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Who was Champlain? His Family and Early Life

Texte de la conférence présentée par Conrad E. Heindenreich à Métis-sur-Mer le 8 août 2008.

Who was Champlain?

His Family and Early Life.[1]

(Métis sur mer; August 8, 2008)

Conrad E. Heidenreich

Champlain near Métis-sur-mer.

-When Champlain came to Canada for the first time in 1603, he sailed past Métis sur Mer on May 24, on his way to Tadoussac.

-He sailed again past Métis on July 12 on his way from Tadoussac to Isle Percé.

-From Percé he returned to Tadoussac along the north shore of the St. Lawrence.

-Then on August 16, 1603, coming from Tadoussac, he sailed past Métis on his way back to France.

Introduction

Today I would like to outline the little we know about Champlain’s origin, his family, those who influenced him, his training, and briefly, his rise through the ranks from a fourrier in 1595, in the maison du roy (king’s household), to become lieutenant governor of New France to Cardinal Richelieu in 1628. Having reviewed the facts pertaining to his life, I would like to leave you with some observations that are central to understanding his life; and finally a question about his origin – Who Was He? It is a question I cannot answer, except in the form of a speculative hypothesis, based on a tiny hint given by Champlain in one of his books.

Who was Champlain?

There can’t be many people who have made such an indelible imprint on the imagination and history of Canada as Samuel de Champlain, about whom so little personal information is known. Even though he wrote four substantial books about his activities, comprising 1308 printed pages, 5 folding maps, 22 small maps and 14 illustrations, he never mentioned the date of his birth, his parents, his education, his early life, his career in Henry IV’s household and army or anything personal of any consequence. Not once did he record the name of his wife, Hélène Boullé, to whom he was married for twenty-five years except to refer to her on a couple of occasions as ma famille. My colleague Dr. Janet Ritch tells me that this is not unusual for a French writer of this period, nevertheless I find it so. The little that is known about his wider family comes from a few manuscript legal records. Unfortunately this meagre record cannot be expanded very far because the early parish records of Brouage no longer exist.

Champlain wrote that he was born at Brouage in the province of Saintonge (now Charente-Maritime), France. His birth date has been estimated as sometime between 1567 and 1580. He died at Québec, Canada, on December 25, 1635, after suffering a severe stroke early in October of that year. The earliest and most often quoted date of his birth is given as 1567. Unfortunately this date cannot be corroborated. Instead, biographers have adopted a neutral “circa 1570,

Champlain et Dupont Gravé en contexte

Texte de la communication présentée par Denis Vaugeois lors du 133e congrès du comtié des travaux historiques et scientifiques (CTHS) à Québec le 2 juin 2008.

Champlain et Dupont Gravé en contexte

Jadis, on apprenait à l’école que, malgré les interdits du traité de Tordesillas, issu de la bulle Inter caetera qui partageait le monde entre Portugais et Espagnols, François Ier avait envoyé des expéditions en Amérique dirigées par Cartier puis par Roberval. Une période de silence avait suivi jusqu’à La Roche de Mesgouez en 1598 et surtout Champlain en 1608. Pourquoi ce vide? D’une part une déception de ne pas avoir trouvé de métal précieux, d’autre part la France s’était enlisée dans des guerres de religion. Ce n’était pas « matière d’examen », on passait rapidement.

Puis, peu à peu, des chercheurs comme Marcel Trudel et Bernard Allaire ont commencé à fouiller cette période. Des noms surgirent de l’ombre : Jacques Noël, neveu de Jacques Cartier, puis ses deux fils, Jean et Michel. Le premier vint à Hochelaga en 1585, les deux autres en 1587. À cette occasion, ils perdent, nous apprend Marcel Trudel, « quatre pataches au cours d’une bataille entre traiteurs concurrents ». C’est tout dire!

Au fil des ans, les historiens renouent avec les travaux de Richard Hakluyt et découvrent le texte fascinant d’Anthony Parkhurst, ce navigateur anglais qui en 1578 dénombre près de 400 navires européens dans les parages de Terres-Neuve. En 1580, Robert Hitchcock évalue à 500 le nombre de navires français affectés à la pêche. Quelques années plus tard, Antoine de Montchrestien arrive à des constats semblables.

Lors d’un colloque de la Société historique du Lac Saint-Louis tenu en 1985, Laurier Turgeon, qu’on sait passionné par les pêcheurs basques, en surprend plusieurs en affirmant que, au cours du 16e siècle, il vint plus de bateaux européens dans le golfe Saint-Laurent que dans le golfe du Mexique. Dans un factum de 1613, des marchands de Saint-Malo affirment que des Normands, Basques et Bretons fréquentent le Saint-Laurent depuis 35 ans environ. C’est l’un d’entre eux, le sieur Pontgravé de Saint-Malo, écrivent-ils, qui a d’ailleurs initié Champlain le conduisant au « premier sault » voilà « dix à douze ans ».

