Il est encore prématuré de faire le bilan des fêtes du 400e, mais une article du Devoir m’y incite. Je ressuscite donc mon blogue au grand plaisir de Gilles Herman et, je l’espère, de quelques lecteurs.
Voici l’entrevue non sollicitée qui a tout déclenché:
Le 400e de Québec et l’histoire – Une fête célébrée à la sauce Canada
RÉGINALD HARVEY
Édition du samedi 27 et du dimanche 28 septembre 2008
Mots clés : 400e de Québec, Nationalisme, Festival et fête, Québec (province), Québec (province)
« Ils avaient peur qu’en brassant l’histoire on ravive la flamme nationaliste »
Photo: Jacques Grenier
La Société du 400e a réservé jusqu’à présent une place plutôt mince à l’histoire, s’il faut en croire les propos de l’historien et éditeur Denis Vaugeois. Ce grand événement fut plus festif qu’historique : le plat a été préparé pour en faire ressortir la saveur nationale canadienne plutôt que celle du Québec, dont le véritable goût a été dissimulé dans le tourbillon des fêtes.
L’historien Denis Vaugeois résume sa pensée sur la place réservée à l’histoire à Québec: «Les gens l’ont ressenti comme une perte d’histoire, et c’est une perte d’identité, et on ne voulait rien faire pour renforcer le sentiment identitaire québécois. C’est quasiment légitime. Depuis 1995, le Canada a vécu un référendum qui lui a causé un grand effroi. Là-bas, ils ont des comités qui scrutent toutes ces questions-là. Ils ont vu venir le 400e de Québec et ils se sont organisés pour aller dans le sens où les événements se sont déroulés. Dans l’esprit canadien, c’est absolument légitime: eux, ils défendent et protègent le Canada. S’ils ont à défendre une identité, c’est l’identité canadienne.»
Laconique, il se prononce de la sorte sur ce que l’organisation du 400e a célébré ou souligné jusqu’à maintenant: «À mon avis, je dirais: rien.» Il s’explique: «Je me souviens d’un article de Robert Laplante qui relevait des propos figurant dans Le Devoir et disant qu’ils avaient raté leur coup, à la suite du spectacle du 31 décembre dernier. Il écrivait plutôt qu’ils ne l’ont pas raté du tout; c’est ce qu’ils voulaient.» Il poursuit: «Le mot d’ordre au départ, c’était d’occulter le passé, l’histoire, et de ne rien retenir à contenu historique, d’éviter cela comme la peste. Telles étaient les orientations qui avaient été retenues et planifiées au début. Voilà ce qui a été réalisé et ce qui a été réussi.»
Il remonte à la source: «C’est une affaire qui a été pensée à Ottawa depuis très longtemps, tellement qu’on avait, dès les années 2000, prévu de souligner avec insistance la fondation et la naissance de l’Amérique française à partir de l’Acadie. On a mis de l’argent là-dedans, on a organisé des activités concrètes, on a soutenu plein de projets, et de très beaux livres sont parus à l’occasion de la célébration du 400e de l’Acadie (1604-2004): c’était cela qui était reconnu comme la naissance de l’Amérique française. Une fois rendu en 2008, on a mis en place des gens qui avaient comme instruction de souligner l’aspect festif de l’année, donc d’avoir de l’argent pour la fête et de ne pas en avoir pour tout ce qui était des projets à caractère historique.»
Une histoire mise de côté
Les Paul McCartney et Céline Dion en sont la preuve: «La présence de ces deux artistes n’était pas planifiée, mais il y a eu beaucoup d’autres événements festifs. On a eu droit à un feu roulant et cela a été réussi sous cet aspect-là, mais l’aspect historique a été occulté; c’était voulu comme cela. Ils avaient peur qu’en brassant l’histoire on ravive la flamme nationaliste. C’est aussi simple que cela.»
