Julien Mercier (1734-1811), le rebelle devenu royaliste

Quand l’armée des Treize Colonies en rébellion contre l’Angleterre vient assiéger Québec en 1775, les habitants de la province de Québec (qu’on appelle toujours « Canadiens ») doivent choisir leur parti. L’étude du comportement des habitants de la Côte-du-Sud montre une grande sympathie, en général, pour les rebelles, mais aussi plusieurs cas d’ambivalence. Julien Mercier est du nombre : d’abord « zélé rebelle », il vire capot et finit soldat de l’armée britannique.

Le contexte
Réunies en Congrès en 1774 et 1775, les Treize Colonies font circuler des « adresses » qui invitent les Canadiens à les appuyer. Elles ont aussi des espions qui laissent entendre que les Canadiens leur sont sympathiques.
Pour défendre la province, le gouverneur Carleton décide de rétablir la milice (abolie après la Conquête) et de recruter des volontaires. Au printemps 1775, il demande à l’évêque de Québec, Mgr Briand, d’émettre un mandement à ce sujet, mais, malgré cette pressante invitation de l’évêque, l’opération de mobilisation échoue : les Canadiens refusent massivement de se mobiliser.
Le seigneur Taschereau, de Sainte-Marie-de-Beauce, veut recruter des hommes pour bloquer les envahisseurs, mais ceux qu’il a convoqués à une assemblée à Pointe-Lévy au début de septembre refusent et décident au contraire de faciliter l’arrivée de ceux qu’ils appellent les « Bostonnais ». À cette fin, on monte la garde au bord du fleuve dans les paroisses, souvent en armes, pour empêcher les Britanniques de venir sur la Côte-du-Sud, et on organise un système d’alerte au moyen de feux pour communiquer d’une paroisse à l’autre.
Les troupes d’Arnold arrivent à Pointe-Lévy au début de novembre 1775 et s’installent sans opposition. Celles de Montgomery, qui sont entrées par la Richelieu, arrivent à Québec au début de décembre. Montgomery décide d’attaquer dans la nuit du 31 décembre 1775. C’est un échec : Montgomery est tué et Arnold se heurte aux barricades de la basse-ville ; il est blessé et 400 de ses hommes sont tués ou blessés.
Les Bostonnais se retrouvent avec des forces réduites par les désertions et la petite vérole. Mais ils maintiennent le siège de Québec jusqu’en mai, sans que les habitants viennent les harceler comme c’était le cas pendant le siège de 1759.

Le rebelle
Les rebelles de la Côte-du-Sud, entre autres, ont le haut du pavé pendant tout l’hiver. Les habitants de plusieurs paroisses vont vendre leurs denrées au camp d’Arnold à Pointe-Lévy. Au besoin, ils vont chercher des vivres là où il s’en trouve, notamment dans quelques moulins seigneuriaux. Certains rebelles se permettent même d’arrêter des partisans royalistes.
C’est à ce chapitre que le nom de Julien Mercier est mentionné dans le « journal de Baby », le rapport d’une commission d’enquête chargée par Carleton d’enquêter sur le comportement des miliciens pendant le siège. On peut y lire que les « sieurs Blondin & Chasson ont été pris et arrêtés par Julien Mercier ». Il s’agirait en réalité de Blondeau et Chasseur, ce dernier ayant brisé le blocus en apportant de vivres à Québec et en se proposant d’y retourner.
Le même rapport nous apprend que les sympathisants rebelles de Saint-Vallier se sont réunis en mai pour élire de nouveaux officiers de milice, dont Julien Mercier qui est nommé enseigne.
Le « journal de Baby » cite Mercier parmi les « plus opiniâtres contre le parti du Roy et [les] plus zélés pour les rebels ». Avec trois autres Valliérois, il a d’ailleurs été mis aux fers à Québec en mai, mais, selon le même document, remis en liberté par Carleton, ce qui suppose une libération avant la rédaction du commentaire sur Saint-Vallier le 8 juillet 1776.
Avait-il assisté à l’assemblée séditieuse de septembre, participé à la garde au bord du fleuve, contribué à l’entretien des feux ? On ne sait pas. Son nom ne figure pas parmi les habitants de Saint-Vallier qui ont participé à la bataille opposant les rebelles aux royalistes à Saint-Pierre-du-Sud en mars 1776.
De l’été 1776 à l’été 1777, on ne sait rien du parcours de Mercier. Même les registres d’état civil sont muets. Lors de son interrogatoire devant Cramahé en mars 1780, il déclare avoir « 46 ans, une femme et huit enfants dont le plus vieux est dans sa 18e année », ce qui nous permet de confirmer qu’il s’agit du Julien Mercier né en 1734, marié à Marie-Marthe Roy en 1755 et père de quatorze enfants dont huit sont toujours vivants en 1776, le plus vieux ayant près de18 ans et le dernier venant de naître.
A-t-il fait seulement quelques semaines en prison, comme le suggère le « journal de Baby » ou y est-il resté plus longtemps ?
On retrouve la trace de Mercier à Saint-Jean (sur Richelieu) dans un document qui date du 9 février 1780. Un certificat rédigé par un officier de l’armée britannique vise à identifier deux hommes qui viennent d’arriver des États-Unis (au terme d’une odyssée racontée plus loin). Louis Corbin écrit : « Les deux hommes susnommés [Julien Mercier, de Saint-Vallier, et Ignace Ouellet, de Kamouraska] m’ont été livré [sic] par Mr Riverin le 5 juillet 1777, ils ont parti d’ici le 8 pour l’armée sous les ordres de Mr Noël » (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1737/1432).

Le sergent de l’armée britannique
Mercier s’est donc enrôlé dans l’armée britannique en 1777 pour aller combattre les rebelles au sud de la frontière. Volontairement ? En échange de sa libération ? Pour gagner sa vie et faire vivre sa famille ? On n’en sait rien.
À ce moment du conflit, le commandant des forces britanniques, John Burgoyne, a pour mission de prendre Albany et de mettre fin à la rébellion. Dans la vallée de l’Hudson, il est encerclé par l’armée américaine, battu à Saratoga (19 septembre et 7 octobre 1777) et contraint de capituler le 17 octobre 1777.
Julien Mercier était sergent dans l’armée de Burgoyne. Il surveillait le transport des biens et bagages de l’armée à Ticonderoga quand il est fait prisonnier par un détachement de l’armée rebelle. Il est mis à bord d’un bateau-prison. Quand le froid arrive, il est emprisonné sur la terre ferme puis déplacé à Albany, à Hartford et enfin, le 16 septembre 1778, à New York où il fait partie d’un échange de prisonniers. Avec 76 autres Canadiens, il passe l’hiver à Long Island où il coupe du bois pour le général Clinton.
Le 12 juin 1779, en compagnie de 27 autres Canadiens et d’un Écossais, il s’embarque à New York, en direction de Québec, dans un senau chargé de sel, de sucre et de café. Le 15, en soirée, le navire est attaqué par deux corsaires de Boston ; il tente de s’échapper, mais le corsaire le mitraille et Mercier est blessé gravement à la main droite. Débarqué à Boston environ cinq jours plus tard, il passe environ six semaines à l’hôpital.
Le 3 juillet 1779, le consul français au Massachusetts, Joseph de Vadnais, donne à Julien Mercier et aux autres Canadiens un laissez-passer permettant de travailler pour gagner leur vie et de retourner au Canada sans être molestés en passant par Cohoes (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1737/1424). Ils arrivent là, fin septembre ou début octobre, mais le colonel Hazen, à qui on les avait référés pour des provisions, leur enlève leurs laissez-passer et les met en prison. Parmi les Canadiens qui font partie du régiment de Hazen, Mercier voit les deux Gosselin, Clément et Louis, ainsi que Germain Dionne, tous de Sainte-Anne, qui font leurs meilleurs efforts pour l’engager au service des rebelles, sans succès.
Hazen était en train de construire une route vers la province de Québec, mais le projet est arrêté quand son régiment est envoyé en Géorgie. Mercier et les autres sont alors amenés à Fishkill.
Les prisonniers sont rationnés : seulement six onces de pain et six onces de bœuf frais par jour ; il leur est cependant permis de sortir de temps en temps pour acheter des patates et des navets avec l’argent reçu à New York, mais le papier-monnaie est discrédité et ils doivent donner 50 ou 60 dollars en papier pour un seul en argent.
Mercier est en prison avec vingt autres Canadiens et un Écossais d’octobre 1779 au 9 janvier 1780. Il décide de s’évader avec Ignace Ouellet, un jeune de 20 ans originaire de Kamouraska, en passant par fort Lydius, le lac George et le lac Champlain où il est intercepté par une patrouille britannique et amené à Saint-Jean. Le lieutenant-gouverneur Cramahé demande alors qu’on le fasse venir à Québec pour un interrogatoire le 5 mars 1780. C’est la transcription de ses réponses qui permet de retracer son parcours  (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1738/1428). Ignace Ouellet est interrogé le 12 et corrobore en substance le témoignage de Mercier (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1738/1435).
Trois ans après son premier emprisonnement, Mercier a vraisemblablement retrouvé sa famille à Saint-Vallier où il meurt en 1811. De son côté, Ignace Ouellet se marie à Kamouraska en 1785 et meurt au même endroit en 1827.

