Dans mon billet intitulé L’obscénité des émotions, je mettais en parallèle quelques extraits de critiques pour simplement illustrer mon propos. Loin de moi l’idée de critiquer leur travail. À mon grand étonnement, s’est alors ouvert un débat sur le rôle du critique. Certains voulaient connaître ma position sur le sujet.
La voici donc.
Qu’on soit d’accord ou non avec leurs opinions, qu’ils pètent leur coche à l’occasion, qu’ils dérapent ou se perdent dans leur propos, qui’ils encensent éperdument une oeuvre qui ne le mérite pas, je trouve nécessaire le rôle des critiques. C’est un métier ingrat qui mérite notre respect. Plus souvent qu’autrement, on leur fait jouer le mauvais rôle. On les aime seulement lorsque leur critique est positive et qu’elle fait l’affaire de tout le monde. Par contre, on n’irait jamais jusqu’à leur donner le crédit pour un succès qui résulteraient de nombreuses critiques dithyrambiques. On prend plaisir à les détester et à dénigrer leurs propos quand ils osent parler en mal de quelque chose. Si c’est un bide et que le public ne répond pas à l’appel, là c’est nécessairement de la faute aux critiques qui n’ont rien compris. Cette attitude un peu enfantine me fait souvent rigoler.
En fait, au Québec, on a de la difficulté avec les critiques négatives. Si on y regarde de plus près, les mauvaises critiques sont souvent en partie méritées. C’est certain que c’est dommage pour les artisans qui y ont cru à fond, mais il arrive que, même avec toute la bonne volonté du monde, on puisse rater son coup. Il faudrait savoir le reconnaître. Une mauvaise critique bien encaissée peut permettre à un artiste de se dépasser au projet suivant ou lui permettre de se rendre compte qu’il fait tout simplement fausse route.
Dans l’ensemble, à part quelques petits réglements de compte isolés et quelques incompétents, je crois que les critiques font un travail honnête. Il ne faut pas oublier que, contrairement au grand public, ils bénéficient d’une position privilégiée. Si un critique doit, année après année, évaluer une bonne partie de l’ensemble d’une production, il est peut-être normal qu’il sache y détecter les forces et les faiblesses inhérentes à chacune. Il est également important de se rappeler qu’ils font leurs critqiues en fonction de ce qu’ils sont et non en fonction de toute la population.
Si le rôle du critique est de nous aiguiller dans nos choix, le nôtre est d’apprendre à faire la part des choses, à avoir confiance en notre jugement et à développer notre propre sens critique.
Pour ce qui est des créateurs, ils n’ont qu’à se croiser les doigts en espérant recevoir les éloges des critiques et apprendre à être bon joueur. Se faire fusiller sur la place publique par les critiques fait aussi partie des risques du métier. Tout le monde sait ça avant de se lancer, mais ça peut s’oublier vite!
2 réflexions au sujet de « Chacun son métier #3 »
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Catherine Mavrikakis a écrit un texte assez éclairant dans le huitième numéro de Contre-jour où elle règle de façon assez efficace, il me semble, la question des prétendus « conflits d’intérêt » dans le milieu intellectuel.
« Il me semble bien difficile de soutenir qu’il y ait un enjeu ou un intérêt quelconque à défendre un ami,un collègue ou une relation dans un article ou des recensions de livres, étant donné que la rénumération symbolique est en fait fort minime (un article savant au Canada est, selon les statistiques, lu par dix personnes…) et que le plus souvent elle ne rapporte pas d’argent à son auteur. La pensée du conflit d’intérêt est là pour permettre à l’intellectuel de croire à un pouvoir qu’il ne possède absolument plus. »
Catherine Mavrikakis, « Le dogme de l’Immaculée Création », Contre-jour, numéro 8.
Bien que la situation ne soit pas tout à fait la même en ce qui concerne plus spécifiquement le milieu littéraire (je doute fort que l’écrivain le plus obscur bénéficie de seulement dix lecteurs, quoique je pourrais être étonnée…), la réflexion de Mavrikakis nous emmène tout de même, je crois, à nuancer cette manie que nous avons de crier au loup pour dénoncer le supposé manque de transparence des critiques. Il faut s’arrêter un peu pour se demander quels seraient les enjeux concrets de ce qu’on s’empresse de dénoncer comme un conflit d’intérêts. De toute façon, dans un milieu aussi petit, on est si souvent à un cheveu du conflit d’intérêt que, dans une telle perspective, on serait tout aussi mieux de se taire dès maintenant!
Ceci dit, je me réjouis de votre défense du rôle de la critique. Il ne s’agit guère d’une position populaire au Québec. Pour ma part, ce qui m’inquiète bien davantage que les égarements de la critique, c’est la transformation de bien des espaces réservés jusque là à la critique en des espaces promotionnels. Si l’on songe, par exemple, au Devoir ou au Voir, on constate que plusieurs livres ne reçoivent aucune critique et qu’on offre plutôt aux lecteurs une entrevue avec l’auteur pour parler du livre en question. Évidemment, une entrevue compromet beaucoup moins le journaliste qu’une critique en bonne et dûe forme…
Il faut être drôlement courageux pour être critique. Et malheureusement le courage, ce n’est pas très en vogue!
Les critiques, nos critiques, celles du commun des mortels qui entre un jour dans une librairie et demande à un libraire: « Qu’est-ce que vous me suggérez aujourd’hui ? » (Un peu comme la pièce de viande du jour au marché, ou le légume, le Livre du Jour)…Et avant-hier: Cher Émile, lu par A., un ami à qui je l’ai suggéré…La Critique de A. à L.: J’ai adoré; tu sais, René c’est un peu moi. C’était suffisant pour que je veuille le lire…Les critiques, les pros de la critique je veux dire, OUI, mais dans la mesure où nous sommes « prêts » à la recevoir.