Qui est ce Pontgravé dit aussi Gravé, sieur du Pont ou Dupont-Gravé ?

François Gravé est né Saint-Malo en 1560. Si on en croit les marchands de Saint-Malo, il commence à fréquenter le Saint-Laurent vers 1580 et s’installe à Honfleur à partir de 1600.

En 1599, associé de Pierre Chauvin, sieur de Tonnetuit, il cabale contre La Roche de Mesgouez qui a obtenu, l’année précédente, le renouvellement d’une certaine exclusivité sur la traite au Canada. C’est une vieille histoire pour La Roche qui a reçu dès 1577 une commission l’autorisant à commercer aux « Terres neufves et autres adjacentes ». Après maintes mésaventures, dont sept années d’emprisonnement. il débarque à l’île de Sable une cinquantaine d’hommes. Tout en maintenant ses appuis à La Roche, Henri IV accepte d’écouter les demandes de Chauvin. Comme bien des personnages qu’on retrouve autour du roi, Chauvin a combattu dans l’armée royale. Il peut espérer des faveurs.

Dugua de Mons lorgne également vers les terres neuve. Lui aussi a combattu pour le roi; il reçoit une pension depuis 1594. Puis son mariage lui vaut une dot de 25 000 livres qu’il rêve d’investir dans des entreprises outre-atlantiques.

Coup sur coup, à quelques jours d’intervalle, au printemps 1598, Henri IV fait cadeau à la France de l’Édit de Nantes qui promulgue une forme de tolérance religieuse et de la Paix de Vervins qu’il conclut avec son rival, Philippe II, roi d’Espagne. C’est le moment de se tourner sérieusement vers cette partie de l’Amérique officiellement ouverte à une présence française.

Chauvin et Dugua se rendent compte que leurs projets rejoignent ceux du valet de chambre du roi, Pierre de Beringhen (Bellingand). Natif de Prusse, celui-ci est l’homme de confiance d’Henri IV qui apprécie sa finesse d’esprit autant que sa force. Il a lui aussi ses ambitions et brûle d’investir la petite fortune qui découle des faveurs royales.

Chauvin, Dugua et Beringhen se seraient donné le mot pour convaincre le roi qu’il faut faire plus que les bien timides entreprises de La Roche.

Dénonciation de LaRoche de Mesgouez

Dans un mémoire adressé au roi, probablement vers 1606, Troilus de La Roche de Mesgouez dénonce a posteriori les manœuvres de Chauvin et Dugua. D’après ce que lui a raconté Beringhen (qu’il appelle Belinguant), Chauvin a usé « de la plus grande affronterie « . Pour parvenir à ses fins et favoriser son « imposture », il s’est fait aider d’un « nommé le Pont à Saint-Malo ».

En réalité, afin de persuader le roi de soutenir leur projet, les trois compères auraient fait parader François Dupont-Gravé. « Le Malouin peut évoquer avec précision, écrit Éric Thierry dans un récent ouvrage sur Henri IV, les bonnes relations des Français avec les indigènes du golfe du Saint-Laurent et même de l’Acadie, les richesses en fourrures et en poissons de ces rivages et la possibilité de fonder là-bas une nouvelle France »( :66). Le roi est d’autant plus attentif que François Dupont-Gravé est le cousin de Thomas Gravé envers lequel il a une dette militaire, rappelle Thierry.

Le 22 novembre 1599, Chauvin reçoit la commission convoitée. Devant les protestations de LaRoche, Henri IV se ravise toutefois, modifie la commission accordée et, en date du 15 janvier 1600, limite carrément le monopole de Chauvin à une zone autour de Tadoussac. Tant pis, le projet d’expédition est maintenu. Malgré des difficultés de financement, quatre navires se mettent en route pour Tadoussac, sans doute assez tard au printemps. Dupont-Gravé en est « à titre d’associé et de lieutenant » et Dugua comme simple passager, semble-t-il.

La traite est bonne, mais l’endroit est jugé « fort désagréable ». « Plusieurs fois », Dupont-Gravé propose à Chauvin de remonter le Saint-Laurent. Il veut faire voir un « lieu plus commode à habiter ». Dugua est d’accord, mais Chauvin s’oppose. L’hiver n’est pas loin, soutient-il, et Tadoussac lui semble un excellent lieu de rendez-vous. Une habitation est mise en chantier. Les Montagnais coopèrent volontiers. Dans leur esprit, la présence des Français contribuera à renforcer leur position et leur prestige auprès des autres nations.

