L’obscénité des émotions

En écrivant Cher Émile, j’ai pris le parti de parler d’homosexualité par le biais des émotions. Tout au long du processus de création, je cherchais à trouver le sentiment juste en le ramenant toujours à moi. C’est ce qui lui confère son côté introspectif. Puisque je parlais d’homosexualité, j’ai volontairement évité de parler de sexualité de façon explicite comme on le fait souvent dans la littérature gay.
Et pourtant…
À travers les critiques dont a fait l’objet mon roman, j’ai été surpris de constater à quel point les émotions pouvaient sembler impudiques. En lisant certaines d’entre elles, j’ai même l’impression d’avoir écrit un roman plutôt croustillant.
En voici la preuve:
« Cher Émile cherche à déstabiliser le lecteur par son témoignage exhibitionniste. Simard se met à nu devant cet Émile et, comme s’il laissait les rideaux de sa chambre à coucher ouverts… » – Revue être
« Dans une correspondance à ce Cher Émile il donne libre cours à ses sentiments. » – Culturehebdo.com
“Sentiment de culpabilité d’un voyeur assouvi!… » – La Voix du village
« Presque sans pudeur, il raconte la douleur comme le bonheur qui ont traversé les relations amoureuses successives qu’il a connues…. » – Nuit blanche
Une question se pose: de nos jours est-il plus obscène de parler des émotions ou de sexualité?

17 réflexions au sujet de « L’obscénité des émotions »

  1. C’est dommage mais ton livre a été mal reçu à plusieurs niveaux.
    On a parlé de « roman gay » alors qu’à mon sens c’est un roman qui parle de douleur dans l’amour, peu importe notre allégeance.
    On t’a vivement reproché de rendre publique ta crise existentielle qui n’intéressait personne, sans comprendre qu’il s’agissait d’une fiction.
    On a balayé le livre de la main en le qualifiant d’autofiction, le genre maudit,le genre disqualifié d’avance! (comme si Weyergans n’avait pas gagné le Goncourt l’an dernier avec le même style..)
    Même si tu n’as pas décrit de scènes d’amour torrides entre deux, voire plusieurs hommes en sueur, il y a tout de même la force des émotions entre gens du même sexe qui est drôlement présente.
    Je crois que ce qui cloche au fond, c’est la « gayté » ambiante du roman.
    Il y a un malaise à ce niveau je crois…
    C’est ma théorie provisoire, mettons..

  2. Je suis pas mal d’accord avec le commentaire de Charles sur le fait que ton livre a été étiqueté « roman gay » alors qu’il s’agit plutôt d’un roman d’amour, d’émotions. On change le titre pour « Chère Elise » et ton texte aurait été aussi fort et pertinent.
    Je crois cependant que les gens sont plus mal à l’aise avec les émotions et sentiments, qu’avec les actions des gens en général. Ça ne dérange pas de savoir ce que les gens ont fait, ce qui dérange c’est de savoir comment il se sentait en le faisant. C’est pratiquement impudique d’exprimer ses émotions de nos jours!

  3. Un livre sitôt publié n’appartient plus à son auteur, car chaque lecteur le réécrit. Les lectures plurielles qu’on a faites de votre livre, Éric, devraient plutôt être prises de votre part comme un enrichissement, même si cela vous déçoit. Considérez-vous chanceux d’avoir eu une couverture médiatique, car nombre d’auteurs talentueux au Québec ne font pas parler d’eux dans les journaux, tellement l’espace critique y est restreint. Continuez d’écrire, c’est ce qui compte.

  4. Je suis tout à fait d’accord avec vous Jean-François. Il n’y a aucune once de déception dans mon commentaire ni aucun reproche à l’égard des critiques. J’ai seulement voulu exprimer un étonnement et susciter une réflexion quant à la pudeur des sentiments.

  5. Votre commentaire, Éric, soulève pour moi un autre problème dont j’aimerais m’entretenir avec vous dans ce blogue : la critique et l’éthique.
    Depuis quelques années, je remarque qu’une certaine éthique a disparu dans les journaux et les revues littéraires. Voici quelques exemples. Quand on encense le dernier roman de Laurent Laplante dans Nuit Blanche alors que Laplante écrit dans cette revue, quand on parle du recueil de Tristan Malavoix-Racine dans VOIR ou du nouveau Dickner dans Le Libraire alors que son éditeur y travaille (c’est la même chose pour les collaborateurs de Lettres québécoises qui publient : ils ont droit à une page complète sur leurs livres), je trouve que cela relève du conflit d’intérêt et comme lecteur connaissant un peu le milieu je suis très mal à l’aise. Je ne veux lancer la pierre à personne. N’empêche qu’il y a un profond examen de conscience à faire. Qu’en pensez-vous ?

  6. Ce qui est obscène, justement, c’est le manque d’éthique que dénonce le précédent commentaire. Je pense qu’il faut voir dans ça une nouvelle forme de convergence.

