Archives pour la catégorie Lectures récentes

Les miscellanées littéraires de Monsieur S. #1

Quelques lectures en vrac:
Dawson kid de Simon Girard (Boréal) : pour ne pas trop tourner le fer dans la plaie, je vous laisse le soin d ‘aller voir mon commentaire sur le site de La recrue du mois.
Cap-au-Renard de Louise Portal (Bibliothèque Québécoise) : j’ai toujours eu un faible pour cette artiste. Je la suis depuis les années 80 alors qu’elle chantait sa rébellion. Je la suis moins assidûment comme auteur, mais de temps en temps j’ai envie d’aller y faire un tour. Si Les mots de mon père m’avaient séduit, je ne peux pas en dire autant de Cap-au-Renard dont l’action se passe en Gaspésie (très bien évoquée) et qui tourne autour du suicide d’une adolescente. Ce n’est pas un mauvais roman pour autant, mais trop souvent Louise Portal pêche par accès de métaphores. Son écriture gagnerait en qualité si on lui faisait enlever l’excédent de ses effets de style.
Trois quartiers de Valérie Mréjen (J’ai lu) : ce recueil contient les trois courts romans que l’auteure avait fait paraître aux éditions Allia (Mon grand-père, Agrumes et Eau sauvage). Considérée comme faisant partie de la relève littéraire en France, j’étais curieux de la lire. Je n’ai pas du tout accroché à son écriture qui n’est constituée que d’énumérations. Si l’exercice, qui emprunte un peu à l’autofiction, s’avère sympathique au début, il finit par lasser assez rapidement rendant le tout franchement pénible.
Joséphine et moi de Hans Magnus Ensensberger (Gallimard) : je dois cet agréable moment de lecture à Denis G. qui me l’avait chaudement recommandé. Tout le livre est bâti autour de la relation incongrue d’une vieille femme au caractère prononcé et aux idées parfois surprenantes et le narrateur, un homme sérieux sans signe particulier. L’échange entre les deux est souvent savoureux, légèrement intellectuel et très porteur. Joséphine fait partie de ces personnages aussi attachants que détestables. Pas aussi bon que L’élégance mais si le cœur vous en dit, allez-y!
Le jugement de Léa de Laurence Tardieu (Points) : la vraie relève française se nomme Laurence Tardieu. Elle nous a tous jetés par terre avec Puisque rien ne dure. En attendant Rêve d’amour qui vient tout juste d’atterrir dans ma pile, je n’ai pu résister à ce Jugement de Léa qui relate les longues heures d’attente d’une mère accusé du meurtre de son fils avant la tombée du verdict. Une fois de plus, la souffrance d’une mère (d’un parent) est au cœur de son univers. Même si ce roman n’a pas la puissance du premier cité, il en a les qualités en ce sens qu’elle évite le pathos et les clichés et sa construction n’en est pas une linéaire. L’écriture est dépouillée et bien ciselée. Valeur sûre, je vous dis!

