L’organisme de recherche Samara a publié récemment une étude intitulée : «Les vrais désabusés : perspective de citoyens inactifs sur la démocratie et la politique» (www.samaracanada.com). Il s’agit d’une recherche sur les raisons du désintérêt politique.
L’étude fait état de nombreuses critiques de citoyens à l’effet que le gouvernement, les bureaucrates, les politiciens et les médias servent d’autres intérêts que ceux des gens ordinaires et qu’ils ne tiennent pas compte des besoins de ces derniers. Des jeunes, en particulier, ont dit que davantage de gens de leur âge seraient actifs si le système politique se souciait d’eux.
Dans les rencontres faites à travers le pays dans le cadre de l’étude, un thème est revenu constamment : «la démocratie est fantastique, c’est la politique que je déteste». L’idéal serait donc une démocratie sans politique.
Politique vient du mot grec politikos qui signifie «de la cité». Ce terme désigne tout ce qui est relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans une société. Il fait donc référence à une activité noble. Ce que les gens n’aiment pas, c’est ce qu’on appelle la petite politique ou la politicaillerie, c’est-à-dire les affrontements entre les partis, les querelles de politiciens.
Une démocratie sans politicaillerie est exactement ce que propose la démocratie participative. Celle-ci rejoint donc l’idéal auquel rêvent bien des gens.
Dans le système actuel, la démocratie se pratique dans la politicaillerie et il est impossible de distinguer l’une de l’autre. Lorsque l’on considère l’objectif que s’est donné Samara d’élaborer un indice annuel permettant de mesurer l’état de la démocratie, on peut s’attendre à ce que cet indice démontre avec les années une désaffection grandissante du public envers la politique, car les gens se montrent de plus en plus désabusés des batailles entre les partis et des polémiques partisanes.
Entre les deux guerres mondiales du siècle dernier, une telle désaffection à amené plusieurs peuples européens à se détourner de la démocratie et à opter pour des solutions telles que le fascisme, le nazisme et le communisme. La démocratie participative représenterait certainement une meilleure option.
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L’opinion publique
En démocratie, une opinion publique éclairée est essentielle à la bonne gouvernance. Paradoxalement, même si les sources d’information n’ont jamais été si nombreuses, les gens sont peu et mal informés. L’actuel débat sur les changements climatiques est un bel exemple de manipulation de l’opinion publique.
Bien que le réchauffement de la planète soit un fait rigoureusement démontré, l’industrie pétrolière et les groupes conservateurs s’acharnent à miner la validité des études scientifiques. La tactique utilisée n’est pas de nier la réalité du phénomène, mais de soulever des doutes, de prétendre que les résultats ne sont pas probants et d’affirmer qu’il faut poursuivre les recherches. La même tactique a déjà été utilisée avec succès pendant des décennies au sujet de la toxicité de la fumée de cigarette. Bien des gens sont heureux de croire ces bobards parce qu’en niant que le problème existe, ils ne sont pas obligés de modifier leurs habitudes.
L’opinion publique est très changeante et présente souvent des incohérences. Dans les circonstances actuelles, se fier sur elle pour élaborer les politiques publiques est une recette indubitable pour commettre des erreurs.
On dit souvent que nous vivons dans une société du savoir. Mais nos gouvernements continuent à prendre des décisions basées sur les préjugés des gens ou les préférences de groupes de pression influents. On a vu récemment dans quel bourbier les mauvaises décisions de gouvernements successifs ont conduit la Grèce, l’Italie et l’Espagne.
L’incongruité apparaît clairement lorsqu’on observe la façon dont les entreprises gèrent leurs affaires. Ces dernières élaborent des plans à long terme et leurs décisions sont fondées sur des recherches soigneuses des faits et des analyses rigoureuses et approfondies. Pourquoi les gouvernements dont les responsabilités sont infiniment plus importantes que celles des entreprises ne font-ils pas de même ?
La démocratie participative propose de remplacer la prise de décision politique par un modèle plus rationnel grâce à des institutions visant la création d’une opinion publique éclairée. Les Regroupements pour la bonne gouvernance permettront en effet de recueillir tous les faits pertinents sur une situation donnée et d’élaborer des solutions satisfaisantes à court comme à long terme en tenant compte des données scientifiques autant que des préférences d’un public bien informé.
On pourra ainsi remplacer la démocratie de manipulation par une démocratie de lucidité et de clairvoyance.