  7. En écrivant ce billet, je ne pensais pas partir un débat sur la critique en général. Je préparerai bientôt un billet à ce sujet question d’approfondir la question.
    Yvan me demande ce que je pense d’une certaine éthique qui se perdrait. Je suis d’accord avec lui et aussi avec Eugénie. Par contre, il s’agit d’une petite convergence beaucoup moins perverse que ce que fait l’empire Québécor. Je crois qu’il faut vivre avec sans y adhérer complètement non plus. L’empêcher s’avère impossible. Il n’y aurait pratiquement plus de recensement de livres (déjà que…). En même temps, peut-on demander au journal « le libraire », par exemple, d’ignorer un roman comme « Nikolski », succès littéraire québécois de la dernière année! Empêcher cette petite convergence nuirait davantage aux auteurs. Je crois que les lecteurs dovient apprendre à aiguiser leur propre sens critique afin de faire la part des choses, comme semble le faire Yvan. C’est la meilleure façon d’éviter de se laisser berner. Mon côté idéaliste se dit toujours que les journalistes impliqués dans ce genre de situation sauront se respecter et demeurer intègre. C’est souhaitable du moins.

  8. Merci, Éric, de votre réponse. Je vois qu’en tant que libraire vous n’êtes pas dupe de ce genre de convergence. Aussi est-ce de votre devoir de diriger parfois vos clients vers des livres moins médiatisés, ce que vous faites sûrement très souvent. Bien sûr, il ne faut pas empêcher un Nikolski d’avoir sa place dans Le Libraire, mais il faudrait aussi en faire aux écrivains qui n’ont pas de «contacts» et qui sont aussi talentueux que Dickner (j’aime bien Dickner-Bourbaki et Cie, mais je trouve qu’ils profitent actuellement d’une surmédiatisation). J’attendrai impatiemment votre prochain billet sur la critique. Nous aurons sans nul doute l’occasion de partager nos points de vue dans ce blogue que je trouve de plus en plus intéressant. Merci.

  9. Bonjour,
    Je viens de découvrir ce blogue. Je trouve que la question de l’éthique en littérature est très intéressante. Le commentaire d’Yvan m’éclaire. Par exemple, j’ignorais que l’éditeur de Nikolski travaillait au Libraire. Je comprends maintenant pourquoi les livres de cet éditeur sont toujours bien en vue et «coups de coeur» dans cette revue. Bonne journée.

  10. Je me dois d’intervenir concernant les « craques » des titres de la maison d’édition Alto paraissant dans le journal « le libraire ». L’éditeur n’a rien à voir là-dedans. Les craques sont librement choisies par les différents libraires des cinq librairies partenaires (Clément-Morin, Monet, Le fureteur, Les bouquinistes et Pantoute). Il se trouve qu’actuellement les livres que publie Antoine Tanguay chez Alto ont la cote auprès de la profession (y compris les journalistes). Avec raison aurais-je envie d’ajouter.
    Je trouve injuste qu’on s’en prenne à un petit joueur alors que Québécor rit de tout le monde depuis des années en continuant de s’enrichir sans que personne ne réagisse.

  11. Je suis le premier à dénoncer les abus de Québécor en n’achetant mes livres que dans des librairies dignes de ce nom, comme celles que vous citez. N’empêche qu’il ne faut pas fermer les yeux sur les petits incestes, comme dit Louise, qui se commettent dans le monde de la littérature, pratique qu’on retrouve aussi ailleurs et qui ne datent pas d’hier. Je ne connais pas l’éditeur d’Alto. Je me contente de lire ses livres si ça m’intéresse. Qu’il fasse bien ce qu’il veut, je m’en contrebalance. Et tant mieux pour lui s’il a la cote en ce moment auprès des libraires. Qu’il en profite ! La gloire est tellement éphémère. Pour me montrer bon joueur, je vais même le féliciter pour son flair littéraire et son sens du marketing. Sans rancune.

  12. Vous appelez ça des «craques». Il me semble que le mot peut porter à confusion. L’expression «coup de coeur», bien que galvaudée, j’en conviens, me paraissait plus adéquate.

  13. Ah oui, les petits incestes! C’est épouvantable! Dégueulasse!
    C’est un scandale!!!
    Maintenant que c’est sorti de notre système, croyons-nous que les émotions sont obscènes, oui ou non?
    Hein?
    Hein?
    charlesquimper

  14. Peut-être un petit bémol… Ces petits incestes ne sont pas nouveaux… Autour de La Relève, dans nos années quarante, Jean Simard critiquait Saint-Denys-Garneau, Jean Le Moyne, Robert Élie…
    Il ne faut pas oublier que les avant-gardes artisiques se constituent en frayant leur chemin vers la voie de l’établissement, en se rapprochant des sphères du pouvoir. Il est très intéressant, pour avoir une perspective peut-être un peu plus distanciée sur le sujet, de lire quelques chapitres (ou l’essai entier) de _Les Règles de l’art_ du sociologue Pierre Bourdieu, qui décortique les rapports entre la création artistique, la critique et le marché de l’art, trois sphères indissociables les unes des autres…

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