Certains lecteurs étaient impatients d’avoir mon avis sur la rentrée automnale. Voici une première livraison de mes impressions.
La mandragore de Jacques Lazure (soulières) : Exploitant le mythe de la mandragore sous toutes ses coutures, Jacques Lazure signe un roman pour adolescent enlevant qui tient la route du début à la fin. Sylvain Ravine n’est pas au bout de ses peines car on ne se lie pas avec cette racine maléfique sans coup férir aussi gentille puisse-t-elle se montrer… C’est gothique, c’est intelligent, c’est bon et on a envie de le faire découvrir à tous les adolescents.
C’est quand le bonheur? de Martine Delvaux (Héliotrope) : Une énième histoire d’amour que ce roman? Que non! Une belle et vibrante histoire d’amitié amoureuse. Il n’y a rien dans ce roman et en même temps, il y a tout. À pas feutrés, Martine Delvaux nous laisse pénétrer dans l’intimité de cette amitié entre un homme et une femme. Un roman intimiste porté par une écriture concise, simple et totalement dépouillée de tout artifice. Elle s’immisce en nous à notre insu pour finir par nous habiter complètement. Et la fin est très émouvante. Une heureuse surprise, une heureuse rencontre. L’un des meilleurs romans lus cette année.
Tom est mort de Marie Darrieussecq (P.O.L.) : Au-delà du scandale provoqué inutilement par une Camille Laurens complètement à côté de la plaque, Tom est mort, qui traite de la perte d’un enfant, est avant tout un bon roman qui me réconcilie avec l’auteur de l’étonnant Truismes. Moins organiquement flou que les derniers que j’avais lus d’elle et plus senti, Darrieussecq emprunte ici une voie intéressante. L’histoire aurait gagné en force si elle ne s’étirait pas sur trop de pages. L’exercice de deuil auquel nous convie cette femme dix ans après les événements finit par créer un sentiment de répétition au deux tiers du roman. L’exercice est toutefois réussi. Si vous avez envie de vous plonger dans ces eaux troubles, allez-y.
Un monde de papier de François Désalliers (Triptyque) : j’aurais aimé encenser ce dernier roman de François Désalliers que j’avais découvert avec L’Homme-Café. Le charme s’était poursuivi avec Un été en banlieue et voilà qu’il se rompt (temporairement j’espère) avec Un monde de papier. Tout le roman, ou presque, se déroule à l’intérieur des pages d’un magazine féminin alors que le personnage d’Henri y est propulsé bien malgré lui. Avec lui, on navigue de page en page et on découvre tout un monde statique, superficiel, désincarné et drôlement géré. Le cadre est parfait. On a vraiment l’impression d’être dans un magazine. Ce n’est pas mauvais du tout, mais je n’ai pas adhéré à sa prémisse de départ et ça m’a poursuivi jusqu’au bout de l’aventure. Déçu d’être déçu.
D’ailleurs de Gilles Jobidon (vlb éditeur) : il a fait son entrée en littérature de belle façon en remportant le Prix Robert-Cliche avec La route des petits matins un roman superbement écrit qui n’était pas sans rappeler Soie d’un certain Alessandro Baricco. Depuis, Gilles Jobidon fait partie de ces auteurs que j’aime suivre. D’ailleurs, un court recueil de sept nouvelles, brosse le portrait de plusieurs personnages au carrefour d’un segment de leur vie. On se promène au quatre coins du monde. Chacun des portraits est très réussi et chaque lieu est bien rendu, particulièrement celle intitulée Ly Sanh qui se passe à Saigon et qui nous ait raconté par un petit garçon. L’écriture de Jobidon est plus sobre et classique que dans ces ouvrages précédents et peut-être plus efficace parce que moins poétique et moins maniéré. C’est comme s’il avait cessé de se regarder écrire pour laisser toute la place à ses personnages et leurs univers. Et c’est nous qui en profitons. Un bon recueil, vraiment.
27 réflexions au sujet de « La tournée d’automne #1 »
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Je ne suis pas très ‘nouvelles’ mais Gilles Jobidon est un de mes auteurs préférés, peut-être mon auteur préféré… J’ai bien hâte de lire même si son style très poétique pourrait me manquer.
