Archives pour la catégorie Denis Vaugeois

Le vrai défi de Marguerite Blais

La décision de madame Blais de quitter la politique me désole. Elle fait une erreur. Il y a urgence d’expliquer aux députés ce qu’on attend d’eux. Le premier ministre pourrait trouver là l’occasion d’amorcer une vraie réforme parlementaire. Il est certain que ses proches conseillers tenteraient de l’en dissuader, tout en convenant en leur for intérieur que tôt ou tard, il faudra rendre au parlement et aux parlementaires le rôle qui leur revient.

Madame Blais souhaite des défis. Comme députée, elle a l’embarras du choix, mais il y aurait possiblement un prix à payer. Outre les « défis » inévitables que pose chaque comté, il y a les innombrables questions qui peuvent faire l’objet de mandats d’initiative. Or, les plus intéressants sont rarement, c’est-à-dire jamais, autorisés par le bureau du premier ministre, quel qu’il soit.

Récemment, Patrick Lagacé expliquait pourquoi il ne serait pas candidat. Il ne veut pas devenir une plante verte. Les exemples ne manquent pas pour justifier pareille opinion.

Un député qui ose s’affirmer et s’interroger à haute voix sur les mérites d’un élément, même mineur, de la ligne de parti ou d’une orientation prise par le bureau du premier ministre prend place parmi les indésirables.

Sous le leadership de madame Marois, le dossier de l’amphithéâtre a fourni un triste exemple qui sera lourd de conséquences. Cette fois, les députés récalcitrants feront les manchettes, mais la plupart du temps les différends restent secrets. Ainsi on n’entendra jamais parler du refus d’autoriser une commission parlementaire sur un sujet que des députés souhaitent étudier en toute liberté et avec les moyens appropriés.

Un jour, les députés ont élu leur président au vote secret. Le premier ministre d’alors avait avalé de travers. Et pourtant, en vertu de quelle règle le premier ministre peut-il se croire autorisé à se prononcer sur le choix de la personne qui dirige l’institution chargée de surveiller l’exécutif ?

Madame Blais veut un défi ? Qu’elle regroupe quelques députés autour de l’idée d’instaurer le vote secret. Évidemment, ce serait autant de députés sacrifiés sur l’autel de la démocratie ou encore recrutés parmi ceux et celles qui n’attendent aucune promotion. À la réflexion, je crois que ce n’est pas une bonne idée. Trop, c’est trop. Un de ces jours, une telle proposition pourrait plutôt être présentée par la présidence et soumise précisément à un vote secret.

J’ai quand même deux sujets possibles à suggérer : la pertinence de maintenir une allocation de départ quand un député démissionnaire a droit à sa pension (surtout d’examiner la pertinence des mots « prime de départ » ou « salaire différé ») ou encore qu’une commission parlementaire se penche sur « l’affaire Michaud ». Après 15 ans, n’est-il pas temps de faire la lumière, quitte à devoir passer aux excuses. Madame Blais a une image qui donnerait du sérieux à semblable démarche, sans compter que les moments difficiles vécus ces derniers temps la rendent encore plus sensible à l’injustice.

Les parlements ont besoin d’élu(e)s sans autre ambition que celle de servir. Là est le vrai défi.

De l’exercice du pouvoir politique

À la suite de plusieurs autres journalistes, madame Rima Elkouri profite du 75e anniversaire de l’obtention du droit de vote des femmes pour s’inquiéter du faible nombre de femmes au conseil des ministres ou dans la députation.

Je me demande si comme bien d’autres elle ne se trompe de cible.

Le pouvoir n’est pas là où elle pense. Les ministres ont bien peu de pouvoir et les députés encore moins, surtout les députés ministériels. Pour avoir une juste idée de l’influence des femmes en politique, il faut regarder du côté des sous-ministres et encore davantage du personnel des divers cabinets.

Autrement dit, il y a surtout une réflexion à faire sur le pouvoir politique dans son ensemble.

André Marier – Trois décennies au service de l’État

Un jour, le premier ministre Jean Lesage aurait dit fièrement à son sous-ministre Claude Morin qui le raconte dans un de ses livres : « La nationalisation de l’électricité, c’est Lévesque, la Caisse de dépôt, c’est moi ! »

Au cours de la préparation du tome 5 d’Histoire populaire du Québec, dans lequel Jacques Lacoursière couvre la période de 1960 à 1970, nous avons interrogé plusieurs acteurs et témoins de cette période. André Marier avait répondu généreusement à notre appel. Je le vois arriver à nos bureaux avec des piles de dossiers bien ordonnés sur toutes les grandes questions de l’époque. On les trouvera aujourd’hui aux Archives nationales du Québec ; son fonds représente plus de 8 mètres linéaires de documents écrits, accompagnés de centaines de photographies et de bandes audio et vidéo. C’est une source magistrale d’analyses et de réflexions sur les questions qui dominent l’actualité, depuis le secteur minier et le domaine pétrolier jusqu’aux problèmes d’aménagement urbain ou ces devoirs de mémoire qui s’imposent dans des sociétés civilisées.