Histoires sans fin #3

Je ne sais pas si c’est parce que je me suis habitué à lire des manuscrits, si c’est parce que je change de travail ou si c’est parce que j’ai rarement des lectures coups de coeur depuis plusieurs semaines, mais j’abandonne facilement mes lectures en ce moment. Je ne perds donc pas de temps avec les livres qui ne me plaisent pas. Ceux qui me passent entre les mains ont intérêt à démarrer sur des chapeaux de roues, sinon ça s’appelle au suivant.
En voici cinq qui n’ont pas eu l’heur de me satisfaire et dont je ne connaîtrai jamais la fin.
Mille soleils splendides, Khaled Hosseini (Belfond) : une déception que ce livre par rapport à l’intensité et la profondeur que j’avais ressenties à la lecture des Cerfs-volants de Kaboul. Ici, plutôt que celui d’un homme, on suit le destin de deux femmes afghanes. Le ton est tellement simpliste et le contexte du début misérabiliste, j’ai été dans l’impossibilité de compatir à leurs sorts pourtant tristes. J’avais l’impression de lire une version d’Aurore l’enfant-martyr en Afghanistan. Après 150 pages, j’en avais assez. Je n’ai pas envie de le reprendre même si on m’a dit que l’intensité augmentait en cours de route.
Le crime parfait, Frank Cottrell Boyce (Gallimard jeunesse) : puisque j’avais bien aimé Millions, son précédant titre, il était tout naturel que je veuille lire celui-ci. Dès le départ, j’ai trouvé la narration trop descriptive (l’auteur passe son temps à faire des énumérations plutôt que de créer de l’action) et superficielle. Je n’ai pas eu envie de suivre la petite vie anecdotique de cette famille vivant dans un bled perdu.
Quelque chose à cacher, Dominique Barbébis (Gallimard) : depuis que j’ai vu le film Entre ses mains (avec l’incroyable Isabelle Carré) adapté d’un de ses romans (Les kangourous), je m’étais promis de lire le prochain Barbéris pour découvrir cette auteure. Promesse tenue qu’à moitié. On se retrouve dans un petit village qu’on découvre via le regard d’un de ses habitants (le narrateur). C’est glauque, intriguant, mais ça ne lève pas vraiment. L’ambiance qu’elle installe est très forte, mais je trouve qu’il manque un peu de chair à ce roman.
Catastrophes, Pierre Samson (Les Herbes Rouges) : ce titre est finaliste au Prix des collégiens cette année et il sommeillait dans ma pile depuis sa sortie à l’automne. La semaine dernière, je me décide à le lire en étant persuadé que j’allais aimer ce portrait sarcastique du milieu de l’édition. Pierre Samson utilise l’érudition pour s’en moquer. Je suis loin d’être certain que c’était le bon choix. Moi, il m’a perdu plutôt que de me faire rigoler. Dès les premières lignes, j’ai su que ce n’était pas pour moi. J’ai persévéré un peu mais rien à faire devant cette surenchère de vocabulaire trop recherché à mon goût.
Les merveilleuses aventures de Miles Mercredi : Le palais du rire, Jon Berkeley (Hachette jeunesse) : la couverture psychédélique donne envie. Le début est très prometteur avec son ambiance à la Charles Dickens mélangée à un univers de cirque. Tous les éléments semblent réunis pour nous faire vivre une belle aventure. Et pourtant, mon intrusion dans ce roman n’aura été que de courte durée. Trop de confusion et de détours inutiles pour si peu de magie.