Avais-tu lu Morphoses?
J’aime ta manière concise et directe de rendre compte d’un roman et je suis très impressionnée par la quantité de livres que tu arrives à lire. Je t’envie, car cela exerce le jugement, c’est sûr. J’ai inévitablement le goût de « C’est quand le bonheur » et j’apprécie beaucoup toute suggestion pour adolescents. Merci.
L’Automne, la Pluie, la Lecture, avec les Auteurs que l’on découvre, ou redécouvre, encore un autre beau menu que vous nous proposez cher libraire, un menu alléchant qui me prévaudra sûrement un détour chez vous très bientôt, entre autre pour le Delvaux et le Jobidon, un auteur tout en soie. Merci.
Merci! Je note La mandragore pour mon « presque ado » qui lit boulimiquement. Quant à C’est quand le bonheur? je me le réserve pour un petit temps mort.
Je note « c’est quand le bonheur ». Pour Tom est mort, j’avais lu le très bon livre de Laure Adler « A ce soir » traitant de la mort de son fils, et j’avoue ne pas vouloir m’apesantir sur le sujet…
Hello ! C’est moi, Caro[line], la blogueuse française qui est venue te faire un coucou dans ta librairie. Je me décide enfin à te laisser un commentaire !
J’espère que dans tes prochains billets sur la suite de ta tournée d’automne, nous pourrons y trouver le dernier roman de David Foenkinos ou le dernier roman de Jean-Philippe Blondel.
A bientôt !
Entièrement d’accord avec toi pour Tom est mort; moi aussi j’avais détesté Truismes mais ce dernier roman me réconcilie avec Darrieussecq qui m’a montré qu’elle possède un vrai talent.
« Tom est mort » ne me tente absolument pas, par contre je prends note de « C’est quand le bonheur ». Merci pour cette sympathique tournée d’automne !
Merci de cette première tournée d’automne. J’aimerais bien connaître votre choix pour les prix du gouverneur général.
comme beaucoup, je note c’est quand le bonheur, moi j’avais beaucoup aimé truisme, et je suis vraiment tentée par tom est mort depuis sa sortie et malgré le scandale… Sinon, merci pour cette sélection comme toujours interessante.
C’est quand le bonheur ? est un très joli livre qui m’est apparu davantage comme le portrait d’un homme, peint par petites touches, que comme un roman proprement dit, car il manque peut-être un événement majeur qui aurait pu servir de fil conducteur au récit jusqu’à la fin. Quoi qu’il en soit, on y prend plaisir.
Les nouvelles de Jobidon m’ont quelque peu déçu. Je trouve que plusieurs d’entre elles ne dépassent pas le stade de l’anecdote. L’écriture est certes efficace, mais globalement ça manque de «punch».
Catherine: oui, j’ai lu « Morphoses » aussi. Des quatre, c’est celui qui m’a le plus échappé. Faut dire que je ne suis pas très poésie.
Venise: merci Venise. Je ne veux pas en rajouter, mais je ne mets pas tout ce que je lis sur mon carnet. Oui, oui, oui pour « C’est quand le bonheur ».
Louise: quand tu veux à la librairie (si ce n’est déjà fait car les 4 exemplaires de Martine Delvaux ce sont envolés rapidement
Danaé: pour « La mandragore », c’est plutôt du 13 ans et plus. Mais, à toi de juger. Oui, réserve le Delvaux.
Gambadou: à mon avis, « À ce soir » était supérieur. Tu as donc lu celui qu’il fallait sur le sujet.
Caro(line): c’était vraiment chouette notre échange à la librairie. Le Foenkinos et le Blondel ne sont toujours pas dans ma pile, mais sait-on jamais!
Sophie: j’avais beaucoup aimé « Truismes ». C’est après, avec « La naissance des fantômes » qu’elle m’avait perdu.
Florinette: choix très judicieux (si tu peux mettre la main dessus).
Réjean: je souhaite que ce soit le Trudel. Non, je blague évidemment. J’aimerais que ce soit « Mercredi soir au bout du monde ». Dis donc, tu es très rapide sur la lecture. Merci pour tes comptes rendus.
