Deux documentaires inégaux mais importants

L’Avocat de la terreur
de l’Iranien Barbet Schroeder.

Jacques Vergès a 82 ans. Il est au cœur de ce documentaire achevé tout récemment. Au Québec, Vergès est un nom peu connu. La réalité est tout autre en France. Aussi vaniteux qu’intelligent, l’homme dévoile sa logique, celle de l’amertume du colonisé, pour ne pas dire de la haine pour tous les colonisateurs de la planète, la France en tête.
Il est né au Cambodge, d’un père originaire de la Réunion et d’une mère Vietnamienne. Étudiant à Paris, il est de toutes les manifestations anti-colonialistes. Il a connu Pol-Pot. On le soupçonne d’avoir rejoint ce dernier pendant les quelque 7 ou 8 ans où il disparaît. Le film ne nous en apprendra pas davantage à ce sujet. Aurait-il, pendant la même période, fréquenté le célèbre Carlos aujourd’hui emprisonné en France ? Il s’en défend, mais mollement. Il cultive le mystère.
Vergès s’est fait connaître du grand public en prenant la défense de militants du FLN, auteurs d’attentats qui leur valent la peine de mort. Une figure se détache, celle de Rachida Bouhired, en faveur de laquelle il orchestre une campagne quasi internationale. Elle est finalement graciée. Ils s’épousent. Je crois qu’il se fait même musulman pour vaincre la résistance de la belle famille.
De la cause algérienne, il passe à la cause palestinienne puis il disparaît. Il quitte Rachida, apparemment sans la prévenir et sans la contacter par la suite. Quelle cause a-t-il servi alors ? Il nous dit ce qu’il veut et le réalisateur sème les indices mais nous laisse sans piste véritable, sauf peut-être celle d’importantes sommes d’argent.
À son retour, Vergès continue d’assurer, toujours avec succès, la défense de terroristes de toutes provenances. Lorsque Klaus Barbie est retrouvé et traîné devant les tribunaux, Vergès accepte de le défendre. Moment de suprême jouissance alors qu’il affronte 40 avocats. Il le raconte avec une arrogance teintée d’humour. Oui, Vergès réussit presque à devenir sympathique. Pourquoi défendre Barbie ? Pour prendre sa revanche sur les colonisateurs français, ceux de l’Algérie, ceux qui ont agi à l’époque de Rachida. Ce qu’on reproche à Barbie est-il tellement différent ? Vergès profite d’une tribune exceptionnelle. Il n’allait pas laisser passer une semblable occasion.
Ce documentaire, à lui seul, est un réservoir d’histoires qui ont débordé largement le dernier demi-siècle. Il faut plusieurs films pour nous en fournir autant, avec une densité équivalente. Parodiant Sartre aperçu rapidement dans ce film où les documents d’archives ne manquent pas, Vergès lance : « Oui, je défends la violence là où elle est nécessaire ». À un autre moment, il déclenche les applaudissements en rétorquant : « J’ai défendu Barbie, j’accepterais même de défendre Bush ! ».
Calle Santa Fe
de la réalisatrice chilienne Carmen Castillo.

Il me semble approprié de présenter ici ce documentaire politique, même si je l’ai vu quelques jours plus tard. Il avait tout me plaire, du moins pour m’intéresser vivement. J’attendais trop, j’ai été déçu. Je n’ai pas retrouvé ce Santiago de 1973, ce coup d’État dont je fus presque témoin.
Carmen Castillo vit à Paris. Elle fut expulsée du Chili. Compagne de Miguel Enriquez, un des dirigeants de la résistance contre Pinochet, abattu par les carabiniers ; elle fut elle-même blessée. Elle entend raconter. Devoir de mémoire bien compréhensible, mais pénible aussi. Les survivants défilent devant la caméra ; elle fait les entrevues. On la voit sans cesse. Un peu plus, elle tournait un film sur elle-même. Tout de même, elle le fait avec honnêteté. Continuer le combat ? Mais quel combat ? Les jeunes tentent de la convaincre qu’il faut penser à autre chose. Les résistants avaient-il une juste cause ? Certes, oui. Les bons moyens ? Les résultats suggèrent que non. La dictature a duré de 1973 à 1990 dans un des pays les plus dynamiques de l’Amérique latine. Il y a eu quelque chose de faux. Le peuple a décroché non sans avoir lutté. Il y a eu les « disparus » et aussi les enfants « abandonnés » volontairement. Pour la cause. Ils témoignent sévèrement.
Malgré ses lacunes, ce film a été chaleureusement applaudi. La cause évoquée a fait oublier les longueurs et une certaines incohérence. Pourtant tous les ingrédients étaient là. La morale ? Tout comme on ne doit pas s’éditer soi-même, il est difficile de réussir un documentaire sur soi-même.
Vergès a été bien servi par Schroeder, Castillo ne l’a pas été par Castillo.

3 réflexions au sujet de « Deux documentaires inégaux mais importants »

  1. Un français n’aurait pu réaliser un film sur Vergès, ça prenait bien un Iranien. Ce personnage hors du commun mérite sans aucun doute d’être étudié. Un document qui mériterait une diffusion au Québec !

  2. Dans le cas du docu de Castillo, que j’ai vu : les commentaires sont d’une superficialité à faire pleurer du fait qu’ils passent totalement à côté de plusieurs interrogations – déclarées – de Castillo, notamment la tension entre quête du bonheur personnel et l’engagement politique – sujet qui, de toute évidence, est étranger au critique (voire, lus probablement, le terrifie).
    d’un superficiel à donner le malaise.
    Conseil : ne pas lire certaines critiques. Aller voir les films et juger par soi-même.

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