Bonheurs d’occasion #3

La voix d’Arnaldur Indridason (Métailié) : Je lis très peu de romans policiers mais il semble que je sache bien les choisir. Le fait que La voix se passe en Islande a pesé dans la balance. Le roman débute avec la découverte d’un cadavre dans une chambre d’hôtel. La victime est habillée en Père Noël. L’enquête nous fait découvrir le passé de cet homme solitaire et mystérieux et aussi les tourments de l’enquêteur. On ne doit pas lire ce livre seulement pour l’intrigue. Il faut le lire pour les personnages qui sont loin d’être unidimensionnels, pour la profondeur psychologique qui s’en dégage, pour l’humour sympathique d’Indridason et pour la forte atmosphère qui enrobe tout ça.
Dans le scriptorium de Paul Auster (Leméac/Actes sud) : Cette dernière plaquette de l’auteur n’est certes pas le meilleur livre qu’il ait écrit. La plupart des amateurs de Paul Auster s’entendraient pour l’affirmer. Toutefois, Dans le scriptorium ne laisse pas le lecteur indifférent. L’histoire de cet homme qui se retrouve dans une pièce fermée sans trop savoir ce qu’il fait réellement là, bien qu’elle soit floue, m’a interpellé. J’y ai vu une forte allégorie sur le vieillissement et toutes les pertes s’y rattachant. Pour les fans de l’auteur.
Le souffle de la hyène de Pierre Bottero (Rageot) : Celui à qui l’on doit la série à succès La quête d’Ewilan frappe peut-être plus fort (en ce qui me concerne du moins) avec ce premier tome d’une nouvelle trilogie intitulée L’autre. L’autre, une créature qui sommeillait dans les profondeurs de la terre depuis des siècles, est libérée accidentellement par des archéologues. Nathan et Shaé, deux jeunes adolescents ayant des dons particuliers, sont investis de la périlleuse mission de capturer cette créature menaçante. L’intrigue, qui flirte avec l’horreur, est vraiment captivante, très rythmée et juste assez complexe pour nous surprendre et maintenir notre attention jusqu’au bout. Un grand bonheur d’occasion.
La femme du Vième de Douglas Kennedy (Belfond) : Réglons une chose tout de suite : oui la fin est décevante. On m’avait prévenu, j’ai voulu ne pas le croire, mais on avait raison. Ne pas lire ce roman serait tout de même une erreur. J’ai eu un plaisir fou à suivre les déboires de cet américain qui débarque à Paris pour fuir son pays et qui se retrouve dans les bas-fonds parisiens. Ça paraît que Douglas Kennedy connaît bien cette ville. Il en fait ressortir tout le côté sordide dans un style qui rappelle les romans noirs. En même temps, il nous fait sourire par son côté loufoque. Un heureux mélange des genres qui séduit le lecteur. C’est juste dommage que la fin un peu surnaturelle vienne un peu gâcher le tout. Une première incursion dans l’œuvre de Kennedy vivifiante et certainement pas la dernière.
