Le 1er octobre, Le Devoir publie un commentaire de Philippe Dubé qui se présente comme coscénariste du Moulin à images, réalisation pour laquelle j’avais pourtant été passablement élogieux. C’est ainsi que nous apprenons le rôle de M. Dubé. Sur le site du 400e, il n’y avait que le nom de M. Lepage.
Voici l’opinion de M. Dubé:
OPINION
Une histoire sans nom, sans date, ni événement
Philippe Dubé, Coscénariste du Moulin à images et professeur de muséologie au Département d’histoire de l’Université Laval Édition du mercredi 01 octobre 2008
Mots clés : Bilan des festivités, 400e de Québec, Festival et fête, Québec (ville)
L’heure est au bilan, maintenant que la fête d’anniversaire de Québec est sur le point de se terminer et que chacun engrange à sa manière, avant de ranger ses outils, le fruit de ses récoltes. C’est d’ailleurs là le sens véritable de la journée de l’Action de grâces qui va sonner sous peu et qui nous invitera joyeusement à mieux «passer l’hiver».
D’emblée, chacun y va selon son point de vue avec sa propre lecture des événements qui, de fait, se sont déroulés dans la bonne humeur générale, et c’est à cet exercice commandé que s’est livré Denis Vaugeois samedi dernier dans les pages du Devoir [«Une fête célébrée à la sauce Canada», cahier spécial Le 400e de Québec et l'histoire].
Plan caché?
En ce qui me concerne, je ne puis partager la vision soupçonneuse de l’historien-éditeur voulant qu’un plan caché du gouvernement fédéral ait cherché malicieusement à nier l’identité québécoise à travers une programmation a-historique venue souligner, durant l’été 2008, le quatrième centenaire de fondation de la ville de Québec.
Je dois plutôt reconnaître que les convictions politiques de l’historien enchâssent désespérément sa perception sur un mince horizon qui, au fond, n’explique rien, sauf sa posture ultrasouverainiste et peut-être, aussi, sa peur de l’effritement de l’édifice sémantique appelé Histoire; celui, bien entendu, construit par les historiens.
Or, on comprendra que ceci est résolument plus grave qu’on ne veut bien le croire, car nous avons, en effet, assisté durant ces festivités à une véritable révolution du sens à donner aux choses de l’histoire. Je reprendrai seulement la dernière phrase de Denis Vaugeois lâchée en toute fin d’entrevue: «En fait, cette ville, ce sont les textes qui figurent derrière le Moulin à Images.» Sans le dire explicitement, l’historien ici avoue regretter le peu de place faite aux discours, aux textes alors que, des vues mêmes de Robert Lepage — en se référant à son oeuvre –, il fallait à tout prix sortir du paradigme éculé du «charmant Château Frontenac» avec ses parfums romantiques pour re-raconter l’histoire de cette ville et l’aborder enfin d’une manière neuve en la projetant sur une surface neutre (non historiée) qu’offrent les élévateurs à grains de la Bunge dans le Vieux-Port de Québec.
Chacun son récit
L’intention de l’homme de théâtre n’était pas badine; il voulait renouveler le récit de l’histoire d’une ville en laissant place aux images qui l’ont illustrée, ne cédant en rien à l’évocation convenue de clichés qui le constitue. De cette manière, le Moulin à images a tenté de dévoiler la trame des 400 ans de Québec en laissant le spectateur faire sa propre lecture des faits qui lui étaient proposés sous la forme de capsules d’images librement organisées.
Ces images ont donc été lues comme de nouveaux textes visuels auxquels tous avaient accès, même celui ou celle qui ne connaissaient rien de l’histoire de cette ville. Tous ont d’ailleurs pu composer à leur guise le récit qu’ils voulaient ou pouvaient bien saisir, évoqué ici en termes presque poétiques. Ce spectacle était en fait une explosion de signes qui nous ont été donnés à voir, fournissant par là des images à l’imaginaire de ceux et celles qui ont pu construire pour une première fois le récit de leur propre histoire.
Cette manière en effet éclatée a permis de révéler les couches successives du temps à travers les chemins qui se sont croisés sur ce site urbanisé. Et chacun était libre d’interpréter, selon sa sensibilité et à partir du point de vue qui le concerne, la part que nous livrent l’Histoire et l’inexorable passage du Temps.
Interprétation libre
Sans vouloir être à mon tour suspicieux, on peut se demander si c’est l’autonomie, voire la souveraineté du spectateur que l’historien craint, voyant peut-être là une menace au contrôle qu’il tente inconsciemment d’exercer par l’écrit et sa dictée(ture) des mots. Je ne crois pas que l’un ait nécessairement à s’opposer radicalement à l’autre, dans une lutte acharnée sans merci entre mots et images.
Mais il s’agit plutôt de laisser plus de place à l’interprétation libre d’un patrimoine reconnu implicitement comme étant la propriété publique. L’appropriation généralisée de l’histoire est une donnée non négligeable pour l’avenir culturel d’une nation, et cette mémoire «populaire» ne peut pas rester captive sur l’écritoire de l’historien.