C’est l’excellent article de Pierre Foglia intitulé Costco qui me fait sortir de mon mutisme car c’est la première personne influente au niveau médiatique qui ose un peu sonner l’alarme de la crise qui sévit actuellement dans le monde du livre québécois. De l’auteur au client, la chaîne s’est considérablement fragilisée depuis quelques années. Tout le monde a l’air de s’en foutre. Pas moi. Ça me préoccupe depuis quelques années et ce que j’observe actuellement est loin de me réjouir. Ce que je craignais semble vouloir se produire.
La lecture de l’article de Foglia m’a fait me rendre compte que c’est une sorte de rage que je ressens au fond de moi. Une rage que je ne peux plus contenir. J’ai besoin de faire partie de ceux qui sonnent l’alarme et je crois qu’elle doit venir des artisans du milieu du livre. Ça commence peut-être par démystifier notre univers en donnant l’heure juste aux lecteurs.
Pour mettre la table, voici en vrac quelques données. Les succès d’éditions ne courent pas les rues et les éditeurs ne roulent pas sur l’or. Est-ce que le grand public sait que les ventes moyennes, pour la plupart des titres publiés ici, dépassent à peine les 500 exemplaires ? Ce même public sait-il que l’éditeur ne rentre pas dans ses frais tant qu’il n’a pas vendu le premier tirage d’un livre ? Sait-il aussi que les librairies ne font que 40% de profits sur la plupart des titres vendus, 30% sur les livres spécialisés, 10% sur le scolaire et 20% sur les revues ? Si on enlève tous les frais pour faire fonctionner une librairie, il reste à peu près 35% de remise. En comparaison, les boutiques de vêtements font du 2, 3 ou 400% de profits sur la marchandise (vous devinez bien que c’est le Chinois ou le Pakistanais qui payent la note au bout du compte !).
Commence-t-on à comprendre pourquoi la plupart des librairies ne peuvent pas rivaliser avec la coupe de prix qu’on retrouve chez Costco, Amazon, Archambault et certains autres joueurs ?
Quand j’ai commencé à travailler en librairie en 1989, le livre n’était pas encore devenu un objet commercial. Les coupes de prix comme on les connaît aujourd’hui n’existait pas et on n’entendait jamais un client dire que le livre au prix régulier était cher. Tous les libraires bénéficiaient de la part du gâteau généré par les « best seller ». Si vous ne le saviez pas, ce sont ces « best seller » qui ont toujours permis aux librairies de survivre et surtout d’offrir un fonds digne de ce nom. Tenir un bon fonds dans une librairie est ce qui coûte le plus cher. Moins de ventes = moins de fonds. Moins de fonds = moins de choix. Équation simple.
La commercialisation capitaliste du livre est la pire chose qui pouvait lui arriver et, 20 ans plus tard, on en paye le prix. Les premiers à tomber au combat, ce sont les librairies indépendantes. On en parle depuis longtemps, mais l’hécatombe commence. Boule de neige et Librairie Blais viennent de tomber au combat. Les éditeurs ensuite. Fides est en train d’agoniser, vous le saviez ça aussi ? Ça fait plus que m’attrister, ça me serre le cœur. J’ai peur de ce qui s’en vient. S’il n’y a que de gros points de vente commerciaux, quel choix restera-t-il aux consommateurs ? De la littérature dite populaire uniquement qu’on achètera à l’épicerie ?!
Je vous dis ça aussi comme ça, mais le monde du livre ça fait travailler pas mal de monde. Je suis un de ceux-là.
Je veux être alarmiste : c’est ce qui nous attend si on continue d’acheter des livres au « bas prix de tous les jours ». En même temps, je me dis que si c’est ce que les gens veulent…
Je vous dis ça aussi comme ça, mais le monde du livre ça fait travailler pas mal de monde. Je suis un de ceux-là.
