Voici cette deuxième tournée toute féminine. De bonnes lectures dans l’ensemble mais toujours pas de sensation extrême à l’horizon.
L’année de la pensée magique de Joan Didion (Grasset) : Alors que, comme à l’habitude depuis de nombreuses années, elle soupe tranquillement avec son mari, ce dernier a une attaque cardiaque. Malgré les secours, il meurt. Pour elle, c’est comme si la vie s’arrêtait. Pendant un an, elle scrute presqu’à la loupe tout ce qui entoure la mort de son mari. Pendant un an, elle aurait voulu rattraper le temps afin que tout redevienne comme avant (d’où le titre). Un habile exercice de deuil littéraire qui ne tombe jamais dans le pathos et qui réussit néanmoins à rejoindre profondément le lecteur.
À ciel ouvert de Nelly Arcan (Seuil) : J’aurais tellement aimé pouvoir défendre ce troisième roman de cette romancière controversée qu’on ne cesse de juger par l’image négative qu’elle impose maladroitement. J’avais été subjugué par le talent et le souffle littéraire qu’on retrouvait dans Putain et Folle. De ce souffle, il ne reste à peu près plus rien dans À ciel ouvert. Voilà une grande déception pour l’amateur que je suis. Nelly Arcan nous sert gauchement du réchauffé en abordant le thème qui l’obsède, celui de l’image de la femme à travers le regard des hommes, le sexe et la chirurgie esthétique. Elle troque le je pour le il et, à mon avis, c’est là que tout tombe à plat. Ce il détaché, non intériorisé, qui traque le parcours de Rose et Julie, devient vite détestable pour le lecteur qui n’a pas envie de suivre ces deux gourdes superficielles qui se battent pour le même homme aussi peu charmant qu’elles. Nelly Arcan ne semble avoir aucune empathie pour ces deux personnages, aussi détestables puissent-elles être. Nous non plus. Souhaitons qu’elle passe à autre chose pour le quatrième acte.
La sœur de Judith de Lise Tremblay (Boréal) : Depuis La héronnière (le meilleur livre de l’auteure à ce jour), l’écriture de Lise Tremblay est devenue plus concrète, plus sentie et le lecteur ne peut que s’en réjouir. On la retrouve cette écriture dans La sœur de Judith, mais encore plus dépouillée, ce qui sert très bien la narratrice de douze ans. Douze ans, la fin d’une certaine innocence sociale (et personnelle par le fait même). Avec toute la vulnérabilité qui va avec, Lise Tremblay illustre très bien ce passage à travers le regard de cette jeune fille de Chicoutimi qui rêve d’un ailleurs meilleur qu’elle projette dans la sœur de Judith. C’est tout le Québec des années soixante qui est évoqué sous la plume de la romancière. C’est l’aspect le plus réussi de ce roman et c’est pour cette raison qu’il faut le lire.
Le retour à l’île aux cerises de Louise Turcot (Boréal inter) : j’ai un faible pour cette série jeunesse qui a du mal à trouver son public. De livre en livre, Louise Turcot nous montre l’évolution de Lulu, une jeune fille vivant seule avec sa mère à la fin des années cinquante. À l’instar de Lise Tremblay pour les années soixante, Louise Turcot réussit très bien à évoquer ces années d’après-guerre aux abords de Montréal. C’est encore plus vrai dans ce troisième volet alors que le cœur de Lulu (qui a maintenant douze ans) balance entre Gary et Luc. Elle découvre également le spectre de la seconde guerre mondiale et certains tourments de la vie. L’écriture de Louise Turcot est à son image : simple, fluide, chaleureuse et douce. Si vous l’aimez, vous aimerez les allées et venues de la petite Lulu à l’Île aux cerises. Le vrai public de cette série est définitivement celui de la comédienne.
