Concours d’écriture : les gagnants

Depuis quelques années, le Carrefour international de théâtre organise un concours d’écriture. Pour la première fois, Septentrion s’est associé à cet événement.
Le dévoilement des 3 lauréats pour chacune des catégories (théâtre, nouvelle et poésie) a eu lieu le mercredi 3 juin dans le cadre d’un sympathique 5 à 7 au Zinc, le café-bar du Carrefour.
Les lauréats de cette dernière édition sont les suivants :
Maxime Robin : Québec en deux (grand gagnant) : catégorie théâtre
Amélie Panneton : Cotte de mailles : catégorie nouvelle
Véronique Daudelin : Ce qui s’écrie : catégorie poésie
Comme le texte de Maxime Robin, le grand gagnant, est un très bel hommage à la ville de Québec, avec la permission du Carrefour international de théâtre, nous avons eu envie de le partager avec vous.
Québec en deux
Qu’est-ce qu’on se dit quand c’est fini ?

Note de l’auteur : C’est le Parcours : Où est-ce que tu vas quand tu dors en marchant? et sa relation avec l’espace public qui constituent le lien avec ce texte. Je voulais voir de quelle manière la ville et son langage peuvent devenir un code, et éventuellement une façon de révéler et de cacher ce qu’on ressent…
Un garçon et une fille se tiennent debout, de part et d’autre d’une grande carte de la ville de Québec. Ils parlent au téléphone.
GARÇON – Ok, mais juste la haute-ville, sinon, ça va être fucking long, pis faut que j’aille.
FILLE – Ouais, ouais. Anyway, je m’en fous, j’vas jamais en basse-ville.
GARÇON – Le vieux Québec, ça compte-tu?
FILLE – Ben, ça dépend où. Tsé, mettons, j’garderais le boulevard Champlain parce que ma mère m’amène toujours magasiner là dans le temps des fêtes avant d’aller patiner.
GARÇON – Ben là, j’peux quand même pas te laisser le carré. Faut que j’pogne la bus, pis chus ben trop souvent…
FILLE – C’est cool, c’est cool. Mettons qu’on s’le partage. Ok? Au pire, j’irai prendre la 7 sur d’Aiguillon, pis la 800 sur Honoré-Mercier.
GARÇON – Tu veux-tu Saint-Jean?
FILLE – Ben, non. Garde Saint-Jean, moi j’vas prendre Cartier, c’est plus pratique pour les deux.
GARÇON – Ben, ça te fait quand même loin.
FILLE – Ben, j’viens de pogner un appart sur Crémazie, passé Bourlamaque, faque ça m’arrange. Pis de toute façon, j’imagine que tu vas vouloir aller au Hockey avec tes chums à la Ninkasi.
GARÇON – Crisse, t’es en moyens. Montcalm!
FILLE – Ben non, j’sous-loue.
GARÇON – Qu’est-ce t’as fait de tes meubles?
FILLE – Ben, yen a une bonne partie chez Karine, pis j’ai quand même pu remplir une chambre. Ç’pas… On est pas… On peux-tu juste continuer?
GARÇON – (soupire) Tu préfères-tu Grande-Allée ou René-Lévesque?
FILLE – Ben, si j’veux sortir chus mieux d’prendre Grande-Allée, hein?
GARÇON – Ben, tu sors pas…
FILLE – Ben, p’t’être que j’vas recommencer, hein?
GARÇON – Ok, mais j’aimerais quand même ça pouvoir garder l’Ozone.
FILLE – Ben là, non! On va tout le temps là avec les filles!
GARÇON – Pis moé avec mes chums! Pis j’y allais ben avant de te rencontrer.
FILLE – Pis moi, j’y allais pas peut-être? Où qu’tu m’as vue, la première fois?
GARÇON – Tu venais d’arriver en ville!
FILLE – Ben justement, l’Ozone, ça comme été mon baptême de Québec, j’aimerais ça le garder.
GARÇON – Fuck…
FILLE – Dis-moi pas Fuck!
GARÇON – Crisse!
FILLE – Écoute, j’te l’échange contre le Dag pis le Maurice!