Wall Street
Le 3 décembre 2011, La Presse publiait une entrevue avec Glenn Greenwald, avocat et commentateur politique américain, au sujet de son dernier livre With Liberty and Justice for Some (Metropolitan Books, New York, 2011). Ce livre fait la démonstration que les riches et puissants peuvent enfreindre la loi en toute impunité aux États-Unis. L’auteur cite, entre autres, l’ex-président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan qui déclarait devant une commission du Congrès que la débâcle des subprime avait été causée par «de la fraude pure et simple».
Selon Greenwald, l’élite financière contrôle les dons politiques et les politiciens ne sont pas prêts à faire appliquer la loi contre des gens qui les financent. Il précise que c’est valide autant pour les Républicains que pour les Démocrates. À son avis, en choisissant de satisfaire l’élite, de voter des lois et des mesures qui l’avantagent, les politiciens ont perdu contact avec la réalité des électeurs. Il indique que c’est un constat que font de plus en plus de gens et que ce n’est pas terminé.
Un ex-journaliste du Wall Street Journal, Ron Suskind, confirme cet état de choses dans un livre intitulé Confidence Men (HarperCollins, Toronto, 2011). Il dévoile comment les principaux conseillers économiques de Barack Obama se sont accoquinés avec les dirigeants des grandes banques américaines pour préserver les privilèges de l’élite financière et leur capacité de détourner des milliards de dollars à leur profit. Les principaux hauts fonctionnaires mis en cause sont Rahm Emanuel, Chef de cabinet de la Maison Blanche, Larry Summers, Directeur du Conseil économique national, et Timothy Geithner, Secrétaire au Trésor. Le président Obama était bien conscient lorsqu’il a nommés ces individus qu’ils étaient des amis de Wall Street, mais comme les banquiers avaient financé sa campagne électorale, il ne pouvait pas les mécontenter. Pour plaire à sa base électorale, il a cependant désigné à des postes moins importants deux adeptes de la réforme du secteur financier, Christina Romer au poste de présidente du Conseil des affaires économiques et Elizabeth Warren au poste de responsable du Bureau de protection financière du consommateur. Ces deux femmes ne faisaient cependant pas le poids devant les élites financières, tous des hommes.
Barack Obama aura encore besoin de l’argent de Wall Street pour se faire réélire en novembre 2012. Il demeurera prisonnier des riches et puissants. En cela, il n’est pas différent de nos politiciens canadiens et québécois. Voilà une autre démonstration du fait que notre système de démocratie élective est perverti par l’argent.
Faire de la politique autrement
Certains politiciens ont avancé l’idée de «faire de la politique autrement». Dans le cadre du système actuel de démocratie élective, il s’agit cependant d’une impossibilité. Les objectifs poursuivis, le contexte du jeu politique et les contraintes inhérentes aux luttes électorales font que cette idée est une chimère. Il est tout aussi impossible de faire de la politique autrement que de jouer au hockey autrement.
En démocratie élective, la politique est d’abord et avant tout une bagarre permanente. Ceux qui s’y lancent doivent être ambitieux et ne pas avoir peur de la compétition. À un député récemment élu qui lui disait à la Chambre des Communes : «C’est excitant d’avoir ses ennemis en face de soi», Winston Churchill avait répondu : «Non, ce n’est pas exact : ceux qui sont en face de toi sont tes adversaires; tes ennemis sont autour de toi !». Les rivalités sont aussi bien au sein des partis politiques qu’entre les partis. Le but du jeu n’est pas de faire des accommodements et des compromis, mais de gagner. Celui qui l’emporte n’est habituellement pas celui qui joue fair play, mais le plus souvent celui qui porte les coups les plus vicieux. Le public se délecte de ces affrontements et les médias s’empressent de leur faire écho parce que le spectacle attire les lecteurs et les téléspectateurs.
Étant donné qu’il est essentiel pour les partis de démontrer qu’ils forment une équipe efficace et solidaire, la discipline de parti est très importante. On déplore que les députés n’aient pas la liberté de parole, mais paradoxalement, les gens s’attendent à ce qu’un parti fasse preuve de discipline et de cohésion. Un parti désuni n’inspire pas confiance.
