La mémoire du Septentrion

Avec son autorisation, nous reproduisons, dans son intégralité, un article du journaliste René Boulanger paru dans le dernier numéro du journal Le Québécois. À sa façon, il rend hommage au Septentrion.
« Le septentrion, c’est le Nord en langage poétique. C’est aussi le nom d’une maison d’édition que j’aime bien. Elle s’est donné le mandat de publier du livre d’histoire et c’est bien pourquoi l’on traite souvent de ses parutions dans nos pages.
Elle a déjà publié des ouvrages colossaux tels L’Iroquoisie de Léopold Desrosiers, le travail de toute une vie, de même que Empire et Métissage de Gilles Havard, le plus important ouvrage sur la rencontre amérindienne et française dans ce qu’on appelait les Pays d’en Haut, bref l’intérieur de l’Amérique.
Là, où elle se dépasse, c’est lorsqu’elle se met en frais de publier ce qu’on appelle des sources. Bref des récits, journaux ou mémoires écrits par des témoins réels d’événements historiques. Cette publication est méritoire car elle n’intéresse la plupart du temps que des spécialistes. Ces publications publiées le plus souvent à perte sont néanmoins essentielles à la pratique de l’histoire.
En sortant des ouvrages généraux, l’amateur peut juger de la valeur des thèses historiques qui s’affrontent dans le champ de la recherche. Ainsi, en écrivant La Fin des Alliances franco-indienne l’historien Denis Vaugeois a remis à l’avant-plan l’importance stratégique que la Nouvelle-France accordait à son système continental d’alliances amérindiennes. Puisant abondamment dans une source à peu près inutilisée car introuvable, Mémoires sur la dernière guerre de l’Amérique septentrionale de Pierre Pouchot, Denis Vaugeois, le directeur de Septentrion a eu le bon génie de publier cette source éminemment précieuse dans une édition critique sous la direction de Catherine Broué. Du grand travail d’historienne.
Cet ouvrage fourmille de faits étonnants sur l’intense diplomatie déployée par les commandants des forts de l’ouest en coordination avec le gouverneur Vaudreuil lors de la guerre de Conquête. Lorsque les nations Iroquoises basculent dans le camp anglais, Pierre Pouchot rencontre des émissaires Iroquois et leur révèle la portée stratégique de leur choix : la destruction future de l’Iroquoisie par les Yankees.. Mais ils redoutent déjà ce choix et acquiescent même à ses propos. Car ils voient bien que l’équilibre est rompu entre les puissances et ne pourront plus louvoyer entre les deux camps.
Bien expliqué par Denis Vaugeois, le témoignage direct de Pouchot est encore plus éclairant. Mais l’on ne saurait se contenter uniquement des sources et à l’inverse les synthèses historiques demandent à être approfondies. Cette politique d’édition est donc ce qu’il y a de mieux.
Aujourd’hui, Septentrion poursuit dans la même veine, la maison vient de publier deux sources également introuvables au Québec, des récits de témoins anglais qu’on s’est enfin donnés la peine de traduire. D’abord : 1760, les derniers jours de la Nouvelle-France recueil de journaux britanniques traduits par M.Réal Fortin. Au dire de M.Fortin, ces sources ont peu été utilisées par les historiens québécois car peu accessibles. On le croit sur paroles.
Une autre traduction encore plus récente publiée ici est celle d’Alexander Henry témoin de l’attaque du fort Michillimakinac lors de l’insurrection amérindienne de 1763 commandée par le célèbre chef Pontiac. Le récit d’Alexander Henry qui échappe à la mort en se réfugiant dans la maison de Charles Langlade trafiquant métis qui a tenu un rôle important lors de la guerre de Conquête, nous est bien connu par les descriptions de l’historien américain Parkman. Il revient souvent dans toutes les évocations de la guerre de Pontiac reprises dans les ouvrages généraux ou les productions littéraires. Par contre, rien ne vaut l’original et encore mieux sa traduction.
En présentation de presse, Georges Brissette, le traducteur de l’ouvrage nous confie qu’il a tout bonnement découvert le récit d’Alexander Henry lors d’une visite au fort Michilimachinac. C’est donc presque le hasard qui nous vaut de redécouvrir cet important témoignage sur les luttes et la vie amérindiennes. Ce bel effort des éditions du Septentrion pour offrir à notre époque ces témoignages de notre histoire méritent donc d’être salué. Mais en même temps, on peut conclure qu’il devrait faire l’objet d’une véritable politique de l’état québécois et devenir une pratique systématique encouragée par un fonds spécial dédié à cet effet.
En attendant, il faut participer nous-mêmes à ce travail de la mémoire en se donnant la peine d’acheter ces récits trop longtemps oubliés. »