Un effondrement de Ghislaine Dunant (Grasset) : L’exercice de Ghislaine Dunant peut s’apparenter à celui de Joan Didion. Plutôt que d’en être un de deuil, l’auteure a ressenti le besoin de revenir sur la dépression qu’elle a vécu il y a une trentaine d’années. Elle s’attarde principalement à cette période de « gel » où l’esprit de la personne dépressive est complètement détaché du corps qui l’abrite. Le début en fait, qu’elle nomme très justement l’effondrement. C’est surtout l’aspect médical et clinique de la chose qui ressort ici. Quiconque a côtoyé la dépression de près ne peut être insensible à ce livre. Pour avoir accompagnée quelqu’un pendant plus de deux ans, je n’ai pu rester insensible à plusieurs phrases tellement elles avaient une résonnance par rapport à ce que j’avais pu voir ou ressentir. Par contre, je ne peux pas dire que le récit de Ghislaine Dunant m’a complètement satisfait. Il n’est peut-être pas suffisamment porté par l’écriture ou l’émotion.
10 réflexions au sujet de « La tournée d’automne #2 »
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Je suis d’accord avec vous pour le Tremblay. Le Didion m’intéresse. J’en ai entendu parler en bien à une émission littéraire.
Je vous attendais. J’attendais votre avis sur A ciel ouvert. Comme moi, vous avez apprécié Putain et Folle, mais j’avais des doutes sur son petit-dernier. Donc, je l’ai réservé à la bibliothèque, je n’osais pas sortir mes bidous. Je ne sortirais pas, hélas, mes bidous mais je tiens quand même à le feuilleter. Quant à La Soeur de Judith, c’est un rendez-vous. Réjean en fait aussi la louange, alors ça y est, ça me titille. Je vais aussi jeter un oeil, et peut-être les deux, au Retour à l’île aux cerises car je l’aime ma Louise Turcot.
merci pour cette nouvelle tournée. J’avais noté « l’année de la pensée magique » et « un effondrement », tu viens confirmer ces projets de lecture.
les sujets m’interessent, les résonnances possibles aussi…
Bonjour Éric,
Le Joan Didion est un livre exceptionnel et touchant qui effectivement ne tombe jamais dans le pathétique. Elle porte un regard intelligent sur le deuil comme on l’a rarement fait.
D’accord aussi avec toi sur le Nelly Arcan. Pas de doute que celle-ci est une grande écrivaine, mais elle n’a toujours pas écrit un grand roman.
Maintenant « L’année de la pensée magique » m’intéresse beaucoup et pourtant j’avais un peu peur de me plonger dans un tel roman !!
Réjean: le Didion sans hésitation.
Venise: je vais être curieux à mon tour de connaître ton avis sur le Arcan et le Lise Tremblay aussi, pourquoi pas? Tu devras revenir faire un tour dans ma deuxième tournée Pour Louise Turcot, je te conseille de les lire dans l’ordre en commencant par « Un long fleuve si tranquille » (le meilleur des trois). Le deuxième est « Nous n’irons plus jouer dans l’île ».
Sylvie: tu ne resteras pas insensibles aux deux sujets traités.
Patrick: nous sommes sur la même longueur d’ondes pour ces deux titres alors!
Florinette: vas-y fonce, n’aie pas peur! Même s’il traite d’une deuil, « L’année de la pensée magique » est surtout la démarche d’une femme qui cherche à comprendre certaines étapes difficiles de l’existence.
Allo Eric,
ca t’étonne?
Non, pas vraiment. On se rejoint assez souvent dans nos goûts littéraires.
Même si j’avais bien aimé « Putain », j’ai à peu près le même avis que toi sur « À ciel ouvert ». Je n’emprunte pratiquement jamais de livres mais pour celui-ci, je suis bien contente de l’avoir fait!
J’ai bien aimé La Soeur de Judith. Lise Tremblay indique les changements qui attendent la femme en l’année 1969, une année charnière que l’on qualifiait de temps nouveau. Marc Robitaille a écrit le pendant de cette atmosphère euphorique pour les garçons dans Un été sans point ni coup sûr. Et Stéphane Venne nous a fait chanter Le Début d’un temps nouveau. Ceux qui ont vécu cette époque peuvent dire que toutes ces oeuvres sont de bons reflets d’un temps rempli d’espoir.