Le travail premier d’un écrivain est celui d’écrire afin de concocter des univers qui sauront rejoindre les gens. Le plus grand nombre est évidemment souhaitable.
À l’heure où les éditeurs se mettent pratiquement tous en mode marketing pour faire vendre le plus de livres possible en récupérant tout ce qui est récupérable et en copiant les stratégies du voisin, on est en droit de se demander si on ne fait pas fausse route en travestissant ainsi un si bel univers .
Le travail de l’écrivain est-il si marchandisable?
Je ne crois pas et je tiens ce discours depuis longtemps. Un éditeur qui met tout le paquet sur une promotion gigantesque réussira certainement à faire vendre un peu plus d’exemplaires qu’il s’il n’avait rien fait. Mais ce n’est pas ça qui fait la différence. C’est le bouche à oreille. C’est donc dire que la base de tous les résultats de vente de livres nous ramène au texte avec lequel le lecteur a rendez-vous. C’est le travail de l’écrivain (ou de l’auteur) qui fait cette différence.
Je crois fondamentalement que chaque livre rencontre le nombre de lecteurs qu’il doit rencontrer et il n’y a rien d’ésotérique dans mon propos. Il y a pleins de facteurs qui influence cette rencontre : le sujet, le style, les personnages, l’univers, le contexte, les idées, le contenu et tous ces détails infimes qui se retrouvent dans chaque livre. Le succès est imprévisible, en quelque sorte.
Qui aurait pu prévoir que L’élégance du hérisson de Muriel Barbery atteindrait le demi million de ventes un an après sa parution? Le tirage initial de Gallimard était de 5000 exemplaires. Le succès de ce roman atypique s’est construit lentement et il ne fait que s’accroître de semaines en semaines. Il est arrivé la même chose à Anna Gavalda après la sortie de son recueil de nouvelles Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part publié, à l’époque, chez un tout petit éditeur Le Dilettante faisant, cette année là, la barbe aux gros joueurs de l’édition française.
Ces livres sont-ils meilleurs pour autant. La réponse est non. Ils ont tout simplement eu une grande résonnance dans l’imaginaire des gens.
Difficile à prévoir tout ça. Quand les ventes ne suivent pas, c’est pareil. Après avoir lu Falaises d’Olivier Adam à sa sortie, j’aurais aimé le faire lire à tout le monde tellement il m’avait pris aux tripes. Je n’ai convaincu qu’une poignée de gens.
Personnellement, je pourrais être déçu du rendement de mes deux publications. Pourtant, je ne le suis pas. J’ai rejoint les lecteurs que j’avais à rejoindre. Je suis conscient d’écrire des romans très introspectifs aux univers troubles et sombres qui n’attirent pas nécessairement les foules. Je croyais que Cher Émile allait avoir une plus grande résonnance, mais ça ne s’est pas produit. Le sujet de l’homosexualité en a freiné sa course. J’ai écrit le roman que j’avais à écrire et je réécrirais le même si c’était à refaire.
8 réflexions au sujet de « Chacun son métier #7 »
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J’ajoute à cette ébauche de réflexion, fort intéressante par ailleurs, que certains sujets sont universels et ont une forme accessible alors que d’autres intéresseront des « cibles » plus étroites. Certains écrivains empruntent un chemin moins fréquenté, dans la forme ou sur le fond, et seront considérés comme original (avec la réconpense d’avoir suivi une démarche d’une telle originalité) ou, au contraire, plutôt hermétique (mais pas nécessairement moche).
Également, un même auteur peut nous toucher, par exemple, s’il fait appel à une expérience passée vécue ou s’il joue dans une de nos blessures mais nous laisser plus indifférente dans le cas contraire.
Mais un second auteur aura tôt fait de nous séduire simplement parce qu’il utilise un humour qui nous rejoint ou par l’originalité de l’angle par lequel il aborde les sujets, quels qu’ils soient.
Il me semble que si la sphère de la commercialisation à outrance pénètre dans cette zone franche, si toutes les maisons d’édition abordent le livre comme un objet de commerce – et de commerce uniquement -, il y a une grande perte au niveau de la diffusion de la création. Il y a là une incompréhension des dirigeants de ces boîtes et même un certain mépris.
Bien sûr, je comprend aussi qu’on doive en vivre.
Zab, je trouve vos propos très pénétrants. Je les partage.
Merci pour cette note Éric, elle m’encourage alors que je suis en période de remise en question. Je me suis égaré en chemin depuis ma dernière publication et il me faut tout recommencer à zéro.
Écrire à l’Imparfait, comme si de rien n’était. Écrire peut-être ailleurs pour quelqu’un d’autre que soi, ailleurs ou ici, mais écrire, parce que c’est ce qui décore le reste. Comme avant, comme toujours, tout autant, et par amour, écrire toute la nuit au jour le jour. En attendant les prochains mots, en faire nourrir quelques autres…
Ne recommencez pas tout, M. Brisebois, continuez là où vous avez laissé. Dites-vous bien que la carrière d’un écrivain n’est pas une ligne droite et que le plus grand défi est de persévérer.
et bien oui, heureusement que le succès immédiat n’est pas la garantie d’une oeuvre de qualité. Il s’agit effectivement de tout autre chose. Ton idée de résonnance chez le plus grand nombre me séduit. Le facteur temps est très important. Un livre a tout son temps pour trouver ses lecteurs. A condition qu’il y ait des bibliothèques et des gens pour le conserver et en assurer la mise à disposition aux lecteurs potentiels, et qu’il ne soit pas sauvagement pillonné au bout de quelques mois…
Zab: tout comme Réjean, je suis totalement en accord avec vos propos
Patrick: ton bref commentaire très senti m’a beaucoup touché. Il y a quelques années, après ma mésaventure aux Intouchables, j’ai failli arrêter d’écrire. J’ai mis deux ans avant de me remettre à l’écriture. Elle prend maintenant une autre place dans ma vie. Tant mieux si j’aide ta réflexion.
Louise: toujours le mot poétique pour le dire
Sylvie: également d’accord avec tes propos. Pour la durée de vie d’un livre, peu importe ce qui le menace, il faut faire confiance aux lecteurs que le livre rencontrera! On voit de temps à autre des oeuvres renaître de leur cendre. Je pense au superbe « Vingt-quatre heures d’une femme sensible » récemment réédité par Phébus.
Je découvre ton blog via un com. sur Gabrielle Roy chez Anne . Je partage largement ton avis, et celui de Sylvie. J’aime à croire qu’un livre continue à vivre et à trouver des lecteurs longtemps après avoir été édité. Et c’est vrai que quand on est touché par un livre on a envie de convaincre tout le monde…