Chacun son métier #6

Je ne sais pas quelle malédiction entoure le genre littéraire qu’est l’autofiction, mais j’en ai marre qu’on le dénigre sans cesse au Québec comme s’il s’agissait d’une tare que d’en être amateur. C’est pire dans mon cas car je me suis amusé à cet exercice (pas facile du tout) en écrivant Cher Émile.
À entendre parler les gens, l’autofiction ne devrait même pas être considérée comme étant de la littérature. On accuse, à tord bien entendu, les auteurs qui s’y adonnent d’être des égocentriques exhibitionnistes ne cherchant qu’à étaler leur vie privée sur la place publique. Ces gens-là sont incapables de faire la distinction entre un réel travail d’écriture et le simple récit de vie autobiographique. C’est navrant!
C’est qui encore plus navrant c’est le fait que la plupart des détracteurs de l’autofiction n’en ont réellement jamais lus. Annie Ernaux, Camille Laurens, Hervé Guibert et Nelly Arcan, entre autre, ont signé des romans marquants de la littérature contemporaine. Ils sont tous parvenus à transcender le réel pour en faire des oeuvres à part entière comme le font la plupart des auteurs depuis toujours.
Hélas, tous n’ont pas leur talent! J’avoue que l’autofiction a donné de mauvais romans. La littérature conventionnelle aussi.
Il fallait entendre l’auteur Pierre Gagnon la semaine dernière à Christiane Charrette se défendre (maladroitement) d’utiliser son vécu pour écrire ses romans. On dirait qu’on venait de l’accuser du pire des crimes. C’est quand même drôle que 5-FU et C’est la faute à Bono traitent tous les deux du cancer alors qu’il en a été atteint!
Quel mal y a-t-il à ce qu’un auteur se serve de sa propre personne comme principal matériau d’écriture? C’est peut-être un excellent moyen de rejoindre les autres, non! C’est peut-être cet effet miroir qui fait tant peur aux détracteurs? C’est peut-être symptomatique d’un Québec qui a toujours vu d’un mauvais oeil le fait d’exprimer librement ses sentiments!
Je ne saurais répondre clairement à ces questions, mais une chose est certaine, l’autofiction dérange.

9 réflexions au sujet de « Chacun son métier #6 »

  1. Éric, il n’y a sans doute aucun mal à vouloir écrire sa propre histoire sous forme de fiction. Mais personnellement je préfère les romans qui plongent dans l’imagination pure, s’en nourrissent pour mieux stimuler l’imagination du lecteur. J’ai lu certains des auteurs que vous citez dans votre billet, et je dois dire qu’ils ne m’ont pas apporté grand-chose. 5-Fu, par exemple, est un sympathique livre sur un sujet grave. Mais quel grand roman cela aurait pu être si l’auteur ne s’était pas contenté de faire bref. Je ne sais si l’autofiction est encore à la mode ou en passe d’être out, mais, chose certaine, les auteurs qui en font se retrouvent souvent sur la sellette, car les médias sont friands de ce genre de livre. Gageons que Pierre Gagnon ne se serait jamais retrouvé en entrevue chez Christiane Charette si son livre ne parlait pas de son cancer, n’est-ce pas ? Et Nelly Arcand ? Et Marie-Sissi Labrèche ?

  2. L’autofiction ou tout ce qui implique qu’un auteur mette sa propre vie en scène dérange depuis très longtemps. D’ailleurs, dans les cours de littératures, on essaie toujours d’évacuer l’auteur, comme si c’était malsain d’analyser une oeuvre en partant de la vie de celui-ci. Pourtant je crois que peu importe ce qu’il écrit, il va toujours se reproduire lui même dans son oeuvre, on ne peut pas se nier complèment lorsqu’on écrit !
    Mais moi aussi ça m’enrage de voir que certains types de littérature sont mal considérés soi-disant parce que ce n’est pas du Victor Hugo, du roman pur, c’est-à-dire qui ne font pas totalement abstraction de la réalité et qui créent une ambiguité trop grande entre le réel et la fiction. Mais moi, c’est ce que j’aime et c’est la richesse de la littérature contemporaine. Enfin, je crois que la beauté de la littérature d’aujourd’hui c’est qu’elle est diversifiée et que les auteurs sont libres de dire ce qu’ils veulent !

  3. Je trouve cette idée « d’imagination pure » plutôt étrange. Je ne pense pas qu’il y a de l’imagination pure dans les oeuvres. Je pense qu’un écrivain s’inspire sinon de son vécu, de scènes, d’anecdotes, de conversations d’une manière ou d’une autre, à un degré plus ou moins grand.

  4. Bonjour Julie,
    Si j’ai utilisé l’expression «imagination pure», c’est pour l’opposer radicalement à «autofiction». Mais je suis consciente que derrière toute imagination, si «pure» soit-elle, on retrouve les traces d’une sensibilité, d’une subjectivité, même si l’écrivain ne romance pas sa vie comme dans l’autofiction.

