Archives pour la catégorie Saint-Jean-Port-Joli

Le jour où Raoul Hunter m’a « caricaturé »

Le grand caricaturiste Raoul Hunter est mort. Né à Saint-Cyrille de Lessard, il faisait partie de nos gloires régionales, même si, dans ma famille, abonnée religieusement à L’Action catholique, nous n’avions pas accès à ses caricatures du Soleil dans les années 1950 et 1960.

Quand je suis né, il entamait sa deuxième philosophie ─ la dernière année du cours classique ─ au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et comptait un de mes oncles parmi ses confrères.

Luc est aujourd’hui nonagénaire, et plutôt en forme pour cet âge, mais il avait alors une santé fragile. À l’automne 1948, il avait dû retourner dans sa famille, à Saint-Jean-Port-Joli, pour soigner je-ne-sais-plus quelle maladie; chose certaine, on faisait preuve de prudence à cette époque où sévissait la tuberculose.

Hunter-caricature2

Hunter se faisait alors la main dans le journal des étudiants du collège. Il en profita pour se moquer du convalescent. Une caricature publiée dans L’Union amicale montre son confrère Luc plongé dans un livre de philosophie, vêtu du « suisse » et agitant de son pied le ber où repose un neveu né le 23 octobre 1948.

Un toponyme qui fait jaser : la rue de la Branlette

 (Extrait de Curiosités de la Côte-du-Sud, GID, 2018)

Rang des Belles-Amours, rang de l’Embarras, Trou-à-Pépette… La Côte-du-Sud ne manque pas de toponymes insolites, mais celui qui a fait le plus jaser depuis une quinzaine d’années est probablement « rue de la Branlette », à Saint-Jean-Port-Joli, au point où le panneau a été retiré un certain temps car il était trop souvent vandalisé ou volé!

Branlette JdeQ 2018

 

La rue est au sommet de la première côte de la route de l’Église (204), perpendiculaire à cette dernière.

« La Branlette » a d’abord été le nom d’un coteau boisé, au sud du village, où l’abbé Jean-Julien Verreault et ses amis allait cueillir les petits fruits dans son enfance vers 1905. « Au fond, écrivait-il, c’est la peur qui nous empêchait de dépasser la ‟Branlette”. On racontait que, plus loin, de l’autre côté de ce petit bois, des « courailleux » avaient été vus avec des couteaux entre les dents et… » Le mémorialiste ─ tout comme le journaliste Gérard Ouellet en 1945 ─ nomme le lieu innocemment, sans se douter que le toponyme populaire prendrait plus tard un sens équivoque.

À l’époque des voitures à chevaux, avant la création du réseau de « routes améliorées », cette section de la route qui mène à la station de chemin de fer était cahoteuse et minée par des sources d’eau. Placer des billes de bois en travers de la route, pour la stabiliser, n’améliorait pas vraiment la situation : ceux qui y circulaient « se faisaient secouer et l’on disait qu’ils avaient ‟la Branlette” », d’où le nom de la côte, selon une première hypothèse rapportée par le journaliste local Jean-Guy Toussaint. Une autre source prétend qu’un mendiant s’était construit un « campe » dans cette côte, à la fin du XIXe siècle, et qu’on l’avait surnommé « la Branlette » parce qu’il marchait en boitillant.

Faute de témoignages plus probants, on ne peut aller plus loin, comme la rue, d’ailleurs, qui se termine en cul-de-sac…

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PS : l’espace manquait dans les Curiosités de la Côte-du-Sud pour ajouter un détail qui m’a carrément « ébranlé ».

Si on cherche ce toponyme sur Goggle Street View, ou bien la plaque disparaît, ou bien le nom de la rue est brouillé! Version moderne de « Dieu te voit »?

Branlette -Street view

Louis-Guy Lemieux (1945-2018)

L’ancien journaliste Louis-Guy Lemieux (1945-2018) est décédé vendredi (https://quebec.huffingtonpost.ca/2018/07/21/journaliste-louis-guy-lemieux-decede_a_23486790/). Il personnifiait l’époque où le Soleil s’intéressait à l’histoire de la ville. Il y a bien de nos jours une comparaison « hier-aujourd’hui »  avec des photos anciennes (une par semaine), mais on est loin des textes de Louis-Guy qui avait pris la succession de la prolifique Monique Duval.