Né à Québec en 1932, diplômé en 1956 de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, l’économiste André Marier joint très tôt les rangs de la petite équipe qui entoure René Lévesque au ministère des richesses naturelles. Avec son groupe de travail, il établit la nécessité d’intégrer à Hydro-Québec les compagnies d’électricité privées. Son argumentaire est largement diffusé en particulier par le journaliste Paul Sauriol dans un essai retentissant publié en 1962 et préfacé par  René Lévesque.

À la même époque, André Marier participe également au comité chargé d’étudier la possibilité de transférer, d’une entreprise à l’autre, les fonds de retraite des salariés. Dans son programme électoral de 1960, le Parti libéral du Québec prévoyait l’établissement d’un tel fonds de retraite. La campagne en faveur de la nationalisation de l’électricité avait mobilisé toute l’attention, sauf celle d’André Marier, capable de mener de front plus d’un dossier. Ses réflexions sur la sécurité de la vieillesse l’amèneront à recommander la création de ce qui deviendra la Régie des rentes du Québec. L’étape suivante consiste à se demander qui sera le gestionnaire des fonds capitalisés. Les compagnies d’assurances et de fiducies s’activent pour éviter le spectre d’une caisse d’État. En mars 1964, un plan circule, celui d’une caisse de dépôt et de placement. M. Lesage suit la question de très près. Les pressions sont fortes.

André Marier lui-même rédigera le texte très fouillé qui constituera le devis de la Caisse, principal instrument financier de l’État et futur outil de développement économique du Québec.

À l’automne 1964, alors que les milieux financiers sont aux aguets et que des ententes ont été finalisées avec les autorités fédérales pour l’harmonisation d’un régime québécois avec celui du reste du Canada, André Marier part pour Paris en tant que stagiaire de l’ASTED ( Association pour l’avancement des sciences et des techniques de documentation). Nous sommes au début de la coopération franco-québécoise et les relations entre la France et le Québec se font au plus haut niveau. On raconte même qu’au retour de Milan en 1965, où il a inauguré un bureau du Québec, M. Lesage fait un arrêt à Paris où le président de Gaulle offre un déjeuner en son honneur. Le vol d’Air France ou d’Air Canada est retardé pour la circonstance. M. Lesage a parlé avec fierté de la décision de son gouvernement de  créer une caisse de dépôt inspirée du modèle français. Les dernières résistances et hésitations étaient tombées quelques mois auparavant à l’occasion d’une visite plutôt privée que M. Lesage avait faite au lendemain du « samedi de la matraque » qui avait marqué la visite de la reine Elizabeth II. André Marier m’a raconté.

Sous des dehors très calmes, Marier cachait un esprit espiègle et plein de ruses. Patrick Hyndman, le conseiller économique de la délégation, l’avait accueilli pour son cours stage d’à peine un mois. Tous deux partageaient les mêmes idées sur une éventuelle caisse de dépôt. Par expérience, Hyndman savait que les hommes politiques sont beaucoup plus disponibles quand ils sont à l’étranger. Hyndman dont la mère était française était un peu chez lui en France. Il connaissait tout le monde de la diplomatie et de la finance. Le mémoire de Marier sur une caisse québécoise rejoint ses idées. Il l’introduit auprès des responsables de la caisse française. Georges Plescoff, un adjoint du grand patron, M. Bloch-Lainé, prend connaissance de la proposition de Marier qui ne peut cacher les inquiétudes de son premier ministre. « Ce que vous me dites est fort intéressant, fait Plescoff, on va le convaincre votre premier ministre ! »

Il y a alors transition à la délégation générale de Paris, M. Jean Chapdelaine, futur chef de mission, doit succéder à M. Charles Lussier au début de 1965. Hyndman a les coudées franches. Avec la complicité des services français du protocole, il fait organiser un déjeuner – chez Lasserre- pour son premier ministre et suggère de doubler la largeur de la table pour favoriser les échanges entre voisins immédiats. Prescoff aura le premier ministre à sa merci.

Dans l’après-midi, M. Lesage fait réunir les cadres de la délégation. « Au cours de ce déjeuner, raconte Hyndman dans son journal personnel, on m’a convaincu de la pertinence de créer une caisse de dépôt et de placements à partir des fonds d’un régime universel de retraite.[…] Elle s’occupera de faire fructifier au mieux les cotisations des pensions au Québec. Elle aidera à financer les projets d’infrastructures et d’aménagement de notre territoire ».