La fausse nouvelle sur la fosse commune

Lu dans Le Journal de Québec du 30 septembre 2023 (« Journée nationale de la vérité et de la réconciliation : un rappel crucial en cette période de débats critiques ») :

« […] au printemps de 2021, les médias de tout le pays annoncent la découverte de 215 corps d’enfants dans une fosse commune sur le terrain de l’ancien pensionnat indien de Kamloops. »

Il suffit de taper « 215 corps » sur Google pour constater que cette « nouvelle » a été annoncée bien au-delà de nos frontières. Elle est quand même fausse.

215 corps

Il y a plus d’un an, le 27 mai 2022, la réputée journaliste Hélène Buzzetti a mis ses plus beaux gants blancs pour faire une mise au point à ce sujet dans la version électronique du Soleil  (« La douleur et les faits », https://www.lesoleil.com/2022/05/27/la-douleur-et-les-faits-2820f37617252186dbd78dcc90fa186f):

« D’abord, malgré ce que de nombreux journalistes disent ou écrivent, aucun “reste humain” n’a été trouvé à ce jour. Ni à Kamloops, ni dans les autres communautés ayant annoncé des découvertes similaires depuis. [...].

 La spécialiste Sarah Beaulieu, qui a dans le passé contribué à localiser des sépultures de la Première Guerre mondiale, a ainsi détecté 200 “anomalies” à Kamloops. Le patron des ondes pourrait correspondre à celui de sépultures, mais ce n’est qu’une hypothèse. “Seule une enquête médico-légale avec excavation nous fournira les résultats définitifs”, a-t-elle rappelé l’été dernier [15 juillet 2021]. Or, il n’y a pas eu d’excavation et il n’y en aura peut-être pas, la communauté étant divisée à ce sujet. La cheffe Rosanne Casimir a indiqué lundi qu’aucune date n’avait été retenue pour l’éventuelle prochaine étape. Bref, l’hypothèse pourrait éternellement demeurer une hypothèse.

Il faut aussi rappeler que ce qui a été découvert ne serait pas un “charnier” ou une “fosse commune” comme certains continuent de le dire. Dans les jours qui avaient suivi la découverte, la cheffe Casimir avait rectifié le tir en précisant que les anomalies trouvées dans le sol étaient espacées sur le terrain d’une manière évoquant un cimetière traditionnel. Le Washington Post a fait la correction sur son site Internet, mais pas le New York Times, qui continue de parler de “mass grave”.

[…] à présenter ces découvertes d’une manière qui évoque l’imaginaire génocidaire, on en vient à faire croire que des milliers enfants autochtones ont été jetés pêle-mêle dans des fosses communes gardées secrètes, sans respect pour leur dignité et leur individualité, parce qu’on voulait cacher leur mort survenue dans des circonstances suspectes. Il n’y a aucune preuve de cela. Après huit ans de travaux, on ose imaginer que la Commission Vérité et Réconciliation aurait eu vent d’une telle affaire.

Ottawa a versé à ce jour 78 millions $ à 63 communautés pour qu’elles mènent des travaux de localisation, mais le gouvernement n’exige pas que des excavations soient menées pour confirmer la nature des découvertes.

Ce chapitre de l’histoire canadienne est sombre à bien des égards. Mais la douleur légitime n’autorise pas le leurre. Il est temps que les politiciens cessent cette enflure verbale et que les journalistes redécouvrent l’art de s’en tenir aux faits. »

Madame Buzetti s’était peut-être inspirée d’une étude publiée quelques semaines plus tôt par l’historien Jacques Rouillard (« Où sont les restes des enfants inhumés au pensionnat autochtone de Kamloops ? »  L’Action nationale, février 2022) :

« En ne mettant jamais en évidence qu’on en est encore au stade des hypothèses et qu’aucune dépouille n’a encore été trouvée, le gouvernement et les médias laissent s’accréditer une thèse, soit celle de la disparition de milliers d’enfants dans les pensionnats. D’une allégation de “génocide culturel” avalisée par la Commission de vérité et réconciliation (CVR), on est passé à un “génocide physique”, une conclusion que la Commission rejette explicitement dans son rapport ».

Le professeur émérite de l’université de Montréal concluait ainsi :

« Il est incroyable qu’une recherche préliminaire sur un prétendu charnier dans un verger ait pu conduire à une telle spirale d’affirmations endossées par le gouvernement canadien et reprises par les médias du monde entier. Ce n’est pas un conflit entre l’Histoire et l’histoire orale autochtone, mais entre cette dernière et le gros bon sens. Il faut des preuves concrètes avant d’inscrire dans l’Histoire les accusations portées contre les Oblats et les Soeurs de Sainte-Anne. Les exhumations n’ont pas encore commencé et aucune dépouille n’a été trouvée. Un crime commis exige des preuves vérifiables, surtout si les accusés sont décédés depuis longtemps. Il importe donc que les excavations aient lieu le plus rapidement possible pour que la vérité l’emporte sur l’imaginaire et l’émotion. Sur la voie de la réconciliation, le meilleur moyen n’est-il pas de rechercher et de dire toute la vérité plutôt que de créer des mythes sensationnels ?

 

Une épouse huronne pour Jacques Cartier?

 

Dans une entrevue publiée le 15 avril dernier, l’historien George Sioui « affirme que Jacques Cartier a bel et bien épousé une Huronne-Wendat en 1535 », très précisément le 17 septembre, « une date importante » de l’histoire de sa nation. « Premier historien à affirmer que ce mariage a bel et bien eu lieu à Stadaconé au second voyage de Cartier, Sioui soutient que l’histoire officielle a complètement oblitéré le consentement du Français. Elle a plutôt retenu que Jacques Cartier, de confession chrétienne, refusa la femme et la “donna à ses hommes” ». (Mathieu-Robert Sauvé, « L’épouse de Jacques Cartier aurait été une Huronne-Wendat », Journal de Québec, 15 avril 2023. https://www.journaldemontreal.com/2023/04/15/lhistoire-des-premiers-peuples-lepouse-de-jacques-cartier-aurait-ete-une-huronne-wendat).

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À moins que monsieur Sioui ait découvert des documents qui auraient échappé aux historiens qui l’ont précédé (dont Marcel Trudel et Michel Bideaux), la seule source tangible disponible sur le sujet est la relation du deuxième voyage de Cartier (Relations, Édition critique par Michel Bideaux, Bibliothèque du Nouveau Monde, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1986 – https://diffusion.banq.qc.ca/pdfjs-1.6.210-dist_banq/web/pdf.php/hLmxVXKv4VKPUgZvklOTUg.pdf#page=146).
Selon cette relation, le 17 septembre, Donnacona et ses gens apportent du poisson à Cartier et se mettent à chanter et à danser. Puis, le chef

« commança une grande harangue tenant une fille de l’aige d’envyron dix ans en l’une de ses mains puys la vint presenter a notre cappitaine et lors tous les gens dudit seigneur se prindrent a faire troys criz en signe de joye et alliance. Et puis de rechef presenta deux petitz garcons de moindre aige l’un apres l’aultre desquelz firent telz cris et serimonyes que davant duquel present fut ledit seigneur par notre cappitaine remercye. Et lors Taignoagny [fils de Donnacona] dist audit cappitaine que la fille estoit la propre fille de la seur dudit seigneur Donnacona et l’un des garçons frere de luy qui parloit […]. Et sur ce ledit cappitaine fict mectre lesdits enffans dedans les navires et fict apporter deux espees ung grand bassin plain et ung ouvré à laver mains et en fict present audit Donnacona lequel fort s’en contenta et remercya ledit cappitaine […] » (Bideaux, p. 142-143).

Les Relations n’en disent pas plus sur ce « mariage ». D’où viennent alors les détails que donne Georges Sioui, dont le nom de « l’épouse » ?

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Georges Sioui a évoqué cet « événement » dans un texte intitulé « Le racisme est nouveau en Amérique » publié dans le collectif Écrire contre le racisme : le pouvoir de l’art (Montréal, Les 400 coups, 2002), repris dans un recueil sur la littérature amérindienne du Québec en 2004, puis dans ses Histoires de Kanatha en 2009.
En 2004, dans Littérature amérindienne du Québec (p. 161 et ss.), son texte est présenté de la manière suivante :

« Sur le modèle des Dialogues avec un Sauvage du Baron de Lahontan, Georges Sioui imagine en effet, dans un langage recherché, que Lahontan a été rappelé du monde des esprits pour éclairer une société moderne aux prises avec le racisme. Le baron rapporte alors aux humains les répliques des sages, parmi lesquels figurent les chefs wendat Kondiaronk et Donnacona qu’il convoque dans le monde des âmes afin de débattre de la question ».

