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Notes de lecture : Les amants de 1837, par Marcel Lefebvre

Chansonnier à la belle époque de ce genre musical, professeur de philosophie (il m’a enseigné la logique en 1966…), parolier pour nos meilleurs interprètes (prix Luc-Plamondon 2007), auteur de jingles (Mon bikini, ma brosse à dents, Sico, les puddings Laura Secord, etc.), scénariste, réalisateur, producteur, metteur en scène et maintenant peintre, Marcel Lefebvre vient d’ajouter une nouvelle section à son c.v. en publiant Les amants de 1837 chez Libre Expression.
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L’action se situe pendant la première rébellion. L’auteur met en scène un jeune patriote du Bas-Canada qui tombe amoureux de la fille d’un officier britannique de haut niveau. Jean Noland est rejeté par sa famille à cause de son engagement politique tandis que la belle Mary Patinson provoque la fureur de son père en s’amourachant d’un rebelle. Cette situation déjà délicate est compliquée par la présence d’une jeune Amérindienne qui s’éprend à la fois de la cause et du patriote. Les deux femmes ont un autre point commun : Noland leur a toutes les deux sauvé la vie. L’auteur ne manque pas d’imagination.
Cet ouvrage est un roman, et non une monographie historique déguisée en œuvre littéraire. L’auteur a imaginé une histoire plutôt étonnante qu’il situe dans un contexte historique. Auy sujet de la rébellion, il distille l’essentiel, au fil des pages, sans insister sur les arcanes de la politique. Pas de longs débats entre les protagonistes, assez peu de dialogues. Mis à part Wolfred Nelson, on y voit à peu près aucun des chefs patriotes, mais on comprend très bien ce qui se passe.
L’objectif de l’auteur était ailleurs et il atteint son but en créant de l’émotion et de l’intérêt chez le lecteur. Il a fait de sérieuses recherches pour que son contexte historique soit réaliste et ses descriptions, plausibles. Le parcours de son Noland est celui du militant patriote classique : engagement, bataille, fuite, capture, prison. Avec à peine quelques feuillets entre les doigts de la main droite, le lecteur sent que l’« affaire » est sans issue quand, soudainement, l’auteur dénoue l’intrigue de façon peu banale. « La fin de l’histoire surprendra le lecteur » disait l’éditeur. Avec raison.

Une biographie remarquable de Champlain

Je termine la lecture de Champlain’s Dream, une biographie publiée à l’automne 2008 sous la signature de David Hackett Fischer chez Knopf Canada : 834 pages dont 110 pages de notes, 100 pages d’appendices, 40 pages de bibliographie et 35 pages de d’index. Un ouvrage magistral qui devrait demeurer sans égal pendant des décennies, à moins qu’on ne trouve de nouveaux documents.
Fisher présente un Champlain déterminé, tenace, totalement dédié à la réalisation de ses rêves d’exploration et de colonisation, un homme qui possédait de nombreuses qualités, un navigateur de premier ordre, un cartographe, un artiste, et quoi encore !
C’était aussi un soldat d’expérience qui a relevé le défi de combattre les Iroquois, comme le voulaient ses alliés amérindiens, mais qui ne demandait pas mieux que la paix et l’harmonie. À cette fin, il multiplia les efforts diplomatiques pour maintenir de bonnes relations avec les Indiens, ce qu’il a réussi, là où ses prédécesseurs (Dugua, Poutrincourt) avaient échoué. Fisher insiste d’ailleurs pour mettre en évidence une différence entre les projets de colonisation menés par les Européens. Les Français, écrit-il, n’ont pas essayé de conquérir les Indiens et de les asservir comme les Espagnols ; ils n’ont pas abusé d’eux comme les Virginiens et ne les ont pas repoussés comme en Nouvelle-Angleterre. À l’époque de Champlain, les petites colonies françaises ont côtoyé les grandes nations indiennes dans un esprit d’amitié et de concorde, de confiance et de respect mutuel. Bien des Québécois ont oublié cela, et plusieurs de nos concitoyens autochtones.
On ne peut sortir de ce livre sans se dire aussi que c’est encore un historien anglophone qui nous offre un remarquable travail sur Champlain. Les nôtres préfèrent malheureusement l’odeur des travaux de déconstruction.

