Conclusion. Les aventures de Radisson – Supplément numérique

 

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Couverture Radisson T3CONCLUSION

Contexte historique de L’année des surhommes

L’implantation permanente des Français dans la vallée du Saint-Laurent – Champlain fonde Québec en 1608 – repose sur la traite des fourrures, plus précisément sur le commerce des fourrures de castor. Les artisans européens fabriquaient avec cette fourrure un feutre de grande qualité qui servait à la confection de chapeaux portés par les riches aristocrates et les bourgeois. Cette activité était très lucrative.

Comme le commerce des fourrures nécessitait la participation des Amérindiens, qui chassaient le castor et apprêtaient les peaux, Champlain a cru bon de nouer dès 1609 une alliance privilégiée avec les Hurons, qui mettaient à profit le réseau de partenaires commerciaux qu’ils avaient constitué depuis des décennies, bien avant l’arrivée des Européens, pour acquérir et apporter beaucoup de fourrures aux Français. Dans les années 1630, cette alliance a été renforcée. À cette époque, les Hurons fournissaient environ la moitié des fourrures de castor que les Français de la colonie expédiaient en Europe. Les Hurons étaient aussi une nation sédentaire qui pratiquait l’agriculture et, de ce fait, était jugée plus proche des Français que les nations autochtones nomades de chasseurs-cueilleurs.

En 1639, les missionnaires jésuites établissent une mission permanente au pays des Hurons. Leur objectif est de les convertir au catholicisme et, si possible, d’en faire presque des Français. Cette mission religieuse se double bien sûr d’un volet commercial axé sur la traite des fourrures. Mais le projet tourne mal. La transformation que veulent imposer les jésuites est trop radicale et plusieurs Hurons s’y opposent. Les Français apportent aussi, sans le savoir, des maladies bénignes pour les Européens, mais mortelles pour les Amérindiens qui n’ont pas développé les anticorps qui les protégeraient de ces maladies jusque-là inconnues en Amérique. Enfin, les Français, qui sont en minorité parmi les Hurons, hésitent à leur fournir des armes à feu, afin de conser- ver leur suprématie dans un milieu sous tension. Au bout de dix ans, en 1649, la communauté huronne est diminuée par les maladies et profondément divisée sur la présence des Français parmi eux.

En 1639, les missionnaires jésuites établissent une mission permanente au pays des Hurons. Leur objectif est de les convertir au catholicisme et, si possible, d’en faire presque des Français. Cette mission religieuse se double bien sûr d’un volet commercial axé sur la traite des fourrures. Mais le projet tourne mal. La transformation que veulent imposer les jésuites est trop radicale et plusieurs Hurons s’y opposent. Les Français apportent aussi, sans le savoir, des maladies bénignes pour les Européens, mais mortelles pour les Amérindiens qui n’ont pas développé les anticorps qui les protégeraient de ces maladies jusque-là inconnues en Amérique. Enfin, les Français, qui sont en minorité parmi les Hurons, hésitent à leur fournir des armes à feu, afin de conserver leur suprématie dans un milieu sous tension. Au bout de dix ans, en 1649, la communauté huronne est diminuée par les maladies et profondément divi- sée sur la présence des Français parmi eux.

C’est à ce moment que leurs ennemis de longue date, les Iroquois, profitent de leur accès privilégié aux marchandises européennes que leur fournissent les Hollandais établis près de leur pays, dans les villes actuelles de New York et d’Albany, pour attaquer les Hurons affaiblis. Notamment grâce aux centaines d’armes à feu qu’ils ont acquises, les Iroquois remportent une victoire totale. En deux offensives successives, en 1649 et 1650, ils anéantissent le pays des Hurons. Les partisans des Français sont massacrés, ou prennent la fuite dans toutes les directions, et les Hurons qui s’étaient opposés aux Français sont adoptés par les Iroquois. Après 1650, le rôle des centaines de survivants hurons, dispersés entre Québec et des affluents du Mississippi, à l’ouest du lac Supérieur, sera parfois précieux (notamment lors des négociations de la Grande Paix de Montréal, en 1701), mais jamais comparable à l’influence que cette puissante nation exerçait avant 1650.

