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Pour le plaisir, Madame!

Les Cahiers de lecture de l’Action nationale ont consacré une demi-page à mes Gens de Montréal mais la recension me paraît porter sur un autre livre que le mien.

L’auteure s’intéresse davantage à ce qui ne s’y trouve pas. Elle aurait voulu que mes choix de gravures soient mis en contexte par rapport au contenu de L’Opinion publique : « Que représente le corpus retenu par rapport au contenu entier du journal illustré? Que signifient les textes et les gravures sur Montréal? […] Textes et gravures ont-ils été publiés à des fins d’éducation populaire […]. D’autres villes canadiennes bénéficient-elles d’une couverture aussi importante […]. Quels autres thèmes sont abordés dans ce périodique […]. »

Ce sont toutes de bonnes questions, mais pourquoi s’arrêter là? Les femmes sont-elles adéquatement représentées? et les personnes racisées, les immigrants, les autochtones? voit-on des cas d’appropriation culturelle dans les gravures montrant les carnavals, le Mardi gras et les bals masqués?

Couverture pour JF

L’auteure de la recension est restée sur sa faim. J’en suis désolé, mais il aurait fallu bien lire le menu avant de se mettre à table. L’éditeur annonce en couverture des « textes et illustrations de L’Opinion publique »; la présentation précise qu’on a choisi des illustrations où on voit des gens (évidemment) dans diverses situations, plutôt que des édifices et des paysages, et que le portrait qui ressort de Montréal « n’a aucune prétention scientifique ». C’est un choix personnel dans une collection personnelle. À quoi aurait servi « un appareillage critique »? L’auteure me confond avec un étudiant qui serait inscrit au doctorat sous sa direction et confond mon livre avec une œuvre qui n’existe encore que dans sa tête.

L’auteure du compte rendu se demande où est l’intérêt de ce livre, « au-delà du plaisir que procurent ses riches gravures et sa prose colorée ». Ce n’est pas assez?

En fait, outre le plaisir qu’on souhaite aux lecteurs (et qui ne pèsent pas lourd dans la grille d’analyse de l’universitaire), il y a surtout, pour l’auteur du livre, le bonheur de l’historien évoluant hors du cadre académique (et parvenu à un certain âge…) de pouvoir écrire à sa guise, sans être obligé d’entrer (et de rester) dans une case ou un champ, de choisir ses thèmes sans égard à la mode et aux goûts des organismes subventionnaires, sans se soucier du regard de pairs et du besoin de garnir son c.v., sans risquer de déroger, comme on disait des nobles autrefois, en s’adonnant à des genres « mineurs », comme l’histoire locale ou la vulgarisation, malgré le mépris qu’ils peuvent inspirer dans la confrérie.

Comme disait Cyrano,

« Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! »

Alphonse et Dorimène

 Les biographies d’Alphonse Desjardins et de son épouse traînent depuis quelques années sur ma table de travail, avec des livres à lire, alors qu’elles devraient être rangées sur les rayons car elles ont été lues depuis longtemps. Je suis sorti de ces lectures avec quelques interrogations un peu difficiles à formuler et probablement peu politiquement correctes.

desjardins monument

Dorimène

Écrite par Guy Bélanger, la biographie intitulée Dorimène Desjardins, 1858-1932, Cofondatrice des caisses populaires Desjardins, a été éditée en 2008 par les Éditions Dorimène (créées par le mouvement Desjardins). Elle « retrace la vie de l’épouse d’Alphonse Desjardins sous l’angle de sa contribution à la naissance et au développement des caisses populaires ».

Malgré toute la sympathie qu’on peut avoir pour madame Desjardins et surtout l’immense mérite qu’elle a eu d’élever seule sa famille pendant les longs mois d’absence de son mari et de le soutenir moralement, ce qu’on trouve dans sa biographie pour appuyer le titre de cofondatrice des caisses populaires est un peu mince.

Desjardins madame

Rappelons qu’Alphonse Desjardins était fonctionnaire au Parlement fédéral quand il a été sensibilisé au problème de l’usure. Pendant trois ans, il a mené des recherches et correspondu avec plusieurs experts à l’étranger pour mettre au point une forme originale de coopérative dont il a ensuite créé les statuts et règlements avec un groupe de concitoyens pour la plupart déjà engagés dans des institutions mutuelles.