André Marier jubile. Mais il a aussi d’autres projets. Il profitera de sa mission pour poser les jalons de la Soquem et de la Soquip, pour l’exploitation minière et pétrolière.

Les dernières hésitations de M. Lesage sont tombées. Le conseil des ministres prend les décisions appropriées. MM Claude Morin, Jacques Parizeau et Claude Castonguay se mettent au travail. M. Bloch-Lainé n’est jamais très loin, raconte-t-on.

Le 15 juillet 1965, deux lois reçoivent la sanction royale, celle qui crée la Caisse et celle qui institue la Régie des rentes. « C’était un jour triste de janvier 1966, rue McGill à Montréal, raconte le journaliste Mario Pelletier, […] Claude Prieur, de son pas raide de militaire, arpente d’un air pensif ce bureau vide qu’il vient de louer ». Il contemple le stylo qu’il a pris par distraction sur le bureau du premier ministre, le seul actif de la Caisse, l’entreprise ambitieuse qu’on vient de lui confier. « C’est ce qui s’appelle vraiment de partir de zéro ».

André Marier m’en voudrait certainement de ne pas souligner à quel point l’ouverture au monde et en particulier la coopération avec la France a soutenu cette détermination et cette fierté qui animaient les Québécois. Un seul dossier, comme celui de la Caisse, justifie amplement notre réseau de délégations à l’étranger et celui plus discret que tisse l’Association internationale des études québécoises.

Le prix réglementé

La proposition présentée par l’association des distributeurs au nom de la majorité des professionnels du livre est, à mon avis, un bon compromis. Chacun des partenaires de la chaîne a fait des concessions. Il en est ainsi depuis la mise en place de la loi du livre en 1981. Au nom de l’intérêt général, chacun des partenaires de la chaine du livre avait été amené à accepter de perdre un peu pour protéger l’ensemble. Le résultat a permis un secteur du livre qui fait l’envie de nos partenaires étrangers.

Il n’est pas inutile de rappeler le contexte des années 1970. Le milieu était mobilisé contre la mainmise des étrangers symbolisée par la « pieuvre Hachette ». À ce propos, je vous invite à parcourir un ouvrage récent de Frédéric Brisson intitulé précisément La pieuvre verte. Hachette et le Québec depuis 1950 (Leméac, 2012). Brisson est un jeune chercheur rattaché à l’Université de Sherbrooke.

La loi de 1981, dite loi 51, a été un véritable tour de force. Je retiens l’opposition des associations internationales et, disons-le, l’inquiétude manifestée par le gouvernement français. J’ai raconté tout ça dans L’Amour du livre que je vous ai fait remettre. Et pour celles et ceux qui pourraient s’inquiéter de mon sort par la suite, j’ai été béni par les professionnels, en particulier les bibliothécaires, qui m’ont honoré à plusieurs reprises. Mais la reconnaissance la plus inattendue est venue de la maison Hachette qui m’a recruté à mon départ de la politique. Au printemps 1985, je devenais le patron d’une maison d’édition qui appartenait à parts égales à Hachette et à Quebecor. Et pourtant notre loi avait forcé le démantèlement de l’important réseau de librairies Garneau-Dussault qui appartenait à 49 % à Hachette.

Après coup, Hachette et la plupart des opposants avaient réalisé que la loi avait structuré le marché et professionnalisé l’industrie du livre. Tout avait été extrêmement rapide. Il faut dire que la loi s’accompagnait d’un audacieux plan de développement des bibliothèques publiques. La Commission des affaires culturelles – comme on disait à l’époque – avait même siégé à Toronto pour observer les réalisations de nos voisins en matière de bibliothèques et de musées. Personnellement, je m’étais donné le défi de développer des lieux d’éducation populaire. À quoi bon l’école, s’il n’y a rien par la suite? Je considère que mon parcours personnel doit beaucoup à la bibliothèque des jeunes qui était située sur le chemin de mon école. Sa fréquentation a changé ma vie.

Vous ne croirez pas les chiffres que je vais vous donner. Ils proviennent de l’ouvrage de Brisson (p. 169). Ils m’ont surpris moi-même. « Le nombre de bibliothèques publiques au Québec, écrit-il, bondira, passant de 121 en 1979 à 849 en 1985 ». Ces chiffres sont exacts et s’expliquent en partie par les Bibliothèques centrales de prêts (BCP) dont j’avais accéléré l’implantation, faisant compléter le réseau entre 1978 et 1981.