On comprend donc qu’il s’agit d’une œuvre d’imagination où Donnacona dialogue avec sa nièce Mahorah (et non Mamorah) au sujet de ce qui s’est passé le 17 septembre 1535. Et, comme l’indique la présentation, c’est fait avec « humour et créativité », ce qui laisse à l’auteur toute la liberté nécessaire pour romancer l’événement. Il fait dire à Mahorah :

« J’étais celle par qui les deux peuples allaient devenir un seul, tel que vous, mon oncle, l’aviez dit en m’offrant au Capitaine Cartier. […] La cérémonie de notre mariage fut si belle : jamais je n’avais vu tant de solennité, tant d’espoir et de joie sur les visages des miens. […] Lorsque vint le soir et qu’il fut temps de partir avec mon époux, il reprit ma main et me mena dans une barque. […] Le Sieur Cartier ne me regardait pas. [n]ous arrivâmes au bateau et on me fit monter la première, par une échelle de corde, sans m’aider, sans me parler. […] Rendue à bord, je fus conduite dans une pièce où quelques hommes dormaient […]. Mon mari me conduisit à une autre pièce, très petite, m’y enferma, puis partit sans me regarder et ne revint plus de la nuit.
Au milieu de la nuit, je fus éveillée par deux hommes ivres. […] Ils voulurent m’arracher mes vêtements mais je me sauvai ».

Cette fuite est mentionnée dans Les Relations, mais tout ce qui précède, sur la « nuit de noces », est sorti de l’imagination de Sioui. À moins que ce soit d’une tradition orale? Si c’est le cas, elle serait bien récente, car il n’est pas question de ce « mariage » avec Cartier dans La Nation huronne de Marguerite Vincent Tehariolina (publié en 1984 avec une préface de Max Gros-Louis), ni de Donnacona, dans le chapitre sur les « Hurons illustres », puisque l’historienne de la communauté ne le considérait pas comme Huron-Wendat, tout comme l’auteur de la biographie du chef de Stadaconé dans le Dictionnaire biographique du Canada  (publiée en 1966 et révisée en 1986) qui l’identifiait comme Iroquois. Dans l’état actuel de la recherche, les Hurons-Wendats sont arrivés dans la région de Québec un siècle plus tard.

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La question était de savoir si Cartier a épousé une Huronne-Wendat comme on l’affirme dans le texte du Journal de Québec. Or, Cartier avait une épouse en France et l’histoire du « mariage » de Mehorah est relatée dans une œuvre de fiction. L’écrivain peut imaginer; le journaliste devrait être prudent.
Par ailleurs, on dira qu’il ne faut pas juger nos ancêtres, qu’il soient européens ou amérindiens, avec les yeux d’aujourd’hui, mais il est difficile de concevoir que des parents donnent ainsi de jeunes enfants (un chef de la région de Portneuf a aussi offert des enfants à Cartier, dont un garçon de 2 ou 3 ans que Cartier refusa), quel que soit « l’usage » auquel ils peuvent être destinés ou réduits (« trophées » à ramener en France, interprètes à former, serviteurs voire partenaires sexuels?).
Les cadeaux entretiennent l’amitié, mais il s’agit ici d’humains. Dans le « témoignage » de Mahorah, l’auteur omet de dire que la fugitive a été ramenée à Cartier, comme le rapporte la relation du deuxième voyage :

« Et le landemain lesdits Donnacona Taignoagny Domagaya et plusieurs aultres vindrent et amenerent ladite fille la representant audit cappitaine lequel n’en tint compte et diet qu’il n’en voulloyt poinct et qu’ilz la ramenassent. A quoy respondirent faisant leur excuse qu’ilz ne luy avoient pas commande s’en aller et qu’elle s’en estoit allee pource que les paiges [mousses] l’avoyent batue ainsi qu’elle leur avoit diet. Et pryerent ledit cappitaine de la reprandre et eulx mesmes la menerent jusques au navire. Apres lesquelles choses le cappitaine commanda apporter pain et vin et les festoya puys prindrent conge les ungs des aultres » (Bideaux, p. 161).

Autrement dit, Mahorah s’est enfuie de son propre chef (sans avoir été commandée par qui que ce soit) et, malgré ses plaintes, son oncle et ses cousins l’ont ramenée à son « mari » et ont festoyé avec lui. Que ce soit dans Les Relations ou dans les dialogues imaginaires, il n’est pas question d’enlèvement par les Français. Sioui évoque la violence des « hommes blancs » contre les femmes : ce n’est pas si simple.

Hymnes et chants nationaux (1)

Un hymne national est une œuvre musicale destinée à représenter la nation. C’est un symbole identitaire (comme le drapeau, les armoiries et les emblèmes floraux et autres). L’hymne identifie la nation, exprime son passé, son présent et son avenir. C’est parfois un chant patriotique qui s’est imposé par l’usage ou une œuvre commandée spécifiquement par le gouvernement. L’hymne n’exclut pas l’usage de chants patriotiques, comme on en a déjà interprété, autrefois, dans certains matchs de hockey à Philadelphie.
De son côté, l’hymne royal est un hommage du peuple au souverain. En Nouvelle-France, on chantait l’hymne Domine salvum fac Regem (Seigneur, sauve le roi) à la fin des offices et dans ces cérémonies civiles (À rayons ouverts, 41, juillet-sept. 1998). Depuis la Conquête, l’hymne royal est God save the King (ou Queen), selon le cas.

1. Des chants nationaux canadiens à l’hymne national du Canada

Les chants nationaux
Les Canadiens, comme on désignait les habitants de souche française de la province de Québec (1763-1791) et du Bas-Canada (1791-1838), ont eu quelques chants nationaux dont À la claire fontaine qui, selon ce qu’écrivait Ernest Gagnon en 1865, a tenu lieu « d’hymne national en attendant mieux ».
À la claire fontaine
Dans son Répertoire national (1848), James Huston soutenait que cette chanson était l’œuvre des voyageurs des pays d’en haut qui l’entonnaient pour rythmer la cadence de leurs avirons. Dans les Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec (1980), Conrad Laforte précise qu’il s’agit d’une chanson « de la tradition orale francophone » apportée de Normandie dont on connaît plus de quatre cents versions, partout où il y a des Français. Selon Marius Barbeau (Alouette, 1946), À la claire fontaine aurait été composée par un jongleur du XVe ou du XVIe siècle. En 1842, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec l’adopte comme « chant national » (https://www.youtube.com/watch?v=30y8CjzikmQ).

À la claire fontaine, chanson anonyme.
À la claire fontaine
M’en allant promener
J’ai trouvé l’eau si belle
Que je m’y suis baigné
(Ref.)
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai.

Sous les feuilles d’un chêne,
Je me suis fait sécher.
Sur la plus haute branche,
Un rossignol chantait.
(Ref.)
Chante, rossignol, chante,
Toi qui as le cœur gai.
Tu as le cœur à rire…
Moi je l’ai à pleurer.
(Ref.)
J’ai perdu ma maîtresse
Sans l’avoir mérité.
Pour un bouquet de roses
Que je lui refusai…
(Ref.)
Je voudrais que la rose
Fût encore au rosier,
Et moi et ma maîtresse,
Dans les mêmes amitiés.
(Ref.)

Vive la Canadienne
Dans leurs assemblées, les patriotes entonnaient aussi « Vive la Canadienne ». On en trouve une version dans L’Argus du 29 novembre 1826. Selon Ernest Gagnon (Chansons populaires du Canada, 1865), cette vieille mélodie française (qui deviendra la marche rapide du Royal 22e Régiment, https://www.youtube.com/watch?v=3F_utoVg4nM) est issue de « Par derrièr’ chez mon père », tandis que les paroles seraient celles d’un canotier, selon Barbeau (Alouette, 1946) (https://www.youtube.com/watch?v=l1rKP0mAt80).

Vive la Canadienne, version d’Ernest Gagnon, 1865
Vive la Canadienne, vole, mon cœur, vole,
Vive la Canadienne, et ses jolis yeux doux.
Et ses jolis yeux doux, doux, doux, et ses jolis yeux doux. (bis)

Nous la menons aux noces, vole, mon cœur, vole,
Nous la menons aux noces, dans tous ses beaux atours.
Dans tous, etc.

La, nous jasons sans gêne, vole, mon cœur, vole,
La, nous jasons sans gêne, nous nous amusons tous,
Nous nous, etc.

Nous faisons bonne chère, vole, mon cœur vole,
Nous faisons bonne chère, et nous avons bon goût.
Et nous avons, etc.

On danse avec nos blondes, vole, mon cœur, vole,
On danse avec nos blondes, nous changeons tour à tour.
Nous changeons, etc.

On passe la carafe, vole, mon cœur, vole,
On passe la carafe, nous buvons tous un coup.
Nous buvons, etc.

Mais le bonheur augmente, vole, mon cœur, vole,
Mais le bonheur augmente, quand nous sommes tous saouls.
Quand nous sommes, etc.

Alors toute la terre, vole, mon cœur, vole,
Alors toute la terre, nous appartient en tout !
Nous appartient, etc.

Nous nous levons de table, vole, mon cœur, vole,
Nous nous levons de table, le cœur en amadou.
Le cœur, etc.

Nous finissons par mettre, vole, mon cœur, vole,
Nous finissons par mettre, tout sens dessus dessous.
Tout sans dessus, etc.

Ainsi le temps se passe, vole, mon cœur, vole,
Ainsi le temps se passe, il est vraiment bien doux !
Il est vraiment, etc.

