Chacun son métier #5

Depuis quelques années, le nombre de publications à compte d’auteur ne cesse d’augmenter au Québec. Ce phénomène est devenu un irritant pour les librairies. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un de ces auteurs ne nous sollicite afin que nous gardions son livre en consignation. En nous abordant, ils ont souvent une attitude prétentieuse envers le milieu du livre et ne se gênent pas pour dénigrer le travail des maisons d’éditions reconnues et bien établies. Si on ne répond pas positivement à leurs attentes, certains deviennent agressifs pendant que d’autres se mettent à jouer les souffre-douleur comme s’il fallait encourager à tout prix leur grande aventure dans le monde de l’édition.
Si, à la base, l’édition à compte d’auteur servait à publier un livre pour les proches de l’auteur sans devoir passer par le réseau des librairies, aujourd’hui ceux qui décident de se publier eux-mêmes prétendent au statut d’écrivain et espèrent une reconnaissance au même titre que les autres. Cette démarche est louable en soi, mais le marché actuel m’apparaît déjà suffisamment saturé sans qu’on en rajoute par la bande.
Il ne faut pas se leurrer, à part une exception de temps et à autre (un livre sur un sujet spécialisé par exemple), la plupart de ces titres n’auraient jamais dû voir le jour*. Il est bien évident que beaucoup de ces livres ont d’abord été refusé par les éditeurs qui ont probablement eu raison de le faire. Vexés dans leur orgueil de création, ces apprentis auteurs auraient intérêts à remettre leur ouvrage vingt fois sur le métier pour parfaire leur art plutôt que de faire paraître une œuvre inaboutie.
Cette croissance sans cesse grandissante de livres publiés à compte d’auteur n’est pas étonnante puisque les moyens technologiques d’aujourd’hui rendent accessibles une telle entreprise. Cette facilité nous fait malheureusement croire que tout peut être publié. Écrire est un art qui ne doit pas être pris à la légère. Plusieurs semblent l’avoir oublié.
Personnellement, je commence à en avoir marre de tous ces gens qui se publient sans rien connaître au monde de l’édition. À temps perdu à la librairie, je m’amuse à feuilleter toutes ces merveilles qui ne demandent qu’à être découvertes. Lire le premier paragraphe est toujours la première chose que je fais. La plupart du temps, je le réécrirais au complet tellement la syntaxe est mauvaise. Parfois, je n’ai même pas à me rendre aussi loin lorsque je vois une faute en exergue, sur la quatrième de couverture ou dans le titre (ça arrive!). Je ne parle pas de la page couverture souvent affreuse et de la mise en page déficiente. Bref, un concentré de mauvais goût qui en dit long sur le reste.
*je ne parle pas des maisons d’éditions émergentes qui ont une réelle démarche d’éditeur.

20 réflexions au sujet de « Chacun son métier #5 »

  1. Éric, je vous trouve très dur avec ces auteurs. Je ne veux pas prendre leur défense, mais j’espère que certains d’entre eux vous écriront pour vous donner la réplique. À suivre…

  2. En soi, le compte d’auteur est très honorable et devrait même être d’avantage pratiqué.
    Par contre, ces auteurs devraient renoncer à se faire distribuer en librairie. Les libraires en ont déjà plein les bras avec les 30 000 nouveaux titres francophones annuels sans devoir en plus tenir une comptabilité séparée pour chaque titre autopublié.
    Et au final, certains livres feront une plus belle carrière dans un réseau parallèle que dans les librairies.
    Mais c’est vrai que l’édition est un monde fermé qu’il n’est pas facile d’appréhender.
    Je serais curieux de connaître la position de l’UNEQ sur ce sujet.

  3. Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais publié même si j’écris depuis 40 ans. Pour moi, pas question du compte d’auteur. Si jamais, je présente un manuscrit pour être refusé; eh bien, je ne me compliquerai pas la vie. Il restera dans le fond de mon tirroir.

