaser
Par un beau jour d’automne.

Ils croient avoir vingt ans
En guettant le bon vent
Trousser les jupons blancs
Quand les belles vont trottant.
Devant la cathédrale,
Qui cach’ la gare centrale
C’est ben spécial
À Montréal.

Vive Montréal, badabadam didou
Ville idéale, badabadam didou
M o n t r é a l
Avec ou sans accent aigu
Concordia, Salut!**

——————

*Entre les deux guerres, on mit en service des gondoles au parc La Fontaine. Le conseil municipal était cependant divisé sur le nombre à acheter et un conseiller proposa doctement, pour trancher le débat, qu’on s’en procure un couple, pour débuter…

Gondoles du parc

**Le maire a-t-il encore son collier? Collier du maire


***Allusion à la devise de Montréal, « Concordia Salus » (« le salut par la concorde »).

Augustin-Magloire Blanchet, un curé sympathique aux Patriotes

[Notes pour une allocution au souper des Patriotes de la Côte-du-Sud le 21 mai 2017]

Né à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, en 1797, Augustin-Magloire Blanchet[1] est ordonné prêtre en 1821. Il fait du ministère dans quelques paroisses avant de se retrouver curé de Saint-Charles (sur Richelieu) en 1837, au moment et à l’endroit où le mouvement patriote est à son apogée.

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Le 23 octobre, le curé Blanchet assiste à la grande assemblée des Six-Comtés qui se tient dans sa paroisse. La situation politique évolue rapidement par la suite. Un mois plus tard, l’armée britannique s’approche de Saint-Charles. Divers témoignages confirment que le curé Blanchet s’est rendu au camp improvisé par les Patriotes, au matin de la bataille du 25 novembre, pour prier avec ses paroissiens et les exhorter à se préparer à une mort éventuelle.

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Bataille de Saint-Charles

Le 15 décembre, Augustin-Magloire Blanchet est convoqué chez le procureur général et accusé de haute trahison, un crime qui pourrait le faire condamner à mort. Le lendemain, il est incarcéré à la prison de Montréal, seul membre du clergé parmi des centaines de Patriotes.

On imagine la commotion chez les autorités religieuses. L’abbé François-Norbert Blanchet leur suggère de demander une copie de la lettre que son frère aurait adressée au gouverneur Gosford en novembre. On cherche un moment le document qui est finalement retrouvé dans les papiers du gouverneur et envoyé à l’archevêque de Québec, qui est catastrophé.

Que disait donc cette lettre du 9 novembre 1837?

L’abbé Blanchet voulait informer le gouverneur sur ce qui se passait dans sa région. En voici trois passages qui démontrent son appui aux revendications des Patriotes :

Je crois que l’excitation est à son comble. Il n’y a pour ainsi dire qu’une voix pour condamner la conduite du Gouvernement; ceux qui jusqu’ici ont été tranquilles et modérés se réunissent à leurs concitoyens qui les avaient devancés, pour dire que, si le Gouvernement veut le bonheur du Pays, il doit au plutôt [sic] accéder aux justes demandes du peuple; que bientôt il ne sera plus temps. […]

Je crois connaître assez l’opinion de la population circonvoisine pour vous dire que le danger est imminent, qu’il n’y a pas de temps à perdre, si vous avez quelque chose à faire pour le bonheur des Canadiens. L’opinion publique a fait un pas immense depuis l’Assemblée des cinq comtés [sic]; Assemblée des plus imposantes, et par la qualité de ceux qui s’y sont trouvés, et par l’ordre qui y a régné. C’était une assemblée d’hommes qui, par leur contenance, faisaient comprendre qu’ils étaient convaincus de l’importance des mesures que l’on devait soumettre à leur approbation; et leur disposition, après l’assemblée, était celle d’hommes persuadés que les souffrances du pays étaient telles qu’il fallait faire les plus grands efforts pour les faire cesser. […]

Je dois dire de plus qu’il ne faut plus compter sur les Messieurs du clergé pour arrêter le mouvement populaire dans les environs. Quand ils le voudraient, ils ne le pourraient. D’ailleurs vous savez que les pasteurs ne peuvent se séparer de leurs ouailles, ce qui me porte à croire que bientôt il n’y aura plus qu’une voix pour demander la réparation des griefs, parmi les Canadiens, de quelqu’état et de quelques conditions qu’ils soient[2].

