Je suis de nature plutôt optimiste, mais depuis quelques semaines l’avenir des libraires indépendantes m’inquiète. Le livre est malheureusement devenu un objet de consommation comme tant d’autres. C’est la pire chose qui pouvait lui arriver.
Depuis quelques années, et c’est de pire en pire, on se bat pour attirer la clientèle avec des rabais de plus en plus grand. Avec la marge de profit habituel qui n’est que de 40% sur la vente d’un livre (environ 34% si on déduit tous les frais de gestion d’une libraire), il ne reste plus grand chose.
Les grandes surfaces n’ont jamais hésité à vendre les livres au prix coûtant et ils continuent de le faire sans gêne. De vendre des petits pois, des tondeuses ou des livres, c’est la même chose pour eux. Aucun libraire n’est là pour conseiller ni trouver le fameux titre qu’on a oublié. Pourtant, semaine après semaine, les lecteurs sont nombreux à y acheter les derniers livres de leurs auteurs préférés. Conséquence de cette situation : les gros titres attendus par les lecteurs ne sont pratiquement plus achetés dans les librairies conventionnelles. C’est dommage car c’est avec ces titres qu’une librairie devrait pouvoir tirer son épingle du jeu année après année.
Outre le cas des grandes surfaces, il y a le Groupe Renaud-Bray qui semble vouloir conquérir le Québec au complet. Pierre Renaud, soutenu par la SODEC et la FTQ et fort de son pouvoir d’achat, a les moyens d’acheter de bonnes petites librairies indépendantes augmentant ainsi son pouvoir tentaculaire. L’exemple de Tome un à Lévis en est une belle illustration et il y en aura d’autres au cours des prochaines années. Ce n’est pas son seul pouvoir. Si un titre est en demande, Renaud-Bray a le pouvoir de commander une grosse quantité au fournisseur pour répondre à la demande. Une seule commande du Groupe suffit parfois à prendre tout le stock du distributeur. Ne reste plus rien pour les autres. Au moins, la chaîne n’a pas encore commencé à couper le prix sur les nouveautés.
Pour contrer l’effet tentaculaire de Renaud-Bray, les librairies Raffin (également distributeur) commencent à s’implanter un peu partout au Québec. Ils ont d’ailleurs ouvert récemment une librairie à Place Fleur de lys (comme si la ville de Québec avait besoin de plus de vingt librairies dans sa région!). Leur expansion ne s’arrêtera sûrement pas là.
Le cas Archambault est encore pire. Propriété de Québécor, ces magasins sont liés à toutes les facettes de la chaîne du livre. Ça va de l’impression de livres à la distribution. Je ne parle même pas de tous les supports médiatiques servant à faire la promotion de leurs produits. Comme si cela ne suffisait pas, depuis quelques semaines, Archambault cible quelques nouveautés littéraires et les offrent à prix choc (entre 20 et 30% de rabais sur les titres choisis).
Ça commence à faire pas mal et je ne crois pas que David puisse, cette fois-ci, vaincre Goliath.
Alors pourquoi les librairies de fonds n’en feraient pas autant? Tout simplement parce qu’ils n’en ont pas les moyens. C’est bien beau de commander beaucoup d’exemplaires d’un titre en demande et d’en couper le prix, mais faut-il encore être capable d’assumer cette perte et de payer les grosses factures qui sont liées à ce genre de pratique. Il faut aussi savoir assumer le risque qui va avec. Les grosses chaînes et les grandes surfaces peuvent prendre ce risque.
Qu’est-ce qui reste pour les bonnes librairies indépendantes? Il reste le choix et le service et souvent une excellente réputation. Face à une telle compétitivité, le choix et le service ne semblent plus être un atout majeur. Jour après jour, on doit constamment se défendre, se justifier et presque s’excuser de vendre nos livres à prix régulier. Il y a quinze ans, nous n’étions pas confrontés à cette réalité. On a habitué les gens à payer leurs livres moins chers. On a dévalué sa valeur et on continue de le faire avec toutes ces séries jeunesse qui pourrait être vendues dans les Dollarama.