Le but visé est de gagner l’appui des électeurs. Il s’agit de la préoccupation première des politiciens. Cependant, ces derniers n’ont pas souvent l’occasion de s’adresser directement à leur public : ils doivent rejoindre les gens par le biais des médias. Faire parler d’eux à la TV et dans les journaux est donc un impératif pour les politiciens. Ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui arrivent à simplifier leur message et à inventer des formules choc. La politique n’est pas le lieu des exposés élaborés et des discussions approfondies, mais plutôt celui des simplifications extrêmes, des phrases incisives et des énoncés percutants.
Un autre impératif est de ramasser des fonds, car beaucoup d’argent est nécessaire pour mener une campagne électorale. Il s’agit là d’une priorité que les politiciens doivent garder constamment en tête. Par exemple, pour s’assurer que ses ministres n’oublient pas cette importante tâche, M. Charest leur a fixé des cibles à atteindre. Évidemment, les politiciens accumulent ainsi des dettes envers leurs contributeurs et n’ont pas le choix de se rappeler de ces derniers lorsqu’ils sont au pouvoir.
Les politiques, programmes et services publics ne sont pas pour les politiciens des objectifs à réaliser, mais des faveurs conçues pour obtenir l’appui des électeurs. Chaque parti tente d’élaborer la plateforme électorale la plus susceptible de plaire à ses supporteurs et d’attirer les indécis. Les politiciens ne se demandent pas d’abord ce qui serait le mieux pour le pays, mais uniquement ce qui leur permettra de gagner leurs élections. Ils ne sont pas le moins du monde intéressés à s’attaquer aux problèmes majeurs qui confrontent la société, par exemple la dette publique, les effets du vieillissement de la population, les régimes de retraite, l’environnement, etc. Les électeurs, en effet, n’aiment pas les mauvaises nouvelles ni les mesures exigeantes et préfèrent les politiciens qui portent des lunettes roses.
On ne peut pas blâmer les politiciens de jouer le jeu politique comme ils le font présentement : s’ils veulent gagner leurs élections, ils n’ont pas le loisir de «faire de la politique autrement». Avec la démocratie participative cependant, il serait vraiment possible de transformer la politique.
Les déficiences de la démocratie élective
La démocratie élective n’est pas seulement un système politique inadéquat, c’est un mauvais système. Pour se faire élire, les politiciens sont prêts à promettre n’importe quoi et prétendent que les solutions sont simples et aisées. Une fois élus, ils adoptent des politiques à courte vue pour s’attirer la faveur des électeurs sans considérer les impacts à long terme. Quelques exemples récents illustrent ces déficiences.
François Legault, qui vient de créer le parti Coalition avenir Québec, a fait cette déclaration : «La nouvelle coalition va réparer nos systèmes d’éducation et de santé, et nous permettre de prendre en main notre économie, d’affirmer notre langue et de rétablir le lien de confiance entre la population et ses élus» (Le Soleil, 19 novembre 2011, p. 13). Il faudrait être bien crédule pour gober une pareille affirmation.
Les gouvernements de Grèce et d’Italie, comme bien d’autres, ont utilisé la voie facile de l’emprunt pour payer les dépenses publiques. À cause de la récession économique ils n’ont plus assez d’argent pour défrayer les intérêts sur la dette accumulée. Maintenant qu’ils ont frappé le mur, ils n’ont plus le choix et doivent adopter des mesures draconiennes. Les gens constatent qu’ils ont été mal gouvernés, mais il est trop tard : le mal est fait et ils en subiront les conséquences pendant longtemps.
L’idée d’accorder un droit de vote à tous les citoyens est généreuse, mais elle ne conduit pas à la bonne gouvernance. L’existence d’une masse d’électeurs peu informés rend possible une démocratie de manipulation qui amène les gens à se faire berner par des politiciens habiles. Pour obtenir l’attention des électeurs, les politiciens doivent simplifier le discours et présenter des solutions simples, sinon simplistes. Il leur est plus facile d’aller dans le sens des préjugés de la population que d’expliquer des réalités complexes. Cette façon de faire de la politique ne correspond plus aux exigences du XXIe siècle.
La démocratie participative est à l’opposé des solutions de facilité où nous conduit la démocratie élective. Elle compte sur la mobilisation de gens intéressés et prêts à consacrer du temps et des efforts pour concevoir des solutions nouvelles, inhabituelles et inventives. Les problèmes sont complexes et exigent de sortir des sentiers battus. Pourquoi ne pourrait-on pas, par exemple, abolir les Cegeps dans les grandes villes, mais les conserver en région, ou transformer les commissions scolaires en centres de services pour le réseau scolaire francophone, mais les laisser telles quelles chez les anglophones ?