Ce n’est toutefois pas la version que les Québécois ont chantée au 20e siècle avec les cahiers de La Bonne chanson ! Entretemps, l’abbé F. -X. Burke avait publié son Chansonnier canadien-français (1921), un recueil de chansons populaires, nouvelles ou « restaurées ». D’après l’abbé Burke, Vive la Canadienne, par exemple, ne s’entendait plus nulle part dans les « milieux distingués », parce que « tous ses couplets, hors le premier, ne sont que des ineffabilités de débauche et d’ivrognerie ».
Burke se consacra à « purifier » les chansons populaires, dont Vive la Canadienne, qu’il « enrichit » de plusieurs couplets ; il y en a donc 22 dans la version la plus longue publiée dans ses Élévations poétiques en 1906, 17 dans le deuxième cahier de La Bonne chanson et 10 « seulement » dans Les cent plus belles chansons, ce qui donne quand même un bon aperçu de l’œuvre de l’abbé Burke (https://www.youtube.com/watch?v=LSXnXecMNAk0).

Vive la Canadienne, version des Cent plus belles chansons (La bonne chanson)
Vive la Canadienne, vole mon cœur vole, vole, vole
Vive la Canadienne et ses jolis yeux doux
Et ses jolis yeux doux doux doux, et ses jolis yeux doux (bis)

Elle est vraiment chrétienne, vole mon cœur vole, vole, vole
Elle est vraiment chrétienne, trésor de son époux
Trésor de son époux pou pou, trésor de son époux (bis)

Elle rayonne et brille vole mon cœur vole, vole, vole
Elle rayonne et brille, avec ou sans bijoux
Avec ou sans bijoux jou jou, avec ou sans bijou (bis)

C’est à qui la marie, vole mon cœur vole, vole, vole
C’est à qui la marie, les garçons en sont fous
Les garçons en sont fous fou fou, les garçons en sont fous (bis)

Que d’enfants elle donne, vole mon cœur vole, vole, vole
Que d’enfants elle donne, à son joyeux époux
À son joyeux époux pou pou, à son joyeux époux (bis)

Elle fait à l’aiguille, vole mon cœur vole, vole, vole
Elle fait à l’aiguille nos habits, nos surtouts
nos habits, nos surtouts touts touts, nos habits, nos surtouts (bis)

Elle fait à merveille, vole mon cœur vole, vole, vole
Elle fait à merveille la bonne soupe aux choux
La bonne soupe aux choux chou chou, la bonne soupe aux choux (bis)

Jusqu’à l’heure dernière, vole mon cœur vole, vole, vole
Jusqu’à l’heure dernière, sa vie est toute à nous
Sa vie est toute à nous nou nou, sa vie est toute à nous (bis)

Ce n’est qu’au cimetière, vole mon cœur vole, vole, vole
Ce n’est qu’au cimetière que son règne est dissous
Que son règne est dissous sou sou, que son règne est dissous (bis)

Allons fleurir sa tombe, vole mon cœur vole, vole, vole
Allons fleurir sa tombe, un grand cœur est dessous
Un grand cœur est dessous sou sou, un grand cœur est dessous (bis)

Sol canadien partition

Sol canadien

Le 1er janvier 1829, la Gazette de Québec publie une chanson écrite par Isidore Bédard, 23 ans, fils de Pierre-Stanislas Bédard, autrefois chef du Parti canadien. L’œuvre est présentée comme « hymne national ». C’est la version améliorée d’un premier jet (publié le 6 août 1827) qui ne comptait que deux strophes.

Sol canadien

Sol canadien, terre chérie !
Par des braves tu fus peuplé ;
Ils cherchaient loin de leur patrie,
Une terre de liberté.
Nos pères sortis de la France
Étaient l’élite des guerriers,
Et leurs enfants, de leur vaillance,
Ne flétriront pas les lauriers.

Qu’elles sont belles nos campagnes l
En Canada qu’on vit content !
Salut, ô ! sublimes montagnes,
Bords du superbe St. Laurent.
Habitant de cette contrée,
Que nature sait embellir,
Tu peux marcher tête levée,
Ton pays doit t’enorgueillir.

Respecte la main protectrice
D’Albion, ton digne soutien ;
Mais fais échouer la malice
D’ennemis nourris dans ton sein.
Ne fléchis jamais dans l’orage,
Tu n’as pour maître que tes lois.
Tu n’es pas fait pour l’esclavage,
Albion veille sur tes droits.

Si d’Albion la main chérie
Cesse un jour de te protéger,
Soutiens-toi seule, ô ma patrie !
Méprise un secours étranger.
Nos pères sortis de la France
Étaient l’élite des guerriers,
Et leurs enfants de leur vaillance
Ne flétriront pas les lauriers.

La poésie de Bédard, écrit Jeanne d’Arc Lortie, « résume bien les sentiments des Canadiens de l’époque qui, soupçonnés de manquer de loyauté, respectent le régime britannique et abhorrent l’idée de l’annexion aux États-Unis ».
Bédard est élu député en 1830. En 1831, il accompagne Denis-Benjamin Viger, tout juste nommé agent de la Chambre à Londres. À la fin de 1832, il est victime d’une hémorragie pulmonaire et il meurt à Paris le 14 avril 1833.
Le 1er janvier 1840, onze ans après la première publication et sept ans après la mort de son auteur, une nouvelle version de Sol Canadien paraît dans Le Patriote canadien, dirigé par Ludger Duvernay, alors réfugié à Burlington. Les deux premières strophes sont maintenues, mais les deux dernières sont très différentes.

Renverse le pouvoir perfide
Qui ne cherche qu’à t’écraser.
La LIBERTÉ est ton égide,
Sous elle tu peux triompher.
Ne fléchis jamais dans l’orage,
Tu n’as pour maître que tes lois.
Tu n’es point fait pour l’esclavage,
Le destin veille sur tes droits.

Le sang de tes fils fume encore,
Ne sauras-tu pas le venger ?
LIBERTÉ, fais naître l’aurore
Du jour qui te verra régner !
Nos pères sortis de la France,
Étaient l’élite des guerriers,
Et leurs enfants de leur vaillance
Ne flétriront pas les lauriers.

Le seul enregistrement connu de Sol canadien se trouve sur le disque « Musiques du Québec, I’époque de Julie Papineau », un des sept CD de la première « Anthologie de la musique historique du Québec » (produite par l’Ensemble Nouvelle-France dirigé par Louise Courville). Robert Huard chante les trois premières strophes de la version de 1840. 

Ô Canada, mon pays, mes amours !
Ardent patriote dans les années 1830, premier ministre sous l’Union puis père de la Confédération, George-Étienne Cartier avait 20 ans lorsqu’il interpréta une œuvre de son cru, Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! lors du banquet du 24 juin 1834.

Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! Version de La Minerve, 30 juin 1836
Air : Je suis Français, mon pays avant tout.

Comme le dit un vieil adage :
Rien n’est si beau que son pays ;
Et de le chanter, c’est l’usage ;
Le mien je chante à mes amis (bis)
L’étranger voit avec un œil d’envie
Du Saint-Laurent le majestueux cours ;
À son aspect le Canadien s’écrie :
Ô Canada ! mon pays ! mes amours !
Ô Canada ! mon pays, mes amours ! (bis)

Maints ruisseaux, maintes rivières
Arrosent nos fertiles champs ;
Et de nos montagnes altières,
De loin on voit les longs penchants. (bis)
Vallons, côteaux, forêts, chutes, rapides,
De tant d’objets est-il plus beau concours ?
Qui n’aime pas tes lacs aux eaux limpides ?
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

Les quatre saisons de l’année
Offrent tour à tour leurs attraits.
Le printemps, l’amante enjouée
Revoit ses fleurs, ses verts bosquets. (bis)
Le moissonneur, l’été, joyeux s’apprête
À recueillir le fruit de ses labours,
Et tout l’automne et tout l’hiver on fête.
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

Chaque pays vante ses belles ;
Je crois bien que l’on ne ment pas ;
Mais nos Canadiennes comme elles
Ont des grâces et des appas. (bis)
Chez nous la belle est aimable, sincère ;
D’une Française elle a tous les atours,
L’air moins coquet, pourtant assez pour plaire,
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

Le Canadien, comme ses pères,
Se plaît à rire, à s’égayer.
Doux, aisé, vif en ses manières,
Poli, galant, hospitalier, (bis)
À son pays, il ne fut jamais traître,
À l’esclavage il résista toujours ;
Et sa maxime est : Ia paix, le bien-être
Du Canada, son pays, ses amours. (bis)

Ô mon pays, de la nature
Vraiment tu fus l’enfant chéri ;
Mais I‘étranger souvent parjure,
En ton sein, le trouble a nourri. (bis)
Puissent tous tes enfants enfin se joindre,
Et valeureux voler à ton secours !
Car le beau jour déjà commence à poindre…
Ô Canada ! mon pays ! mes amours ! (bis)

La version originale publiée dans La Minerve du 29 juin 1835 compte six couplets, tout comme celle de La Canadienne du 10 août 1840, mais, cette fois, une ligne a été changée dans le dernier couplet : « Mais l’étranger souvent parjure » devient « Mais d’Albion la main parjure », ce qu’on peut aisément rapprocher du « pouvoir perfide » introduit dans la version 1840 de Sol canadien, après les rébellions lui aussi.
En 1854, Le Chansonnier des collèges ne retient que quatre couplets et revient à la version de 1835 en ce qui concerne le dernier. Dans le premier cahier de La Bonne chanson, il ne reste que trois (1, 5 et 6) des six couplets originaux, et le dernier a toujours son vague « étranger ». On chante désormais le tout sur une musique de Jean-Baptiste Labelle, mais il ne reste souvent que deux couplets (https://www.youtube.com/watch?v=BZc7lwSvmrY).
Dans le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Laurent Mailhot traite cette œuvre avec ironie :