Sylvie: vas-y. Il y en aura au moins une autre tournée. Peut-être deux si mon rythme est bon. Merci.
Éric, je savais que vous blaguiez pour le Trudel (au fait, il vient de gagner le prix des abonnés des bibliothèques de Québec). J’ignorais qu’il demeurait dans la région. Je croyais plutôt qu’il restait en Beauce. Je n’ai pas lu le Rioux. Mais je crois que ça va être le Lalonde. En fait, tout est possible, car dans les titres il n’y en a aucun, à mon avis, qui se démarque du lot.
P.S. Je suis en train de lire le nouveau Lise Tremblay. Est-il dans votre PAL ?
Réjean: l’endroit où habite Sylvain Trudel semble être un mystère. Visiblement, il est toujours considéré comme un auteur vivant à Québec. Je suis aussi en train de lire « La soeur de Judith » de Lise Tremblay (mes commentaires dans la prochaine tournée…).
J’attendrai vos commentaires et je vous ferai les miens. Lise Tremblay déclarait dans La Presse de ce week-end qu’elle avait quitté Leméac parce qu’elle était en désaccord avec certaines décisions qui ne la concernaient toutefois pas. Vous qui êtes aussi dans l’édition, savez-vous de quelles décisions il s’agit ?
En ces temps d’aridité littéraire, j’ai découvert, chez Gallimard, un bref récit d’Hans Magnus Enzensgerger,: « Joséphine et moi ».Le prétexte de la rencontre entre un trentenaire et une dame de 75 ans n’est pas original mais l’échange qui se déroule entre ces deux personnages est d’une simplicité teintée d’humour et de sarcasme. Une belle découverte en cette mince rentrée automnale.
J’aimerais revenir sur le départ de Lise Tremblay et ses déclarations récentes sur ce sujet. Voici ma théorie. J’ai l’impression que Leméac a décidé de publier en priorité des nouveaux auteurs et que cela ne fait pas nécessairement l’affaire de certains auteurs maison. Cet automne, à part Élise Turcotte, dont le nouveau livre « Pourquoi faire une maison avec ses morts » m’est littéralement tombé des mains après une vingtaine pages (j’en ronfle encore rien que d’y penser), ce ne sont que des nouveaux auteurs qui ont été publiés. Qu’en pensez-vous ?
J’aimerais élargir le débat de mon intervention précédente en posant la question suivante : Quelles sont les raisons pour lesquelles un écrivain en vient à changer d’éditeur ? Cela m’intrigue. Si des écrivains veulent témoigner, ce serait intéressant. Je pense entre autres à Sébastien Chabot, qui je crois fréquente ce blogue, et qui va publier bientôt son troisième livre chez un troisième éditeur, si je ne me trompe pas. Est-ce tout simplement par défi ?
denis: je l’ai ajouté à ma longue liste de livres à lire.
Réjean: je ne saurais dire pourquoi Lise Tremblay a changé de maison d’édition. Votre analyse est intéressante. J’ajouterais que la venue de Jean Barbe comme codirecteur littéraire change la donne pour Leméac. Il tente d’apporter un nouveau souffle.
Sans doute que la venue de Barbe y est pour quelque chose.
Bonjour Réjean,
je ne suis pas auteur, simplement un libraire, ce que j’avancerai donc n’est que pure spéculation basé sur des trucs entendus au cours des années. Deux des nombreuses raisons qui poussent un auteur à changer de maison d’édition sont vieilles comme le monde: l’argent et l’égo!
L’argent, facile à expliquer. Nombres d’auteurs vendent leur manuscrit au plus offrant. Il faut bien vivre après tout.
L’égo c’est autre chose. Un auteur relativement établi (genre un auteur qui vend bien ou qui se mérite régulièrement l’éloge de critiques) peut ne pas accepter que son éditeur « ose » lui demander d’apporter des corrections à son récent manuscrit qu’il considère parfait ainsi! Il s’empresse donc parfois d’aller voir ailleurs où il sera évidemment traité avec tous les égards qu’il croit mériter. La nouvelle maison d’édition n’est que trop heureuse de rajouter ce « nom » à son catalogue et publiera probablement ce manuscrit sans y apporter un seul changement. Flattage d’égo.