Contes du Bas-du-Fleuve

2002 ou 2003. Appel de Victor-Levy Beaulieu à mon bureau de l’Assemblée nationale. Il envisage de publier une série d’ouvrages sur les contes et légendes du Québec et me demande si je suis intéressé à en préparer un sur la Côte-du-Sud. Difficile dans l’immédiat, mais la retraite s’en vient dans quelques mois et c’est un beau projet, d’autant plus que j’ai déjà publié un ouvrage de ce genre en 1994. Contes et légendes de la Côte-du-Sud réunissait 13 textes, un pour chacune des vieilles paroisses riveraines de la région, de Beaumont à Kamouraska, une anthologie des auteurs les plus connus dans ce domaine, Casgrain, Taché, Aubert de Gaspé, Faucher de Saint-Maurice, Rouleau, Gagnon, etc. L’ouvrage est épuisé et ce serait une bonne occasion de reprendre le sujet sur une autre base, l’élargir, pour démontrer l’extraordinaire productivité de la Côte-du-Sud en ce domaine.
Il y a cependant une question qui accroche : comment l’éditeur de Trois-Pistoles conçoit-il la Côte-du-Sud? Je ne cache pas ma position : je travaillerai sur ce projet dans la mesure où il adoptera le découpage des histoires régionales de l’IQRC, la Côte-du-Sud incluant le Kamouraska.
La conversation se termine en point d’interrogation et je n’entendrai plus parler du projet jusqu’à la parution du premier titre, Contes, légendes et récits du Bas-du-Fleuve, tome 1, Les Temps sauvages (en 2003 ), qui faisait une large place à Joseph-Charles Taché (né à Kamouraska mais associé par la suite à la région de Rimouski) et comprenait aussi les classiques de Casgrain (Rivière-Ouelle) et un texte de Philippe-Aubert de Gaspé (Saint-Jean-Port-Joli). En 2008 paraît le deuxième tome, Les Temps apprivoisés, qui comprend évidemment de nombreux auteurs du Kamouraska mais aussi des textes du seigneur de Saint-Jean-Port-Joli et même de Joseph Marmette, bien associé à Montmagny… De Gaspé et Marmette se retrouvent aussi dans un autre ouvrage de la même collection, publié la même année, Contes, légendes et récits de la région de Québec, bref n’importe où, sauf sur la Côte-du-Sud qui a vu naître ce courant littéraire des « contes et légendes » vers la fin du XIXe siècle.
La collection est magnifique. Le projet était ambitieux et il a carrément ambitionné. Après la partition administrative entre le Bas-Saint-Laurent et Québec dans les années 1960, puis le dépeçage « touristique » entre le même Bas-Saint-Laurent et Chaudière-Appalaches dans les années 1980, voilà les dépouilles culturelles de la Côte-du-Sud rapaillées pour enrichir le patrimoine littéraire de ses voisines.
La situation ne manque pas d’ironie. En 1855, c’est Joseph-Charles Taché qui écrivait à un visiteur hypothétique venu en bateau : « À notre gauche est le comté de Kamouraska qui, avec ceux de Témiscouata et Rimouski, forment le district de Kamouraska, compris dans cette magnifique suite d’établissements, et qui est connu et célèbre dans le pays sous le nom de Côte du Sud ». Le Bas-Saint-Laurent de Taché était inclus dans la Côte-du-Sud.
Le monde à l’envers.

Lecture – Écrivains chéris, de Jean O’Neil

J’aimais bien Jean O’Neil, le maître du tourisme littéraire. En fait, par chauvinisme, je me suis intéressé aux livres qui contenaient des récits sur la Côte-du-Sud, comme Promenade et tombeaux, Géographies d’amour et surtout L’Île aux Grues.
Dans son dernier ouvrage, il traite des grands auteurs français qui l’ont inspiré, les Claudel, Montpassant, Rimbaud, Péguy, Daudet, etc. Pour ce faire, il est allé revoir les lieux où ces auteurs ont vécu.
À l’intention de ceux qui n’avait pas noté son absence, il a laissé quelques mots, dans le premier chapitre de son ouvrage, pour exprimer son bonheur de se retrouver « en congé provisoire dans ce Paris libérateur » après un exil de « quarante ans dans le péquisme grisouilleux de [son] pays » : « Car le bonheur m’est plutôt interdit au Québec. Le péquisme politique agonise comme une vieille chandelle qui fume au dernier bout de sa mèche, mais le péquisme culturel est toujours florissant, omniprésent, larmoyant, voire misérabiliste, heureux dans un nationalisme culturel plus taré que la consanguinité des villages perdus. La peinture seule semble avoir eu la grâce d’y échapper. La musique, je ne sais trop. Mais la littérature, j’en suis tellement loin que je ne la lis plus et que je m’en sauve. »
Il est donc parti, « en congé partiellement subventionné […], gracieuseté du Conseil des Arts du Canada » pour aller voir les « maîtres » qu’il a tant aimés, « faute de trouver des frères » dans son pays.
Le chroniqueur de L’Actualité a fait sa recension sans sourciller, apparemment; celui du Devoir a noté que le voyage commençait mal. « Pour justifier le bonheur français que lui ont procuré ces pèlerinages, O’Neil se sent obligé, en ouverture, de vomir sur un Québec qu’il dit vénérer […]. Que veut-il, au juste, dénoncer? On ne le saura pas vraiment. […] cette hargne, qui emprunte ses accents aux brouillons et colériques Jean-Paul Desbiens et René-Daniel Dubois, restera gratuite et navrante. […] J’ai toujours cru, quant à moi, que l’amour des cousins ne gagnait rien à se nourrir du mépris des frères ».
Pour ma part, ne bénéficiant pas du « service de presse », je me suis arrêté aux premières pages que j’ai lues au comptoir où le livre est resté.