Le pays est propre, gentil, limpide : le fleuve suit son « majestueux cours », Ies montagnes (« altières ») suivent leurs « penchants » ; vallons, forêts, chutes, tout est concours d’« objets ». Les sujets sont absents, réduits à « I’aimante enjouée » (printemps), au « moissonneur, l’été [qui| joyeux s’apprête » ; « Et tout l’automne et tout l’hiver, on fête. » On ne travaille pas, on attend le touriste, on soigne son image de marque, son folklore ; joie de vivre, galanterie, hospitalité spoken. Le mot d’ordre est : paix, tranquillité, bien-être. Ce pays idyllique est naturellement identifié à la femme, ou plutôt à la « belle » : « D’une Française elle a tous les atours,/L’air moins coquet, pourtant assez pour plaire. » La rengaine est à peine troublée, Ie roman, à peine stimulé par la « main parjure » d’Albion. Les enfants se joignent en ronde et « Ie beau jour déjà commence à poindre ». Qu’est-ce qu’un nuage dans un ciel si vaste, si bleu ? Le futur baronnet, qui mourra à Londres, annonce sereinement la couleur.

Entre-temps, sa chanson est incluse dans la Cantate : la Confédération, une œuvre de Jean-Baptiste Labelle qui est dédiée à Cartier et est exécutée le 7 janvier 1868 à l’hôtel de ville de Montréal (https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/confederation-2).

1867 : Un hymne national pour le nouveau pays ?
Rien ne permet de dire si les autorités canadiennes ont songé à doter le nouveau pays d’un hymne national. Le Canada était une colonie britannique et l’hymne royal suffisait probablement.
La Confédération n’en inspira pas moins les auteurs canadiens.
En 1868, la Caledonian Society de Montréal, une organisation créée par la St. Andrew’s Society en 1855, lance un concours de chant patriotique. Cette société jugeait qu’il y avait peu de poésie lyrique canadienne et, pour stimuler poètes et musiciens à ce sujet, elle décida d’offrir un prix de cinquante dollars au meilleur chant patriotique canadien mis en musique (Montreal Herald, du 1er novembre 1869).
C’est This Canada of Ours, une œuvre de James David Edgar, mise en musique par E.H. Ridout, qui gagne le premier prix, mais il n’y a pas d’avenir comme hymne national canadien pour un « national song » d’inspiration exclusivement britannique où on peut lire : 

We love those far-off ocean Isles,
Where Britain's monarch reigns;
We'll ne'er forget the good old blood
That courses through our veins;
Proud Scotia's fame, old Erin's name,
And haughty Albion's powers,
Reflect their matchless lustre on
This Canada of ours.

Alexander Muir obtient la deuxième place avec The Maple Leaf for Ever, une œuvre conçue dans la même veine qui fait commencer l’histoire du Canada en 1759 :

In days of yore, from Britain's shore,
Wolfe, the dauntless hero, came
And planted firm Britannia's flag
On Canada’s fair domain.
Here may it wave, our boast our pride
And, joined in love together,
The thistle, shamrock, rose entwine
The Maple Leaf forever!
(Chorus)
The Maple Leaf, our emblem dear,
The Maple Leaf forever!
God save our Queen and Heaven bless
The Maple Leaf forever!

Comme l’écrit J. Paul Green, dans le DBC, « cette chanson devint si populaire auprès de la population anglophone que, souvent, on en parlait comme de l’hymne national du Canada », mais « [il] était exclu que ce titre échoie à la chanson de Muir en raison de son ton probritannique. Elle célébrait en effet le Canada comme un lieu où « le chardon, le trèfle et la rose enlacent/Pour toujours la feuille d’érable », sans mentionner la fleur de lis, et le major général James Wolfe y était appelé « le héros intrépide ». Ces paroles lui aliénaient inévitablement les Canadiens français » (https://www.youtube.com/watch?v=SX-csLPjT1A).

Ô Canada
Ces derniers ne sont pas en reste. Ils se donnent un « chant national » en vue de la Convention nationale des Canadiens français qui se tient à Québec en juin 1880. On aurait souhaité un concours, mais, par manque de temps, le mandat de composer la musique est confié à Calixa Lavallée et le juge Adolphe-Basile Routhier s’occupe ensuite des paroles. L’œuvre est jouée pour la première fois le 24 juin 1880, au Pavillon des patineurs, à Québec.
Il s’agit bien d’un « chant national des Canadiens français » qui n’a pas la prétention de devenir hymne national du Canada. Le premier couplet donne le ton avec la « terre des aïeux », mais le second est sans équivoque (https://www.youtube.com/watch?v=L8Sw6ScUmnk).

Ô Canada ! Terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de fleurons glorieux !
Car ton bras sait porter l’épée,
Il sait porter la croix !
Ton histoire est une épopée
Des plus brillants exploits.
Et ta valeur, de foi trempée,
Protègera nos foyers et nos droits. (bis)

Sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant,
Le Canadien grandit en espérant.
Il est né d’une race fière,
Béni fut son berceau.
Le ciel a marqué sa carrière
Dans ce monde nouveau.
Toujours guidé par sa lumière,
Il gardera l’honneur de son drapeau. (bis)

Ô Canada ! se répand dans tout le Canada français et même aux États-Unis, mais n’est pas « chantable » au Canada anglais. Plusieurs auteurs essaient d’en faire une traduction. En 1908, il y a même un concours pour trouver une version anglaise, mais le texte primé ne sera jamais utilisé (https://www.canada.ca/fr/patrimoine-canadien/services/hymnes-canada/historique-o-canada.html). Lors du jubilé de diamant de la Confédération en 1927, on publie officiellement la version du juge Robert Stanley Weir (écrite en 1908) qui s’impose au Canada anglais.

Ô Canada ! Our home and native land!
True patriot love in all thy sons command.
With glowing hearts we see thee rise
The True North, strong and free;
And stand on guard, Ô Canada,
We stand on guard for thee.
Ô Canada, glorious and free!
Ô Canada, we stand on guard for thee. (bis)

C’est, avec quelques modifications, le premier couplet de cette version qui est choisi pour les anglophones lorsque la Loi sur l’hymne national est adoptée en juin 1980, quelques jours après le référendum et juste à temps pour le 1er juillet, un siècle après la Convention nationale des Canadiens français. Pour éviter des répétitions, la cinquième ligne est changée pour « From far and wide, O Canada » et la septième pour « God keep our land glorious and free! ». Le texte français de Routhier est maintenu.
Une version bilingue est proposée :

O Canada ! Our home and native land!
True patriot love in all thy sons command,
Car ton bras sait porter l’épée,
Il sait porter la croix !
Ton histoire est une épopée
Des plus brillants exploits.
God keep our land glorious and free!
O Canada, we stand on guard for thee. (bis)

Ce n’est cependant pas ce qu’on chante aux matches du Canadien où Routhier mène avec ses six premières lignes contre deux vers tardifs pour Weir… (ici chanté en seulement 1,09 m. par Roger Doucet, https://www.youtube.com/watch?v=asb_-QUezoE).
C’est quand même un moindre mal. En 1967, un « Comité pour le Ô Canada bilingue », qui logeait sur la rue William à Sillery, avait proposé un hymne vraiment bilingue écrit par Jo Ouellet sur la musique de Lavallée arrangée par Rex Le Lacheur.

Ô Canada ! Our home – Notre pays…
La feuille d’érable : one flag from sea to sea
Sol de liberté, sol d’égalité
Where freedom’s banner flies
Chantons tous la gloire, d’une riche histoire
Our home ’neath northern skies…
Ô Canada ! Ô ma patrie !
Hold high the Maple Leaf o’er land and sea.
Ô Canada ! My country – Mon pays.

 (Voir suite:   https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2023/03/29/hymnes-et-chants-nationaux-2/ )

Hymnes et chants nationaux (2)

(Suite de https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2023/03/29/hymnes-et-chants-nationaux-1/)

2. À la recherche d’un hymne national québécois

Jusqu’aux années 1960, au Québec, on chante très souvent Ô Canada à la fin des spectacles, des cérémonies et des assemblées de toutes sortes, que ce soit dans les écoles, les salles paroissiales, etc. L’hymne national est joué aussi à la radio, à la fin des émissions, à l’époque où on fermait pour la nuit.
Dans de nombreuses écoles, le « Salut au drapeau » est de rigueur le vendredi. Le texte se termine par un retentissant « Je me souviens » suivi du Ô Canada !, sans qu’on y voie de contradiction, comme si le Canada de 1960 était toujours celui des Patriotes de 1837. Dans l’esprit des Québécois, le « chant national » de 1880 est devenu un « hymne national.
Avec la montée du nationalisme, plusieurs se mettent à imaginer un hymne plus clairement québécois.
On compte au moins cinq tentatives « concertées » depuis la fin des années 1950, et de nombreuses initiatives individuelles

Hymne laurentien073

Hymne laurentien
Le mouvement indépendantiste l’Alliance laurentienne, fondé par Raymond Barbeau en 1957, compte parmi ses membres le célèbre pianiste André Mathieu qui est sollicité pour composer le chant officiel du mouvement.
« En mai 1961, écrit Mathieu Noël dans le Bulletin d’histoire politique (automne 2011), André Mathieu compose l’Hymne laurentien, destiné à être l’hymne national du futur État de la Laurentie. Les paroles sont de Gustave Lamarche, un clerc de Saint-Viateur. Il s’agirait de la dernière œuvre musicale composée par André Mathieu ». La partition est publiée en 2009 aux Éditions du Nouveau théâtre musical.