Lemieux

(Photothèque Le Soleil)

Je me souviens du lancement de son Roman du Soleil (Septentrion, 1997). Pendant que les patrons plastronnaient et vantaient le beau livre, il me rappelait, sourire en coin, qu’il avait dû se battre pour leur faire accepter ses chroniques sur l’histoire du journal… Les « vieilles pierres » ne séduisaient plus, semblait-il… C’est pourtant ce qui attire le monde à Québec, depuis des lunes, bien avant les technos et le Saint-Roch « nouvo ». Les gens d’ici sont fiers de leur histoire, Ils en mangent, comme en témoigne leur « amitié » pour la page Facebook de la Société historique de Québec, entre autres.

Louis-Guy a aussi publié Nouvelle-France La grande aventure, 2001, et Grandes Familles du Québec, 2006, toujours au Septentrion (https://www.septentrion.qc.ca/auteurs/louis-guy-lemieux).

Sincères condoléances à la famille qui avait des racines profondes dans mon village natal. Le grand père paternel de Louis-Guy a été chef de gare à Saint-Jean-Port-Joli de 1916 à 1934 et son grand-père maternel (Fortin), propriétaire du fameux Castel des Falaises ; ses parents s’y sont mariés en 1938 et y ont eu leurs deux premières filles.

La fête du mai à Saint-Jean-Port-Joli

[Au Musée de la mémoire vivante, dont l'architecture reproduit l’ancien manoir de Philippe Aubert de Gaspé, les gens de Saint-Jean-Port-Joli et les Arquebusiers de Kébek ont reconstitué aujourd’hui la plantation du mai, une ancienne cérémonie en hommage que l'auteur des Anciens Canadiens a décrite dans son roman en 1863.]

 « Une centaine d’habitants disséminés çà et là par petits groupes [encombraient la cour du manoir]. Leurs longs fusils, leurs cornes à poudre suspendues au cou, leurs casse-têtes passés dans la ceinture, la hache dont ils étaient armés, leur donnaient plutôt l’apparence de gens qui se préparent à une expédition guerrière, que celle de paisibles cultivateurs.

[…] tout était mouvement et activité. Les uns, en effet, étaient occupés à la toilette du mai, d’autres creusaient la fosse profonde dans laquelle il devait être planté, tandis que plusieurs aiguisaient de longs coins pour le consolider. Ce mai était de la simplicité la plus primitive: c’était un long sapin ébranché et dépouillé jusqu’à la partie de sa cime, appelée le bouquet; ce bouquet ou touffe de branches, d’environ trois pieds de longueur, toujours proportionné néanmoins à la hauteur de l’arbre, avait un aspect très agréable tant qu’il conservait sa verdeur; mais desséché ensuite par les grandes chaleurs de l’été, il n’offrait déjà plus en août qu’un objet d’assez triste apparence. […]

Un coup de fusil, tiré à la porte principale du manoir, annonça que tout était prêt. À ce signal, la famille d’Haberville s’empressa de se réunir dans le salon, afin de recevoir la députation que cette détonation faisait attendre. […] Ils étaient à peine placés, que deux vieillards, introduits par le majordome José, s’avancèrent vers le seigneur d’Haberville, et, le saluant avec cette politesse gracieuse, naturelle aux anciens Canadiens, lui demandèrent la permission de planter un mai devant sa porte. Cette permission octroyée, les ambassadeurs se retirèrent et communiquèrent à la foule le succès de leur mission. […].

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Au bout d’un petit quart d’heure, le mai s’éleva avec une lenteur majestueuse au-dessus de la foule, pour dominer ensuite de sa tête verdoyante tous les édifices qui l’environnaient. Quelques minutes suffirent pour le consolider.

20180513_162108Un second coup de feu annonça une nouvelle ambassade; les deux mêmes vieillards, avec leurs fusils au port d’arme, et accompagnés de deux des principaux habitants portant, l’un, sur une assiette de faïence, un petit gobelet d’une nuance verdâtre de deux pouces de hauteur, et l’autre, une bouteille d’eau-de-vie, se présentèrent, introduits par l’indispensable José, et prièrent M. d’Haberville de vouloir bien recevoir le mai qu’il avait eu la bonté d’accepter. Sur la réponse gracieusement affirmative de leur seigneur, un des vieillards ajouta:

– Plairait-il à notre seigneur d’arroser le mai avant de le noircir?

Et sur ce, il lui présente un fusil d’une main, et de l’autre un verre d’eau-de-vie.