Chauvin laissera 16 hommes dans la minuscule cabane érigée avec une certaine hâte. L’hiver sera désastreux et tous auraient sans doute péri n’eût été l’aide apportée par les Indiens. Au printemps de 1601, l’expédition envoyée par Chauvin n’aurait retrouvé que cinq survivants. Ce chiffre est-il juste?

Champlain confirme la version de LaRoche

Dans son récit de 1632, Champlain raconte ce qu’il sait, ce qu’on lui a raconté ou ce qu’il a bien voulu retenir. Quelques historiens, dont Jean Liebel ( :62) ont lu : « L’an 1599 le Sieur Chauvin…. » et situé ce voyage en 1599. Pourtant, Champlain, selon l’édition de Laverdière, a écrit : « Un an après, l’an 1599, le Sieur Chauvin… » Par une virgule inopportune, Champlain induit en erreur son lecteur un peu distrait. Ce voyage a bel et bien lieu en 1600. La version de Champlain est intéressante et confirme celle de La Roche lorsqu’il rappelle le rôle joué par Dupont-Gravé, « fort entendu aux voyages de mer, pour en avoir fait plusieurs ». Ce dernier, rappelle Champlain, s’était rendu à la Cour « rechercher quelqu’un d’autorité et pouvoir éminent auprès du Roi, pour obtenir une commission, portant que le trafic de cette rivière serait interdit à toutes personnes, sans la permission et consentement de celui qui serait pourvu de la dite commission, à la charge qu’ils habiteraient le pays et y feraient une demeure ».

Cette personne d’autorité sera Chauvin en qui le Roi a « grande confiance ». Cet « entrepreneur », en échange de ce qu’il promettait, « voulait priver tous les sujets du Royaume de ce trafic et retirer lui seul les castors ». Dans cette « maison de plaisance », à l’automne 1600, les hommes s’installent « bien chaudement pour leur hiver ». Les rations sont là, mais l’indiscipline règne. « C’était la cour du roi Pétaud. Chacun voulait commander », écrit Champlain. La paresse et la fainéantise les amènent « réduits en de grandes nécessités et contraints de s’abandonner aux sauvages qui charitablement les retirèrent avec eux ». L’épisode est désolant, mais illustre l’entente de fait réalisée avec les Montagnais. Quant au nombre de survivants, le chiffre cinq est hasardeux. En effet, Champlain écrit : « les unzes moururent misérablement, les autres patissants fort attendant le retour des vaisseaux ». Faut-il lire les « onzes » ou les « uns »? Une chose est claire : Champlain connaît l’épisode de Chauvin, mais ne lui accorde aucun mérite. Il lui reproche plutôt de ne pas avoir écouté Dupont-Gravé. N’est-ce pas grâce à ses arguments que le roi lui a accordé sa commission? Champlain ressent un profond devoir de mémoire envers Dupont-Gravé de qui il tient, sans aucun doute, cette histoire.

L’année suivante, ajoute Champlain, Chauvin organise « un second voyage qui fut aussi fructueux que le premier ». Autrement dit, les résultats furent pitoyables.

En 1602, Chauvin modifie son approche et cherche à se renflouer avec des chargements de morues. Rien ne fonctionne comme prévu. Pour sa part, le capitaine Geffin Malhortie ramène deux Indiens de Tadoussac. Chauvin et Dupont-Gravé n’ont pas du tout l’intention d’abandonner la partie. Ils présentent les deux Montagnais à Henri IV et font valoir l’entente intervenue entre Français et Indiens depuis l600. Toutefois, pour faire face à une concurrence féroce, ils réclament un soutien royal.

La rencontre de Dupont-Gravé et Champlain

À la même époque, dans les ports de France, le nom de Champlain est sans doute sur toutes les lèvres. Son voyage aux colonies espagnoles fait rêver plusieurs marins français. Quelques privilégiés ont pu parcourir le Brief Discours des choses plus remarquables que Samuel Champlain de Brouage a reconnu aux Indes occidentales. Ce rapport a comblé d’aise un Roi tellement désireux d’en savoir davantage sur les possessions espagnoles. Philippe II, roi d’Espagne, n’a-t-il pas financé ses guerres avec l’argent et l’or rapportés d’Amérique? Outre la morue et la fourrure, le Nord de ce continent ne cache-t-il pas également des mines fabuleuses? Il nomme Pierre de Beringhen contrôleur général des mines. L’exploration minière devient à l’ordre du jour, mais ne fait pas oublier les profits que rapportent la morue et le castor.