Hymne laurentien
Lève-toi, ô ma patrie,
Lève-toi, brise tes chaînes !
Dresse-toi, nation meurtrie,
Prends ta force souveraine.

C’est assez ramper dans la mort,
Sous le joug brutal d’un plus fort.
Ne languis désespérée,
Ne péris défigurée.
Souviens-toi des jours des aïeux
De l’appel sacré de ton Dieu
Et refais ton visage.
Et reprends l’héritage.
Reviens à ta fierté !

Lève-toi, ô ma patrie,
Lève-toi, brise tes chaînes !
Dresse-toi, nation meurtrie,
Prends ta force souveraine
Au cri vainqueur de liberté.

[Mise à jour le 23 juin 2024 :
En juin 2024, un enregistrement est diffusé sur YouTube, à l'initiative de Mathieu-Robert Sauvé, reporter au Journal de Montréal, en collaboration avec Joseph Visseaux, docteur en musique, spécialisé dans la musique d'André Mathieu, ainsi qu'avec la contribution de Daniel Turp, professeur émérite de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, qui prépare un essai sur les œuvres aspirant au titre d’hymne national.
La présentation de cet enregistrement reprend textuellement les deux paragraphes ci-dessus. https://www.youtube.com/watch?v=1nlENfxSjq0.]

La chanson du Québec
Le site « monsieurjeff » rappelle dans quelles circonstances a été organisé le premier concours en vue de créer un hymne national québécois (http://monsieurjeff.ca/crbst_7.html).
Le 9 juin 1963 a lieu la première émission « Le Québec chante » à Télé-Métropole, soit quinze minutes consacrées à la chanson et animées par le chansonnier Jacques Blanchet.
À la fin de l’été, le concepteur de l’émission lance l’idée d’un concours pour trouver un « hymne national à la province de Québec ». Plusieurs émissions présentent au public des œuvres originales. Le gala de clôture de la série télévisée est présenté le 20 octobre. D’après l’hebdomadaire Photo Journal, il y aurait eu quatre finalistes : Gaétane Létourneau, Margot Lefebvre, André Lejeune et Muriel Millard, la « reine du music-hall », qui remporte le concours avec La chanson du Québec, dont elle a fait les paroles et la musique (https://www.dailymotion.com/video/xklo8b).

La chanson du Québec
Québec, tes villes et tes villages,
Québec, voilà notre héritage.
Que de trésors dans tes rivières,
Dans tes forêts et sous la terre.
Quelles sont jolies ta capitale,
Tes églises tes cathédrales
(Ref.)
Québec, Québec, Québec,
Tu resteras toujours
Québec, Québec, Québec,
Mon beau pays et mes amours.

Québec, à l’accueillant sourire,
Québec, tu sais danser et rire,
Ô belle province, tu nous es chère.
Tu es née d’une race fière,
Tu gardes aussi dans ta mémoire
Les noms glorieux de notre histoire.
(Ref.)

Québec est fier de son drapeau,
Québec sait le porter bien haut.
« Je me souviens, disaient nos pères,
Qu’on l’a payé ce coin de terre ».
Que Dieu protège nos familles,
Notre clergé et nos édiles.
(Ref.)

Enregistrée sur disque en 1963, la chanson du Québec avait une mélodie bien rythmée qui aurait mieux figuré dans une parade de carnaval que dans une cérémonie protocolaire. Elle est tombée « dans un oubli abyssal quelques semaines après le concours », comme l’écrivait Jacques Duval dans ses mémoires (De Gilbert Bécaud à Enzo Ferrari), en accusant « l’establishment culturel » de considérer « le canal 10 comme un vulgaire bazar de quétainerie ». Dans Le Petit journal du 10 novembre 1963, un lecteur a exprimé son mécontentement : « un hymne, c’est fait pour longtemps et ce n’est pas une chanson du ‘hit parade’. M. André Lejeune, félicitations, M. Marc Gélinas, félicitations, Mme Millard, toutes mes excuses, mais la moitié de votre chanson était de trop ».
André Lejeune figurait parmi les finalistes avec L’Hymne au Québec, une chanson qui a un peu l’allure de trame sonore d’une comédie musicale ; quelques jours après le gala, il l’offre à Marcel Chaput, chef du Parti républicain du Québec. En 1980, elle est enregistrée sur disque 45 tours sur étiquette Colibri (https://www.youtube.com/watch?v=rOODCuuU-Nw).
Jacques Duval écrit que Jacques Blanchet et Marc Gélinas ont participé au concours ; ce dernier a probablement soumis la chanson Demain qui figure sur le disque Au cochon borgne avec les indépendantistes en 1964. Les militants du RIN en ont fait un chant de ralliement dans les années 1960 (https://www.youtube.com/watch?v=kdO5HzuxI0o).

Demain
Demain, c’est un jour qui commence,
Demain, les ruisseaux vont chanter
En arrosant le sol immense
Qui couve le fleurdelisé.
Demain, par-delà nos montagnes,
L’écho pourra répéter
Par les villes et par les campagnes
Le chant de notre liberté.

Couplet 1
Depuis notre plus tendre enfance,
On nous apprend à vénérer
Les héros de la Nouvelle-France,
Les Papineau, Delormier, Chénier,
Même si cette histoire est belle,
Nous ne devons pas oublier
Que l’histoire du Québec est celle
Que nous allons nous fabriquer.
(Refrain)
Demain…

Le concours de 1978
En 1978, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal lance un concours de chants patriotiques intitulé « Chants du Québec ». Le responsable du projet était Jean-Paul Champagne, un professeur de français, militant à la SSJBM, député péquiste de 1981 à 1985.
Le but du concours « n’était pas de créer un hymne national québécois, mais bien de doter le Québec de chants qui reflètent la réalité québécoise et suscitent un sens réel d’appartenance à un pays, à une nation. De ce répertoire de qualité, le peuple québécois privilégiera spontanément un chant qui deviendra rapidement le signe de ralliement des Québécois. » On comprend entre les lignes que le concours pourrait déboucher ultimement sur un hymne national. Le concours est lancé le 29 février 1978 ; 97 personnes y participent.
En juin 1978, le jury désigne dix « chants gagnants » :

- André Angelini pour Mon beau p’tit Québec en suc’ d’érable (paroles et musique) ;
- Monique Miville-Deschênes pour Délivrance et Tout bonnement (paroles et musique) ;
- Raoul Duguay (paroles) et Yvan Ouellette (musique) pour Notre pays) ;
- Robert Garceau pour Les grands sapins, La belle et La rebelle (paroles et musique) ;
- Pierre Jasmin (musique) et Gaston Miron (paroles) pour Compagnons des Amériques ;
- Nicole et Claude Laviolette pour Peuple québécois (paroles et musique) ;
- Pierre Rochette pour De l’Estrie à la Mauricie (paroles et musique).

Le jury a également retenu six mentions spéciales :

- Guy Auger (paroles) et Étienne Bouchard (musique) pour II est un jardin ;
- Michel Barbe pour Manche de pelle (paroles et musique) ;
- Suzanne Bérubé pour En marchant vers la liberté (paroles et musique) ;
- Réjean Bouchard. Pierre Danielewski et Michel Veilleux (paroles et musique) pour Québec, Québec, t’es mon amour ;
- Michel Larouche pour Je me souviens (paroles et musique) ;
- Jacqueline Lemay pour sa chanson Comme à la Saint-Jean (paroles et musique).

Pour faire connaître ces chants patriotiques, un projet de disque prend forme avec la collaboration de Stéphane Venne et de Gilles Talbot, de Québecdisc. Le financement devait être fourni par le ministère des Affaires culturelles, mais, pour des raisons qui nous échappent, ce financement n’est pas venu et presque toutes ces œuvres sont tombées dans l’oubli.

Le concours de 1995
En 1995, c’est la Société nationale des Québécois de la Capitale qui lance un concours « pour la création d’un hymne national québécois », avec l’appui du député de Taschereau, André Gaulin. La principale responsable de ce dossier est madame Irène Belleau. « Nous avons connu des embûches, a-t-elle reconnu à La Presse (23 juin 1996). Même des indépendantistes ne voyaient pas l’importance d’avoir un chant patriotique sans indépendance. Pourtant, nous avons bien un drapeau, une devise et des emblèmes. »
Lancé en juillet 1995, le concours se termine le 29 mars 1996. Le jury examine 79 œuvres. En juin, Jeanne Landry, professeure de musique de l’Université Laval, obtient le premier prix. Son hymne, Patrie-Liberté, est interprété par le baryton Jean-François Lapointe et la contralto Caroline Ménard à la salle Henri-Gagnon du pavillon Casault de l’Université Laval.
La SNQC projetait de faire connaître ce chant à la population et de faire les pressions nécessaires pour qu’il devienne l’hymne officiel du Québec, mais il n’en reste qu’une cassette à peu près confidentielle et aucune interprétation sur Internet.