Journal d’un étudiant japonais à Paris de Christophe Léon (Serpent à plumes) : Quel étrange objet littéraire que ce roman français qui puise à même les principaux courants littéraires japonais. En principe, ce journal est celui de Tarô, cet étudiant japonais étudiant à Paris. En fait, ce n’est pas vraiment un journal. C’est une sorte d’ébauche de roman dans lequel plusieurs personnages interviennent à travers les écrits de ce Tarô en question qui aurait peut-être découpé en rondelles quelques filles de passage! Réalité ou fiction? Peu importe. Christophe Léon nous convie à pénétrer dans un univers bien particulier en jouant habilement avec l’invraisemblance. Pas mal du tout. Une belle curiosité pour ceux qui aime le dépaysement littéraire.

La tournée d’automne #3

Voici cette troisième tournée d’automne plutôt hivernale et toujours aussi féminine.
Les secrets du manoir de Martine Latulippe (Québec-Amérique jeunesse/Titan) : Martine Latulippe fait partie des belles rencontres que j‘ai faites cet automne à l’émission Encrage. Suite à cette rencontre, j’avais envie de vous parler brièvement de son dernier roman jeunesse. Pas parce qu’il est extraordinaire. Non. Plutôt parce qu’il y a justesse dans le ton, dans l’écriture et dans l’histoire pourtant simple qui se déroule dans un manoir un peu mystérieux le temps d’un été. Amour et inquiétude préoccupent la jeune Rosalie. Martine Latulippe ne tombe jamais dans la mièvrerie sentimentale ni dans les excès de style. Ça donne un roman charmant qui, je l’espère, saura plaire aux jeunes lecteurs.
Les carnets de Douglas de Christine Eddie (Alto) : voir mon commentaire sur le site La recrue du mois :-)
Le dernier frère de Natacha Appanah (de l’olivier) : Elle-même originaire de cette île, l’auteure s’est inspirée d’un fait historique s’étant produit à l’île Maurice durant la seconde guerre mondiale pour écrire ce roman prenant. À l’époque, un camp de réfugiés juifs, qu’on amenait par bateaux, avait été créé. Raj, un jeune garçon de dix ans, après avoir perdu ses deux frères, se lie d’amitié avec David, un jeune de son âge prisonnier de ce camp. Raj, à la vie à la mort, portera sur ses épaules le sort de ce frère-ami. Émotions garanties.
De grâce et de vérité de Jennifer Johnston (Belfond) : J’ai découvert cette auteure irlandaise par hasard. J’avais été attiré par la couverture mélancolique de Petite musique des adieux. Mon flair m’avait donné raison. Je suis tombé sous le charme de Jennifer Johnston. Avec De grâce et de vérité, peut-être avec moins de force, elle réussit encore à m’interpeller. Ici, on suit le drame intime de Sally, une actrice de renom qui se fait larguer par son mari alors qu’elle s’y attend le moins. Remonte à la surface une enfance trouble qui l’empêche de s’épanouir réellement. Ça sent le mélodrame, mais ce n’en est pas. C’est plus subtil car il y a le ton Jennifer Johnston qui fait toute la différence. Pour l’ambiance et la profondeur.
De ses mains de Rebecca Harding Davis (Phébus) : Les rééditions d’oeuvres tombées dans l’oubli que réédite Phébus régulièrement m’attirent toujours. Après Vingt-quatre heures d’une femme sensible qui m’avait réjoui, j’espérais que le petit miracle se reproduise avec De ses mains, roman social que l’on considère comme étant un des textes fondateurs de la littérature américaine. Fondateur, je veux bien mais, à part sa valeur historique, cette histoire de mineurs vivant dans des conditions de vie exécrables et qui rêvent d’une vie meilleure est loin de m’avoir passionné ou remué.