On comprend la surprise de l’archevêque de Québec : non seulement l’abbé Blanchet était-il d’avis qu’un pasteur « ne devait pas se séparer de ses ouailles », même en cas de rébellion, mais sa lettre laissait entendre que « les curés du voisinage […] partageaient son opinion ».

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L’archevêque de Québec aurait bien voulu que la lettre soit « demeurée dans l’oubli » et craignait maintenant qu’elle ne serve qu’à « le trouver plus coupable[3] ».

La situation commandait de délicates et discrètes démarches auprès du gouverneur et les plus vives assurances de loyauté de la part de la hiérarchie religieuse pour corriger l’impression donnée par la fameuse lettre. Mais, malgré l’intercession des évêques de Montréal et de Québec[4], le curé de Saint-Charles passe l’hiver en prison. Il n’est finalement libéré que le 31 mars 1838, moyennant un cautionnement de 1 000 livres.

À sa sortie de prison, l’abbé Blanchet va remplacer son frère aux Cèdres et devient peu après évêque du diocèse de Walla, sur la côte du Pacifique (aujourd’hui dans l’État de Washington). Il meurt à Vancouver le 25 février 1887 et, depuis 1955, sa dépouille repose au cimetière Holy Road de Seattle.

Mgr Blanchet

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1. Sur Blanchet, voir Nive Voisine, « Blanchet, Augustin-Magloire », dans DBC, vol. 11; Louis Blanchette, Histoire des familles Blanchet et Blanchette d’Amérique, Rimouski, Histo-graff, 1996.

2. L’abbé Augustin-Magloire Blanchet à lord Gosford, 9 novembre 1837, reproduite dans « Inventaire de la correspondance de Monseigneur Joseph Signay, archevêque de Québec », RAPQ, 1938-1939, p. 241-142. L’assemblée devait au départ réunir les délégués de cinq comtés.

3. Mgr Signay à Mgr Lartigue, 28 février 1838, dans « Inventaire… », RAPQ, 1938-39, p. 241-242.

4. Le même au même, 27 décembre 1837, ibid., p. 229.

 

 

 

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Qui a fondé Montréal?

 Le titre du Devoir (http://www.ledevoir.com/culture/arts-visuels/496710/musee-marguerite-bourgeoys-qui-a-fonde-montreal) n’est pas seulement accrocheur. Il évoque un courant de fond. Montréal suit la trace de Québec où Champlain a finalement sauvé son titre de fondateur en 2008 malgré tous les « relativistes » qui le distribuaient à tout venant, au financier de l’expédition (absent), aux Amérindiens (qui auraient pu difficilement créer un comptoir de traite) et même aux Britanniques (qui ont tout fait pour lui nuire), sans même définir le concept de « fondateur ». Pourquoi pas les rameurs qui ont amené Champlain de Tadoussac à Québec? Sans eux…

Maisonneuve_-_Ozias_Leduc -WIKI

Le pauvre Maisonneuve part de plus loin. Lui qui a été chef de l’expédition de 1642, puis longtemps gouverneur de Montréal et presque gouverneur de la colonie (il a refusé) est malheureusement parti mourir en France. Il n’a pas laissé de descendance ici, ni de communautés ou de fidèles, pour défendre son point de vue contre la rectitude politique.

Il n’a même pas de Fisher (biographe américain de Champlain) de son bord. En 1966, dans la biographie de Maisonneuve, « fondateur de Ville-Marie, premier gouverneur de l’île de Montréal » publiée au DBC (http://www.biographi.ca/fr/bio/chomedey_de_maisonneuve_paul_de_1F.html), Marie-Claire Daveluy écrivait : « L’ouvrage fondamental sur la personne et l’œuvre du premier gouverneur de Montréal reste encore à écrire. Les biographies publiées jusqu’à ce jour sont des ouvrages de vulgarisation ». Quelqu’un l’a-t-il écrit depuis? On notera que Madame Daveluy a aussi fait la notice biographique de Jeanne Mance, la « fondatrice de l’Hôtel-Dieu de Montréal » (http://www.biographi.ca/fr/bio/mance_jeanne_1F.html).