Notre stratégie était simple : les livres devaient être accessibles partout au Québec grâce à un double réseau de bibliothèques et de librairies. Nous les voulions complémentaires. La loi imposera que les achats de livres se fassent en région auprès de librairies agréées. Les bibliothécaires, en échange de subventions plus importantes, ne pourraient plus acheter directement en Europe ou via les commissionnaires français qui les visitaient périodiquement. En outre, ils devraient renoncer à une remise de 15 % que consentaient les commerçants. En fait, tout le monde avait sa petite remise en librairie, de sorte que les prix étaient constamment ajustés à la hausse. En France, la FNAC accordait 20 % et exigeait une surremise de la part des éditeurs qui se voyaient forcés d’ajuster leurs prix en conséquence. Le prix unique autorisant une remise maximale de 5 % a rappelé tout le monde à l’ordre et les FNAC sont devenues de vraies librairies avec du personnel compétent et un vaste choix.

Je ne reviendrai pas sur les avantages du prix unique en France ou dans les pays où cette pratique a été implantée ni sur les conséquences désastreuses dans les pays comme la Grande-Bretagne qui l’ont abandonnée. Mais les résultats sont là et il faut être de mauvaise foi pour les nier. Je me demande d’ailleurs qui sont ceux qui alimentent certains médias en messages de malheur, dans le genre : les livres vont coûter plus cher, répète-ton, alors que l’exemple de la Grande-Bretagne montre bien que c’est le contraire qui est probable. Plusieurs pays l’ont compris, y compris Israël, selon les dernières nouvelles de ce matin.

Nous savons qu’au moment du sommet sur le livre et la lecture en 1998, Lucien Bouchard avait cédé aux arguments de lobbyistes, lesquels semblent avoir repris du service. La rumeur veut qu’ils se soient agités auprès de Jean Charest et ils s’activent sans doute aujourd’hui auprès de MM. Couillard et Legault ou de leurs collaborateurs. Probablement aussi auprès de madame Marois. En fait des géants comme Cotsco n’aiment pas se faire dicter des règles et ils réagissent négativement pour l’instant. Pourtant, ils sortiront gagnants. Les habitudes des consommateurs ne changeront pas le temps de le dire. Bref, ils risquent de faire de meilleures affaires. Et les libraires seront toujours là pour mettre au monde des best-sellers que les lecteurs iront acheter dans les grandes surfaces ou en pharmacies.

Si c’est ainsi, vaut-il vraiment la peine de se mobiliser pour un prix réglementé ? Les gens du livre sont des gens de principe. Ils ont aussi leur fierté. Ils n’aiment se faire dire par un client que ce dernier a pu se procurer trois titres de La Courte échelle, comme ce fut le cas dans le temps, pour le prix de deux en librairie. Vous m’avez bien compris, trois pour le prix de deux! À noter que ce fut le début des années noires pour cet éditeur qui avait été mis au monde par des libraires enthousiastes, fiers de pouvoir mettre de l’avant une littérature jeunesse bien québécoise. Sans mot d’ordre, les libraires ont spontanément boudé La Courte échelle. Je me souviens aussi d’avoir vu l’éditeur-libraire Pierre Lespérance en colère une fois dans ma vie. À sa librairie de Versailles, il venait de se faire traiter de voleur par un client qui comparait ses prix.

Certains s’interrogent, ou font semblant, sur la légalité d’une réglementation du prix du livre. Il y a pourtant des précédents sur d’autres produits, mais laissez-moi vous raconter un épisode peu connu des débats de 1980.

Les gens voyageaient de plus en plus et revenaient de France en comparant les prix. Il était évident qu’il y avait des abus quelque part. Nous avons décidé d’examiner les tabelles pratiquées, c’est-à-dire le taux de change augmenté de divers frais et de prise de profits. À l’époque, les taux de change variaient constamment. Nous avons pris la décision d’inclure dans les règlements un contrôle des tabelles. On a contesté ce droit et on nous a même menacé de porter l’affaire en Cour suprême.

Nous avons alors fait plusieurs petites découvertes. Il est apparu que le fédéral n’interviendrait pas. Les livres de langue française étaient considérés être de langue étrangère et étaient exempts de douanes. Nous avons aussi constaté une petite guerre entre le Canada anglais et les États-Unis. Il semblait y avoir des quotas qui incitaient les auteurs canadiens à se faire éditer aux États-Unis. Le fédéral répliqua finalement par divers programmes d’aide à l’édition dont le Québec a largement profité grâce au développement de l’édition qui a suivi la loi 51. Aujourd’hui encore, je crois que c’est un des rares programmes du fédéral qui accorde au Québec une part de beaucoup supérieure à sa population.