La tournée d’automne #2

Voici cette deuxième tournée toute féminine. De bonnes lectures dans l’ensemble mais toujours pas de sensation extrême à l’horizon.
L’année de la pensée magique de Joan Didion (Grasset) : Alors que, comme à l’habitude depuis de nombreuses années, elle soupe tranquillement avec son mari, ce dernier a une attaque cardiaque. Malgré les secours, il meurt. Pour elle, c’est comme si la vie s’arrêtait. Pendant un an, elle scrute presqu’à la loupe tout ce qui entoure la mort de son mari. Pendant un an, elle aurait voulu rattraper le temps afin que tout redevienne comme avant (d’où le titre). Un habile exercice de deuil littéraire qui ne tombe jamais dans le pathos et qui réussit néanmoins à rejoindre profondément le lecteur.
À ciel ouvert de Nelly Arcan (Seuil) : J’aurais tellement aimé pouvoir défendre ce troisième roman de cette romancière controversée qu’on ne cesse de juger par l’image négative qu’elle impose maladroitement. J’avais été subjugué par le talent et le souffle littéraire qu’on retrouvait dans Putain et Folle. De ce souffle, il ne reste à peu près plus rien dans À ciel ouvert. Voilà une grande déception pour l’amateur que je suis. Nelly Arcan nous sert gauchement du réchauffé en abordant le thème qui l’obsède, celui de l’image de la femme à travers le regard des hommes, le sexe et la chirurgie esthétique. Elle troque le je pour le il et, à mon avis, c’est là que tout tombe à plat. Ce il détaché, non intériorisé, qui traque le parcours de Rose et Julie, devient vite détestable pour le lecteur qui n’a pas envie de suivre ces deux gourdes superficielles qui se battent pour le même homme aussi peu charmant qu’elles. Nelly Arcan ne semble avoir aucune empathie pour ces deux personnages, aussi détestables puissent-elles être. Nous non plus. Souhaitons qu’elle passe à autre chose pour le quatrième acte.
La sœur de Judith de Lise Tremblay (Boréal) : Depuis La héronnière (le meilleur livre de l’auteure à ce jour), l’écriture de Lise Tremblay est devenue plus concrète, plus sentie et le lecteur ne peut que s’en réjouir. On la retrouve cette écriture dans La sœur de Judith, mais encore plus dépouillée, ce qui sert très bien la narratrice de douze ans. Douze ans, la fin d’une certaine innocence sociale (et personnelle par le fait même). Avec toute la vulnérabilité qui va avec, Lise Tremblay illustre très bien ce passage à travers le regard de cette jeune fille de Chicoutimi qui rêve d’un ailleurs meilleur qu’elle projette dans la sœur de Judith. C’est tout le Québec des années soixante qui est évoqué sous la plume de la romancière. C’est l’aspect le plus réussi de ce roman et c’est pour cette raison qu’il faut le lire.
Le retour à l’île aux cerises de Louise Turcot (Boréal inter) : j’ai un faible pour cette série jeunesse qui a du mal à trouver son public. De livre en livre, Louise Turcot nous montre l’évolution de Lulu, une jeune fille vivant seule avec sa mère à la fin des années cinquante. À l’instar de Lise Tremblay pour les années soixante, Louise Turcot réussit très bien à évoquer ces années d’après-guerre aux abords de Montréal. C’est encore plus vrai dans ce troisième volet alors que le cœur de Lulu (qui a maintenant douze ans) balance entre Gary et Luc. Elle découvre également le spectre de la seconde guerre mondiale et certains tourments de la vie. L’écriture de Louise Turcot est à son image : simple, fluide, chaleureuse et douce. Si vous l’aimez, vous aimerez les allées et venues de la petite Lulu à l’Île aux cerises. Le vrai public de cette série est définitivement celui de la comédienne.
Un effondrement de Ghislaine Dunant (Grasset) : L’exercice de Ghislaine Dunant peut s’apparenter à celui de Joan Didion. Plutôt que d’en être un de deuil, l’auteure a ressenti le besoin de revenir sur la dépression qu’elle a vécu il y a une trentaine d’années. Elle s’attarde principalement à cette période de « gel » où l’esprit de la personne dépressive est complètement détaché du corps qui l’abrite. Le début en fait, qu’elle nomme très justement l’effondrement. C’est surtout l’aspect médical et clinique de la chose qui ressort ici. Quiconque a côtoyé la dépression de près ne peut être insensible à ce livre. Pour avoir accompagnée quelqu’un pendant plus de deux ans, je n’ai pu rester insensible à plusieurs phrases tellement elles avaient une résonnance par rapport à ce que j’avais pu voir ou ressentir. Par contre, je ne peux pas dire que le récit de Ghislaine Dunant m’a complètement satisfait. Il n’est peut-être pas suffisamment porté par l’écriture ou l’émotion.

