Tous les articles par Eric Simard

Il faut qu’on parle de Kevin

Ça fait plus d’une semaine que j’ai terminé la lecture de ce livre et je suis encore sous le choc. Mes réactions ne sont qu’émotives lorsque je viens pour en parler. Je cherche mes mots. Aucun ne semble adéquat. C’est rare qu’une lecture me fait cet effet. Je me souviendrai toujours de la confession sans concession d’Éva, cette mère d’un jeune adolescent responsable d’une tuerie à son école. Elle prend à témoin son ex, le père de Kevin, en lui adressant des lettres dans lesquelles elle cherche à comprendre le geste de leur fils. La tuerie est le prétexte idéal pour parler de nos sociétés modernes sclérosées, de notre quête existentielle (ou la perte de cette quête).
C’est un direct en pleine gueule que nous envoie Lionel Shriver à travers cette histoire déchirante. Elle ose dire tout ce que l’on ne doit pas dire à une époque en pleine négation de la nature humaine profonde.
En dire plus serait inutile. Il faut qu’on parle de Kevin est un roman exceptionnel, un coup de massue littéraire. Quand j’ai refermé le livre après l’avoir terminé, sonné et ému, je me suis dit que c’était pour faire des rencontres littéraires comme celle-là que j’aimais autant la lecture.
Est-ce nécessaire d’ajouter que c’est le meilleur roman que j’ai lu depuis des années?

Cette fille-là

Hier soir, je suis allé allez voir la pièce Cette fille-là au Périscope. Un 65 minutes d’intensité dramatique porté par une Sophie Cadieux impressionnante. Elle campe une adolescente anéantie par le meurtre crapuleux d’une fille de son âge commis par une autre fille de son âge. À travers son long monologue, elle cherche à comprendre la raison de ce crime gratuit. C’est un cri du coeur désespéré, un cri d’alarme provoquée par la méchanceté gratuite d’un humain envers un autre humain, une revendication pour une vie meilleure. Mais surtout, c’est le cri d’une enfant perdue dans l’immensité de la vie et qui réclâme un port d’attache ou peut-être juste un peu d’amour!!!
C’est la première fois que je voyais Sophie Cadieux sur scène et je peux vous dire qu’elle est à la hauteur de sa réputation. Elle m’a subjugué du début à la fin. J’ai ressenti la profonde douleur existentielle de cette fille-là et je dois avouer que par moment elle ressemblait étrangement à la mienne.