  4. Réjean: c’est vrai que je suis dur. Je le serais sûrement moins si ne je travaillais pas en librairie.
    Jules: toujours aussi pertinentes tes questions. Pour l’instant, je ne ferai que te répondre non. J’élaborerai davantage dans un prochain billet.
    Gilles: tout à fait d’accord avec toi.
    Valdec: c’est très lucide et très sage de votre part. Par contre, si vous croyez que vous avez un excellent manuscrit entre les mains que vous n’avez jamais montré à personne, n’hésitez pas à le faire parvenir chez Septentrion pour le faire évaluer. On ne sait jamais!

  5. Effectivement, le compte d’auteur est la plaie des libraires. Ils ne veulent pas faire les remises habituelles, ça leur a couté assez cher et nous, les libraires, roulons sur l’or, c’est connu. Ils veulent les places de choix en dénigrant les auteurs reconnus. Et surtout les 3/4 de ces auteurs oublient carrément de venir rechercher leur petite merveille!!

  6. Allo Eric, je partage ton opinion. Mais pour l’anecdote, il ne faut pas oublier que Proust a publié sa Recherche à compte d’auteur chez Grasset. L’exception qui confirme la règle..!

  7. Bellesahi: je suis d’accord et c’est justement pour cette raison que ce n’est pas nécessaire d’en rajouter.
    MHV: je n’aurais pas mieux dit!
    David: oui, mais c’était quand même chez Grasset et non aux éditions du Proust Proust :-)

  8. Les éditeurs sont voraces. C’est certains qu’ils doivent faire des profits et le choix du manuscrit qu’on leur soumet doit éventuellement leur rapporter au bout du compte. Toutefois, je suis conscient que si l’histoire ne convient pas à leur exigences, c’est tout à fait normal de refuser un auteur. Par contre, lorsque l’histoire tombe dans leur cordes, les éditeurs pourraient discuter avec l’auteur, quitte à faire de légères modifications. Je sais que le français est une raison majeure de refus, mais si les corrections ne sont pas si énormes, l’éditeur n’a-t-il pas des correcteurs qui sont à la disposition des auteurs ? Est-ce que pour quelques corrections, un éditeur peut vouloir prendre les corrections à son compte si il croit vraiment au succès du produit ?

  9. Je crois qu’une minorité de la population possède un réel talent pour écrire sans une syntaxe et une grammaire déficiente. Mais au fait, qu’est-ce qu’une grammaire et une syntaxe déficiente? Est-ce mettre un tel ou tel mot dans une telle phrase qui modifie la lecture au point de la rendre agréable? Vous dites que ces auteurs en herbe auraient dû retravailler 20 fois leur ouvrage avant publication à compte d’auteur mais sachez, monsieur Simard que, et je m’inclue là-dedans, la majorité des écrivains amateurs n’ont aucune espèce d’idée quoi corriger. La maison d’édition va toujours miser sur une valeur sûre, c’est normal, tout entreprise doit être rentable. Mais au point de négliger tout nouveau produit? J’ai remarqué, et veuillez m’excuser si je dis que ça m’écoeure, que la plupart des auteurs publiés sont des professeurs de CEGEP ou d’université, donc une éducation « meilleure que la moyenne » et surtout plus d’années sur les bancs d’école. Ce qui veut dire qu’un camelot, un cuisinier ou une caissière ne peut avoir de bonnes idées sans pour autant posséder ces qualités? Au Québec, nous sommes tellement peu nombreux qu’on a vite fait le tour des maisons d’édition et des librairies. Sans compter que Québecor en a acheté plusieurs se qui rapetisse le marché. La littérature underground est bien réelle mais sous-exploité par manque de moyens et de ressources. Vous lisez ces livres avec une idée préconçue, monsieur Simard, j’aimerais tant que vous fassiez parti d’un comité de lecture parralèle qui nous guideraient avant d’envoyer le tout à un éditeur parce que, comme j’ai dis plus haut, les gens ignorent ce qu’ils doivent corriger et ce n’est pas une lettre circulaire dont seule l’adresse a été changée qui peut les guider.