Savez-vous que dans certaines grandes surfaces, comme on le fait pour la nourriture dans les supermarchés, il est possible de payer pour que nos livres soient bien en évidence sur les tablettes ? Qui paye ? L’éditeur. Pensez-vous que tous les éditeurs ont les moyens de le faire ? Savez-vous aussi que ce sont les éditeurs qui payent pour avoir un ou plusieurs titres dans les catalogues de Noël des librairies qu’elles soient indépendantes ou pas ? En moyenne, il en coûte plus de 500 dollars pour avoir un titre gros comme un timbre de poste sur une circulaire. Pensez-vous que tous les éditeurs en ont les moyens ?
Pensez-vous, grand public, que vous économisez vraiment 10 dollars sur le dernier Michel David quand vous l’acheter au Costco ? Combien vous coûte votre panier à la sortie ? En moyenne, probablement près de 300 dollars. Je le sais, j’y suis déjà allé quelques fois au tout début. Tout comme vous, les prix m’excitaient. Je n’avais besoin d’à peu près rien et je ressortais avec une facture frôlant les 200 dollars, budget que je n’avais même pas. On appelle ça du capitalisme à l’américaine. On nous donne l’impression d’économiser pour mieux nous faire dépenser. Le pire, c’est que ça marche avec la plupart des gens. Ça me pue au nez cette façon d’acheter très petit-bourgeois. Après, les gens se plaignent que c’est trop cher. Moi je dis que ce n’est pas encore trop cher. J’ai hâte qu’on paye les choses à leur juste valeur.
Avant de vous laisser, je vous recommande la lecture du livre de Laure Waridel Acheter, c’est voter. Nos choix de consommation sont politiques. Il faut en être conscient. Si on continue de s’en foutre, tant pis. Par contre, après, il sera trop tard pour chialer et revenir en arrière.
11 réflexions au sujet de « Chacun son métier #9 »
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Excellent billet mon frère!
Hum, que répondre?
Un commentaire , un grand cri du coeur plein de question ce billet. Cela se comprend.
Mais…faut aussi se poser la question, pourquoi le lecteur qui achète un livre; le consommateur finalement fait-il ce choix?
Perso, je lis beaucoup, énormément même. Lorsque mon pouvoir d’achat a diminué pour différentes raisons dont l’économie, je me suis dit: » allons a la bibliothèque! » Mais j’aime le livre en tant qu’objet, j’aime l’avoir chez moi, à moi, j’aime bouquiner en librairie. La bibliothèque n’était pas pour moi.
Donc, j’ai pris la décision d’acheter en format poche quitte a lire le best seller après tout le monde. Ok, pas bon pour le libraire, mais mon budget ne me permet pas d’acheter mes 3 livres par semaines en édition grand format.
Je n’achète que très très rarement dans les grandes surfaces. Par soucis du libraire. Mais, ou sont-ils les libraires maintenant? La personne derrière le comptoir qui me suggère de bon livres, me connait, m’amène vers des sentiers inconnu mais passionnants? On n’en retrouve que très peu même dans les librairies indépendantes.
Alors je me rabat sur le web. Les blogues lecture, les amis, etc. Il n’y a même plus de bon critique littéraire!
Alors, monsieur et madame Tartanpion ne voient pas du tout la différence entre grande surface et librairie quand on est servi par des gens qui ne connaissent rien en littérature.
Et je vais continuer à bouquiner dans les librairies pour l’ambiance!
Un retour pour le moins électrisant cher Éric. Merci pour cette excellente montée de laid. Et oui, pourquoi pas un prisunic pour toutes les publications ? Heureusement il reste quelques bons libraires mais pour combien de temps encore ?
Louise
J’ai mis la main hier sur un livre portant sur l’édition au Québec de 1960 à 1977. Un premier constat: très peu d’éditeurs ont survécu jusqu’à aujourd’hui.
C’est l’ensemble de la chaîne du livre qui est sous-respirateur en 2010. C’est ça qu’on veut?