Deception Point

Après une trop longue absence causée par des problèmes informatiques, me voilà de retour. D’ailleurs, ce billet me trotte dans la tête depuis longtemps alors que, au fil de mes lectures des derniers mois, je n’allais que de déception en déception. Pour un lecteur toujours avide de petits bijoux littéraires, c’est pour le moins frustrant. C’est un peu le revers du métier de libraire qu’on a tendance à idéaliser comme si nous ne lisions que de bons livres dans un plaisir toujours renouvelé. Ce n’est malheureusement pas le cas. Ce texte en sera la preuve.
Pour me libérer de ma frustration, j’ai pensé la partager avec vous. J’aimerais aussi que vous me fassiez part de vos propres déceptions question de se faire du bien ensemble.
Les titres choisis ne comprennent que ceux d’auteurs dont j’avais particulièrement aimé le travail auparavant.
Voici ce que ça donne:
- L’angoisse des poulets sans plumes de Sébastien Chabot (Trois Pistoles) : Tout est trop dans ce second livre de l’auteur du surprenant premier roman Ma mère est une marmotte. Un peu de sobriété dans l’écriture n’aurait pas fait de torts à son histoire familiale pour le moins tordue. Malgré tout, on lui donnera une troisième chance.
- Le labyrtihne du temps de Maxence Fermine (Albin Michel): Cette pâle arabo-fable pour adulte ne parvient jamais à décoller. On a du mal à croire qu’elle provient de l’auteur qui a signé le superbe roman Amazone. Fermine commence peut-être à souffrir du syndrome de surproduction dont souffre Amélie Nothomb. Un prochain titre décevant pourrait me faire décrocher.
- Un peu de désir sinon je meurs de Marie Billetdoux (Albin Michel): Ici, sont consignées les lettres que l’auteure envoie à son éditeur pour lui faire part de son désarroi existentiel suite au décès de son mari. Jamais on ne se sent partie prenante de son tourment et on s’ennuie de Raphaële qui nous avait donné de bons romans comme Mes nuits sont plus belles que vos jours.
- Une odyssée de Julien Bouissoux (de l’Olivier): L’odyssée en trois étapes un peu absurbe mais jamais drôle à laquelle nous convie l’auteur ne va nulle part. Il aurait eu intérêt à en faire trois histoires disctinctes plutôt qu’un interminable roman sans queue ni tête. N’est pas Martin Page qui veut. On ne reconnaît pas l’auteur du sensible et profond Juste avant la frontière.
- La mer de la tranquillité de Sylvain Trudel (Les Allusifs): Une qualité exceptionnelle d’écriture (c’est la cas ici) ne fait pas nécessairement des livres extraordinaires. Ce recueil de Sylvain Trudel en est un bel exemple. Comme toile de fond, il utilise les thèmes éculés du sexe, de l’enfance et de la religion sans aucune originalité. On croirait lire un livre écrit il y a 25 ans. Si vous ne l’avez jamais lu, il faut lire Le souffle de l’harmattan.
- Eldon d’or d’Emilie Andrewes (XYZ): Avec ce deuxième titre, Émilie Andrewes semble avoir oublié de raconter une histoire intéressante pour rejoindre le lecteur. Si son écriture floue et l’intensité des personnages avaient séduit dans Les mouches pauvres d’Ésope, c’est plutôt un sentiment d’indifférence qu’elle crée dans Eldon d’or. Dommage! On peut permettre une faiblesse à cette très jeune auteure talentueuse.
- Chaque jour est un arbre qui tombe de Gabrielle Wittkop (Verticales): Ce roman posthume de cette auteure plutôt bizarre ne contient pas la force dont elle a su faire peuve par le passé. Le titre est sujet à une moquerie facile que je ne ferai pas. Je vous mets plutôt au défi de lire La marchande d’enfants. C’est le roman le plus dérangeant que j’ai pu lire de ma vie. Pour lecteurs qui sont capables d’en prendre.
- Ni toi ni moi de Camille Laurens (P.O.L.): Ce nouveau roman de Camille Laurens n’est pas mauvais en soi mais il n’est pas non plus à la hauteur de son talent. En lisant Ni toi ni moi, dans lequel elle transforme habilement ses échanges de courriels avec un cinéaste travaillant à l’adaptation d’un de ses textes, on y décèle un potentiel qui n’aurait pas été exploité complètement. La dernière partie sauve la mise mais c’est trop peu trop tard malheureusement. On lira les suivants sans hésitation. Je conseille fortement Dans ces bras-là, un superbe hommage aux hommes.
Voilà! Je me sens déjà mieux (et légèrement méchant :-)

L’art de la joie

Le métier de libraire, malheureusement trop peu payé, nous apporte tout de même son lot de joie et surtout de belles rencontres. Ce matin, au chouette restaurant Éclectique, nous étions conviés à rencontrer l’éditrice Viviane Hamy. Si le nom ne vous dit rien, c’est elle qui publie Fred Vargas. L’an dernier, elle a surpris tout le monde en publiant une oeuvre posthume de l’italienne Goliarda Sapienza L’art de la joie. Une oeuvre dense, complexe et marquante qui a trouvé 100 000 preneurs!!!!
Ce matin, Viviane Hamy, contrairement à beaucoup d’éditeurs, n’a pas joué la carte de vendre ses livres. Elle nous a longuement parlé de son parcours dans l’édition et de celui de certains auteurs de la maison dont François Vallejo. C’était passionnant. Tellement, qu’après, on aurait juste envie de lire tout le catalogue Viviane Hamy. On ne le fera pas, mais c’est tout de même le sentiment qu’elle nous a laissé après son passage.
Ce que je retiens le plus dans le discours qu’elle nous a tenu, c’est d’encore trouver extraordinaire que le livre d’un auteur inconnu puisse se vendre à 300 exemplaires. Dans un monde de plus en plus compétitif qui pense beaucoup à l’argent, d’entendre une éditrice qui connaît de grands succès parler ainsi (le dernier Vargas est rendu à 300 000 exemplaires), on peut être rassuré: le livre est encore un objet respecté.
Le libraire en moi a été rassuré. L’auteur encore davantage car je vois les choses de la même façon. Comble de bonheur, mon éditeur aussi!

La science des rêves

Le film de Michel Gondry La science des rêves prouve hors de tout doute qu’il ne suffit pas d’être ultra créatif pour faire un bon film. À part les deux acteurs au charisme incroyable (Gael Garcia Bernal et Charlotte Gainsbourg), ce film n’a rien d’excitant. Oui, il y a une grande inventivité artistique qui se veut un plongeon direct dans l’onirisme, mais le spectateur, lui, plonge plutôt dans le vide tellement le scénario est mince. On cherche constamment à s’accrocher à quelque chose d’intéressant. Seules les bébelles inventées y parviennent.
Je me suis rendu jusqu’au bout de ce rêve malgré de fortes envies de regarder l’heure régulièrement (pas bon signe ça au cinéma!) et à un certain moment, l’idée de sortir de la salle m’a effleuré l’esprit (encore moins bon signe). Je suis resté pour le sourire de Charlotte et la candeur de Gael. J’aurais été fou de ne pas en profiter!