  10. Starchild et benoît vous avez une fausse image des éditeurs. En fait, vous avez celle, un peu cliché, qu’on aime bien entretenir. Un éditeur sait flairer le talent et ne cherche pas à tout prix la rentabilité. Si c’était le cas, il ne se publeirait pas grand chose au Québec.
    Pour qu’un éditeur puisse prendre le temps de travailler avec un auteur, faut-il seulement que le texte qu’on lui offre soit de qualité. Ce n’est pas parce que matante et môman ont aimé ça que c’est valable. C’est vrai qu’une lettre de refus standard ne guide pas beaucoup l’apprenti écrivain. Par contre, il doit s’en servir comme moteur de création pour pousser plus loin sa démarche. Et puis, avec le nombre de manuscrits que les éditeurs reçoivent, impossible de personnaliser chaucun des refus. Ceux qui l’ont déjà fait se faisait constamment achaler par les auteurs. Lorsqu’il y a potentiel, un commentaire constructif accompagne habituellement cette lettre.
    En ce moment, comme codirecteur de la collection hamac chez Septentrion, je travaille avec une auteure qui n’a jamais publié. La première version que j’ai lue était loin d’être parfaite mais j’ai senti le potentiel de son roman. Elle en est actuellement à sa troisième version et nous nous approchons de la publication même s’il lui reste beaucoup de boulot à abattre. Elle est prête à y mettre les efforts et je crois que nous atteindrons notre but commun.
    Il ne faut pas oublier que l’écriture exige un travail de longue haleine. On n’apprend pas à jouer une sonate pour violon après seulement quelques pratiques à ce que je sache. C’est la même chose pour l’écriture.

  11. J’ai présentement terminé un manuscrit dont, selon-moi,l’histoire est bonne et peux susciter l’intérêt, surtout des adolescents. Toutefois, j’hésite à le soumettre, car, n’étant pas très doué en grammaire et syntaxes (quoique j’ai fait une grosse partie de la correction à l’aide du logiciel Antidote), il reste probablement encore du travail de correction de grammaire à y apporter. J’hésite donc à le soumettre, car de toute façon, on me refusera dû à ma grammaire ou, peut-être à cause que l’histoire ne les intéresse tout simplement pas. Vous dites faire des corrections pour une auteure qui en est à sa première publication. Est-ce que vos corrections sont plus au niveau de l’histoire (passages à modifier, ajout/suppression de passages) ou est-ce au niveau de la grammaire ou les deux ?

  12. Ah! En parlant des lettres « personnalisées »… Je viens de vivre une belle expérience du genre, j’en parle sur mon blog.
    Et, oui, il faut savoir prendre la critique. Et travailler.
    On ne peut pas toujours blâmer les éditeurs!

  13. Starchild: c’est à tous les niveaux. la cohérence de l’histoire, le rythme, le ton, l’originalité, les personnages, l’émotion, etc. Il faut te relire souvent (à voix haute c’est encore mieux), retoucher les phrases qui te semblent insatisfaisantes, soupeser chaque mot à la rigueur, questionner tes intentions, etc. Avant d’envoyer un manuscrit, je me demande toujours si je suis entièrement satisfait et si je l’aimerais toujours une fois publiée. Si je ne suis pas capable de répondre à ces questions, c’est qu’il n’est pas achevé. Dis-toi qu’il faut que tu envoies un roman parfait aux éditeurs. Trouve-toi une personne critique de confiance dans ton entourage (surtout pas un parent ni un ami trop proche) qui pourra te faire des commentaires constructifs. Sois toi-même très critique envers ce que tu fais.
    Danaée: très sympathqiue comme expérience de refus ;-)