Il fut donc décidé que le ministère fixerait périodiquement le pourcentage des tabelles que les distributeurs devraient faire accepter par les éditeurs français qui leur confiaient leurs fonds. La loi obligeait les libraires à s’approvisionner auprès des distributeurs qui avaient négocié des exclusivités, mais ceux-ci devaient, pour avoir ce privilège, respecter les tabelles fixées. Le milieu s’est discipliné. Est-ce qu’avec les années, il y a eu relâchement ? Les propos de Blaise Renaud exprimés hier sont une invitation faite au ministère à rouvrir le dossier des tabelles, au moins le temps d’une vérification.

On questionne souvent le rôle des distributeurs. Certains voudraient les contourner comme dans le bon vieux temps. Pourtant, grâce à leurs clauses d’exclusivité, ils assurent la présence de stocks importants au Québec. Autrefois, il fallait souvent attendre deux mois pour obtenir le livre commandé.

Face à une chaîne ou un gros détaillant, un éditeur est vulnérable. On peut retarder un paiement, faire des retours non autorisés, l’éditeur peut toujours couper l’envoi de ses nouveautés. Le détaillant s’en fiche. Le distributeur qui menace de bloquer les nouveautés de plusieurs éditeurs a plus de chances de se faire respecter. En cas de faillite, et c’est arrivé il n’y a pas si longtemps, les distributeurs ont encaissé le coup.

Il faut que certaines choses soient dites. Pierre Renaud, le patron de Renaud-Bray, excellent libraire par ailleurs, avait appuyé la loi du livre, mais le développement des bibliothèques l’enthousiasma au point de vouloir faire disparaître des petites libraires voisines dont Hugo et Olivieri. Il se mit à consentir des remises de 20 % au public. Il se retrouva en situation de faillite et entraina avec lui la belle librairie Champigny de la rue Saint-Denis. Des distributeurs, la Sodec, la FTQ vinrent à la rescousse. Depuis, Renaud-Bray, qui a intégré ses principaux concurrents, se répand en région et on s’inquiète des ambitions de son nouveau patron. Pourquoi cette frénésie? Le milieu du livre ne peut se payer le luxe de la division et surtout pas d’une nouvelle guerre des prix. Nos deux chaînes québécoises, Renaud-Bray et Archambault, ont une obligation de solidarité.

Pour le commun des mortels, le débat actuel autour du prix réglementé est inquiétant. Les gens tiennent à leurs bibliothèques et à leurs librairies, que ce soit une chaîne ou une librairie indépendante. Même les lecteurs les plus avertis comptent sur leurs bibliothécaires ou leurs libraires pour être conseillés? Combien de fois Marie-Hélène m’a-t-elle suggéré un Madame Bâ d’Orsenna ou un Voyage d’un Européen à travers le XXe siècle de Geert Mak! Et combien de fois l’ai-je remercié ! Prenez ces titres en note, vous ne regretterez pas votre participation à cette commission.

Mais qui gagnera avec le prix réglementé? Voilà la vraie question. La réponse est : tout le monde! Oui tout le monde, soit les auteurs dont les livres seront présents dans quelques centaines de points de vente, soit les lecteurs qui continueront d’avoir un large choix, et bien sûr les librairies et les grandes surfaces. Il faut être réaliste. L’effet sera surtout psychologique, mais si le moral est bon, c’est autant de pris.

On pose souvent la question : est-ce que les grandes surfaces font vraiment du tort aux librairies? Quand Club Price s’est installé à Québec, ma libraire en a vu rapidement l’effet. Me montrant un ouvrage de Denise Bombardier ou un Guide de l’auto sur le comptoir, elle me dit : « Autrefois, j’en vendais 100 exemplaires, aujourd’hui à peine 10 ». À un jeune commis qui semblait bien se débrouiller, je n’avais pu m’empêcher de lui demander : « Comment fais-tu à travers toute cette production? »- « C’est simple! Les gens se trompent de nom d’auteur, de titre, de couleur de la couverture, ils ne connaissent surtout pas le nom de l’éditeur, mais je devine vite car dans une semaine on nous demande toujours les mêmes ouvrages ». Le libraire garde un inventaire de plusieurs milliers de titres, mais dix titres font la différence et lui permettent de survivre.

Le Québec a opté pour réserver les achats institutionnels aux librairies agréées de propriété à 100 % québécoise tandis que la France optait pour le prix unique. De part et d’autre, on s’est rendu compte trop tard que la vraie solution était dans l’application simultanée des deux formules. Autrement dit, à l’époque, nous n’avons pas vu venir le phénomène des grandes surfaces et nous n’avons pas pensé au prix unique. Ce fut une erreur. Si le ministre français Jack Lang avait fait voter sa loi en août 1980 au lieu de 1981, il est certain que le prix unique aurait été inclus dans la loi 51.