Quel a été le rôle de Dorimène à ce moment et « sa contribution à la naissance » de la caisse de Lévis ? L’auteur de la biographie y consacre quelques lignes prudentes :

« À partir de 1897, Alphonse Desjardins entreprend une importante recherche sur la coopération appliquée à l’épargne et au crédit. Les préoccupations qui l’animent sont sûrement partagées par son épouse. De fait, les 14 assemblées préliminaires à la fondation de la première caisse populaire se tiennent dans la résidence familiale des Desjardins. Par conséquent, le fondateur et ses collaborateurs comptent vraisemblablement sur la collaboration de madame Desjardins pour préparer les statuts et règlements. C’est du moins l’opinion exprimée par Adrienne Desjardins, qui affirme que sa mère a participé à ces travaux sur une base informelle. Quoi qu’il en soit, Dorimène Desjardins est présente à l’Assemblée de fondation de la Caisse populaire de Lévis, le 6 décembre 1900 » (p. 31).

Comme Desjardins doit s’absenter pour la session, la gérance de l’institution est confiée à quatre administrateurs en 1901 et 1902. Pendant sept mois, en 1903, Dorimène agit comme adjointe au gérant. L’année suivante et jusqu’en 1906, c’est Théophile Carrier qui occupe cette fonction mais Dorimène est chargée de « tenir les écritures de la comptabilité [la tenue de livres probablement] et de surveiller les opérations courantes de la Société » (p. 38), ce qui lui vaudra les éloges du conseil d’administration. Elle est de plus « tout yeux, tout oreilles » pendant les absences de son mari, surtout quand commencent à courir les rumeurs sur son inexpérience et la fragilité de l’entreprise (p. 41). Il faut préciser ici qu’il s’agit alors d’une minuscule entreprise, sans local ni personnel.

Après 1906, le rôle de Dorimène aux côtés de son époux « est moins bien documenté ». C’est l’époque où Desjardins, entre autres choses, mène une vaste de campagne de fondations de caisses au Québec, en Ontario et chez les Franco-américains, fait cinq voyages de promotion aux États-Unis où il est consulté comme expert, invité comme conférencier, etc. 

desjardins au travail

Pour cette période, il est mentionné que Dorimène « lui apporte l’aide nécessaire dans ses travaux de comptabilité et de correspondance » (p. 50). L’auteur écrit aussi que Desjardins a été influencé par sa femme quand il a introduit la notion de membre auxiliaire dans les règlements (p. 52). Au total, conclut l’auteur, Dorimène Desjardins « fut une vraie militante de l’économie sociale. Son action a laissé suffisamment de traces tangibles pour qu’on puisse la considérer comme la cofondatrice des caisses populaires » (p. 88).

On ne peut dire qu’il y a là une grande conviction et cette impression ressort aussi à la lecture de la biographie magistrale que le même auteur a consacrée à Desjardins en 2012 (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/alphonse-desjardins).

Desjardins

Alphonse

Auteur d’une biographie partielle de Desjardins, le professeur Yves Roby nous disait, il y a près 50 ans, que le fondateur des caisses populaires était un authentique héros. La lecture de sa dernière biographie nous en convainc facilement. L’ouvrage de Guy Bélanger est le résultat de nombreuses années de recherche et bénéficie d’informations nouvelles ou méconnues. Il nous montre l’intellectuel et l’entrepreneur à l’origine des caisses populaires, « sans reléguer au second plan les autres aspects de sa vie active », dont sa vie familiale.

Sur le rôle de Dorimène dans la fondation des caisses, on ne trouve cependant rien de nouveau. En fait, il y en a moins. L’auteur ne reprend pas ses propos sur le rôle présumé de l’épouse de Desjardins dans la phase fondamentale de 1897-1900 et ne mentionne pas explicitement sa présence à l’assemblée de fondation (p. 150-153). Il évoquera souvent le soutien de madame Desjardins à son mari mais il écrit d’entrée de jeu que ce dernier est « considéré à juste titre comme le fondateur des caisses populaires » (p. 8), et, à la dernière page, comme une sorte de concession, que Dorimène Desjardins est « considérée depuis peu comme la cofondatrice de facto » (p. 656). On ne sent pas l’enthousiasme, comme si cet ouvrage produit « hors les murs » venait mettre un bémol sur le précédent « fait maison ».

Mais, ce n’est peut-être qu’une impression.

Je vais maintenant ranger les livres.

Jean Garon

La mort de Jean Garon m’a pris de court. Depuis plusieurs mois, son autobiographie  (Pour tout vous dire, Montréal, VLB, 2013, 564 p.) est sur ma table, avec quatre ou cinq autres, en attente de recension.