Partout, l’excitation est grande. À défaut de pouvoir se rendre aux Antilles, au Mexique ou en Floride, les marchands de Saint-Malo et de Rouen critiquent le monopole que Henri IV a pris l’habitude d’octroyer à un de ses protégés pour lui permettre de financer un début de colonisation outre-atlantique.

Au début de 1603, une commission d’enquête se réunit à Rouen pour entendre les protestataires et dégager des recommandations à l’intention du roi. Le statu quo est finalement maintenu. Le calviniste, Chauvin de Tonnetuit conserve son monopole, c’est-à-dire que lui seul peut faire la traite des fourrures tant en Acadie qu’au Canada. Il meurt toutefois avant de pouvoir organiser une nouvelle expédition. Aymar de Clermont-Chaste se propose alors pour la succession. Rentré d’une mission spéciale en Angleterre, il a participé à la commission d’enquête. Il est curieux de connaître les possibilités de ce monopole. Le Roi lui doit bien cette faveur. Aymar de Chaste se tourne tout naturellement vers le jeune Champlain, devenu indépendant de fortune par le legs d’un oncle et auréolé par son mystérieux voyage.

Il y a fort à parier que le voyage de Champlain aux Indes occidentales rencontrait les souhaits d’Henri IV. Est-ce par hasard que Champlain, « pour ne demeurer oisif », décide d’accompagner son oncle, Guillaume Hellaine, chargé de ramener en Espagne une partie des troupes d’occupation espagnole? Est-ce par hasard ou simple curiosité qu’il se joint à une flotte à destination des Antilles et du Mexique? Est-ce pour occuper son temps qu’il dresse des croquis et note le parcours suivi? Est-ce tout simplement pour distraire le Roi qu’il lui remet son Brief Discours?

Parti de San-Lucar de Barameda en janvier 1599, il est revenu au début de mars 1601. Au retour, il trouve son oncle à l’article de la mort. Il hérite de ses biens, règle la succession et rentre à Paris pour faire rapport. Le Roi est ravi et lui accorde une pension royale de même que le droit de séjourner à la Cour.

La proposition d’Aymar de Chaste arrive à point. Champlain accepte d’accompagner le capitaine François Dupont-Gravé qui doit diriger l’expédition, sous réserve « du commandement de Sa majesté à laquelle, écrit-il, j’étais obligé tant de naissance que d’une pension de laquelle il m’honorait ». C’est ainsi que le capitaine Dupont-Gravé fut prié, par lettre officielle de Louis Potier, sieur de Gesvre et « secrétaire des commandements », de prendre Champlain à son bord et de l’assister « de ce qui lui serait possible en cette entreprise ». Champlain, de son côté, devra « faire fidèle rapport » au Roi.

Champlain est décidément en bonne compagnie; il a trouvé son mentor. En 1599, Dupont-Gravé a proposé l’établissement d’un poste permanent à Trois-Rivières. Son second choix était une pointe à proximité de l’île d’Orléans que les Indiens nommaient Québecq. Le cartographe Guillaume Levasseur a d’ailleurs bien indiqué ces deux endroits sur sa remarquable carte datée de 1601. À noter que « Quebecq » a remplacé Stadaconé. Les Iroquoiens sont d’ailleurs disparus, ce que ne manque pas de souligner Champlain : « En ce temps-là le pays était plus peuplé de gens sédentaires qu’il n’est à présent. » Champlain ne formule pas d’explications. Les historiens ont longtemps cru que les guerres en étaient responsables; aujourd’hui ils s’interrogent plutôt sur l’impact des épidémies provoquées par la présence des Européens, soulignant principalement les ravages de la variole. L’explorateur se limite à tenir pour acquis que Sa Majesté avait « le sain désir d’y envoyer des peuplades ».

1603. Du 15 mars au 24 août. Cours intensif pour Champlain.

Pour ce voyage de 1603, Dupont-Gravé ramène, à bord de la Bonne-Renommée, deux Indiens qui avaient été reçus par Henri IV. La traversée dure plus de deux mois. On peut supposer que les échanges sont passionnants pour Champlain. Il a tout à apprendre. La barrière des langues n’existe pas : les deux Indiens qui avaient voyagé avec Malhortie ,l’année précédente, ont certes appris un peu de français et Dupont-Gravé parle assez bien leur langue. Ce qui suivra n’est pas le fruit du hasard.