Il est un peu tard pour réparer, mais pas trop. Il vous appartient d’intervenir. En pareille matière, les lignes de parti doivent s’effacer. À l’époque de la loi 51, la commission des affaires culturelles a appuyé en bloc le projet de loi, je souhaite un appui semblable aujourd’hui. Vous verrez : la suite des événements vous donnera raison et même les opposants s’en réjouiront, comme ce fut le cas avec la loi 51, car tous souhaitent une large diffusion des connaissances et des idées, de même qu’une place d’honneur pour les œuvres de création. L’avenir de nos sociétés en dépend.

***

Texte présenté en commission parlementaire le 21 août 2013

***

photo.JPG

Correction!!!

Honte sur moi!

En me relisant, je constate que j’ai utilisé Peter au lieu de Pehr. C’est une erreur. Une habitude assez bizarre d’ailleurs puisqu’en français on devrait dire Pierre et non Peter.

Le titre exact de l’ouvrage édité par Pierre Tisseyre est « Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749″.

Claude Mrin, l’ex-ministre, a du mal à comprendre Jocelyn Létourneau

Amateur d’histoire et préoccupé par la question identitaire, Claude Morin a demandé à Jocelyn Létourneau de clarifier sa pensée et de « donner ses sources ».

Voici le résumé qu’il m’a fait parvenir:

Texte de l’ex-ministre Claude Morin transmis le 27 août dernier à M. Jocelyn Létourneau, professeur à l’Université Laval.

Trois raisons expliquent l’attention que j’ai portée à votre article «L’histoire à l’ère posthistorique» publié dans Le Devoir du 10 juillet dernier.

La première est que l’Histoire me passionne.

La seconde est qu’après relecture de votre texte, je me suis demandé où vous vouliez au juste en venir, c’est-à-dire quel message vous cherchiez à transmettre au lecteur. Pour moi, ce message s’est, hélas, obstiné à demeurer obscur.

La troisième est l’expression il appert, peu usitée, que vous utilisez deux fois ; elle m’a fait tiquer. Je l’ai d’abord comprise comme synonyme de il semble que, on peut penser que, mais, vérification faite dans le Grand Robert, elle signifie plutôt être évident, manifeste, il ressort que, il résulte que, il est constaté que, etc. Je me suis alors aussi demandé sur quelles données manifestes ou sur quels faits évidents vous vous fondiez pour en arriver à des conclusions sur lesquelles vous avez étayé le message que vous destiniez au lecteur. D’où le courriel que je vous ai transmis le 26 juillet et auquel vous venez de me répondre ce qui suit :

Je regrette d’avoir à vous informer que les données ne sont pas pour le moment accessibles et ne le seront pas avant deux ans. Nous avons commencé à analyser de manière générale certaines données disponibles. La réflexion que j’ai publiée dans le
journal s’inspirait de certaines de ces analyses, mais visait surtout à faire ressortir trois choses : a) le rapport à l’histoire demeure importante pour une majorité de Canadiens à l’heure actuelle ; b) l’histoire familiale est celle que préfèrent les Canadiens ; c) plusieurs Canadiens raccordent histoire familiale et histoire nationale. Voilà ce que j’ai dit en substance – et c’est probablement tout ce que j’ai à dire pour le moment.

Ainsi votre recherche n’est pas terminée, mais vous avez cependant «commencé à analyser demanière générale certaines données disponibles»; et vous vous êtes inspiré de «certaines de ces analyses» pour votre article. Disons qu’«il appert», par mes italiques, qu’une telle approche paraît manquer de rigueur. Caractéristique que je crois retrouver dans le cinquième paragraphe de votre article du Devoir où vous énoncez une hypothèse qui devient une constatation dans le sixième!

Ce qui est également déroutant, c’est, comme je l’ai candidement mentionné plus haut, que je n’ai pas compris où vous vouliez en venir. À titre d’exemple, ce paragraphe :

On ne veut plus être écrasé par la mémoire, l’histoire et l’horizon de la nation; c’est davantage dans la diversité et la multiplicité de ses pratiques quotidiennes que, le cas échéant, on rejoint la nation pour s’y inscrire plus ou moins continuellement et entièrement à titre de sujet singulier — sujet ne renonçant toutefois pas à son individualité ou à sa spécificité.

Ne le prenez pas en mauvaise part, mais n’aurait-il pas été possible, quoi que vous ayez voulu dire dans ces lignes, de l’exprimer clairement? La même remarque s’applique à d’autres passages de votre texte. Je suppose que vous connaissez l’humoriste américain Mark Twain. En 1895, dans un article intitulé Fenimore Cooper’s Literary Offenses, il énonçait les dix-huit règles que, selon lui, tout auteur devrait respecter. La douzième et lit comme suit : «An author shall say what he is proposing to say, not merely come near it». En cette ère «posmoderne, postnationale et posthistorique», je ne crois pas devoir traduire ce précepte ni m’excuser de citer un auteur non Québécois, de surcroît décédé depuis longtemps.