Il est impossible d’avancer des solutions innovatrices quand des adversaires se font un plaisir de discréditer toute idée neuve ou de tourner en ridicule toute nouvelle proposition. Il est nécessaire de changer les règles du jeu pour permette un débat ouvert et fertile. C’est ce que propose la démocratie participative.
L’action des regroupements
Les Regroupements sont au cœur du système de démocratie participative. C’est sur leur dynamisme et leur efficacité que repose la bonne gouvernance. Ils ont pour mission de rassembler toutes les personnes intéressées aux politiques publiques quelles soient de gauche ou de droite, en faveur de la centralisation ou de la décentralisation, partisans d’une plus grande intervention de l’État ou de son désengagement, etc. Chaque Regroupement possède un domaine d’intérêt bien délimité, qu’il s’agisse d’éducation, de santé, de culture, d’environnement ou de tout autre champ d’activité. Il est chapeauté par un bureau de direction et est doté d’un secrétariat permanent, tout comme le sont actuellement les partis politiques. À l’image de ces derniers, les Regroupements sont financés par leurs membres, par de généreux donateurs et par l’État.
Leur principal objectif est de recueillir sur ce qui les préoccupe toute l’information disponible, qu’elle provienne de l’administration publique, des groupes de recherche, des universités, des maisons de sondage, des médias ou de toute autre source. Contrairement aux journaux, ils ne se concentrent pas sur ce qui va mal, mais ils recueillent aussi bien les aspects positifs que négatifs. Cette information est déposée dans un site web, ordonnancée et synthétisée afin d’être accessible tant aux membres des Regroupements qu’au public. Des forums de discussion dirigés par des animateurs compétents sont créés sur internet pour permettre les échanges de points de vue. D’autres méthodes sont utilisées au besoin pour rechercher des pistes de solution et faire des recommandations. Pour choisir les méthodes les plus appropriées, les Regroupements s’inspirent des techniques de participation expérimentées par l’Institut du Nouveau Monde, une organisation québécoise, et Involve, un institut britannique, par exemple les forums hybrides, les ateliers de citoyens et d’experts, les conférences de consensus ou les jurys de citoyens.
Toutes les technologies du web sont utilisées pour faire en sorte que le débat sur les politiques publiques rejoigne le plus de gens possible : les courriels, Twitter, Facebook, Linkedin, YouTube, etc. De plus, les membres des Regroupements se donnent pour objectif d’impliquer le plus grand nombre de personnes en parlant avec les membres de leur famille, leurs amis, leurs collègues de travail, leurs voisins, etc. Des partenariats sont aussi établis avec les médias, particulièrement les journaux et les chaînes de télévision, pour que les aspects les plus intéressants du débat soient communiqués à l’ensemble de la population.
Sur un sujet comme le décrochage scolaire par exemple, les Regroupements qui s’intéressent à l’éducation, au travail et à l’économie peuvent travailler en commun pour faire en sorte que l’État, le réseau scolaire, les familles, les associations volontaires et les entreprises élaborent ensemble des solutions et les mettent en œuvre.
C’est ainsi que les Regroupements sont au centre d’un réseau qui rejoint non seulement les institutions de l’État, mais aussi l’ensemble de la société civile, de même que les entreprises. Ils représentent une composante essentielle de la bonne gouvernance et jouissent d’une grande influence, car ils sont en relation très étroite avec les membres de l’Assemblée nationale qui proviennent d’ailleurs de leurs rangs.
Le tirage au sort est il «politically correct» ?
À la fin des années ’60, alors que je travaillais à la Commission de la fonction publique du Canada (CFP), l’équipe dont je faisais partie avait fait une étude sur les concours de recrutement universitaire. À l’époque, des centaines de comités de sélection faisaient des entrevues dans les universités canadiennes pour sélectionner des administrateurs stagiaires. Plusieurs doutaient de la qualité de la sélection effectuée par ces comités. Un cas célèbre était celui de Maurice Strong qui était devenu président de l’ACDI après être entré au service du gouvernement fédéral par une autre porte que celle des administrateurs stagiaires, car il avait été jugé non qualifié ! Comme les étudiants n’ont pas d’expérience professionnelle, il est difficile de baser la sélection sur des critères pertinents. Étant donné que l’obtention d’un diplôme universitaire constitue une qualification adéquate pour devenir administrateur stagiaire, les membres des comités de sélection risquent d’introduire leurs biais personnels plutôt que d’apporter une valeur ajoutée au recrutement.