GARÇON – J’m’en crisse du Da…
FILLE – Pis j’te laisse les Voûtes! Aye, j’aime full ça aller aux Voûtes, pis j’tes laisse!
GARÇON – Correct, correct. Mais je pogne les plaines.
FILLE – Ben là, pas toutes les plaines!
GARÇON – Crisse, t’es ben exigeante!
FILLE – Aye, t’as pas à me dire ça! J’veux au moins garder le grand carré où que j’peux faire du patin à roues alignées l’été. J’ai l’droit!
GARÇON – Ok, mais j’garde le reste, men, c’est là qu’j’ai genre fumé mon premier joint…
FILLE – J’aimerais ça qu’on parle du bout en bas de Saint-Jean jusqu’à la Côte d’Abraham. D’Aiguillon, pis toute ça.
GARÇON – J’ai tout le temps affaire-là à cause d’la job.
FILLE – Je l’sais. C’est pour ça que je te propose de prendre une rue sur deux.
GARÇON – C’est bon.
FILLE – Faque mettons qu’on sépare les sens uniques. Moi, j’prends toute ceux qui vont vers l’est, pis toi vers l’ouest. Non, attends, l’inverse, vu que tu gardes St-Jean. Faque t’as une rue sur deux : Richelieu, euh… pis Latourelle.
GARÇON – Richelieu pis Latourelle y vont les deux vers l’ouest.
FILLE – Ben non!
GARÇON – (soupire) Oui…
FILLE – Ben non, St-Jean va vers l’est. Après ça t’as D’Aiguillon, vers l’ouest, pis après ça Richelieu.
GARÇON – Oui, mais Richelieu pis d’Aiguillon vont tous les deux vers l’ouest.
FILLE – Ben non, ça alterne!
GARÇON – Crisse, va voir sur Mapquest!
FILLE – Sac’ moi pas après! Ostie, c’pour toi qu’on fait ça, là!
GARÇON – Non, non, wooo. C’tait ton idée.
FILLE – Ok, peu importe. On ira vérifier sur Mapquest, mais on dit que j’prends les rues qui vont vers l’Ouest, ok?
GARÇON – Mais comment j’fais en char?
FILLE – Comment ça?
GARÇON – Ben, j’peux juste aller vers l’est? Comment j’fais pour revenir?
FILLE – Ben, je sais pas, moi, tu fais preuve de créativité. Mettons qu’en voiture, ya une trêve!
GARÇON – (rit) Ostie… Ok, pis St-Jean passé le carré, c’ta qui?
FILLE – Ben, jte laisse, si tu veux pouvoir aller au Ashton à 3 heures du matin si tu sors. Pis moi j’vas pogner le Ashton de Grande-Allée.
GARÇON – Ça compte-tu même le soir de la Saint-Jean?
FILLE – On serait vraiment malchanceux de tomber l’un su’ l’autre quand qu’ya genre 30 mille personnes dans Québec!
GARÇON – By the way, tu veux-tu Saint-Augustin, toi?
FILLE – Non… pourquoi?
GARÇON – Ben, peut-être que j’a pognerais.
FILLE – Oui, ouais, c’est cool. Mais on pourrait se faire une sur deux aussi pour les rues Nord-Sud de Saint-Jean-Baptiste, si tu veux.
GARÇON – Ouais, ouais. Ben, juste Saint-Augustin, ça m’va.
Un temps.
FILLE – Ok. Tu…
GARÇON – … Ouais ben c’est plus simple, si j’veux voir… euh… (il s’interrompt)
Un temps.


FILLE – (pour éviter le malaise) J’te laisse Saint-Jean au complet, mais j’veux pouvoir aller chez Moisan.
GARÇON – Ok.
FILLE – Pis chez Victor.
GARÇON – Ok.
FILLE – Pis l’église.
GARÇON – Quelle église?
FILLE – Ben, pas l’église elle-même, mais mettons la statue du Christ devant.
GARÇON – J’sais pas d’quoi tu parles.
FILLE – Ben oui, la statue, là, est comme surélevée.
GARÇON – J’sais pas.
FILLE – C’est sur tu t’en souviens, c’est là…
GARÇON – Quoi?
FILLE – Ben c’est là que tu m’as amenée.