Le vide créé par la défaite et la dispersion des Hurons aura un impact majeur. Forts de leur grande victoire, les Iroquois feront la chasse aux Français et aux alliés autochtones des Hurons et des Français, qui se déplacent en majorité vers l’ouest, dans des régions fort éloignées du pays des Iroquois. Les Français ignorent tout de ces régions. La traite des fourrures s’effondre alors et les quelque 2 000 habitants de la jeune Nouvelle-France plongent dans une crise qui ne se résorbera complètement qu’en 1667, lorsque Français et Iroquois feront la paix.

Même si d’autres sources d’approvisionnement en fourrures existent dans les années 1650, la situation est si critique qu’une partie des Français de la colonie craignent purement et simplement de devoir abandonner la Nouvelle-France. C’est dans ce contexte que Radisson et Des Groseilliers jouent un rôle crucial. Des Groseilliers est le premier à raccompagner dans les Grands Lacs un groupe d’Amérindiens venus s’approvisionner dans la colonie en 1654, afin de lutter à armes égales contre les Iroquois. Lors de ce voyage de deux ans, Des Groseilliers explore le lac Michigan et une petite partie du lac Supérieur. Il ramène en 1656 une abondante cargaison de fourrures qui sauve la Nouvelle-France de la ruine.

En 1659, la trêve entre Français et Iroquois qui avait facilité le premier voyage de Des Groseilliers est terminée. Les Iroquois ont repris les hostilités. Le second voyage de Des Groseilliers, cette fois accompagné de Radisson, est donc beaucoup plus périlleux. Ces deux beaux-frères (Des Groseilliers est marié à l’une des sœurs de Radisson) raccompagnent encore une fois un groupe d’Amé- rindiens venus s’approvisionner dans la colonie en marchandises françaises. Cette fois, les deux beaux-frères explorent ensemble une grande partie du lac Supérieur. Ils se rendent même plus à l’ouest, jusqu’au pays des Sioux, et ils participent à un grand rassemblement autochtone qui a pour objectif principal de réorganiser le réseau de partenaires autochtones qui pratiquent la traite des fourrures. La majorité des Premières Nations que Radisson et Des Groseilliers rencontrent lors de ce voyage n’ont jamais eu de contacts avec des hommes blancs.

Au-delà du succès commercial que remportent Radisson et Des Groseilliers en 1660, en ramenant une quantité record de fourrures qui sauve de nouveau la colonie de la ruine, ce périple marque une étape importante dans l’évolution des relations entre les Français et leurs alliés des Premières Nations.

Champlain, en son temps, avait bien évalué le rôle que le petit nombre de Français de la Nouvelle- France pouvaient jouer auprès des partenaires autochtones avec lesquels ils transigeaient. Il leur a offert d’agir en arbitre, en conseiller, en promoteur de la paix, tout en s’engageant à combattre à leurs côtés si c’était nécessaire. Il leur promettait surtout de les approvisionner en marchandises françaises.

Par la suite, les jésuites et les autorités de la colonie ont modifié cette forme de partenariat relativement équilibrée, qui respectait la culture et la gouvernance autochtones. Les missionnaires ont tenté d’imposer une transformation profonde des communautés autochtones. En 1650, après l’échec de la mission jésuite en Huronie, puis de nouveau en 1657, après le nouvel échec de la mission que les jésuites ont brièvement établie au pays des Iroquois, à la faveur de la trêve entre ces deux nations (voir le tome 2 des Aventures de Radisson), Des Groseilliers et Radisson avaient assez d’expérience et connaisaient suffisamment les Premières Nations pour savoir qu’il fallait revenir à la relation d’alliance plus équilibrée du temps de Champlain.