Les auteurs de l’étude croyaient qu’il aurait été possible de convaincre les gestionnaires de la fonction publique de remplacer les entrevues par un tirage au sort, procédé qu’ils considéraient plus efficace et plus juste, mais les autorités de la CFP étaient convaincues que ni les candidats, ni le public canadien (sans parler des politiciens fédéraux) n’accepteraient cette façon de faire. Pour utiliser une expression contemporaine, la formule n’était pas considérée comme «politically correct».
Le tirage au sort est bien accepté pour la sélection des jurés aux procès criminels, mais n’est pas utilisé dans le domaine politique. Pourtant ce moyen n’est ni fantaisiste, ni déraisonnable.
Les élections donnent aux gens l’impression de choisir leurs représentants, mais cette perception est illusoire : ce sont les partis qui choisissent, les électeurs ne faisant que ratifier les choix. Le pouvoir de décision de ces derniers est minime, surtout dans les comtés déjà acquis à un parti politique.
Dans le système de démocratie participative que je propose, le tirage au sort serait utilisé à deux moments différents pour la sélection des membres de l’Assemblée nationale : afin de réduire le nombre de candidats à un niveau acceptable en vue d’un examen des compétences et pour la sélection finale parmi les candidats jugés qualifiés.
Les partis politiques n’ont pas une feuille de route bien convaincante lorsqu’il s’agit de choisir des candidats qualifiés. L’exemple du NPD lors des dernières élections fédérales au Québec en est une illustration frappante. Un examen des compétences suivi d’un tirage au sort est une méthode plus prometteuse. Un autre avantage de cette approche serait de permettre une représentation équitable des hommes et des femmes, des francophones, des anglophones et des autochtones, des divers groupes d’âge et des régions au sein de l’Assemblée nationale.
Critères démocratiques
Quel système est le plus démocratique : celui où 60% des électeurs se prononcent une fois tous les quatre ans ou celui où 20% des gens participent assidûment à l’élaboration des politiques publiques ?
En démocratie élective, les citoyens abandonnent aux élus le pouvoir de gouverner. Les gouvernants peuvent ainsi agit à leur guise durant tout leur mandat. Comme ils n’ont pas voix au chapitre, la grande majorité des électeurs suivent la politique de façon distraite, car ils ne voient aucune raison de s’impliquer dans des questions sur lesquelles ils n’ont aucun pouvoir de décision.
La démocratie participative transforme la relation entre les gouvernants et les gouvernés. Ces derniers sont invités, par le biais des Regroupements, à participer à l’élaboration des politiques publiques et à leur mise en œuvre. Les personnes qui décident de consacrer du temps et des efforts à la participation politique ne sont pas nécessairement très nombreuses, mais elles disposent d’une grande influence parce qu’elles se tiennent informées.
Ce qui nous ramène à la question du début : vaut-il mieux avoir une grande masse de gens peu informés qui se prononcent souvent à tort et à travers lors d’élections sporadiques, ou bien un nombre beaucoup moindre de personnes qui travaillent activement à la bonne gouvernance ?
On peut aussi poser la question différemment : si quelqu’un veut trouver son chemin, est-il préférable qu’il se fie à mille aveugles ou à un borgne ?
La démocratie élective accorde beaucoup d’importance à la participation aux scrutins. C’est ainsi que lorsque le taux de participation diminue fortement, on dit que la démocratie se porte mal. Certains songent même à rendre le vote obligatoire pour garantir une forte participation, comme si le vote d’un plus grand nombre d’ignorants était plus bénéfique que l’opinion éclairée d’un plus petit nombre.
La démocratie participative ne met pas l’accent sur le nombre de participants, mais sur la qualité de leurs interventions. C’est parce que les gens sont bien informés qu’ils peuvent s’impliquer dans les débats publics et influencer la prise de décisions. La plupart des enjeux de politiques publiques ne sont pas de nature à soulever les passions et, par conséquent, ceux qui s’en préoccupent sont peu nombreux. De temps à autres, cependant, certaines questions retiennent l’attention et le nombre de gens susceptibles de s’y intéresser peut exploser. Dans tous les cas, les Regroupements sont en mesure d’orchestrer les débats et de faire en sorte que la volonté du peuple s’exprime clairement.
Si la démocratie est «un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple», la démocratie participative est sans aucun doute meilleure que la démocratie élective.