  14. Je comprend mieux le rôle d’un éditeur maintenant et je vous en remercie. N’empêche que cette idée de valeur sûre demeure la norme à mes yeux. Un exemple, le dernier de Sénécal était le moins bon de ses ouvrages pourtant son nom fait qu’il a été publié et surtout qu’il a vendu 17000 copies. Qu’en est-il des Janette Bertrand, Dominique Michel (sa bio) ou Josélito Michaud. Ce sont des artistes qui, juste à voir leur nom, l’éditeur doit les favoriser (même involontairement). Tous auteurs vous dira qu’il possède un manuscrit prêt à la publication, moi le premier. J’ai presque peur de le soumettre puisque je trouve l’idée et l’histoire fantastique. Encore là, même si ce n’est pas môman ou soeurette qui constitue mon comité de lecture personnel, qui pourra me guider dans le perfectionnement de mon histoire et de ma grammaire? Un professeur de français qui va demander un somme plus élevée que ce que le livre(publié bien sûr) rapportera, c’est complexe et surtout difficile de s’y trouver. Je suis quelque peu pessimiste face à l’industrie et je comprend le rôle des éditeurs de se limiter aux gros noms et aux valeurs sûres (même venant d’un inconnu). Je suppose que seule la persévérance et la tenacité peut amener un écrivain amateur à voir son rêve se réaliser!

  15. Benoit: vous avez raison sur plusieurs points. C’est certain que les « vedettes » qui publient un livre risquent de voir le public les suivre. La biographie de Janette à très bien marhcé avec raison. Par contre, son roman beaucoup moins (même si elle en a vendu plus que j’en vendrai peut-être un jour). Le public n’est pas si con. Pour ce qui est de Senécal, il a construit sa réputation petit à petit et maintenant les lecteurs le suivent, moi le premier. Son succès ne s’est pas fait instantanément.
    Pour votre démarche d’auteur, concnentrez-vous sur votre travail d’écriture. Sinon, c’est certain que c’est décourageant. Tout est dans votre dernière phrase: tenacité et persévérance. C’est ce que j’ai toujours fait et j’ai deux romans à mon actif mais j’ai travaillé très fort pour y arriver. En terminant, pourquoi ne pas m’envoyer votre manuscrit chez Septentrion pour le faire évaluer! Nous sommes à la recherche de bons textes pour « hamac ». On ne sait jamais!

  16. Quelle nouvelle! Après plusieurs refus, j’ai reçu, en même temps que j’exposais ma pensée sur votre blog, un commentaire d’un auteur québécois directeur littéraire d’une revue de publication de nouvelle. Il a vu des choses que les autres ne m’ont jamais dis! Et m’encourage à leur envoyer d’autres ouvrages. Vraiment heureux et motivé par cette lettre, il est certain qu’ils vont recevoir de mes écrits dans les prochains mois! Comme quoi, monsieur Simard, vous aviez raison d’insister sur la persévérance!

  17. Salut Éric,
    J’ai dernièrement écris un roman fantastique/horreur. Le nombre d’Éditeurs qui publie ce genre de littérature est plutôt mince. J’ai tenté ma chance auprès de quelques grands noms, mais sans succès. L’histoire que je raconte se rapproche plus de Stephen King que de Joanne Kathleen Rowling ou Bryan Perro. Il n’est nul question de magie, mais d’horreur et de survie des protagonnistes. Je ne sais pas si c’est l’histoire qui a fait que je ne fus accepté ou encore des lacunes grammaticales. quoiqu’il en soit, j’ai relu souvent et fait de nombreuses corrections selon mes connaissances grammaticales. Je me demandais si votre Éditeur pourrait être intéressé à ce genre littéraire.
    Merci davance de votre réponse.

  18. Michel, en principe ce n’est pas le genre que nous recherchons pour Hamac. Aussi, tu sais que ce n’est pas qu’une question grammaticale les refus. Il y a le ton, l’atmosphère, le style, l’oringinalité du sujet et tous ces petits riens qui font qu’un manuscrit puisse se distinguer d’un autre.

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