Le plus frustrant, dans votre article, est sans doute le dernier paragraphe :

Chose certaine, il faudra bien produire une histoire qui crée de l’appartenance et du sens commun, à défaut de quoi le présent sans ancrage s’incurvera devant toutes les tempêtes identitaires qui s’annoncent. Quelle histoire du passé pour permettre au présent de s’enraciner et à l’avenir d’éclore en évitant de se retrouver orphelin d’une présence antérieure ? Telle est l’une des questions pressantes qui se posent à l’orée du XXIe siècle.

Comme historien et chercheur, n’aviez-vous rien à communiquer de plus précis sur cette «question pressante» ? N’aviez-vous pas une réponse à proposer ? Après tout, votre article s’intitule L’histoire à l’ère posthistorique. Ce qui laisse entendre que le texte se terminera normalement par une conclusion, si provisoire soit-elle. Mais non, le lecteur qui a essayé de vous suivre se trouve à la fin davantage dans la brume qu’il n’était au départ.

Ce procédé me rappelle certaines expertises que j’ai commandées à l’époque où j’étais ministre : alors que j’espérais des réponses nettes ou des propositions de solutions concrètes, les auteurs terminaient leurs rapports en me suggérant de poursuivre la réflexion à partir de recherches plus poussées…

Bilan 2008 et palmarès personnel.

Bilan Cannes 2008.

Mercredi 14 mai.

Valse avec Bashir (Waltz with Bashir) de Ari Folman (1)

Jeudi 15 mai 2008-05-17

Leonera de Pablo Trapero (1)

Stranger than Paradise de Jim Jarmusch ( Reprise d’un classique à la Quinzaine).

Les trois singes de Nuri Bilge Ceylan (3)

Hunger de Steve McQueen (USR) (1)

Vendredi 16 mai 2008

Un conte de Noël de Arnaud Desplechin (2)

Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen (1)

Tyson de James Tobak (3)

Samedi 17 mai 08

Linha de passe de Walter Salles et Daniela Thomas (1)

Wolke 9 de Andreas Dresen, réalisateur allemand (1)

Serbis de Brillante Mendoza, cinéaste philippin (3)

Dimanche 18 mai 2008

Gomorra de Matteo Garrone (1)

Indiane Jones and the Kingdom of the crystal skull de Steven Spielberg (1)

La vie moderne de Raymond Depardon (3)

Lundi 19 mai 2008

Le silence de Lorna de Jean-Pierre et Luc Dardenne (1)

Versailles de Pierre Schoeller (2)

De Ofrivilliga (Involontaires) de Ruben Ostlund (2)

Mardi 20 mai 2008

L’Échange de Clint Eastwood (1)

Los Bastardos de Amat Escalate (2)

Johnny Mad Dog de Jean-Stephane Sauvaire (1)

La mujer sin cabeza de Lucrecia Martel (5)

Mercredi 21 mai 2008.

Che de Steven Soderbergh

-Premier film – (1)

-Second film – (2)

Mon Palmarès :

Dix films à ne pas manquer : Folman, Trapero, McQueen, Salles et Thomas, Garrone, Spielberg, Dardenne, Eastwood, Sauvaire et Soderbergh.

Si dix, c’est trop, retenez : Folman, McQueen, Garrone, Eastwwod, Sauvaire et Soderbergh.

P.S. Je n’ai rien dit de Johnny Mad dog. C’est un documentaire sur les enfants soldats au Liberia. Au fait, vous ne verriez qu’un seul film de la cuvée 2008 de Cannes 2008, je vous recommanderais celui-ci. À noter qu’il n’était pas en sélection officielle mais présenté à la section parallèle dite Un certain regard.

La palme d’or

Le film de Laurent Cantet qui a remporté la Palme d’or a été le dernier à être présenté. J’avais déjà quitté Cannes. C’est quand même frustrant, surtout que j’ai à peu près vu tous les films de la Sélection officielle, c’est-à-dire ceux qui sont candidats à la Palme d’or.

Pour les autres prix, il n’y a pas de surprise, sauf peut-être le film de Ceylan pour lequel les avis étaient partagés. Un prix de mise de scène veut dire ce que l’on veut. Géniale ou alambiquée. Pour le prix d’interprétation féminine, j’aurais choisi Martina Gusman pour son rôle dans Leonora, mais je conviens que le choix de Sandra Corveloni pour la Linha de passe est tout à fait défendable.