Mance -banqnumerique

Their Story

 

  « Je pensais qu’un jour on raconterait notre histoire,
Comment on s’est rencontré et que les étincelles ont aussitôt volé,
Les gens diraient : « Ils sont chanceux ».
Je savais que ma place était à tes côtés,
Maintenant je cherche un siège vide dans la salle,
Car dernièrement je ne sais même plus sur quelle page tu es. »

Story_of_Us_(Song)Ce qui précède est la traduction (trouvée sur Internet) d’une chanson de Taylor Swift intitulée… The Story of Us. Ça ne s’invente pas. La thématique de cette chanson lancée en 2010 n’est pas très éloignée de celle du psychodrame qui nous occupe depuis quelques jours.

Je n’ai pas vu les premiers épisodes du docudrame de la CBC. Difficile de juger, dira-t-on, mais les nombreux commentaires qui ont été émis, dont la lettre collective publiée dans le Globe and Mail du 2 avril (http://www.theglobeandmail.com/opinion/new-series-the-story-of-us-is-not-the-story-of-canada/article34554022/), ne laisse pas de doute quant au choc qu’il provoque dans divers milieux.

Même Jean-Marc Fournier - il faut le faire - s’est quasiment insurgé en disant qu’il y « un os dans The Story of Us »… Ce sympathique mot d’esprit, étonnant de sa part, n’en a pas moins touché le point sensible : l’os, c’est justement l’« Us ».

Le sous-traitant de CBC, Bristow Global Media, a précisé ensuite dans un communiqué que la série a été commandée par les services anglais de CBC pour un public anglophone. Alors, de quoi s’étonne-t-on? Le sous-traitant a raconté au client l’histoire que son auditoire-cible aime entendre.

***

En 1867, la Caledonian Society de Montréal a lancé un concours de chants patriotiques pour le nouveau Dominion. Le chant qui obtint le premier prix, This Canada of Ours, a été vite oublié. Le second, intitulé The Maple Leaf for Ever, était l’œuvre d’Alexander Muir, un fier partisan de l’Empire. Il connut une grande popularité au Canada anglais, devenant un hymne national de facto pour cette communauté, mais on ne put le faire accepter comme hymne officiel pour des raisons qui apparaissent évidentes à la lecture du premier couplet :

« In days of yore, from Britain’s shore,
Wolfe, the dauntless hero came,
And planted firm Britannia’s flag,
On Canada’s fair domain.
Here may it wave, our boast, our pride,
And joined in love together,
The thistle, shamrock, rose entwine,
The Maple Leaf forever! »

(On peut écouter la pièce sur le site suivant https://www.youtube.com/watch?v=wx_T1R026Wc, mais la lecture de certains commentaires est déconseillé aux bleeding hearts, comme disait un ancien premier ministre.)

Maple_Leaf_Forever imageDans la tête de Muir, un militaire orangiste, le Canada commençait avec l’arrivée de Wolfe et sa panoplie d’emblèmes pouvait inclure le chardon, le trèfle et la rose, mais pas la fleur de lis.

Le Canada de Routhier et Lavallée avait aussi ses limites : dans le second couplet de leur Ô Canada, le « Canadien » né « d’une race fière » qui grandit « sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant », était évidemment de souche française. Routhier et Lavallée l’avaient composé en 1880 pour servir de « chant national des Canadiens français » et n’avaient nullement la prétention d’en faire un hymne national pour le Canada. S’il l’est devenu, cent ans plus tard, au lendemain du premier référendum, c’est par un détournement de sens qui l’a émasculé : on a conservé le premier couplet du chant créé en 1880, pour les francophones, les anglophones chantent autre chose sur la musique de Lavallée et on mélange les deux pour les matchs de hockey. Les deux solitudes soliloquent en chœur.