À leur arrivée, la population de Tadoussac est en pleine tabagie. Le grand sagamo Anadabijou écoute attentivement les deux émissaires. Le Roi leur a fait « bonne réception »; ils assurent, rapporte Champlain dans son rapport intitulé Des Sauvages et qu’il fera publier « par privilège du roi », dès novembre 1603, que « sadite Majesté leur voulait du bien et désirait peupler leur terre ». Surtout, ajoutent-ils, Sa Majesté désire « faire la paix avec leurs ennemis ( qui sont les Iroquois, précise Champlain,) ou leur envoyer des forces pour les vaincre ». Anadabijou a le sens du protocole. Son idée est arrêtée, mais il fait d’abord distribuer du pétun (tabac) à Dupont-Gravé et à ses compagnons. « Ayant bien pétuné, il commença sa harangue […] fort content d’avoir sadite Majesté pour grand ami […] et fort aise que sadite Majesté peuplât leur terre et fit la guerre à leurs ennemis ». Les alliances franco-indiennes, amorcées en 1600, venaient de franchir une nouvelle étape. Anadabijou et Dupont-Gravé avaient jeté les bases de l’Amérique française. Ce sera l’affaire de Champlain de faire en sorte que cohabitation et métissage soient au rendez-vous.

Pendant que la traite se fait en ce début de l’été 1603, Champlain explore les environs et remonte le Saguenay aussi loin que possible. Les Indiens lui parlent d’un lac important, mais ils refusent de l’y conduire « ni aucun de nos gens », comme il l’avouera plus tard (1632). Bien plus, « lesdits Sauvages du nord disent qu’ils voient une mer qui est salée », ajoute-t-il. La découverte de cette baie par Henry Hudson sera une des grandes frustrations de Champlain.

À défaut d’aller vers le Nord, Champlain se laisse guider jusqu’aux rapides Saint-Louis par Dupont-Gravé. Tout au long du trajet, il s’extasie devant les « rivières, rochers, îles, terres, arbres, fruits, vignes et beaux pays qui sont depuis Québec jusqu’aux Trois-Rivières ». Il partage le point de vue de son guide et compagnon de voyage : « ce serait un lieu propre pour habiter et on pourrait le fortifier promptement ».

Champlain, le choix de Dugua de Mons… ou l’inverse.

À leur retour en France (1603), ils apprennent le décès d’Aymar de Chaste. Fort affligé, Champlain s’inquiète et cherche « un Seigneur de qui l’autorité fut capable de repousser l’envie ». « Je sais, poursuit-il, qu’aussitôt plusieurs marchands de France qui avaient intérêt en ce négoce, commençaient à faire des plaintes de ce qu’on leur interdisait le trafic des pelleteries, pour le donner à un seul ». Il quitte rapidement Honfleur pour aller trouver Sa Majesté, « à laquelle je fis voir, raconte-t-il, la carte du dit pays, avec le discours fort particulier que je lui en fis, qu’elle eut fort agréable, promettant de ne laisser ce dessein, mais le faire poursuivre et de le favoriser ». « La Providence ( mais Champlain ne l’a-t-il pas aidée ?), écrit Jean Glénisson, l’excellent biographe de Champlain, voulut que le successeur fût aussi saintongeais : Pierre Dugua de Mons, gouverneur de la place protestante de Pons, vétéran, sous la bannière royale, – comme Chaste, comme Pont-Gravé, comme Champlain lui-même -, de la campagne de Bretagne, qui, mettant un terme aux guerres civiles, a permis aux Français de reprendre l’exploration du monde ». Henri IV n’oubliait pas tous ses fidèles partisans qui lui avaient permis de gagner ses guerres .

Le Roi a tôt fait de céder aux démarches de Dugua de Mons et lui accorde, d’un trait de plume, le fameux monopole contre l’avis de son principal ministre, le duc de Sully, et malgré les protestations des marchands de Bretagne et de Normandie. On le sait : Dugua de Mons est déjà allé au Canada, sans dépasser toutefois Tadoussac. « Ce peu qu’il avait vu, rappelle Champlain en 1632, lui avait fait perdre la volonté d’aller dans le grand fleuve Saint-Laurent ». Dugua de Mons opte pour l’Acadie, contrée « d’un air plus doux et plus agréable », plus accessible et plus propice à l’agriculture. Aussi ambitieux qu’habile, il réunit des marchands de Rouen, de Saint-Malo, de La Rochelle et de Saint-Jean-de-Luz et forme une puissante compagnie. Le capital ne suffit pas; il mise aussi sur Dupont-Gravé et Champlain.

L’expérience acadienne sera pénible; arrivé en juin 1604, le sieur de Mons doit rentrer dès 1605. Dupont-Gravé, qui a hérité du commandement de Port-royal, le rejoint en 1607 de même que Champlain qui a tout de même eu le temps d’explorer plus de 2 000 kilomètres de côte.