C’est con, mais c’est souvent ça…
Pour l’ego, je ne suis pas surpris de votre commentaire. Les écrivains sont des artistes, après tout. Par contre, je ne suis pas sûr qu’ils vont nécessairement soumettre leur manuscrit à une nouvelle maison. Bien des maisons établies et reconnues vont se faire une joie d’accueillir un «transfuge».(N’est-ce pas ce qui est arrivé à Bruno Hébert dont le dernier livre a été publié par Leméac et non par Boréal ?) Quant à l’argent, je ne pensais pas, à part peut-être pour les grosses vedettes, que le fameux 10% que touchent les écrivains était négociable. Merci, Patrick, pour vos lumières.
Re-bonjour Réjean,
Bruno Hébert est un excellent exemple. J’ai un vague souvenir que dans son dernier roman il expliquait qu’il a envoyé son manuscrit à Boréal et à Leméac et que celui qui le paierait le plus cher aurait l’honneur de le publier (ou un truc du genre). Faudrait que je relise pour en avoir le coeur net, mais, honnêtement, l’idée de relire ce livre ne m’excite pas vraiment
Le fameux 10% est effectivement négociable, mais surtout lorsqu’on est un gros nom comme vous le précisez. Cependant, il n’y a pas seulement que les droits d’auteurs. Plusieurs maisons d’édition passent commandes à des auteurs en l’échange d’un gros montant (en s’assurant que l’auteur leur cède les droits d’auteurs). C’est une pratique courante chez Les Intouchables par exemple mais qui s’avère être un pari risqué pour les deux partis (parlez-en à Bryan Perro)
Il est fréquent également du côté de la France qu’un auteur change d’éditeur pour se donner plus de chance de gagner un prix littéraire majeur, surtout pour le Goncourt. Michel Houellebecq, Pascal Quignard et Shan Sa ne sont que quelques exemples récents d’auteurs qui ont fait un déménagement stratégique en jugeant que leur nouvelle maison d’édition était en meilleur position pour gagner le prochain Goncourt (ca a marché pour Quignard d’ailleurs).
Une dernière raison, toute simple. Un auteur est rarement fidèle à la maison d’édition, mais plutôt à son directeur éditorial avec qui il a longtemps travaillé. Il n’est donc pas rare que lorsqu’un éditeur respecté change de camp, « ses » auteurs le suivent peu de temps après. Par exemple, plusieurs auteurs policiers ont suivit Patrick Raynal lorsqu’il a quitté Série Noire pour Fayard Policier.
Merci, Patrick, c’est très intéressant. J’aimerais bien en parler à Perro, mais je n’ai pas l’honneur de le fréquenter. Que lui est-il arrivé au juste ? Donner une avance à un auteur, ça se fait en France et aux États. Mais ici au Québec, ça doit être très marginal, non ? Avez-vous une hypothèse à propos du départ de Lise Tremblay de chez Leméac ?
Réjean,
je n’ai pas l’honneur non plus de fréquenter Perro, mais j’ai entendu quelques trucs à travers les branches. Effectivement, les avances sont très rares au Québec, mais sont plus fréquentes que l’on croit. Ce que plusieurs maisons d’édition font régulièrement (particulièrement du côté jeunesse) c’est d’approcher un auteur et lui verser un montant fixe contre un manuscrit. En échange de ce montant-là, l’auteur ne touche aucun droits d’auteur. Parfois c’est bénéficiaire pour l’auteur, parfois pour l’éditeur. Je crois que c’est ce qui s’est passé avec Amos Daragon. D’ailleurs, M. Perro publie 2 ouvrages cet automne ailleurs que chez Les Intouchables. Coincidence?
Pour Mme. Tremblay, je ne spéculerai pas sur les raison de son transfert, mais je crois que le départ de sa directrice littéraire de chez Leméac (qui travaille maintenant aux Marchands de feuille je crois) a probablement contribué.
Patrick
Patrick, vous êtes une mine de renseignements. Perro a tout intérêt de publier ailleurs qu’aux Intouchables – d’ailleurs qui voudrait encore publier là ??? Quant à Lise Tremblay, votre hypothèse est intéressante et fort probable.
Restez sur le coup !