Il faut se rendre à l’évidence : le livre n’est plus un bien culturel. Dernièrement, on constate que même les clients sensibilisés et convaincus du rôle des libraires indépendantes choisissent parfois le prix plutôt que l’endroit où ils achètent leurs livres. Ce n’est pas normal et c’est surtout inquiétant. En même temps, on les comprend de vouloir économiser 10, 15 et parfois même 20 dollars sur le prix d’un livre. Une fois n’est pas coutume. mais n’empêche que c’est un geste pervers car à la longue (de plus en plus courte selon moi) les petites librairies ne survivront pas.
La situation des librairies indépendantes ressemblent à celle de l’environnement. Chaque geste que nous posons compte et peut avoir un effet positif ou négatif sur le milieu du livre. Quelles genres de librairies et quelles choix de livres voulons-nous avoir? La réponse appartient aux lecteurs.
Oulala Éric, tu as besoin d’un gros câlin ou d’une bonne tape dans le dos !
Je suis toujours mal à l’aise quand on met Renaud-Bray dans le même panier que les autres chaînes et/ou grandes surfaces.
Oui l’ambition est d’accroître leur part de marché (comme tout le monde) mais ils ne l’ont (enfin pas récemment) pas fait en déclarant une guerre de prix. Quant à L’aspect accaparant, c’est avant tout au distributeur (et indirectement aux éditeurs) de veiller à la bonne répartition des stocks.
Je ne connais pas bien le groupe Raffin alors je ne me prononcerai pas sur leurs méthodes.
Couper les prix est probablement la plus mauvaise décision d’affaire que pourrait prendre un libraire ou une chaîne. Renaud-Bray et Champigny l’ont déjà appris à leurs dépens.
Archambault joue évidemment dans une autre ligue. Je serais curieux de voir sur quels titres ils offrent des remises… ceux de Quebecor Media ?
Une réponse rapide et efficace du monde politique serait évidemment l’instauration du prix unique au Québec. Malheureusement, trop peu de personnes s’y intéressent assez pour en faire un enjeu électoral.
Allo M. Curzi ?
Pour la câlin, je te le donne en mille Pour le reste aussi peut-être. Ça me turlupinait l’esprit depuis un moment et j’avais besoin de brosser un portrait de la situation pas toujours reluisante, surtout lorsqu’on la vit de l’intérieur. C’est un cri du coeur, certes, mais aussi un cri d’alarme avant que la situation s’envenime. Il faut être vigilant.
Je n’aime pas acheter mes livres en grande surface, car ils sont posés là sans que personne ne s’y intéresse, je préfère avoir à faire à un libraire qui sait me conseiller quand il me voit hésiter ou même me raconter les romans qui l’ont le plus marqué, c’est un plaisir de voir le livre redevenir « quelqu’un » et non pas un objet de décoration sans grand intérêt !
Il faut miser sur la fidélité des clients. Beaucoup de gens ne fréquentent pas ces grandes surface parce qu’ils achètent leurs livres chez le même petit libraire depuis toujours où le service est très personnalisé. Souvent parce que ce sont des entreprises familliales ou des passionnés qui les tiennent et que ce n’est pas qu’un gagne pain sans intérêt… c’est beacoup plus sympathique! De mon côté, je dirais que je ne suis pas très fidèle simplement parce que je n’ai pas eu la chance de connaître les librairies indépendantes lorsque je me suis intéressée à la littérature. Par mon emplacement géographique, j’étais entourée de grandes surfaces, mais j’avoue que je fréquente de plus en plus la même librairie chez laquelle j’ai acheté une carte de membre à 15$ qui me permet d’économiser quelques dollars ici et là (entre 5 et 10%). Ce n’est pas grand chose, mais c’est un facteur déterminant. Il y a plusieurs autres facteurs qui font aussi partie du choix de la librairie. Il faut penser efficacité, le pré-magasinage sur internet est excellent pour les gens pressés surtout lorsque les quantités disponibles en magasin sont affichées… Sur place, certaines librairies facilitent les achats en classant par format et/ou maisons d’éditions, etc. Enfin, il faut voir ce que les gens aiment et ce ne sont que des exemples accessibles par les librairies indépendantes… pour moi prix + site web + classement sont 3 éléments décisifs. Je ne sais pas trop où mène mon dialogue! ;p Disons que tu auras l’avis d’une lectrice!