Hadassa

Jusqu’à maintenant, la plus belle surprise de la rentrée littéraire se nomme Hadassa (Leméac). Écrit par Myriam Beaudoin, une jeune et talentueuse auteure, ce roman nous fait pénétrer dans l’univers des juifs hassidiques de Montréal. Le roman débute alors qu’une enseignante catholique doit donner son premier cours de français à de jeunes filles juives de 11-12 ans. C’est, en quelque sorte, le choc des cultures. Elle s’attache particulièrement à l’une d’entre elles prénommée Hadassa. Et là, on entre dans un univers ahurissant. On est projeté dans un tout autre monde alors qu’il est tout près de nous.
Le plus remarquable dans le travail d’écriture de Myriam Beaudoin est qu’elle semble mettre tout son talent uniquement au profit de son écriture. Elle ne cherche jamais à épater la galerie. Au contraire, tout est d’une simplicité, d’une sincérité et d’un respect étonnant. C’est ce qui fait toute la force de ce roman. Dès les premières lignes, elle installe une ambiance forte qui nous rend captif du début à la fin. De par sa singularité, Myriam Beaudoin se distingue et apporte une voix nouvelle au paysage littéraire québécois.
Je vous laisse sur cet extrait:
« On m’offrit alors un budget de cinq cents dollars, une minuscule pièce, sombre et froide, attenante au gymnase, et on exigea que chaque nouveau titre passe au comité de censure. Habituées depuis la maternelle, les filles ne chercheraient pas à savoir pourquoi, dans les nouveaux livres, un trait de feutre noir couvrait les jambes et les bras nus, les cochons et les églises, ni pourquoi plusieurs fois par page, des mots étaient rayés et remplacés par des termes manuscrits. »
Pour en savoir plus sur l’auteure: http://myriambeaudoin.com/

Laure Adler

Hier, j’ai eu le privilège de dîner à la même table que Laure Adler. Ce n’est pas quelque chose que j’aurais pu prévoir, encore moins espérer. Ça s’est passé dans le cadre de la journée annuelle de Dimédia (distributeur de livres). Elle était là pour présenter les nouveautés importantes du Seuil, qu’elle dirige maintenant depuis peu.
Comme c’est la coutume, quand arrive le dîner, des places nous sont déjà assignées (j’adore ce concept). C’est de cette façon que je me suis retrouvé assis en face de Laure Adler (quand même!). J’étais très content car c’est une femme de lettres que je respecte beaucoup. Son récit sur la perte de son enfant « À ce soir » m’avait profondément touché. D’ailleurs, je garde un souvenir impérissable de cette lecture intense. Aussi, j’avais littérallement dévoré sa biographie sur Duras, la plus intéressante et la plus complète sur le sujet. Et voilà que je me retrouve en face de cette dame.
Lorsqu’elle est arrivée dans la salle dans l’avant-midi, un peu comme une star en étant tout sauf discrète, je n’aurais pas parié sur un dîner intéressant en sa compagnie. Et pourtant, ce fut tout le contraire. Elle s’est montrée curieuse, intéressée et très à l’écoute lorsqu’un sujet l’interpellait particulièrement. La journaliste en elle n’était jamais loin. Elle a posé beaucoup de questions sur le Québec. On a discuté culture, littérature, radio, télé et un peu de politique. Bref, un dîner animé vachement stimulant pour une rencontre littéraire marquante.
Je me suis senti choyé.

Prix des abonnés 2006

La semaine dernière, j’ai appris que mon roman Cher Émile était finaliste pour le Prix des abonnés dans le réseau des bibliothèques de la ville de Québec. On a beau dire ce qu’on veut des nominations et des prix attribués, ça fait plaisir (surtout que dans mon cas c’est la première fois que ça m’arrive). Ce que j’apprécie le plus, c’est le fait que ça mettra en valeur mon roman dans la plupart des bibliothèques participantes pendant un mois. Ça prolonge du même coup sa vie. Même après 7 mois, Cher Émile a encore la chance de se faire valoir. L’auteur est très content.
Évidemment, tel un politicien, je cherche à faire sortir le vote! J’invite donc tous les résidents de la ville de Québec à aller voter pour mon Cher Émile dès aujourd’hui, et ce, jusqu’au 6 octobre. Qui sait, vous contribuerez peut-être à me faire gagner mon tout premier prix littéraire!