O-Canada image

***

À plusieurs reprises, des âmes bien intentionnées ont promu l’idée d’un manuel d’histoire qui conviendrait aux enfants des deux peuples fondateurs. Ces vaines tentatives et la télésérie de CBC témoignent de la même situation inéluctable : les Canadiens français et les Canadiens anglais n’ont pas de passé commun.

Angéline Saint-Pierre (1931-2017)

Le « Mérite historique régional » a été créé en 1988 pour honorer une personne ayant contribué à faire connaître et aimer l’histoire de la Côte-du-Sud. En 1999, la Société historique de la Côte-du-Sud a décidé d’attribuer ce prix à une personne de Saint-Jean-Port-Joli qui a contribué de façon remarquable à faire découvrir l’histoire de sa paroisse et celle de quelques illustres concitoyens, madame Angéline Saint-Pierre.

Quand la vice-présidente de la Société m’a demandé de présenter la récipiendaire, elle a mentionné le fait que j’étais historien et originaire de Saint-Jean, mais je me disais en moi-même qu’elle aurait pu évoquer bien d’autres raisons.

 

Angéline St-P. 10e de la JRC

 

Angéline Saint-Pierre (en avant, à droite) chez les Jacistes en 1953.

Le fait est que je connaissais Angéline – que je me permets d’appeler par son prénom pour toutes ces raisons – depuis toujours, ou presque. Mon plus ancien souvenir remontait à juin 1953. C’était le jour de l’ordination sacerdotale de mes deux oncles, Luc Deschênes et Marcel Caron. Probablement parce que toutes les gardiennes potentielles, des deux côtés de la parenté, étaient au banquet, c’est Angéline qui s’était chargée de me garder avec les deux plus jeunes de la famille. La liste des invités au banquet s’était arrêtée juste avant moi et, presque un demi-siècle plus tard, elle se souvenait de ma mauvaise humeur…

Il faut dire qu’Angéline était souvent à la maison. Une sœur de ma mère, Suzanne, vivait alors avec nous et militait dans toutes sortes d’organismes, dont la Jeunesse agricole catholique (JAC). La maison servait quasiment de succursale de ce mouvement d’action catholique, d’autant plus que l’aumônier diocésain était aussi de la famille. Fortement engagée elle aussi dans ce mouvement, Angéline n’était pas encore écrivaine, mais elle maîtrisait très bien l’usage de la parole et ça discutait ferme…

J’ai eu l’occasion de visiter la maison des Saint-Pierre, « au Coteau » (aujourd’hui le Deuxième rang E.). La famille avait vécu auparavant à Péribonka et c’est ainsi qu’Angéline était née au pays de Maria Chapdelaine. Je me souviens d’avoir vu chez eux une tour Eiffel fabriquée avec des cure-dents qui m’avait beaucoup impressionné. Le père était un habile bricoleur et l’on sait qu’Angéline a commencé à pratiquer le métier d’artisan-bijoutier au début des années 1950. Plus tard, vers 1958, mon père est devenu propriétaire de la ferme des Saint-Pierre. Une expédition dans le grenier de la maison avait alors permis d’y trouver une collection du journal L’Action catholique. À 10 ou 12 ans, mon intérêt s’était porté sur le « supplément » et les grandes pages de bandes dessinées, mais il y avait bien d’autres choses dans ce journal à l’époque, des textes de Gérard Ouellet sur Saint-Jean, par exemple, et bien d’autres lectures pour la famille Saint-Pierre. Cette collection de journaux témoignait de son intérêt pour la littérature et l’information.

En 1960, Angéline devient journaliste. Elle se fait embaucher comme correspondante locale pour le Courrier de Montmagny-L’Islet. En fait, il s’agit d’un à-côté, car son gagne-pain demeure la sculpture, mais cette activité aura une influence déterminante sur son avenir. En effet – Angéline ne s’en est jamais cachée –, elle est « autodidacte de A à Z ». L’école du rang et un cours d’enseignement ménager constituaient son bagage scolaire auquel s’étaient ajoutés des cours par correspondance en français et en littérature, la formation acquise comme militante de la JAC et ses nombreuses lectures personnelles. Les reportages et les billets qu’elle signe dans le Courrier prennent alors une importance capitale en lui permettant d’apprivoiser ces formes d’écriture, premier pas vers la rédaction d’ouvrages destinés au grand public.