Bonjour Eric
Je découvre ton blog avec plaisir. Je reviendrai !
Ton article est très intéressant. Mais j’aimerais savoir : n’existe t-il pas la politique du prix unique du livre au Québec ?
Par ailleurs, comme toi, je trouve affligeant que le livre soit devenu un simple produit de consommation. Cela contribue à faire beaucoup baisser, en général, la qualité de ce qui est publié, à mon avis.
Malheureusement, le Québec résiste encore à la politique du prix unique. Si on veut encore avoir des librairies dignes de ce nom, il faudra en arriver à cette solution. Moi, je le souhaite depuis longtemps.
Bonjour Éric,
impossible de rester indifférent face à ton cri du coeur. J’en profite pour poser quelques questions un peu désagréables:
1. Y’a-t-il trop de librairies au Québec (indépendantes, chaînes, etc)?
2. Y’a-t-il trop de livres publiés au Québec?
3. Y’a-t-il assez de lecteurs au Québec?
Ce sont des questions auxquelles je n’ai pas de réponse concrète, même si j’ai une opinion à ce sujet. Cependant, ces trois points sont intimement liés et sont partiellement au coeur du problème que tu évoques. Qu’en penses-tu?
Patrick, tu cernes effectivement une partie du problème. Je réponds oui à tes deux premières questions et évidemment non à la troisième. C’est pour cette raison que j’ai, entre autre chose, soulèvé le fait que nous n’avions pas besoin d’une xième librairie dans la région de Québec. On est en train de saturé le marché. Les lecteurs semblent en profiter mais ce ne sont que des apparences. Tout le monde y perdra si ça continue de cette façon. En attendant, il faut se battre pour conserver sa part de marché. En ce moment, ça m’épuise et ça me décourage.
Cher Éric, je voudrais apporter quelques corrections concernant Renaud-Bray et TomeUn à Lévis. Premièrement Renaud-Bray est issue en grande partie de l’achat des Librairies Garneau de Québec et Champigny de Montréal. TomeUn madame Lise Desrochers en premier était anciennement sous la bannière Librairie Garneau pendant plusieurs années.Après l’achat de Garneau par Renaud-Bray, je pense que la succursale n’était pas comprise dans la transaction ou vice versa. Madame Desrochers et la deuxième actionnaire majoritaire semblait très contente de revenir parmis le Groupe Renaud-Bray.
Libraire Pantoute semble vouloir établir ses filets un peut partout au Québec le propriétaire est président ALQ, le rédacteur en chef du Libraire est président de l’UNEQ, il ne manquerait plus qu’un autre organisme l’ADELF soit dirigé par une autre personne de chez-vous. L’APPLI à été fondé et est dirigé par le président actuel de l’ALQ, le Journal Le Libraire (excellent journal en passant) est toujours dirigé et édité par des gens de chez Pantoute même s’il est passé maintenant sous l’égide de L’APPLI. Je crois que se David-là se porte très bien selon moi. Rajouter à cela que certains de vos confrère de Pantoute édite pour Gallimard et Pantoute est également propriétaire d’Orchids Books donc parfois en parlant de concentration dans le domaine du livre,j’essairais de réfléchir si mon groupe n’est pas en train de faire de même.
Charles B.: Pour commencer, une petite précision s’impose. Je ne suis plus à l’emploi de la librairie Pantoute. Je ne me ferai donc pas le défenseur de ses actions. Par contre, j’aimerais que quelqu’un de la boîte réagisse à vos propos car il y a tout de même une part de vérité dans ce que vous dites. Je dirai seulement une chose. Face au marché du livre de plus en plus compétitif, on ne doit pas blâmer les librairies indépendantes de réagir en essayant de contrer le phénomène afin de conserver leurs places.