Patrie-Liberté

Il est venu le temps de mettre au monde
Cette Patrie dont nous avons rêvé
Dans l’harmonie la paix la justice
Et le respect des droits et libertés

Gardons toujours la mémoire fidèle
Le clair regard tourné vers l’avenir
Pour consentir en cette aube nouvelle
À l’immanence du désir
De naître et de grandir

Dans l’aventure misant sur la confiance
Ouvrons les bras aux gens venus d’ailleurs
Vivre avec nous une même espérance
Et partager les mêmes lendemains

Entendez-vous bruire dans le vent
Les doux accents de la langue d’ici
Entendez-vous d’amour et de fierté
Le cœur battant de la Patrie
Qui se met à chanter

L’initiative de 2011
L’idée de créer un hymne national est relancée par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en 2011. Une soixantaine d’auteurs auraient été approchés et c’est finalement Raoul Duguay qui accepte le défi.
Son hymne Ô Kébèk est dévoilé le 13 juin 2011 et plutôt mal reçu. Il faut dire que l’hymne est à la mesure de l’artiste qu’on connaît, i.e., très long et très « duguay » ; l’auteur prend des libertés avec les mots, utilise des images étonnantes, etc. La version longue présentée le 13 juin compte huit longs couplets et pas de refrain (https://www.youtube.com/watch?v=Fj3kmOOL5Wg). La version courte, qui n’en comprend qu’un seul, aurait probablement été mieux reçue, mais c’était trop tard (https://www.youtube.com/watch?v=qS4f3_CKzCQ).

Ô Kébek
Ô Kébèk
Kébèk c’est nous gens d’ici gens de cœur
Pays unique du nord de l’Amérique
Grand peuple uni sous le fleurdelisé
Nation qui fleurit et aspire au bonheur
Sous l’arc-en-ciel de l’amour nous chantons liberté
Au fil des jours nous gardons en mémoire notre histoire
Nous allons à la rencontre de nos ressemblances
Accueillons nos différences respectons nos croyances
Notre fierté notre victoire
C’est de parler français
Et de vivre ensemble en paix

Ô Kébèk
Pays de nos amours

L’hymne et son auteur sont attaqués férocement par Patrick Lagacé dans La Presse du 14 juin (https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2415202?docsearchtext=lagac%C3%A9%20saignent). On comprend que l’auteur de l’hymne, ses opinions politiques, son style, son vocabulaire et le genre musical lui-même (l’hymne) ne soient pas au goût du chroniqueur, mais ce dernier attaque Duguay personnellement et n’informe pas correctement ses lecteurs sur deux points importants.
Il écrit que « Gens du pays existe déjà et remplissait à merveille son rôle d’hymne national officieux » , alors que toute personne sérieuse sait qu’il s’agit une ritournelle qui n’a vraiment rien d’un hymne national, même officieux, sauf le respect que je dois à Gilles Vigneault qui connaît très bien les limites de cette chanson et n’a jamais prétendu qu’il avait écrit un « hymne » utile à des fins protocolaires.
Le chroniqueur est ensuite rejoint par son ignorance quand il ajoute : « Note de service à la SSJB : le Québec n’est pas un pays », laissant entendre qu’il est prématuré de se donner un hymne national avant d’avoir un siège aux Nations unies. Il y a pourtant de nombreuses « nations-sans-pays » qui ont un hymne officiel. Seulement au Canada, les Acadiens (http://www.youtube.com/watch?v=Xy73pY1LiLY&NR=1), les Hurons (La Huronnehttps://citizenfreak.com/titles/286069-kiowarini-francois-vincent-le-dernier-souffle-de-sa-nation-the-nation-s-last-breath) et les Métis (https://albertametis.com/culture/anthem/) ont un hymne national, même s’ils n’ont pas de pays au sens formel. L’Alberta, l’Île-du-Prince-Édouard (https://www.youtube.com/watch?v=LnXP6SVYcdw) et Terre-Neuve (https://www.youtube.com/watch?v=Grlom7BQZPo) ont aussi leur hymne officiel, cette dernière depuis 1904 ! Et on ne parle pas du Jura, des Flandres, de l’île de Man, de la Catalogne… Le chroniqueur Lagacé leur dirait-il qu’ils ont tous mis la charrue avant les bœufs, comme il le fait pour les Québécois, dans une autre « belle » manifestation de mépris de soi-même ?

D’autres projets
Il serait difficile de dresser la liste de ceux et celles qui ont essayé de donner un hymne national au Québec. Retenons quelques exemples.

L’Hymne au Québec interprété par Richard Verreau date probablement des années 1960. Il est chanté sur l’air du Réveil rural composé par Oscar O’Brien pour la fameuse émission radiophonique du même nom. Les paroles sont de Guy Dupuis, un auteur sur lequel on ne trouve aucune information. Aucun disque trouvé non plus, mais l’hymne est en ligne sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=D5f8rq3LN4o).

Hymne au Québec
(Refrain)
Terre française d’Amérique,
Salut à toi, ô ma patrie !
De ce Québec si magnifique,
Chantons l’amour, chantons la vie !
Par ton courage et ta vaillance,
Tu sus forger ta survivance !
Fière nation fidèle à ton passé,
Bénie soit ta postérité.
1
De nos aïeux acclamons la vaillance
Qui de la France lointaine sont venus
Fonder en ces terres de Nouvelle-France
Notre chère patrie, Québec devenue.
(Refrain)
2
Que l’éclat de notre émouvante histoire
De la flamme en nos cœurs soit le soutien
À l’unisson proclamons à sa gloire
Notre fière devise « Je me souviens ».
(Refrain)

Le 24 février 1965, L’Écho du St-Maurice publie les paroles d’un Hymne au Québec composé par l’abbé Paul-Marcel Gauthier, fils du fameux folkloriste Conrad Gauthier et connu sous le pseudonyme « Jean-Baptiste Purlenne ». L’hymne est enregistré, avec des œuvres de son père, sur un disque « long play » sous étiquette Dominion. Le rythme est fort entrainant, mais les paroles témoignent d’une autre époque : l’auteur salue la « belle province » et veut rester Canadien français (http://monsieurjeff.ca/crbst_288.html).

Hymne au Québec
Je te salue, ô ma BELLE PROVINCE,
Toi, mon QUÉBEC, au destin glorieux!
Ta « FLEUR DE LYS » est un joyau de prince ;
« JE ME SOUVIENS »: motto bien savoureux!
Tu me rappelles cette « doulce France »
Noble berceau de la langue et la foi.
Fiers, sans défaillance,
Nous resterons tous Canadiens français!
Piliers de défense,
Nous lutterons pour conserver nos droits!

Le long de la vallée,
Tel un fleuve d’argent
Descends dans la contrée
Notre beau St. Laurent,
Au loin dans les campagnes
On voit ces blancs clochers,
Nos lacs et nos montagnes,
Nos coquettes cités.
Les filles sont jolies,
Nos toits hospitaliers,
Les granges bien remplies:
Gardons nos libertés!

Je te salue, ô ma BELLE PROVINCE,
Toi, mon QUÉBEC, au passé glorieux!
Fiers, sans défaillance,
Nous lutterons tout comme nos aïeux!
Piliers de défense,
Nous combattrons pour l’honneur et pour Dieu!

Dans la même veine musicale, mais politiquement différent, La Marche du Québec – Hymne à l’Indépendance a été composée (paroles et musique) par le Dr Louis-Philippe Bélisle (1907-2000) en 1968 et enregistrée, avec les arrangements musicaux de Stéphane Venne, sur disque Barclay en 1969 (https://www.dailymotion.com/video/xm6kht).
Le Dr Bélisle a milité pour la cause indépendantiste depuis l’époque de l’Alliance laurentienne jusqu’à celle du Parti Québécois. Musicalement, l’œuvre se rapproche de la chanson de Muriel Millard, en mode plus militaire, mais avec un texte politiquement plus fort.

Marche du Québec – Hymne à l’indépendance

Sous la même bannière,
Québécois d’aujourd’hui
Retrouvons la lumière;
Enfin, pour nous le soleil luit!
Que se brisent nos chaînes.
Forgeons notre destin,
Sans faiblesse et sans haine;
L’aurore est là, c’est le matin!

Dans le jour qui s’allume,
Formons notre unité;
Il est sans amertume
Le pain de la fraternité!
C’est la nuit qui s’achève,
Nous vivrons, désormais;
Travaillons donc sans trêve,
Que le Québec vive à jamais!

Après tant de souffrances,
La victoire des forts
Comble nos espérances
Et vient couronner nos efforts;
Entraînons dans la ronde
Notre peuple indompté;
À la face du monde,
Il a choisi la liberté!