GARÇON – Quand?
FILLE – Ben… la première fois.
GARÇON – …
FILLE – C’est là que tu m’as embrassée la première fois.
GARÇON – Ben non, c’ta l’Ozone!
FILLE –Ben ça comptait pas à l’Ozone, j’tais saoule!
GARCON – On était pas trop saouls pour s’embrasser.
FILLE – Ça voulait rien dire. Ça voulu dire queque chose quand tu m’as embrassé en dessous du lampadaire devant l’église au pied de la statue du Christ pis qui s’est mis à neiger. Ça s’peut pas que tu te rappelles pas.
GARÇON – …
FILLE – (offusquée) Bon, j’garde les deux musées pis le grand théâtre. Toi, de toutes façons, tu mets jamais les pieds là. J’prend St-Jean passé Salaberry, disons que j’prends le chemin Ste-Foy…
GARÇON – J’garde Lucien-Borne, pour le volley.
FILLE – …j’garde aussi Salaberry, d’ailleurs, j’m’en câlisse de Lucien-Borne, tu feras ben c’que tu veux avec, mais organise-toi pour que te voèye pas coin Chemin Ste-Foy pis Salaberry. Je garde aussi le Périscope. Pis la Bordée.
GARÇON – Je garde la Cuisine.
FILLE – Moi, les Salon d’Edgar.
GARÇON – Le Cercle.
FILLE – Gabrielle-Roy.
GARÇON – Ben non! Faut que j’y aille pour l’école.
FILLE – T’as pas une bibli, toé, à l’école?
GARÇON – Shotgun les remparts.
FILLE – Qu’est-ce tu veux faire avec les remparts?
GARÇON – Pis la redoute Dauphine.
FILLE – Pourquoi?
GARCON – (après un temps) C’est le soir qu’on était assis su’ ‘es remparts qu’on avait décidé d’emménager ensemble.
FILLE – Le début de la fin.
GARÇON – …
FILLE – Scuse.
Un temps.
FILLE – Tsé… j’ai… J’ai pensé retourner à Montréal.
GARÇON – Pis pourquoi tu l’as pas faite?
FILLE – J’ai… c’est mieux que je reste. Pour moi. J’veux dire… pour moi, tsé. J’veux pas avoir l’impression de fuir. J’aime ça beaucoup Québec.
GARÇON – Pourquoi t…
FILLE – C’que j’essaie de te dire, c’est que j’garde des beaux souvenirs.
GARÇON – Ok.
FILLE – La ville, c’est toi qui me l’as montrée. Je l’oublierai pas, ça.
GARÇON – Ok.
FILLE – Tsé le petit parc, juste en dessous des marches qu’on pogne dans la côte de l’Aqueduc? Là où yont faite La Cerisaie?
GARÇON – Ouin.
FILLE – Tsé, le parc?
GARÇON – Ouais, ouais.
FILLE – Tu l’veux-tu?
GARÇON – …Non. Je te laisse.
FILLE – Non, mais c’est moi qui te le laisse.
GARÇON – Ça me dérange pas si tu l’veux.
FILLE – Ça pourrait être la seule place qu’y est genre à nous deux.
GARÇON – …
FILLE – Genre toi, l’hiver, pis moi, l’été. Ou l’inverse, j’m’en fous.
GARÇON – Ouin, l’inverse.
FILLE – Ok, faque de la première neige jusqu’au printemps, y est à moi. Pis toi le reste de l’année.
GARÇON – C’est quoi le printemps pour toi?
FILLE – Ben quand ya pu de neige. Ben presque pu, pas forcément pu pantoute.
GARCON – Je pourrai pas savoir si ya pu de neige sans passer pour voir.
FILLE – Ben, c’est correct, tu viendras.
GARCON – Fuck! Faut que j’y aille.
FILLE – Sur Saint-Augustin…?
Un temps.
GARCON – Pour le reste, tu veux-tu qu’on…
FILLE – Ben, c’est pour toi, là.
GARÇON – Ben non, c’était un peu niaiseux. C’est beau.
FILLE- Ok, c’est beau.
Elle ne sait pas trop si c’est un au revoir et raccroche, comme trop tôt. Il demeure surpris.
Noir.