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Comme leurs auteurs, les autobiographies de politiciens sont d’inégale valeur. Je me souviens de l’ouvrage d’un politicien que j’aurais pu écrire avec un dossier de coupures de presse; il mentionnait par exemple la mort de son collègue Pierre Laporte sans dire un mot de ce qu’il avait ressenti ni de ce qu’il avait vécu personnellement à cette occasion. Celle de Jean Garon, à l’image de son auteur, appartient à une autre catégorie : on sait ce qu’il pense.

Plusieurs ont rappelé que sa nomination à l’Agriculture était une surprise et son succès à ce poste, improbable. La première partie de son autobiographie rappelle à ceux qui l’ignoraient qu’il avait d’abord une excellente formation académique et qu’il a commencé à militer à la fin des années 1950, ce qui l’avait amené à parcourir le Québec d’un bord à l’autre pour recruter des indépendantistes. Issu du milieu rural, Jean Garon connaissait ce monde bien avant d’entrer au Conseil des ministres. Il n’avait rien du néophyte et Lévesque le connaissait très bien depuis une bonne dizaine d’années, comme militant souverainiste au RIN puis au RN qui a fusionné avec le MSA pour former le PQ.

La deuxième partie est consacrée au ministre de l’Agriculture et constitue un véritable cours d’économie rurale. Le nom de Jean Garon est lié à la protection du territoire agricole mais c’est là une bien petite partie de ses réalisations. Même pour quelqu’un qui a suivi la politique de près à cette époque, la lecture de cette partie rappelle des éléments oubliés de la politique agricole que Jean Garon a élaborée, mise en place et carrément incarnée pendant près de 10 ans. Si les débuts ont été difficiles, les sceptiques ont ensuite été confondus. Le ministre a étudié, parcouru les campagnes sans relâche, écouté, bousculé ici et là, et gagné la confiance du milieu. Des grandes cultures à l’horticulture, en passant par l’élevage et aussi la pêche, il a poursuivi une politique de souveraineté alimentaire (autosuffisance) qui a contribué à mettre en valeur à la fois les produits et les producteurs.

La troisième partie de l’ouvrage couvre la période « post-ministérielle » et comprend des chapitres consacrés à la vie parlementaire, aux années d’opposition, au bref passage à l’Éducation, à la mairie de Lévis et aux deux référendums. Cette partie ne manque pas de piquant ni de jugements typiques, parfois un peu « carrés », mais toujours aussi francs. Son « histoire » de la « chefferie » péquiste est simple : trois chefs qui n’auraient pas dû partir et trois autres qui n’auraient pas dû être choisis. Une leçon d’histoire facile à retenir! Un jour, il s’en prend à des bonzes du mouvement Desjardins au sujet de la démutualisation de la compagnie d’assurances La Laurentienne, opération qu’il juge contraire aux intérêts des mutualistes et aux principes coopératifs. Un attaché politique de son parti l’invite à se retenir tandis qu’un courriériste parlementaire reconnaît qu’il s’autocensure (les deux se retrouveront plus tard cadres chez Desjardins…); Jean Garon ne démord pas, fut-il seul sur sa position.

La photo de la couverture montre un Jean Garon un peu triste mais les yeux clairs. Cette photo tranche avec l’image du « smiling minister » qui lui était associée au début de son mandat. Certes, le temps a fait son œuvre, et on savait l’homme malade depuis plusieurs années, mais on ne peut séparer cette image du message qu’il a voulu laisser dans sa conclusion. C’est l’image du vétéran déçu du résultat d’un demi-siècle de militantisme. L’état de l’économie, de l’agriculture et du mouvement souverainiste l’inquiète mais il continue d’espérer : « Les plus jeunes d’entre nous ont besoin d’un modèle d’idéal et d’intégrité pour avoir le goût de se battre, parce que ce pays va être bâti par eux, et pour eux. IL faut qu’ils redeviennent fiers du Québec, car la fierté d’un peuple est le plus puissant moteur de sa liberté et de sa prospérité, et sa plus grande richesse ».

Le livre favori

Trouvé, par hasard, ce texte de Gustave Nadaud (Roubaix, 20 février 1820 – Paris, 28 avril 1893), « goguettier » poète et chansonnier français, publié en 1870.
On le dirait inspiré par la menace du numérique sur l’avenir du livre.