Très bien, j’aime le billet.
Je connais quelques librairies indépendantes, mais il serait intéressant peut-être d’en lister quelques-unes pour ceux qui ne connaissent rien au monde du livre et qui voudraient faire leur part.
Je suis artiste peintre et je me suis sentie concernée par votre billet… Les galeristes et les artistes ne vivent-ils pas la même problèmatique?
Les reproductions »cheapettes » (produits d’Asie )des grandes surfaces conviennent tout-à-fait au consommateur. Les galeristes ont un tout petit marché,et vivent eux-aussi grâce à leurs artistes vedettes, ce qui limite le nombre d’artistes bien représentés.
Les bonnes galeries n’exploitant pas l’artiste sont en voie d’extinction, et les artistes crèvent de faim.
Ce n’est pas dit nulle part, mais les éditions Trois-Pistoles ne vont officiellement pas bien non plus…
Très intéressant de lire tous ces faits dont tu parsèmes ton texte. Non, la majorité d’entre nous n’est pas au courant de toutes ces choses.
Et je suis malheureusement comme Josée, j’achète de plus en plus rarement un livre. Question budget et aussi de place. Ayant moins d’argent, j’ai aussi un appartement plus petit, ce qui veut dire que je ne sais plus où mettre mes bibliothèques.
Mais il y a définitivement un sérieux problème quand on paye le best-seller à prix dérisoire chez Costco, Wal-Mart ou autre grande chaîne.
Achetez moins, mais achetez bien. C’est un peu ça qu’elle dit Mme Waridel, non? Je l’aime beaucoup, celle-là.
Je pense à la segmentation du marché et au profil du consommateur et je me pose la question suivante :
Est-ce que les gens qui achètent leurs livres chez Costco – à ce que j’ai pu comprendre, chez Costco, on ne trouve que certains Best-Sellers – sont les mêmes gens qui fréquentent Pantoute ou Port-de-tête? Pour être plus pointu, est-ce que le profil du lecteur qui s’approvisionne chez Costco correspond à celui qui traine chez Le Fureteur?
Peut-être suis-je naïf, mais je crois que non.
Je pense que le livre, pensé comme marchandise, s’en vient de plus en plus obsolète, non rentable (l’a-t-il jamais vraiment été?). Je pense que ces petites morts qui nous révoltent tant ne sont que les premiers symptômes d’une migration qui s’opère tranquillement. Le livre se passera de librairies : il se vendra (encore mieux) sur le web. Oui, la chaine du livre fait travailler une tonne de gens. Mais je pense que cette chaine va bientôt se rompre. Les imprimeries sont dans le rouge. Les librairies ferment. Les éditeurs n’ont jamais joint les deux bouts. Ne mettez pas le tord sur Costco : chez Costco, même si on trouvait du Claude Gauvreau, personne ne l’achèterait. La chaine du livre a voulu mercantiliser au plus haut point son produit; elle est maintenant victime de ses vieilles ambitions.
Ton cri du coeur est rafraîchissant, Éric! Dans mon entourage, on dirait que je suis la seule à défendre les librairies indépendantes! On me regarde comme une extra-terrestre avec mon sac réutilisable sur lequel figure le logo des LIQ… Mais comme plusieurs, je dois avouer que j’achète de moins en moins de livres en raison d’un budget restreint. Malgré tout, je tiens à faire ma part en boycottant les magasins à grande surface. Des solutions? En parler, comme tu viens de le faire, et en parler encore. Surtout, sensibiliser les jeunes générations, car ce sont elles qui feront la différence, à mon avis.
Ça fait du bien. Aux lecteurs et à l’auteur!
J’avais remarqué le texte de Foglia, une « anomalie » dans le milieu médiatique. La presse (journalistes et entreprises)n’a jamais manifesté de grandes sympathies pour le camp que tu défends. Ça va peut-être changer maintenant que les médias écrits vivent leur propre crise.