Chacun son métier #2

Le très populaire chef Martin Picard du restaurant Au pied de cochon a fait paraître cet automne un beau livre qui est devenu un des succès de la saison. Le travail d’édition est de grande qualité. Étonnant même puisqu’il a été fait de manière indépendante. Ne voulant certainement pas faire n’importe quoi, Martin Picard a su s’entourer et le résultat est impressionnant. Tous les médias l’ont encensé avec raison. L’album, à l’image du chef, est une célébration de la chair loin de l’épicurisme propret de Chrystine Brouillet ou de Francine Ruel. Outre des recettes, on y retrouve des textes, des photos et des planches de bandes dessinées. Beaucoup plus qu’un simple livre de recettes.
Là où le bat blesse, c’est au niveau de la mise en marché du livre. Si on a bien conseillé Martin Picard pour l’aspect éditorial, il en est tout autrement en ce qui a trait à la distribution de son livre.
Quand les médias ont commencé à parler du livre, une grande majorité de librairies n’en connaissaient même pas l’existence; à part les grandes chaînes bien entendu à qui on avait offert une certaine exclusivité. Les bonnes petites librairies personnalisées, qui n’avaient pas été contacté, on du se débrouiller avec les moyens qu’ils avaient pour réussir à le commander afin de satisfaire leur clientèle avisée.
Résultat : les meilleures librairies du Québec ne pouvaient répondre à la demande alors que le livre Au pied de cochon ornait déjà les vitrines des grandes chaînes.
Ce n’est pas tout. Martin Picard et sa bande, ne connaissant pas les enjeux de la distribution, plutôt que de fixer un prix de vente au détail comme c’est le cas dans le domaine du livre, ont fixé un prix d’achat laissant le libraire décidé de son prix de vente.
Résultat : au restaurant Au pied de cochon et dans certaines grandes chaînes, on le trouvait à $60.00 et dans la plupart des bonnes petites librairies à $75.00. La clientèle avisée a évidemment reproché aux bonnes librairies de le vendre trop cher.
Ce n’est toujours pas tout. N’ayant pas de distributeur attitré, le livre était offert en consignation aux librairies. Normalement, lorsqu’il s’agit d’une consignation, la librairie paye les livres une fois qu’ils ont été vendus. S’il en recommande, comme ce fut le cas avec l’album Au pied de cochon, il devrait logiquement les payer une fois cette nouvelle commande écoulée. Martin Picard et sa bande, grisés par leur succès, ne l’entendent pas comme ça. Ils exigent que les librairies payent au fur et à mesure une fois leur première commande vendue. Les bonnes petites librairies sont un peu prises en otage. Cesser de le commander ou répondre aux demandes de leur clientèle avisée?
Résultat : on laisse un chef-cuisinier nous dicter les règles de la distribution de son livre.
Conclusion : si on ne s’improvise pas chef-cuisinier, on ne devrait pas non plus s’improviser distributeur de livres.

9 réflexions au sujet de « Chacun son métier #2 »

  1. Le cas est intéressant et illustre bien la fragilité de la chaîne du livre.
    Une question me vient directement à l’esprit : pourquoi les libraires acceptent-ils de vendre ce livre si celui-ci ne respecte pas les règles du marché ? De même qu’il est difficile pour un éditeur de boycotter un critique, il est suicidaire pour un libraire de passer à côté d’un beau et bon livre très médiatisé.
    Au final, la solution passe par l’éducation et la reconnaissance des divers artisans du livre. Quant au prix unique du livre… c’est un autre débat !

  2. Bonjour Eric,
    Cela me fait penser au cas d’une librairie de Québec qui avait eu la distribution exclusive d’un magnifique ouvrage de jardinage il y a quelques années, intitulé « Un jardin extraordinaire ». Ce livre avait eu d’excellentes recensions et les librairies du Québec avaient dû pédaler solide pour dénicher son distributeur et obtenir des exemplaires, ce dernier ayant vraisemblablement oublié de le présenter à tout le monde. C’était qui déjà le distributeur-libraire? ;-)
    En passant, c’est clair en parlant avec les gens du Pied de cochon que ces derniers ignorent tout du milieu du livre et qu’ils sont complètement dépassés et débordés par le succès de leur projet.
    Je dois admettre cependant que je trouve cela assez sympathique qu’un néophyte amateur qui s’est payé un trip remporte autant de succès auprès du public, en dépit de l’absence d’une imposante machine de diffusion et de marketing derrière lui. C’est ce genre de petites surprises inattendues qui rendent le métier intéressant, même si, je te l’accorde, c’est parfois frustrant.
    Joyeuses Fêtes et bonnes lectures.