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Le livre de choix ou d’étude
Qu’on repasse par habitude
Et les yeux fermés à demi,
Celui qui semble de lui-même
Se rouvrir aux pages qu’on aime,
Ce livre-là, c’est un ami.
Un ami qui vous fait visite
Et qui, venant sans qu’on l’invite,
Jamais ne se montre importun,
On le déguste feuille à feuille,
Ainsi qu’un fruit mûr on le cueille,
On le hume comme un parfum.
Il n’exige pas qu’on l’admire ;
Il vous instruit sans vous le dire,
Professeur indulgent et doux,
On sent l’écrivain dans le livre ;
Il semble tout exprès revivre
Pour venir causer avec vous.
Il charme bien plus qu’il n’étonne ;
Son orgueil n’offense personne,
Il vous maintient à sa hauteur.
On finit le vers qu’il commence ;
S’il ne l’avait écrit d’avance,
On croirait en être l’auteur.
D’autres veulent un grand théâtre ;
Il leur faut la foule idolâtre
Et les chaudes ovations.
Ils cherchent les routes nouvelles,
Et vous emportent sur leurs ailes
Vers les hautaines régions.
On veut les suivre dans l’espace ;
Le souffle manque, l’œil se lasse,
On retombe tout haletant.
On rentre au logis habitable,
Et l’on retrouve sur sa table
Le livre ami qui vous attend.
Gustave Nadaud, Chansons, Plon éditeur, 1870.

Ringuet, Arcand et le spectre de la disparition

À sa deuxième année d’existence, Septentrion publiait Ringuet en mémoire, 50 ans après Trente arpents, les actes d’un colloque organisé par l’UQTR à l’occasion du cinquantième anniversaire de ce classique de la littérature québécoise. L’ouvrage est naturellement passé « sous le radar », ce qui a eu « l’avantage » de ne pas attirer l’attention sur une bourde originale, une erreur dans le titre même du livre qui est devenu Ringuet en mémoire, 50 ans après Trente après! Le métier d’éditeur n’a-t-il pas pour intérêt marginal de nous apprendre à faire de nouvelles formes d’erreur?
Cette bêtise m’est revenue à la mémoire quand est sorti dernièrement le livre de Denys Arcand, Euchariste Moisan (Leméac) qui constitue en quelque sorte un résumé du Trente Arpents de Ringuet. Moisan est le « héros » du roman, un agriculteur fier et prospère qui, de malchance en faux pas, se retrouve veilleur de nuit dans un entrepôt en Nouvelle-Angleterre, ruiné, déshonoré et menacé d’assimilation comme des milliers d’autres compatriotes exilés. C’est là que le cinéaste le « retrouve » et lui fait raconter sa vie dans un long monologue de 79 pages.
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Si les médias ont évidemment ignoré les actes du colloque de 1988, l’opuscule de Denys Arcand a bénéficié d’une large couverture de presse : une page dans Le Soleil, plus d’une dans La Presse, deux dans le Journal de Québec, pour ne parler que des médias écrits. C’est l’effet de « la vedette qui publie ». La Presse a même titré « Pourquoi Ringuet n’est pas ringard ». Le texte de Chantal Guy rappelait que les étudiants de son époque n’avaient retenu qu’une « grosse déprime » de ce roman, et de la littérature québécois en général, alors qu’ils n’avaient aucun problème avec la noirceur des romans russes, américains ou français :
« On ne peut pas lire ce roman, écrivait-elle, sans ressentir de la pitié pour cet homme et un profond désespoir. Voilà sûrement pourquoi on ne le lit pas. Ça fait trop mal. Mais si ça fait mal, c’est bien parce que ça nous parle, parce que c’est une douleur et une peur qu’on ressent encore. En ce sens, dans son esprit même, Trente arpents est toujours d’actualité. Ce qui est encore plus désespérant… » (http://www.lapresse.ca/arts/livres/chroniques/201301/25/01-4615138-pourquoi-ringuet-nest-pas-ringard.php)
Cinéaste, mais historien de formation, Arcand n’avait pas encore lu ce roman qui évoque « la menace constante d’une disparition du peuple canadien-français ». Au-delà des grandes qualités littéraires de l’ouvrage, il a ressenti un choc :
« C’est terrifiant. Mais le destin du Québec a toujours été très étonnant. Normalement, en 1763, si on regardait ça, on se disait que dans une génération, les Canadiens français auraient disparu. Même chose pendant l’exode aux États-Unis. Eh bien non, ils sont encore là, ça continue. Il y a comme une sorte de miracle québécois, mais qui est toujours horriblement menacé. C’est toujours d’actualité et c’est ça qui est absolument affolant. […]. Un peuple conquis, c’est ça, le grand problème. Nous étions faits pour être français. Mais nous ne le sommes pas. Nous n’avons pas pu l’être. Dans une mer anglophone, ça va toujours être là. Peut-être qu’on n’en sortira jamais » (http://www.lapresse.ca/arts/livres/entrevues/201301/25/01-4615129-denys-arcand-le-spectre-de-la-disparition.php).