Dugua écoute Dupont-Gravé et Champlain.

Le bilan d’ensemble n’est pas rose. Les « vaines tentatives », selon l’expression de l’historien Marcel Trudel, s’additionnent, depuis Jacques Cartier d’ailleurs. Le mauvais sort semble bien donner raison à Sully. Dans une lettre de février 1608, adressée au président Jeannin, l’un des protecteurs de Champlain, le ministre se vide le cœur. Il juge « la conservation et possession de telles conquêtes [ des établissements français en Amérique], comme trop éloignées de nous et par conséquent disproportionnées au naturel et à la cervelle des Français ». « Je reconnais, à mon grand regret, admet-il, n’avoir ni la persévérance ni la prévoyance requise pour telles choses ». Comme s’il voulait se convaincre lui-même, il ajoute encore « que les choses qui demeurent séparées de notre corps par des terres ou des mers étrangères ne nous seront jamais qu’à grand charge et à peu d’utilité ».

Henri IV peut s’appuyer sur Sully pour tout ce qui concerne le royaume, sauf ses projets coloniaux. Même sans budget, le roi s’entête et renouvelle au sieur de Mons son monopole au moins pour un an. Le 7 janvier 1608, un avis est envoyé à tous les agents contrôleurs du royaume de respecter et de faire respecter le monopole commercial accordé au sieur de Mons qui se laisse convaincre de se diriger cette fois vers le Saint-Laurent.

En avril 1608, à une semaine d’intervalle, Dupont-Gravé et Champlain reprennent la mer à destination de Tadoussac. Les Basques les ont précédés. Dupont-Gravé est gravement pris à partie. Champlain se porte à sa défense. Il engage le dialogue, calme les esprits. En apparence du moins. Il découvrira quelques jours plus tard que les Basques ont eu le temps de soudoyer quatre de ses hommes.

Dans ces circonstances, Dupont-Gravé peut difficilement s’adonner à la traite et se limite à quelques échanges. Désireux de soigner la blessure reçue lors de l’échauffourée avec les Basques, il décide d’accompagner Champlain vers Québec. Car c’est bien la destination choisie par ce dernier. « Je partis de Tadoussac le dernier du mois [le 30 juin] pour aller à Quebecq », écrit-il. Le 3 juillet, il met pied à terre aussitôt à la recherche d’un « lieu propre pour notre habitation, mais je n’en peux trouver de plus commode, ni mieux situé que la pointe de Quebecq, ainsi appelé des Sauvages ». Sans perdre un instant, tous sont au travail : les uns abattent les noyers, d’autres creusent la cave et des fossés, un autre quitte pour Tadoussac pour « aller quérir nos commodités ». En premier lieu, ils érigent « le magasin pour mettre nos vivres à couvert qui fut promptement fait par la diligence d’un chacun, et le soin que j’en eu ». Champlain ne perd pas une occasion de se mettre en valeur, même s’il le fait discrètement.

L’établissement de Québec est pris au sérieux par les Basques.

Il est vrai par ailleurs que Champlain est exigeant autant pour lui-même que pour les autres. Est-ce la pression qu’il met sur ses hommes ou les récompenses qu’ont fait miroiter les Basques qui expliquent un grave complot « contre le service du roi »? L’affaire est importante; Champlain s’y attarde longuement dans son ouvrage de 1613,. Les conspirateurs ont tenté de soudoyer le plus grand nombre, « même mon laquais », précise-t-il, fournissant ainsi un détail personnel intéressant. Un serrurier nommé Antoine Natel se confie au Capitaine Têtu qui s’empresse d’en informer Champlain. Natel craint autant la fureur de ce dernier que la rage de ses complices qui ont, ni plus ni moins, planifié l’assassinat de Champlain.

Un tribunal improvisé condamne le serrurier Jean DuVal à être « pendu et étranglé audit Québecq, et sa tête mise au bout d’une pique pour être plantée au lieu le plus éminent ». Les trois autres sont confiés à Dupont-Gravé qui les ramène en France « entre les mains du sieur de Mons, pour leur être fait plus ample justice ». Paradoxalement, ils échapperont peut-être ainsi à la mort. En effet, le premier hiver passé à Québec est désastreux : dix hommes meurent du scorbut et cinq de dysenterie.

Qui dit vrai? Tessouat ou Vignau?