Comme le raconte Radisson dans son récit de voyage au lac Supérieur, les deux beaux-frères ont proposé aux Amérindiens une alliance plus réaliste, moins envahissante, qui deviendra la politique officielle de la Nouvelle-France à l’égard des Premières Nations à compter de 1701 (à la faveur de la Grande Paix de Montréal), et ce, jusqu’à la fin du Régime français. Cette politique consistait à favoriser la paix entre les nations amérindiennes en jouant un rôle d’arbitre entre elles, afin de régler leurs conflits à l’amiable, dans la mesure du possible. Si cela était nécessaire, les Français s’engageaient aussi à combattre aux côtés de leurs alliés. Enfin, au cœur de l’alliance, les Français s’engageaient à répondre aux besoins de leurs alliés amérindiens en marchan- dises européennes, comme le ferait un bon père de famille. En échange, les Premières Nations alliées aux Français s’engageaient à les approvisionner en fourrures, à les accueillir parmi elles et à combattre à leurs côtés au besoin.

Lors du voyage de 1659-1660, Radisson et Des Groseilliers se sont retrouvés au milieu de milliers d’Amérindiens de nations différentes, dont plusieurs leur étaient inconnues et potentiellement hostiles, dans un territoire inexploré fort éloigné de la Nouvelle-France. À leur manière, ils ont pris l’initiative de proposer un renouvellement de l’alliance franco-amérindienne sur une base plus équitable et plus satisfaisante aux yeux des Amérindiens. Ils savaient que plusieurs d’entre eux étaient déçus des résultats de l’alliance avec les Français, à cause de l’effondrement de la nation huronne et du rapport de force qui favorisait désormais les Iroquois. C’est pourquoi le voyage de 1659-1660, et la redéfinition de l’alliance franco-amérindienne que proposaient Radisson et Des Groseilliers, est un tournant dans l’histoire de la Nouvelle-France. L’alliance franco-amérindienne s’en trouvera renforcée et son maintien à long terme, favorisé.

Dans les décennies suivantes, plusieurs autres personnages historiques vont alimenter le partenariat entre les Français et les Premières Nations. Un partenariat qui, bien qu’imparfait, s’avérera plus durable et plus équilibré que partout ailleurs dans les deux Amériques. Le rôle historique de Radisson et Des Groseilliers n’en demeure pas moins crucial, car il intervient à une période critique, et qu’il a l’avantage d’être bien documenté, grâce aux écrits de Radisson qui éclairent un pan généralement obscur de notre histoire.

Le rôle de ces deux aventuriers ne se limite donc pas à un important apport économique. Ils ont aussi apporté une contribution diplomatique significative en revalorisant l’image des Français auprès des Premières Nations, en consolidant l’alliance qui existait et en étendant l’influence française à de nouvelles nations et à de nouveaux territoires. Ils ont utilisé au maximum leur aura d’êtres extraordinaires venus d’un autre monde auprès des nations qui n’avaient jamais rencontré d’hommes blancs, tout en faisant preuve de qualités très appréciées des Amérindiens, comme l’endurance, le courage, l’éloquence, le talent de chasseur, celui de guerrier, et la capacité à s’exprimer dans leurs langues et de se conformer à plusieurs de leurs coutumes.

C’est ainsi que, par leur audace, leur clairvoyance, leur force physique et la force de leur caractère, Radisson et Des Groseilliers ont servi les intérêts de la Nouvelle-France et des Premières Nations qui s’étaient alliées aux Français. Leurs exploits témoignent de la réalité spécifique de la petite colo- nie française établie sur les rives du Saint-Laurent, au 17e siècle, dont l’existence dépendait du main- tien d’étroites relations avec les Amérindiens.

L’année des surhommes, et plus généralement les trois tomes des Aventures de Radisson sont des romans qui respectent fidèlement les faits historiques et les grands enjeux des années 1650-1660, tant en Nouvelle-France que dans les territoires habités par les Premières Nations qui étaient en contact avec les Français. J’espère ainsi mieux faire connaître, comprendre et surtout aimer un volet méconnu de notre histoire.

Martin Fournier, Historien, Ph. D.