Pour la suite des choses

Depuis quelques étés, la radio de Radio-Canada a beaucoup de difficultés à trouver une émission estivale intéressante pour le créneau de 9h à 11h30 le matin. Cet été, ils avaient demandé à Patrick Masbourian de relever le défi et Pour la suite des choses a vu le jour. En le choisissant, j’imagine que Radio-Canada voulait rajeunir la formule en allant chercher un jeune animateur « branché ». Malheureusement, Masbourian n’a pas livré la marchandise. Visiblement pas à la hauteur de son mandat, d’un matin à l’autre, il semblait s’enfoncer de plus en plus dans son incompétence. Ses entrevues, souvent teintées de questions naïves (pour ne pas dire niaiseuses), n’arrivaient jamais à lever réellement. Il ne parvenait pas à retenir de petits rires méprisants vis-à-vis de ses invités lorsqu’il semblait en désaccord. Il était incapable de dire un nom au complet sans se tromper (lorsqu’il lisait les courriels des auditeurs, ça frôlait la catastrophe) et il ne pouvait s’empêcher d’y aller de points de vue éditorialistes qui n’avaient pas du tout leur place dans une émission comme celle-là.
Inutile de vous dire que j’ai trouvé l’été pas mal long en sa compagnie. J’avais beau essayer d’y prendre plaisir, je finissais toujours par fermer la radio. Heureusement que l’été a une fin et que Christiane Charette s’en vient. Pour la suite des choses, j’espère qu’elle n’aura pas lieu l’été prochain.

Festival des Films du Monde

Même si je ne fais que le regarder de loin depuis que je n’habite plus Montréal, je me réjouis du fait que le FFM soit toujours existant. C’est un beau pied de nez aux médias, qui, depuis plusieurs années, s’acharnent à vouloir la peau de Serge Losique en lui reprochant un peu n’importe quoi. Ce qui revient le plus souvent est le manque de prestige associé au Festival. Losique est trop ceci, pas assez cela. Trop de films, on s’y perd. Pas de grosses vedettes, pas assez de glamour, pas suffisamment de soirées superficielles et tout le clinquant des grands festivals de cinéma. Les stars, c’est probablement la dernière chose que les vrais cinéphiles recherchent dans un Festival. Chaque année, ils le prouvent en allant massivement voir les films présentés.
Quand je prenais mes vacances pendant le FFM, j’avais juste envie de faire mes propres découvertes dans ce vaste choix. Pour moi, il n’y en avait jamais trop. Sur 45 films visionnés, très peu me décevaient. Au contraire, j’ai fait des découvertes inoubliables et j’ai l’impression qu’elles n’appartiennent qu’à moi encore aujourd’hui. J’aimais la fraternité qui se développait de jour en jour avec les autres festivaliers. J’adorais faire la file à 9 heures du matin en sirotant mon café. Après, j’étais d’attaque pour enchaîner quotidiennement 4-5 films. À chaque début de projection, j’étais prêt à faire tous les voyages. Et je les faisais. J’adorais passer d’un univers à l’autre brusquement, de la grisaille hongroise à la légèreté italienne.
La première année que je me suis payé cette traite, je ne pouvais plus embarquer dans ces stupidités médiatiques. Je suis certain que chaque festivalier invétéré pourrait dire la même chose. Si Losique n’est pas courtois avec la sphère médiatique et qu’il n’en fait qu’à sa tête (c’est peut-être pour cette raison que son Festival a 30 ans cette année), ce n’est pas le problème du grand public. L’important est ce qui est présenté et le FFM joue un rôle primordial pour la diffusion des films étrangers et du cinéma d’auteur. Sans Losique et son Festival, j’aurais eu très peu de chance de voir des films Islandais, je n’aurais jamais découvert toute la richesse du cinéma de l’Europe de l’est, je n’aurais jamais connu le travail de Nikki de Saint-Phalle et combien d’autres univers qui sont venus enrichir le mien.
Malgré le refus des deux paliers de gouvernements à soutenir l’événement, Serge Losique est toujours debout et le temps semble lui donner raison. Même les médias sont confondus cette année. Soudainement, les journalistes commencent à changer leur fusil d’épaule (c’est un univers de plus en plus pute et de moins en moins objectif). On lui reprochait quoi au juste? Pourquoi ne pas prendre ce festival pour ce qu’il est: une rencontre pleine de promesse avec le cinéma de tous les pays du monde.