  3. M. Herman soulève une question fort pertinente, toutefois, je ne crois pas qu’on puisse qualifier de « suicidaire » le fait de boycotter un livre, si médiatisé soit-il.
    Il ne s’agit pas ici des Bienveillantes ou de Harry Potter, mais d’un livre de cuisine..
    Si j’étais roi, et que j’étais offusqué par un tel comportement, je n’éprouverais absolument aucun remords à ne pas tenir le livre en librairie.
    Il faut savoir remettre les emmerdeurs à leur juste place.
    Voilà!
    Charles Quimper

  4. Pour un libraire, ce n’est pas tant de boycotter un livre en particulier et de se fâcher avec un éditeur ou un auteur qui est nocif mais plutôt de décevoir un client. Si celui-ci ne trouve pas en rayon le livre tant vanté par les critiques, tandis que les grandes chaînes en font des piles à l’entrée de leurs succursales, il pourrait fort bien déserter les allées de son libraire habituel.
    La force du libraire indépendant est dans le service et la variété offerte. Ce serait bien un comble de concéder ce point.

  5. Merci pour la vulgarisation, très intéressant.
    Le livre du Pied de cochon est vraiment bien fait. C’est un beau livre comme il s’en fait peu, c’est dommage que sa distribution soit mal adaptée. Ce que ça soulève aussi, c’est pour quelle raison n’y a t-il pas plus de beaux livres comme celui-là au Québec?

  6. Un éditeur pourrait répondre de façon plus juste que la mienne, mais je vois deux raisons importantes au fait qu’il ne se fait pas beaucoup de beaux livres au Québec: le coût de fabrication et l’exiguïté du marché.

  7. Bonjour cher stentor, chantre de la bonne et juste distribution !
    Je me présente, Jean-François Boily, auteur de tous les textes de L’Album du Pied de cochon et personne en charge de sa distribution jusqu’à maintenant. Merci pour les louanges attribuées à notre livre. Elles font plaisir à lire.
    Je tiens par contre à préciser que nous n’avons jamais prétendu être des pros de la distribution. Cependant, avec plus de 100 points de vente dans le Québec tout entier, nous ne croyons pas que nous priorisons une librairie ou une autre.
    De la même manière que nous n’avions jamais fait de livre et l’avons appris en le faisant, nous sommes maintenant en mesure d’offir un meilleur service de distribution aux libraires. N’oubliez pas que le livre est tout jeune et n’est sur les tablettes que depuis trois mois. Son succès nous a mis « dans le jus », comme on dit en restauration.
    À partir de là, si nous n’avons pas pu satisfaire tout le monde, nous nous en excusons.
    Mais il ne faudrait cependant pas nous faire un procès d’intention en nous accusant d’être grisés par le succès et d’exiger sans justification le paiement des livres, plutôt que de les « prêter » en consignation comme le font les gros éditeurs et distributeurs. Il faut seulement garder en tête que nous n’avons pas été subventionnés comme tout un chacun dans le milieu pour faire ce que que nous avons fait. Et que les réimpressions du livre n’ont évidemment pas été gracieusement offertes par l’imprimeur…
    Nous cherchons cependant à accomoder le mieux possible les petits libraires à mesure que nous comprenons les rouages du merveilleux monde du livre.
    Ceci dit, à tous ceux qui veulent faire de nous des « emmerdeurs » (dixit Charles Quimper) ou des « preneurs d’otages » (dixit Éric Simard), nous répondrons simplement que notre Album est un hommage à la bonne chair, au plaisir et à la bonne humeur.
    Si L’Album en vient à susciter des réactions autres que celles-ci, nous seront toujours heureux de reprendre nos livres pour les envoyer là où ils feront plaisir.
    Bonne année, bon appétit et bonnes lectures à votre santé.
    Jean-françois Boily

  8. Monsieur Boily, je ne suis pas un chantre de la bonne distribution. Je suis libraire et je connais le fonctionnement de la chaîne du livre. J’aime aussi qu’on respecte l’univers dans lequel je travaille. Chaque secteur d’activité a sa façon de faire les choses. En vous lançant dans celui du livre, vous auriez eu avantage à vous informer de son fonctionnement. Il y a plusieurs bons distributeurs qui auraient pu s’occuper très bien de la distribution de votre livre. Tout le monde aurait été satisfait. C’est ce que je déplore dans mon billet.

  9. Ah M. Boily!
    Je ne voulais pas vous qualifier d’emmerdeur, mais à mon avis les emmerdes commencent aussitôt qu’un fournisseur, petit ou gros,demande de payer d’avance les exemplaires déposées en librairie.
    Les gros fournisseurs ne prêtent pas les livres comme vous le prétendez, mais ils allouent un délai de plusieurs mois pour payer la facture.
    Les petits commerces n’ont pas toujours le loisir de payer à l’avance pour des livres qu’ils ne sont pas certains de vendre en définitive.
    Dans le cas du Pied de Cochon, la demande est forte en ce moment, alors cela pose très peu de problèmes. Mais qu’en sera-t-il lorsque l’intérêt aura diminué?
    C’est, je crois, ce qui peut choquer certaines petites librairies qui n’ont pas les reins assez solides pour couper le prix de vente, ou pour acheter d’avance une grande quantité de vos livres.
    Bonne Journée.

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