  5. Bonjour Eric,
    tu le sais Éric, j’ai bien de la difficulté avec l’auto-fiction. Pourquoi? Parce que les auteurs qui se sont choisis comme sujet principal d’un roman sont généralement plates et ennuyeux (leur vie aussi) et plutôt que de se payer une bonne thérapie, ils écrivent (c’est mon opinion bien personnel). Cela dit, cela n’empêche pas des auteurs comme Nelly Arcan, Christine Angot et Michel Houellebecq d’écrirent d’excellents livres que l’on décrirait comme de l’auto-fiction, mais ces derniers ont du vécu et ne font pas que parler de leur nombrils…
    Je pense également que ce qui dérange les gens avec l’auto-fiction est le côté « paresseux » de la chose. A prime abord, parler de son quotidien parait facile, banal (et pas nécessairement intéressant). Ce qui n’est pas nécessairement le cas. Écrire prend un réel talent, que cela soit de l’auto-fiction ou une saga historiques de 1200 pages avec 25 personnages principaux, mais l’auto-fiction donnent l’impression de facilité, ce qui dérange la veille garde.
    L’auto-fiction n’est pas un genre pour tout le monde. La plupart des lecteurs de romans le sont car ils aiment voyager, oublier leur quotidien. Pour certains ce qui compte est le dépaysement total, que cela soit un voyage dans le temps et/ou l’espace. Pour d’autre, c’est le voyage intérieur qui les intéresse, ce que l’on retrouve avec l’auto-fiction.

  6. Bonjour. Pour ceux que cela intéresse; 5-FU de même que C’EST LA FAUTE À BONO, ne contiennent que 5% de ce que j’ai vécu, le reste (95%) je le garde pour moi. Mais je dois dire que le sujet m’a profondément inspiré.
    à bientôt.
    pg

  7. Merci Monsieur Gagnon pour votre réponse et votre franchise. Il n’y a vraiment pas de mal à s’inspirer de son vécu. Cela dit, je ne mets pas vos livres dans la catégorie de l’autofiction.

  8. Personnellement, j’aime plonger dans l’univers d’un auteur. J’aime sentir que je me glisse sous sa peau et que j’arrive à me sentir comme lui au moment où il écrivait le texte. S’il est vrai que la recherche de soi constitue un moteur de créativité et que l’art est un peu une sorte de thérapie, cela ne discrédite en rien l’oeuvre d’un auteur. Le déséquilibre EST moteur de créativité. Si cette recherche esthétique est effectivement une pierre de salut pour certains, elle peut aussi ouvrir de nouvelles voies d’expression humaine, ce qui en soit est valable.
    L’autofiction possède une qualité qu’on retrouve rarement dans la fiction pure. C’est l’aspect ressenti et authentique qui manque cruellement à tant d’oeuvres écrites par de brillants auteurs qui se dissimulent derrière de belles phrases et une intelligence un peu trop mise de l’avant. Bien sûr, les grands écrivains réussissent à nous «embarquer» dans leur imaginaire. Mais les grands écrivains ne sont pas légion. Je préfère un écrivain moins virtuose, mais qui saura me faire partager un univers. Un peu à l’image des premiers groupes punks qui ne savaient pas jouer mais qui avaient une telle énergie qu’ils nous allumaient totalement.
    Pour un écrivain, l’autofiction a l’avantage de lui épargner le problème de la vraisemblance, à condition qu’il ait un minimum de talent. Mais il faut d’abord qu’il arrive à avoir suffisamment de distance avec son vécu pour arriver à écrire sans se censurer, ce qui est loin d’être évident quand on touche au drame humain et qu’on vit dans une société profondément marquée par la morale judéo-chrétienne. Là est la démarche thérapeutique.
    Contrairement aux idées reçues, ça prend de l’imagination pour écrire sur soi et rendre ça intéressant. Même si la trame narrative et les personnages existent quelque part dans la mémoire de l’écrivain, il aura besoin d’une bonne dose de créativité pour arriver à juxtaposer tous ces éléments et que ça prenne vie… en un mot, que ça devienne de la littérature. Car il ne s’agit pas simplement de retranscrire fidèlement le quotidien. Il s’agit d’arriver à évoquer ce qu’on a ressenti. Et ça, ça s’appelle de l’art. Que ce soit en peinture, en littérature, en musique ou au cinéma.
    Je vous laisse avec une citation de Vincent Colonna tirée du livre [Autofiction & autres mythomanies littéraires]
    «Dante, Molière, Diderot, Chateaubriand, Proust, Kafka, Céline, Genet, Gombrowicz : autant d’écrivains qui présentent cette caractéristique de s’être donnés des doubles imaginaires, mis en scène dans leurs textes de fiction. Bien plus, le principe d’une pareille fictionnalisation de soi dépasse largement, par des voies qui restent à analyser, le cadre de la littérature pour se manifester dans des arts figuratifs comme la peinture, le cinéma, la photographie et même la bande dessinée. C’est assez dire l’ampleur et la complexité de cette forme imaginaire.»

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