La tournée d’automne #1

Certains lecteurs étaient impatients d’avoir mon avis sur la rentrée automnale. Voici une première livraison de mes impressions.
La mandragore de Jacques Lazure (soulières) : Exploitant le mythe de la mandragore sous toutes ses coutures, Jacques Lazure signe un roman pour adolescent enlevant qui tient la route du début à la fin. Sylvain Ravine n’est pas au bout de ses peines car on ne se lie pas avec cette racine maléfique sans coup férir aussi gentille puisse-t-elle se montrer… C’est gothique, c’est intelligent, c’est bon et on a envie de le faire découvrir à tous les adolescents.
C’est quand le bonheur? de Martine Delvaux (Héliotrope) : Une énième histoire d’amour que ce roman? Que non! Une belle et vibrante histoire d’amitié amoureuse. Il n’y a rien dans ce roman et en même temps, il y a tout. À pas feutrés, Martine Delvaux nous laisse pénétrer dans l’intimité de cette amitié entre un homme et une femme. Un roman intimiste porté par une écriture concise, simple et totalement dépouillée de tout artifice. Elle s’immisce en nous à notre insu pour finir par nous habiter complètement. Et la fin est très émouvante. Une heureuse surprise, une heureuse rencontre. L’un des meilleurs romans lus cette année.
Tom est mort de Marie Darrieussecq (P.O.L.) : Au-delà du scandale provoqué inutilement par une Camille Laurens complètement à côté de la plaque, Tom est mort, qui traite de la perte d’un enfant, est avant tout un bon roman qui me réconcilie avec l’auteur de l’étonnant Truismes. Moins organiquement flou que les derniers que j’avais lus d’elle et plus senti, Darrieussecq emprunte ici une voie intéressante. L’histoire aurait gagné en force si elle ne s’étirait pas sur trop de pages. L’exercice de deuil auquel nous convie cette femme dix ans après les événements finit par créer un sentiment de répétition au deux tiers du roman. L’exercice est toutefois réussi. Si vous avez envie de vous plonger dans ces eaux troubles, allez-y.
Un monde de papier de François Désalliers (Triptyque) : j’aurais aimé encenser ce dernier roman de François Désalliers que j’avais découvert avec L’Homme-Café. Le charme s’était poursuivi avec Un été en banlieue et voilà qu’il se rompt (temporairement j’espère) avec Un monde de papier. Tout le roman, ou presque, se déroule à l’intérieur des pages d’un magazine féminin alors que le personnage d’Henri y est propulsé bien malgré lui. Avec lui, on navigue de page en page et on découvre tout un monde statique, superficiel, désincarné et drôlement géré. Le cadre est parfait. On a vraiment l’impression d’être dans un magazine. Ce n’est pas mauvais du tout, mais je n’ai pas adhéré à sa prémisse de départ et ça m’a poursuivi jusqu’au bout de l’aventure. Déçu d’être déçu.
D’ailleurs de Gilles Jobidon (vlb éditeur) : il a fait son entrée en littérature de belle façon en remportant le Prix Robert-Cliche avec La route des petits matins un roman superbement écrit qui n’était pas sans rappeler Soie d’un certain Alessandro Baricco. Depuis, Gilles Jobidon fait partie de ces auteurs que j’aime suivre. D’ailleurs, un court recueil de sept nouvelles, brosse le portrait de plusieurs personnages au carrefour d’un segment de leur vie. On se promène au quatre coins du monde. Chacun des portraits est très réussi et chaque lieu est bien rendu, particulièrement celle intitulée Ly Sanh qui se passe à Saigon et qui nous ait raconté par un petit garçon. L’écriture de Jobidon est plus sobre et classique que dans ces ouvrages précédents et peut-être plus efficace parce que moins poétique et moins maniéré. C’est comme s’il avait cessé de se regarder écrire pour laisser toute la place à ses personnages et leurs univers. Et c’est nous qui en profitons. Un bon recueil, vraiment.