Je suis bien heureux des prix accordés à Gomorra, Hunger, Che et aux frères Dardenne.

En somme, la cuvée 2008 était excellente et le jury a été à la hauteur.

Je fais suivre mon bilan avec mon palmarès de même que mes prédictions du 16, c’est-à-dire dès le début du festival, ce qui était un peu téméraire. Hunger de Steve McQueen n’était pas admissible à la Palme d’or, ce que je n’avais pas réalisé au début. En tant que premier long métrage, il pouvait concourir à la Caméra d’or, récompense ouverte à toutes les sélections: Sélection officielle, Un certain regard ( section parallèle), la Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique. Le court métrage de Denis Villeneuve, gagnant du prix de cette catégorie, était dans cette dernière sélection. On peut croire qu’il a nettement amélioré son travail de scénariste.

Clint Eastwood et Catherine Deneuve ont reçu des prix spéciaux pour souligner leur remarquable carrière. C’est bien, mais le problème de Eastwood est l’accueil que le public réserve à ses films. L’échange est à voir pour de multiples raisons dont la performance d’Angelina Jolie. Un autre oublié du jury: Valse avec Bachir du réalisateur israélien Folman. Présenté au tout début, on a peu à peu oublié l’émotion qu’il avait créé, tout le contraire de Entre les Murs (Cantet) qui fut le dernier.

Autre regret: j’ai manqué le film de Sorrentino ( Il Divo).

Cannes m’a paru bien sage cette année. Le soleil était rare et les États-Uniens plutôt discrets. La force de l’euro les gêne, mais ce n’est pas ce qui explique leurs hésitations devant des films comme Che. Le public des États-Unis est-il prêt? Il est grand temps de rétablir des relations normales avec Cuba. Bill Clinton aurait pu le faire, sa femme n’en aura pas l’occasion. Même pendant un Festival aussi prestigieux, la politique n’est jamais très loin!

Heureusement que Bouchard-Taylor ont attendu la fin.

Le plus court

Un jeune garçon de neuf ans, fils unique d’une mère monoparentale (Angelina Jolie), disparaît soudainement. Cette journée-là, la mère lui avait promis une séance de cinéma. Au dernier moment, son employeur la réclame. Elle est responsable d’une équipe de téléphonistes. Nous sommes à Los Angeles en 1928. La reconstitution historique, à elle seule, vaut le détour, pour les décors bien sûr, mais aussi pour cette forme de procès que Clint Eatswood dresse du Los Angeles de l’époque. Au début, le spectateur se dit que l’enfant a pu fuguer en guise de protestation. Un patron bienveillant lui a même fait rater son tramway et elle est rentrée plus tard que d’habitude.

Pour la mère, l’hypothèse d’une fugue est écartée. Après des mois de molle recherche, la police lui remet un garçon qui se dit son fils. Elle proteste, reçoit des appuis du dentiste, de l’enseignante qui témoigne que le garçon n’est pas son fils et d’un pasteur qui dénonce publiquement la corruption de la police.

Comme le film est essentiellement l’histoire du combat que mènera cette femme, il me faut bien vous laisser sur cette entrée en matière. Trop acharnée au goût des policiers, elle sera internée. Autre épisode désolant pour ne pas dire terrifiant. Le policier qui suit l’affaire et qui ne veut rien comprendre décide de se débarrasser de la mère. »Quelque chose ne va pas avec vous. Vous êtes une femme indépendante. » Il n’a pas dit « trop indépendante ». Nous sommes décidément en 1928.

Selon Clint Eastwood, cette affaire aura un important retentissement à l’époque à la fois à cause de la ténacité de la mère mais aussi parce que cette disparition est liée à toute une série de meurtres d’enfants. Cette double histoire vraie avait été peu à peu oubliée; un employé du Los Angeles Times s’y est arrêté au moment de travaux de numérisation des archives du journal. Eastwood a pu récupérer les dossiers papiers et reconstituer cette affaire criminelle qui a plusieurs facettes.

Clint Eastwood a été président du jury du Festival de Cannes en 1994. L’échange, c’est le titre du présent film, est son 5e présenté en compétition officielle. L’un d’eux a valu à Forest Whitaker (Bird) le prix d’interprétation masculine. C’est tout! Eastwood ne s’en fait pas. Il a tout compris. Ces films visent un trop large public. Et il a le goût de continuer dans cette voie. « Je ne vois aucune raison d’arrêter. Pas question non plus de faire des remakes comme Alfred Hitchcock ou Howard Hawks. Je préfère affronter une nouvelle vague au lieu de surfer sur la même ».
Je ne m’en plaindrai pas. Son « Échange » d’une durée de 2 heures 21 minutes a été pour moi le plus court du Festival. Ah si j’étais membre du jury!