Quelques années plus tard, le mauvais sort attend Champlain sur la route de Paris. Un accident l’oblige à quelques semaines de convalescence. Il en profite pour faire le point; il rédige ses mémoires et prépare une magnifique carte (1612) avec l’aide du graveur David Pelletier. Il termine son chef-d’œuvre quand on lui montre une carte gravée par Hessel Gerritsz qui présente le trajet suivi par Henry Hudson au nord du continent. La voilà donc cette fameuse « mer salée » dont les Indiens lui avaient parlé en 1603!

Champlain est piqué au vif. Sans perdre un instant, il retourne à sa table à dessin, reprend les éléments de sa carte précédente et ajoute sans hésiter les informations contenues dans la Tabula Nautica de Gerritsz. C’est presque un calque. Le pourtour du continent est le même, les échancrures aussi, les îles de la baie sont au même endroit et ont la même forme rectangulaire. Mieux encore, Champlain inscrit « mare magnum » là où Gerritsz avait écrit « Mare magnum ab M Hudsono primum inventum ». Au fond de la baie, il note « the bay wher hudson did winter » copiant maladroitement « the bay where Hudson did winter ». Champlain en est là, quand le jeune Nicolas de Vignau, qu’il a laissé chez les Algonquins, arrive à Paris, racontant avoir atteint la mer du Nord où il a d’ailleurs aperçu un navire anglais naufragé.

Champlain est secoué. Ce récit est plausible, et l’exploit de Hudson l’a excité. Pendant que l’éditeur prépare l’édition de ses voyages, il reprend la route de la Nouvelle-France. Vignau doit le conduire sans tarder à la mer du Nord.

Les Algonquins ne l’entendent pas ainsi et traitent Vignau de menteur. « C’est en dormant » que tu es allé là-bas, lui lance Tessouat. « Tu as rêvé ! » Le chef indien est si convaincant que Champlain en vient à traiter Vignau « de plus impudent menteur qui se soit ouï depuis longtemps ». De retour en France dès août 1613, après une traversée de 18 jours, Champlain complète son ébauche, ajoute une approximative rivière des Outaouais, rédige le récit d’un « Quatrième voyage » qui vient s’ajouter aux « Voyages » dont le montage, sinon l’impression, est déjà terminé. Ce sera son second ouvrage (1613).

S’il veut poursuivre ses explorations, Champlain est conscient qu’il devra céder aux demandes de ses alliés indiens et marcher de nouveau contre les Iroquois. À l’automne 1615, tout va mal. Champlain est gravement blessé. Il doit hiverner en Huronie. Il se fait ethnographe. Ses observations constitueront la matière de son ouvrage de 1619.

Une succession de patrons. Un seul mentor.

De 1608 à 1628, les détenteurs du monopole se sont succédé à un rythme inquiétant. Dès la fin de l’année 1608, le sieur de Mons doit faire son deuil du renouvellement de son monopole : il cherche alors à vendre son habitation de Québec, mais il n’abandonne pas pour autant son ami Champlain. En 1610, l’assassinat d’Henri IV prive Champlain de son vrai protecteur. Dans une tentative de récréer un nouveau réseau d’influence, on arrange son mariage avec Hélène Boullé dont le père est huissier à la Cour. Parmi tout ce beau monde, y compris les associés des diverses compagnies qui se forment, les protestants dominent. Ils font l’erreur de négliger le peuplement et tentent plutôt de tirer leur épingle du jeu avec la traite. Le duc de Richelieu qui a eu maille à partir avec eux à La Rochelle s’en méfie et profite des statuts de la Compagnie des Cent-Associés qu’il met en place à partir de 1627 pour les exclure comme colons possibles. Ils peuvent commercer, mais non hiverner!

Avec l’arrivée de Richelieu et la création de la compagnie des Cent-Associés, Champlain peut reprendre espoir. Au printemps 1629, un convoi conduit par Claude de Roquemont apporte du ravitaillement et près de 400 colons. Du jamais vu. Champlain joue de malchance. Un nouveau conflit a éclaté entre la France et l’Angleterre. Des corsaires à la solde de l’Angleterre veulent en profiter pour s’emparer de la traite sur le Saint-Laurent. Roquemont tombe dans les filets des frères Kirke. Même s’il avait un grand besoin du ravitaillement saisi, Champlain résiste. Il rendra finalement Québec en juillet 1629, plus de deux mois après la signature du traité de Suse (24 avril 1629).

Ramené en Angleterre par les Kirke, Champlain se précipite chez l’ambassadeur Châteauneuf et le convainc d’exiger la rétrocession de la Nouvelle-France. Charles 1er, roi d’Angleterre, acquiesce, au grand désespoir des Kirke. Mais à quoi correspond le territoire en cause? Champlain l’expliquera en long et en large dans un nouvel ouvrage publié en 1632 dans lequel il reprend ses précédents (1603, 1613 et 1619) en les modifiant ici et là et en les complétant du récit des événements survenus depuis 1620, année au cours de laquelle il avait amené sa femme après avoir réussi à déjouer une tentative de l’exclure du commandement de Québec menée par Daniel Boyer, un farouche opposant à tout monopole de traite.