– Nous allons l’arroser ensemble, mes bons amis, dit M. d’Haberville en faisant signe à José, qui, se tenant à une distance respectueuse avec quatre verres sur un cabaret remplis de la même liqueur généreuse, s’empressa de la leur offrir. Le seigneur, se levant alors, trinqua avec les quatre députés, avala d’un trait leur verre d’eau-de-vie, qu’il déclara excellente, et, prenant le fusil, s’achemina vers la porte, suivi de tous les assistants. […]

Dès que le seigneur d’Haberville eut noirci le mai en déchargeant dessus son fusil chargé à poudre, on présenta successivement un fusil à tous les membres de sa famille, en commençant par la seigneuresse; et les femmes firent le coup du fusil comme les hommes.

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Ce fut ensuite un feu de joie bien nourri qui dura une bonne demi-heure. On aurait pu croire le manoir assiégé par l’ennemi. Le malheureux arbre, si blanc avant cette furieuse attaque, semblait avoir été peint subitement en noir, tant était grand le zèle de chacun pour lui faire honneur. En effet, plus il se brûlait de poudre, plus le compliment était supposé flatteur pour celui auquel le mai était présenté. »

(Photos Annette Deschênes)

Angéline Saint-Pierre (1931-2017)

Le « Mérite historique régional » a été créé en 1988 pour honorer une personne ayant contribué à faire connaître et aimer l’histoire de la Côte-du-Sud. En 1999, la Société historique de la Côte-du-Sud a décidé d’attribuer ce prix à une personne de Saint-Jean-Port-Joli qui a contribué de façon remarquable à faire découvrir l’histoire de sa paroisse et celle de quelques illustres concitoyens, madame Angéline Saint-Pierre.

Quand la vice-présidente de la Société m’a demandé de présenter la récipiendaire, elle a mentionné le fait que j’étais historien et originaire de Saint-Jean, mais je me disais en moi-même qu’elle aurait pu évoquer bien d’autres raisons.

 

Angéline St-P. 10e de la JRC

 

Angéline Saint-Pierre (en avant, à droite) chez les Jacistes en 1953.

Le fait est que je connaissais Angéline – que je me permets d’appeler par son prénom pour toutes ces raisons – depuis toujours, ou presque. Mon plus ancien souvenir remontait à juin 1953. C’était le jour de l’ordination sacerdotale de mes deux oncles, Luc Deschênes et Marcel Caron. Probablement parce que toutes les gardiennes potentielles, des deux côtés de la parenté, étaient au banquet, c’est Angéline qui s’était chargée de me garder avec les deux plus jeunes de la famille. La liste des invités au banquet s’était arrêtée juste avant moi et, presque un demi-siècle plus tard, elle se souvenait de ma mauvaise humeur…

Il faut dire qu’Angéline était souvent à la maison. Une sœur de ma mère, Suzanne, vivait alors avec nous et militait dans toutes sortes d’organismes, dont la Jeunesse agricole catholique (JAC). La maison servait quasiment de succursale de ce mouvement d’action catholique, d’autant plus que l’aumônier diocésain était aussi de la famille. Fortement engagée elle aussi dans ce mouvement, Angéline n’était pas encore écrivaine, mais elle maîtrisait très bien l’usage de la parole et ça discutait ferme…

J’ai eu l’occasion de visiter la maison des Saint-Pierre, « au Coteau » (aujourd’hui le Deuxième rang E.). La famille avait vécu auparavant à Péribonka et c’est ainsi qu’Angéline était née au pays de Maria Chapdelaine. Je me souviens d’avoir vu chez eux une tour Eiffel fabriquée avec des cure-dents qui m’avait beaucoup impressionné. Le père était un habile bricoleur et l’on sait qu’Angéline a commencé à pratiquer le métier d’artisan-bijoutier au début des années 1950. Plus tard, vers 1958, mon père est devenu propriétaire de la ferme des Saint-Pierre. Une expédition dans le grenier de la maison avait alors permis d’y trouver une collection du journal L’Action catholique. À 10 ou 12 ans, mon intérêt s’était porté sur le « supplément » et les grandes pages de bandes dessinées, mais il y avait bien d’autres choses dans ce journal à l’époque, des textes de Gérard Ouellet sur Saint-Jean, par exemple, et bien d’autres lectures pour la famille Saint-Pierre. Cette collection de journaux témoignait de son intérêt pour la littérature et l’information.