Le Moulin à images présente une exception: «C’est venu très tôt dans la programmation, et Robert Lepage, c’est un nom incontournable, comme le Cirque du Soleil, si on veut. De toute façon, les organisateurs ne connaissaient pas le contenu, qui a priori avait l’air
inoffensif; sur le plan technique, le caractère spectaculaire ressortait. On a donc joué la carte du Moulin, mais il n’y avait pas de quoi vraiment énerver le monde parce que c’était beau, mais il n’y avait aucun contenu et on s’est bien abstenu d’expliquer quoi que ce soit dans ce défilé d’images. J’applaudis à cela et j’ai beaucoup aimé; le choix des images était d’ailleurs correct, intelligent et tout ça était tout à fait approprié pour les silos qui étaient là. C’était vraiment génial, mais même dans la brochure il n’y a pas un mot d’explication.»
De rares propositions acceptées
De l’avis de l’historien, les initiatives ont surgi de plusieurs groupes à la fois: «Il y a eu une infinité de projets qui ont été soumis. Les sociétés historiques ont soumis des choses, les éditeurs ont proposé des projets de livre et les cinéastes ont défendu des scénarios. Je connais un projet en histoire qui a passé et c’est une exposition sur les Juifs de Québec qui a été montrée à la gare du Palais. Je crois qu’une expo a aussi été retenue sur les immigrés et, finalement, on va rescaper des conférences du 400e, qu’on va confier à Bernard Arcand.»
En cours de déroulement, le tir a tout de même été corrigé: «Après l’affaire du 31 décembre et avec l’arrivée de Labeaume, les gens ont été déplacés les uns après les autres. Tranquillement, il y a des projets à caractère historique qui n’ont pas été écartés aussi cavalièrement ou qui ont été jugés inoffensifs et ont été retenus; on ne pouvait pas dire non au petit groupe qui voulait faire l’histoire des Juifs, ce qui aurait été indécent.»
En cas de refus, la même réponse se faisait inévitablement entendre: «Ce n’est pas assez festif. En fait, ils ne voulaient pas de contenu historique.» D’autres ont pris la relève: «L’Assemblée nationale a publié un magnifique livre et les professeurs de l’université Laval ont fait de même. Par contre, je connais plein d’éditeurs et de revues qui avaient des projets; ils ont adressé des demandes au 400e, pour se faire dire non parce que ce n’était pas assez festif.» Une sorte d’état d’esprit s’est installé: «L’idée qui circulait, pour justifier l’approche qu’on prenait, c’était que Québec est trop souvent présentée comme une ville historique qui est chargée d’histoire; il faut maintenant lui donner l’image d’une ville tournée vers l’avenir. Tel était le mot d’ordre.»
La place de l’histoire
Denis Vaugeois désigne ce qui aurait dû être réalisé dans un contexte historique: «Il se serait entre autres agi d’appuyer les projets qui se sont faits malgré tout. L’Assemblée nationale a utilisé les services de quatre historiens pendant je ne sais trop combien de temps, pour sortir un ouvrage absolument magnifique sur l’histoire de la ville de Québec; cette initiative aurait dû être soutenue financièrement et publicisée par le 400e.» Heureusement, la Ville a pris la relève dans certains cas et a apporté son appui à des projets à caractère historique: «Elle a dégagé un fonctionnaire à plein temps, a fourni de l’argent et a trouvé un espace dans la programmation pour en arriver là.» Il en est allé de même pour plusieurs groupes privés: «Pour le 400e, on ne peut parler d’une note de zéro en matière de contenu historique, c’est 10 sur 10 qu’ils ont obtenu, parce qu’il n’en voulait pas. Ils ont réussi à « goaler » à peu près à la perfection tout rappel historique.»
Il fournit sa vision d’historien: «Pour nous, Québec, c’est une porte d’entrée du continent. L’histoire du continent est liée à cette ville. On aurait pu expliquer aux immigrants que leurs ancêtres sont entrés ici autrefois, historiquement, par Québec. C’est une ville avec une diversification beaucoup plus grande que le jour sous lequel on veut bien la présenter. En fait, cette ville, ce sont tous les textes qui figurent derrière Le Moulin à images.»
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