Deception point #4

Comme vous pourrez le constater à nouveau, les déceptions littéraires sont encore au rendez-vous. Pour faire un clin d’œil à mon précédent billet, je peux affirmer que les titres ici-bas n’ont pas eu une grande résonnance sur le lecteur que je suis. Constatez-le par vous-même.
La gifle de Roxanne Bouchard (Coup de tête) : Qui donc recevra cette gifle tant attendue dans cette histoire ? Je vous le donne en mile : le lecteur. Un court texte à l’ambiance pseudo italienne qui frôle souvent le cliché et qui, disons-le, sent le fond de tiroir de la jeune auteure. Ce premier texte original de la toute nouvelle maison d’édition de Michel Vézina ne convainc pas tout à fait. Je ne comprends comment Danielle Laurin ait pu en faire l’éloge dans les pages du Devoir.
Antenora de Margaret Mazzantini (Robert Laffont) : après avoir vu le sublime et touchant film Écoute-moi, dont elle avait elle-même fait l’adaptation de son roman, je m’étais promis de lire sa prochaine publication en français. C’est chose faite et je ne sais plus si j’aurai envie de récidiver. L’histoire de cette grand-mère italienne n’est pas très passionnante ni très intéressante. N’eût été de la faible épaisseur du livre, je ne l’aurais jamais terminé. Décidément, l’Italie et moi ne faisons pas bon ménage en ce moment…
La maison d’Élisabeth d’Éric Rohmer (Gallimard) : plus de soixante ans après sa publication, Gallimard vient de rééditer le seul et unique roman d’Éric Rohmer. Après lecture, on comprend mieux pourquoi il ne s’est pas commis une autre fois et qu’il ait plutôt bifurqué vers le cinéma, qui lui sied nettement mieux. En lisant La maison d’Élisabeth, on reconnaît évidemment la signature de Rohmer, mais sans le support visuel ça devient vite confus et agaçant. J’aurai au moins satisfait ma curiosité.
Vous plaisantez Monsieur Tanner de Jean-Paul Dubois (De l’Oliver) : j’ai lu ce livre sur la bonne recommandation de mon agente immobilière. Si elle ne s’est pas trompée sur l’achat de ma propriété, elle s’est un peu gourée avec cette suggestion littéraire qui décrit les déboires immobiliers de Monsieur Tanner après avoir reçu en héritage une vielle maison. Je n’ai pas du tout reconnu ma nouvelle réalité et j’ai perdu du temps précieux que j’aurais pu consacrer au sablage de mes planchers. Il n’y a rien dans ce roman. Après quelques essais infructueux, il y a décidément incompatibilité entre Jean-Paul Dubois et moi.
Sept comme setteur de Patrick Senécal (Édition la Bagnole) : la première incursion de Patrick Senécal en littérature jeunesse, bien que pas si mal, n’est pas une réussite. D’abord le sujet. Le bonhomme sept heures a beaucoup été exploité dans la littérature jeunesse québécoise, donc on peut parler de manque d’originalité. Les thèmes abordés comme le père noël, les lapins de pâques et la fée des dents s’adressent normalement à un jeune public ne sachant à peu près pas lire. Certains personnages sont mal définis. Je pense à la petite fille qui semble avoir 8-9 ans dans sa façon d’agir alors qu’elle ne sait toujours pas conduire un vélo sur deux roues! Le ton, quant à lui, teinté d’horreur fait plutôt 10-12 ans. On se retrouve avec un roman au lectorat mal ciblé ou, si vous préférez, assis le cul entre deux chaises!
Nous autres ça compte pas de François Blais (L’instant même) : Iphigénie en haute-ville nous avait séduit par sa fraîcheur, son humour bon enfant légèrement teinté de cynisme et ses pieds de nez à la structure narrative. On retrouve tout ça dans Nous autres ça compte pas mais mais mais! Mais la magie cette fois-ci n’opère pas vraiment pour une simple et bonne raison : tout ce qui se trouvait dans le premier est multiplié à la puissance mille dans le second. Ça finit par irriter légèrement et on rit visiblement moins. Ce n’est pas mauvais mais abuser du cynisme et de la forme narrative c’est comme abuser du chocolat: ça finti par tomber sur le coeur. On espère quelque chose de différent pour le troisième rendez-vous.

Mercredi soir au bout du monde

Le Bout du monde est tout d’abord un resto aux confins de Montréal qui semble ne pas payer de mine. Les gens qui s’y donnent rendez-vous sont tellement vrais et touchants qu’on voudrait les suivre jusqu’à la fin. Ce sont d’autres personnages éparpillés un peu partout sur la planète que nous suivront. Qu’ils soient à Vancouver, en Floride, au Mexique, en Russie ou en Espagne, un film et une chanson inspirée de ce même film Les ailes brisées les unissent. Entre autres choses.
Avec Mercredi soir au bout du monde, Hélène Rioux (XYZ) nous convie à un chassé-croisé subtil. Si tous les personnages sont attachants et intéressants à découvrir, c’est surtout l’atmosphère de ce roman qu’on retient, ce fil ténu qui sous-tend le récit avec force du début à la fin.
Oui, c’est ça, c’est un roman d’atmosphère (petit clin d’œil à Duras ici).
Cette première incursion dans l’œuvre d’Hélène Rioux me séduit. Un des trop rares bons romans québécois de cette année 2007.