La démocratie participative exige-t-elle des gens vertueux ?
À la page 152 de mon livre j’écris : «Les Regroupements s’inspirent de la tradition républicaine en ce sens que l’implication politique est vue comme une contribution désintéressée au développement de la société». Certains ont interprété cette phrase comme signifiant que la démocratie participative exige que les gens oublient leurs intérêts personnels au profit du bien général. Ce n’est pas le cas.
Les gens défendent habituellement les idées et les intérêts des groupes auxquels ils s’identifient ou qu’ils représentent. Si leur allégeance se déplace, ils modifient automatiquement leurs vues. Ainsi, par exemple, le maire d’une municipalité qui combat les fusions municipales se ralliera à cette idée s’il devient maire de l’entité regroupée. Un syndicaliste qui devient cadre de l’entreprise qui l’emploie défendra naturellement les intérêts de la direction plutôt que ceux des employés.
Les Regroupements, par définition, rassemblent tous les individus qui s’intéressent à un domaine de politique publique, qu’ils soient de gauche ou de droite, partisans de la centralisation ou de la décentralisation, en faveur d’un rôle accru du gouvernement ou d’un désengagement de l’État, etc. Les personnes choisies par les Regroupements pour siéger à l’Assemblée nationale sont amenées tout naturellement à partager les objectifs des Regroupements qui sont de recueillir tous les faits et toutes les opinions, sans parti pris idéologique, afin d’animer un débat public et de participer à la bonne gouvernance.
Dans le contexte de la démocratie participative, les membres de l’Assemblée nationale peuvent difficilement défendre des intérêts particuliers parce qu’ils sont mandatés par les Regroupements pour être au service de l’ensemble de la population. Ils doivent démontrer la plus grande ouverture et une transparence sans faille au risque d’être vertement dénoncés s’il leur arrivait de faire preuve de partialité.
Par conséquent, les délégués choisis pour siéger à l’Assemblée nationale n’ont pas à être particulièrement vertueux. Ils n’ont qu’à se conformer aux souhaits et aux attentes de ceux qu’ils représentent. Ce qui n’est pas trop demander, car les gens ont naturellement tendance à agir en fonction de ce qui est attendu d’eux.
Une nouvelle dynamique politique
La dynamique politique actuelle est totalement centrée sur les élections : les politiciens ont constamment en tête leur élection ou leur réélection. Les questions auxquelles ils décident de s’attaquer, leurs réactions aux problèmes qui surgissent, les politiques et les programmes qu’ils mettent de l’avant, les alliances qu’ils établissent ou qu’ils renversent, bref toutes leurs actions sont analysées sous l’angle des impacts possibles sur les prochaines élections.
Comme les élections ont habituellement lieu aux quatre ans et beaucoup plus souvent lorsque le gouvernement est minoritaire, leur perspective est à courte vue. Les politiciens ne s’attaquent jamais au long terme, sauf lorsqu’ils sont confrontés à des crises majeures. Comme la plupart des problèmes qui affectent nos sociétés, que ce soit en matière économique, d’éducation, de santé, d’environnement ou de finances publiques, exigeraient des mesures à long terme, les gouvernements se contentent de demi-mesures.
Les choses changeraient du tout au tout avec une démocratie participative. Les gens actifs au sein des Regroupements exigeraient des membres de l’Assemblée nationale qu’ils s’attaquent aux vrais problèmes. Ils réclameraient que l’État s’adresse aux enjeux du XXIe siècle. Une nouvelle dynamique politique serait instaurée.
Rien ne s’opposerait à ce qu’on établisse dans un premier temps un portrait sans complaisance de la situation du Québec en considérant tous les angles, c’est-à-dire les aspects sociaux, démographiques, économiques, culturels, etc. Ce portrait pourrait être réalisé pour le Québec dans son ensemble et pour chacune des régions.
On pourrait ensuite élaborer une vision de ce que le Québec devrait être dans vingt ans. Puis, on déterminerait les mesures à prendre ainsi que les contributions attendues de l’État, de la société civile et des entreprises. On établirait des plans concrets et on en ferait le suivi.
Il s’agirait là de tâches très stimulantes qui mettraient à contribution l’administration publique, les services de l’Assemblée nationale, les Regroupements, les universités et centres de recherche, de même que tous les groupes qui voudraient y participer. Quelques années seraient sans doute nécessaires pour les mener à bien, mais les impacts d’un tel projet en termes de bonne gouvernance seraient incalculables.