Ses premiers reportages portent sur les artisans de Saint-Jean et la préparent à l’étape suivante. En 1970, elle entreprend d’écrire la biographie d’un des plus illustres de Saint-Jean, Médard Bourgault, sculpteur. L’ouvrage paraît aux éditions Garneau en 1973 et sera réédité en 1981 chez Fides et en 2000 à la Plume d’oie. Il est suivi, chez Garneau, de trois autres ouvrages: L’œuvre de Médard Bourgault (1976), Émilie Chamard, tisserande (1976) et L’église de Saint-Jean-Port-Joli (1977), ce dernier publié à l’occasion du tricentenaire de la seigneurie. Elle publie ensuite un cahier de la Société historique, intitulé Arthur Fournier, sculpteur au canif (1978), et, aux éditions Laliberté, Eugène Leclerc, batelier miniaturiste (1984).

Angéline-Saint-Pierre -livre MédardAngéline-Saint-Pierre -livre Leclerc

Au milieu des années 1980, Angéline fait une incursion sur le marché des livres pratiques. Elle publie trois livres de recettes: 100 recettes de pain (l’Homme, 1986), Desserts à l’érable (Trécarré, 1987), Biscuits, brioches et beignes (l’Homme, 1987). Mais elle revient vite à ses premiers champs d’intérêt. Même s’il lui faut les éditer elle-même, les livres sortent au rythme d’un par année: C’était hier, en 1994, Rions… la publicité, en 1995, André Bourgault, sculpteur, en 1996, Promenades dans le passé, en 1997, La belle époque, en 1998. Viendront ensuite C’était pendant la Deuxième Guerre mondiale à Saint-Jean-Port-Joli, en 2001, Hommage aux bâtisseurs, en 2003, une réimpression de Promenades sous le titre Saint-Jean-Port-Joli, les paroissiens et l’église, en 2004, Noël et le temps des Fêtes: recueil de textes et iconographie, en 2006,La mode au fil des ans : recueil de textes et de gravures, en 2008 et Les quêteux de mon enfance à Saint-Jean-Port-Joli (qui reprend du contenu d’un titre précédent), en 2013.

Angéline-Saint-Pierre -photo Le Placoteux

(photo Le Placoteux)

Dans une conférence qu’elle donnait en 1984, devant les membres de la Société des écrivains canadiens, Angéline disait:

« La formation qu’on ne peut acquérir sur les bancs de l’école, on la prend ailleurs parfois, et la vie peut aussi nous l’offrir, dans les personnes, dans les événements. De mes parents, je retiens le goût du travail bien fait, et surtout la patience du recommencement. De l’école du rang, je retiens le travail personnel et les deux dictées par jour… utiles, il me semble, pour apprendre à former une phrase… et une institutrice qui, tous les vendredis après-midi, lisait à haute voix un chapitre de livre. Des mouvements de jeunesse, je retiens la poursuite d’un idéal. Et, finalement, du journalisme régional, n’écrire que des choses bonnes et belles. »

En accordant son « Mérite historique régional » à Angéline Saint-Pierre, la Société historique de la Côte-du-Sud a reconnu le mérite d’une personne qui a produit une quinzaine d’ouvrages d’histoire, de nombreux articles de journaux et divers autres textes à caractère historique, le tout, comme elle l’a écrit elle-même, « à force de travail, de recommencement et par amour pour cette forme d’expression ».

Présentes sur les rayons des bibliothèques et dans les maisons de Saint-Jean-Port-Joli, les œuvres d’Angéline Saint-Pierre feront en sorte que sa mémoire sera incontournable dans l’histoire de sa paroisse.

[Ce texte est une adaptation de la présentation faite en 1999 à la Roche-à-Veillon.]