En 1977, l’auteur-compositeur-interprète Jean-Pierre Bérubé propose comme « hymne national québécois » Nous sommes la nation dont il a fait la musique sur un texte de Jean-Yves Chouinard et qu’il chante avec Louise Lemire. Le disque est produit par Mon Pays (https://www.youtube.com/watch?v=KmmNSVlqPpY).

Nous sommes la nation
Patriotes, saluons bien haut
Le fleur de lys sur nos bastions
À la mémoire de ces héros
Qui ont guidé notre nation
Dans les vaillants combats des pères
Vénérons, patriotes fervents
Cet étendard de l’unité
Car ces fleurons qui parlent au vent
Inspirent amour et dignité
À la patrie qui nous est chère
(Ref.)
Pour conquérir la liberté de notre peuple solidaire (bis)

Camarades, relevons la tête
Pour regarder vers le destin
À la Saint-Jean, faisons la fête
C’est le solstice des grands matins
Des épopées même légendaires
Camarades, persistons debout
Pour faire une force à l’unisson
Que notre cœur aime jusqu’au bout
Voilà le temps des belles moissons
Et de chanter l’hymne à la Terre
(Ref.)

Québécois, nous sommes la nation
Au nom du droit et de l’Histoire
Pour protéger nos traditions
Soyons les maîtres de nos espoirs
Main dans la main comme des frères
Québécois, célébrons le jour
De proclamer la survivance
Dans le Québec de nos amours
Que l’on assume l’indépendance
En déployant notre bannière
(Ref.)

En 1990, Pierre Belleau a composé (paroles et musique) Vers mon drapeau ; Hymne à la levée du Fleurdelisé et à l’indépendance du Québec. Manon Vignola l’interprète sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=qYJNNz3hrLE).

Vers mon drapeau
Paroles et musique de Pierre Belleau

Un peu de vent pour mon drapeau
Afin qu’il s’élève assez haut
Pour qu’avec lui flottent nos rêves
Et que plus jamais ne s’achève
L’espérance de liberté.

Avec toi pour nous porter
Allons d’une allure fière
Sortons enfin des frontières
De l’inégalité.

Peuple du Fleurdelisé
À son mât hisse les voiles
Ensemble allons naviguer
Par le chemin des étoiles
Petits enfants de Cartier
Découvrons une ère nouvelle
Là où notre destinée
Entre nos mains aura des ailes.

Un peu de vent pour mon drapeau
Afin qu’il s’élève assez haut
Pour qu’avec lui flottent nos rêves
Et que plus jamais ne s’achève
L’espérance de liberté.

Avec toi pour nous guider
Voguons vers d’autres rivages
Dénouons le vieil ancrage
De l’immobilité.

Peuple du Fleurdelisé
Vois ton fanion qui se dresse
Va te joindre à ses côtés
Car il est plein de promesses
Regarde le s’envoler
S’abandonner aux blancs nuages
Confondu aux cieux bleutés
Il ne saura être foulé.

Un peu de vent pour mon drapeau
Afin qu’il s’élève assez haut
Pour qu’avec lui flottent nos rêves
Et que jamais ils ne s’achèvent

Un peu de vent pour mon drapeau
Afin qu’il s’élève aussi haut
Que le plus beau de tous nos rêves
Pour qu’avec lui on se revête
D’espérance et de liberté

Pour se réapproprier l’hymne national composé par Calixa Lavallée, Paul Trottier lui a donné de nouvelles paroles et un nouveau titre, Je me souviens. Il l’interprète avec Dominique Pétin sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=A6b3mqqSPkc). L’astuce est originale, mais on se retrouverait avec la même version instrumentale que le Canada.

Je me souviens
Je me souviens
De ce qu’ils ont fondé,
Partis de loin,
Épris de liberté,
Un pays à faire, à apprivoiser,
Des terres à labourer,
L’avenir, c’est eux qui nous l’ont légué,
À nous de le réaliser.
Et, en ce jour, je n’oublie pas,
Sur cette terre, je fais entendre ma voix
Et, quand j’entends l’écho, j’ouvre mes bras.


Raymond Lévesque a aussi eu cette idée lors du 400e de Québec. Le texte est pour le moment introuvable.

On pourrait aussi mentionner les initiatives de Mado De l’Isle en 2005 (Ô toi, Québec), de Claude Lalande en 2014 (Hymne au Québec), et de bien d’autres, d’une grande diversité, restés à l’état de projet, comme celui d’André Gaulin :

Salut à toi
Compagnon des Amériques
Notre patrie pays bleu du Saint-Laurent
Salut à toi
Fleurdelisé d’Atlantique
Reste toujours la terre de nos enfants
Salut à toi
Sol d’accueil et de partage
Toujours fidèle à la solidarité
Salut à toi
Corne de brume au grand large
Garde en nos cœurs l’amour de la liberté.

Conclusion : que faire ?

Le Québec ne manque pas de chansons patriotiques, comme
     Le plus beau voyage (https://www.youtube.com/watch?v=kjvwnl4I5RM),
     Le tour de l’Île (https://www.youtube.com/watch?v=Bu8M1fgiFYo),
     Les gens de mon pays (https://www.youtube.com/watch?v=2DrOl1pSpb8),
     Mon pays (chorale) (https://www.youtube.com/watch?v=1WNlyty0aVk)
     Les patriotes (https://www.youtube.com/watch?v=E6AWzIUD7qM),
     Comme un bel oiseau (https://www.youtube.com/watch?v=FHMp59ZOSKo),
     Mommy Daddy (https://www.youtube.com/watch?v=dvWXZY2MuyE),
     et même Ô Carillon (https://www.youtube.com/watch?v=SNqYaTWT-ys),
mais, après de nombreux essais et plus de soixante ans après celui d’André Mathieu, le Québec n’a toujours pas d’hymne national.
Dans un texte publié par L’Action nationale en 2013, Pierre-Paul Sénéchal explique pourquoi la tâche est difficile. Selon lui, « un mélange de trois raisons pourrait expliquer pourquoi le Québec de la Révolution tranquille […] n’a pas posé le geste qu’il fallait à ce chapitre. Une première tient à la culture politique, une deuxième relève de la peur du geste, la troisième est peut-être tout simplement reliée à la difficulté de composer avec le genre musical » (https://www.action-nationale.qc.ca/revues/95-numeros-2013/janvier-2013/162-comment-chanter-un-pays-quion-ne-reconnait-plus).
La culture politique québécoise est « viscéralement “gentille” et très peu rompue aux réalités de pays ». Ainsi, « chez le Québécois d’aujourd’hui, de plus en plus, l’État renvoie à une machine à dispenser des services plutôt qu’à un territoire. Dans un tel univers de faible préoccupation pour le territoire national, faut-il comprendre que les drapeaux, essentiellement conçus pour les délimiter, et les hymnes nationaux pour les célébrer, ne revêtiraient pas une si grande signification ? »
Les gouvernements se sont tenus loin de ce dossier, réfractaires à l’idée d’un « geste de rupture ». On aura noté qu’il n’y a pas l’ombre d’une initiative gouvernementale dans les pages qui précèdent. Même l’aide financière à la diffusion de chants patriotiques a été refusée…
Enfin, Sénéchal se demande si les Québécois n’ont pas une difficulté avec ce genre musical.
« Si autant de tentatives sont restées sans lendemain sur le plan politique, se pourrait-il également qu’aucun des projets suggérés n’ait été apte à répondre adéquatement, soit aux attentes du public, soit aux exigences bien particulières d’un hymne national ? Parce qu’il s’agit bel et bien d’un genre particulier. Les Jeux olympiques ayant fait connaître les hymnes d’une foule de pays, le public s’est finalement fait une certaine idée de ce qu’est un hymne national. Tenant du sacré et du solennel, le « poème symphonique », constitutif de tout hymne national est tout sauf une chansonnette ou un conte musical et ses paroles ne doivent surtout pas tomber dans le panneau de la novlangue interculturelle si chère aux Québécois d’aujourd’hui ».
Qu’on ait élevé Gens du pays au rang d’hymne national, même officieux, et que bien des journalistes entretiennent cette idée, montre bien que la notion d’hymne n’est pas correctement comprise au Québec.
Il faut ajouter à ces explications les « maladresses » qui n’ont pas toutes été oubliées, surtout par ceux et celles qui désapprouvent (pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire d’exposer ici) l’adoption d’un hymne national québécois. Citons, par exemple, les propos mal avisés de Pierre Bourgault qui a souhaité un jour « que le Québec, libre enfin, devienne le premier pays du monde à n’avoir ni drapeau ni hymne national »… Mettons aussi, au rang des maladresses, l’initiative de 2011 de Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal qui a probablement brûlé l’idée d’hymne national pour un bon moment, alors que la même société avait adopté une bien meilleure voie en 1978, soit faire entendre des chants nationaux qui pourraient susciter de l’intérêt dans la population et d’autres propositions.
C’est une idée à reprendre, mais il y a de l’éducation civique préalable à faire sur la notion même d’hymne national, sur la différence entre un chant patriotique et un hymne qui sera utilisé à des fins protocolaires, lors d’événements sportifs, de remise de prix, etc. L’hymne national doit être relativement bref (même si la pièce musicale dont il est issu est très longue, comme La Marseillaise), pas trop « militaire », mais quand même dynamique, sans être pompeux. Tout un défi! Encore faudrait-il une volonté gouvernementale.