Le « complot de Champlain », ou contre Champlain?

Dans son commentaire sur l’édition abrégée des Voyages de Champlain par une maison parisienne (Samuel de Champlain, Voyages, Paris, L’École des loisirs, 2008), Carole Tremblay (Le Devoir du 19 avril) se demande « pourquoi aucun éditeur québécois n’y [a] pensé… ».
La réponse à cette question se trouve dans ce même cahier F du Devoir qui consacre une page complète à un ouvrage qui vise à déconstruire Champlain (Mathieu d’Avignon, Champlain et les fondateurs oubliés; les figures du père et le mythe de la fondation, Québec, PUL, 2008, 540 p.).
Le 400e de Québec sera une année difficile pour le fondateur et, c’est bien connu, la presse se nourrit plus d’iconoclastes que d’hagiographes; au besoin, comme c’est le cas ici, elle épice la sauce avec un titre sensationnaliste (« Le complot de Champlain »!) qui ne repose sur aucun fait : avec qui Champlain aurait-il bien pu comploter ? Garneau, Groulx, Lacoursière ?
Qu’on réexamine le rôle de Champlain, il n’y a rien à redire, surtout s’il s’agit d’une « salutaire entreprise critique », selon Le Devoir, qui y voit un « ouvrage très costaud à tous points de vue ». Pour en avoir lu la partie fondamentale (soit le chapitre qui porte sur l’analyse des écrits de Champlain), le jugement me semble prématuré.
La thèse de l’auteur est relativement simple. En 1632, Champlain publie le dernier de ses Voyages et, au lieu de reproduire intégralement ses ouvrages antérieurs de 1603, 1613 et 1619, il les résume, dans une première partie, avant d’enchaîner avec le matériel inédit qui couvre les années 1620-1632. En résumant ses récits antérieurs, Champlain laisse nécessairement tomber des éléments d’information ; Mathieu D’Avignon en fait la comptabilité et conclut que Champlain a délibérément remanié son texte pour faire disparaître le nom de certains contemporains (Dupont-Gravé, Dugua, etc.) et se donner le beau rôle. Il passe ensuite en revue ce que les historiens ont écrit sur Champlain en se servant de cette édition de 1632 (même si les ouvrages antérieurs demeuraient disponibles) et conclut qu’on a construit un « mythe » qu’il faut maintenant détruire.
Le problème de cet ouvrage est que l’auteur comptabilise les moindres divergences (entre les textes originaux et le résumé de 1632) et les explique par des intentions qui vont toujours dans le même sens. Or, il est évident que Champlain a coupé beaucoup d’informations (dont de nombreux passages le concernant) parce qu’elles n’avaient tout simplement plus aucune espèce d’importance en 1632. Trente ans après la vaine tentative acadienne, à un moment où Port-Royal est abandonné depuis plusieurs années, quel est l’intérêt de répéter, par exemple, que Dugua de Mons avait logé à Sainte-Croix dans la maison que Champlain avait construite, en attendant que la sienne soit prête ? Qu’il avait envoyé une barque à la baie Sainte-Marie ? Ou s’était réjoui de l’arrivée de ravitaillement ? Pour discréditer Dugua de Mons ? Pourquoi alors, après avoir fait ces coupures, Champlain ajoute-t-il de longs passages, dans cette même édition de 1632, où « il reconnaît haut et fort la contribution de Dugua à la fondation de l’Acadie » ? Comme tentative de camouflage, on a vu mieux.
Il faudra revenir sur la méthodologie de cet ouvrage, sans se laisser impressionner par le fait qu’il est issu d’un doctorat ou par les propos du recenseur qui voit déjà un manque de « maturité » chez ceux qui ne sauront pas accueillir cet ouvrage « avec tous les éloges qui conviennent ».
S’il a été relativement facile de déconstruire Dollard des Ormeaux ou Madeleine de Verchères, dont la renommée reposait sur des incidents, ou encore Jean Talon, qui a fait un passage fugace dans l’histoire de Québec, le travail de déconstruction sera plus ardu dans le cas de ce personnage qui s’est consacré à son œuvre avec plus de détermination et de constance qu’aucun de ses contemporains.