En 1960, Angéline devient journaliste. Elle se fait embaucher comme correspondante locale pour le Courrier de Montmagny-L’Islet. En fait, il s’agit d’un à-côté, car son gagne-pain demeure la sculpture, mais cette activité aura une influence déterminante sur son avenir. En effet – Angéline ne s’en est jamais cachée –, elle est « autodidacte de A à Z ». L’école du rang et un cours d’enseignement ménager constituaient son bagage scolaire auquel s’étaient ajoutés des cours par correspondance en français et en littérature, la formation acquise comme militante de la JAC et ses nombreuses lectures personnelles. Les reportages et les billets qu’elle signe dans le Courrier prennent alors une importance capitale en lui permettant d’apprivoiser ces formes d’écriture, premier pas vers la rédaction d’ouvrages destinés au grand public.

Ses premiers reportages portent sur les artisans de Saint-Jean et la préparent à l’étape suivante. En 1970, elle entreprend d’écrire la biographie d’un des plus illustres de Saint-Jean, Médard Bourgault, sculpteur. L’ouvrage paraît aux éditions Garneau en 1973 et sera réédité en 1981 chez Fides et en 2000 à la Plume d’oie. Il est suivi, chez Garneau, de trois autres ouvrages: L’œuvre de Médard Bourgault (1976), Émilie Chamard, tisserande (1976) et L’église de Saint-Jean-Port-Joli (1977), ce dernier publié à l’occasion du tricentenaire de la seigneurie. Elle publie ensuite un cahier de la Société historique, intitulé Arthur Fournier, sculpteur au canif (1978), et, aux éditions Laliberté, Eugène Leclerc, batelier miniaturiste (1984).

Angéline-Saint-Pierre -livre MédardAngéline-Saint-Pierre -livre Leclerc

Au milieu des années 1980, Angéline fait une incursion sur le marché des livres pratiques. Elle publie trois livres de recettes: 100 recettes de pain (l’Homme, 1986), Desserts à l’érable (Trécarré, 1987), Biscuits, brioches et beignes (l’Homme, 1987). Mais elle revient vite à ses premiers champs d’intérêt. Même s’il lui faut les éditer elle-même, les livres sortent au rythme d’un par année: C’était hier, en 1994, Rions… la publicité, en 1995, André Bourgault, sculpteur, en 1996, Promenades dans le passé, en 1997, La belle époque, en 1998. Viendront ensuite C’était pendant la Deuxième Guerre mondiale à Saint-Jean-Port-Joli, en 2001, Hommage aux bâtisseurs, en 2003, une réimpression de Promenades sous le titre Saint-Jean-Port-Joli, les paroissiens et l’église, en 2004, Noël et le temps des Fêtes: recueil de textes et iconographie, en 2006,La mode au fil des ans : recueil de textes et de gravures, en 2008 et Les quêteux de mon enfance à Saint-Jean-Port-Joli (qui reprend du contenu d’un titre précédent), en 2013.

Angéline-Saint-Pierre -photo Le Placoteux

(photo Le Placoteux)

Dans une conférence qu’elle donnait en 1984, devant les membres de la Société des écrivains canadiens, Angéline disait:

« La formation qu’on ne peut acquérir sur les bancs de l’école, on la prend ailleurs parfois, et la vie peut aussi nous l’offrir, dans les personnes, dans les événements. De mes parents, je retiens le goût du travail bien fait, et surtout la patience du recommencement. De l’école du rang, je retiens le travail personnel et les deux dictées par jour… utiles, il me semble, pour apprendre à former une phrase… et une institutrice qui, tous les vendredis après-midi, lisait à haute voix un chapitre de livre. Des mouvements de jeunesse, je retiens la poursuite d’un idéal. Et, finalement, du journalisme régional, n’écrire que des choses bonnes et belles. »

En accordant son « Mérite historique régional » à Angéline Saint-Pierre, la Société historique de la Côte-du-Sud a reconnu le mérite d’une personne qui a produit une quinzaine d’ouvrages d’histoire, de nombreux articles de journaux et divers autres textes à caractère historique, le tout, comme elle l’a écrit elle-même, « à force de travail, de recommencement et par amour pour cette forme d’expression ».

Présentes sur les rayons des bibliothèques et dans les maisons de Saint-Jean-Port-Joli, les œuvres d’Angéline Saint-Pierre feront en sorte que sa mémoire sera incontournable dans l’histoire de sa paroisse.

[Ce texte est une adaptation de la présentation faite en 1999 à la Roche-à-Veillon.]