Comble d’ironie, ses opposants avaient voulu lui substituer Dupont-Gravé à la tête de la colonie.Champlain proteste : « Que pour le Sieur du Pont, j’étais son ami et son âge me le ferait respecter comme mon père : mais de consentir qu’on lui donnât ce qui m’appartenait par droit et raison, je ne le souffrirais point ».

Champlain et Dupont-Gravé seront des inséparables jusqu’à la fin. Le 19 juillet 1629, les Kirke soumettent les articles de la capitulation de Québec aux « sieurs de Champlain et du Pont ». Ce dernier est malade. Champlain a cherché à lui éviter ces heures pénibles de privation et d’humiliation. Il a voulu l’envoyer en un lieu moins exposé. Soutenu par son petit fils d’une douzaine d’années également prénommé François et le plus souvent alité, Dupont-Gravé ne veut pas quitter le fort Saint-Louis. Il sait très bien que lui seul est responsable du parcours de Champlain depuis 1603. Il lui a tout appris du Saint-Laurent et de ses habitants

Le nom Quebecq, c’est lui qui l’a recueilli auprès des Indiens. C’est lui qui l’a transmis à Guillaume Levasseur. Qui d’autres aurait pu le faire? C’est lui qui a fait connaître à Champlain le site de Québec, qui lui a fait connaître ceux de Trois-Rivières et d’Hochelaga. C’est grâce à lui que Champlain a pu cartographier des milliers de kilomètres de côte. C’est de lui que Champlain a reçu les fondements d’alliances franco-indiennes essentielles à la naissance de l’Amérique française.

François Dupont-Gravé est certainement celui qui a fait le plus de traversées de l’Atlantique à cette époque. Il a montré la voie à son fils Robert, un caractère difficile dont le père Biard admirait « la grande vigueur physique et intellectuelle » et à son gendre Claude Godet Des Maretz qui sera fréquemment aux côtés de Champlain à partir de 1609. Les historiens ont surtout retenu qu’il n’avait osé affronter les Iroquois, incident que Champlain ne relatera qu’après la mort de ce dernier.

Le dernier mot revient au frère Sagard : Dupont-Gravé était « jovial de son naturel », écrit-il. Il aimait « boire un bon coup sans eau » au risque de se plaindre peu après de « la douleur de ses gouttes ».

Enfin, les premiers pionniers.

Champlain est de retour à Québec en 1633. Il doit reconstruire l’habitation et les dépendances de même que ses installations de Cap-Tourmente. Il commande un établissement à Trois-Rivières et prépare celui de Montréal. Il a déjà à l’esprit la formation de trois « gouvernements ». À sa mort, le 25 décembre 1635, les bases de la colonie sont bien modestes mais tout de même en place; elles lui survivront. Il aura eu aussi l’extrême satisfaction de voir arriver du Perche, Robert Giffard et Nicolas Juchereau. Tous deux seront d’efficaces recruteurs de colons défricheurs dont Jean Guyon et Zacharie Cloutier qui comptent aujourd’hui des dizaines de milliers de descendants. Cette immigration percheronne contribuera largement à favoriser l’implantation de la langue française en Amérique.

P.S. Au cours des dernières années, Grenon, Liebel, Binot, plus récemment Mathieu D’Avignon, ont voulu réhabiliter la mémoire de Dugua de Mons. Le fondateur de l’Acadie est presque devenu celui de Québec. Aujourd’hui, j’en propose un autre : Dupont-Gravé. Il a le mérite d’être venu. Il est probablement celui qui a relevé le nom Quebecq, il a fait connaître l’endroit à Champlain, il l’a initié aux bonnes relations avec les Indiens, il a ravitaillé sans relâche la colonie, encouragé les siens à s’impliquer, maintenu les liens commerciaux et persisté jusqu’à la limite de ses capacités.

Au départ, j’ai voulu présenter le tandem Dupont-Gravé/Champlain, au fur et à mesure que mes travaux progressaient, il m’est apparu qu’il me fallait plutôt présenter Dupont-Gravé comme le mentor de Champlain, celui qui a guidé et accompagné le fondateur.

Pour ma part, je dois beaucoup à Éric Thierry qui vient de publier chez Honoré Champion La France de Henri IV en Amérique du Nord (De la création de l’Acadie à la fondation de Québec).