Un air d’été

Voici quatre suggestions de lecture toutes ensoleillées qui égaieront vos journées d’été ou vos passages moroses.
La fin de l’alphabet, C.S Richardson (Alto) : Ambroise Zéphyr n’a qu’un mois à vivre. Plus de temps à perdre donc. Il décide de faire un tour du monde en respectant l’ordre de l’alphabet pour choisir ses destinations. Voilà la base de cette histoire qui, malgré un sujet grave, est tout à fait réjouissante. C’est le ton très anglais qui donne cette saveur à ce roman orignal. On peut parler d’un tour de force de la part de ce romancier canadien. Surtout que c’est un premier roman. Une autre réussite signée Alto.
Une vie merveilleuse/Une épouse presque parfaite, Laurie Colwin (Livre de poche) : Je dois la découverte de cette auteure américaine à ma collègue Dominique. Il y a quelques années Une vie merveilleuse m’avait ravi. Dernièrement, Une épouse presque parfaite m’a enchanté. Dans le premier, on suit l’évolution de deux couples, tout simplement. Si nous ne sommes pas toujours d’accord avec leurs façons de se comporter, on ne veut plus les quitter à la toute fin. Dans Une épouse presque parfaite, on suit le parcours de Polly (très beau personnage), mère, épouse et fille parfaite. Trop. Survient un événement dans sa vie qui fait basculer cette perfection. La grande qualité de Laurie Colwin est sa façon de saisir l’essence de ce que nous sommes. En quelques mots, elle parvient à décrire une situation complète ou à créer un personnage à part entière. Encore une fois, tout est dans le ton qu’emploie l’auteure. Sous une apparence légère se camouffle toujours une certaine gravité. C’est d’une finesse et d’une efficacité étonnante. Les amateurs d’Anna Gavalda, par exemple, sauront apprécier l’univers de Laurie Colwin. À découvrir si vous ne la connaissez pas.
Le soleil de Carla, Camille Pouzol (Planète filles/Hachette) : les adolescentes qui aiment le roman réaliste adoreront se plonger dans ce roman dont l’action se passe principalement en Corse. Carla, qui vient tout juste d’avoir 17 ans, nous relate cette première année passée dans cette contrée lointaine, forcée de quitter Paris et de suivre sa mère suite à la séparation de ses parents. Amours, peines, joies, tracas et petits bonheurs sont au rendez-vous sous le chaud soleil de la Corse. Même si la trame est conventionnelle, Camille Pouzol évite les clichés. Son personnage de Carla est très senti. On s’attache à elle, elle nous touche et on y croit à cette histoire de renoncements et de découvertes.

Winkie

Heureusement que j’ai fait la rencontre (que je dois à Antoine d’ailleurs) d’un attachant petit ours en peluche car je commençais à être découragé par la littérature. Ce sont mes lectures pour ados qui me ravissent le plus depuis quelque temps. Ça fait des mois que mon cœur et mon esprit ne se sont pas délectés en lisant un livre de grand. Grâce à Winkie, c’est chose faite.
Winkie, vous l’aurez peut-être deviné, c’est lui l’ours en peluche. C’est son histoire, parfois tragique, parfois tendre, que Clifford Chase a décidé de nous raconter. Au début, on assiste au procès de Mary alias Winkie accusé(e) de terrorisme. Déjà, son identité cause problème, ce qui ne fera qu’aggraver sa situation. Pas net, cet ours. Ajoutez à cela la mauvaise foi du juge et l’incompétence de son avocat, un certain Monsieur Unwin, et vous entrez dans un univers complètement absurde, con et tout de même charmant.
Le récit alterne entre le présent (le procès) et les souvenirs de l’ours en peluche alors que, du fond de sa cellule, il se remémore le bon vieux temps. Sa vie était un long fleuve tranquille, dans un cadre familial douillet et aimant. Au nom de la liberté, il se retrouve au banc des accusés.
Au début de ma lecture, j’avais peur que le roman s’essouffle rapidement. Bien au contraire. La fin du procès est jubilatoire. Clifford Chase ne s’est pas contenté d’écrire une histoire absurde. Il a créé un univers touffu sérieusement construit dans lequel gravite cet ours en peluche peu banal. Il évite le piège de la blague pour de la blague. L’humour est plutôt subtil. Il opère lorsqu’on reprend soudainement conscience que c’est d’un toutou dont il est question. En plus, le roman est truffé de références à la littérature ou à des pans de l’histoire et la justice américaine en prend pour son rhume, ce qui ne gâche rien.
Bref, c’est réussi, c’est bon et je vous le recommande. J’espère que vous allez être tenté par l’expérience Winkie, idéale en cette période estivale. Vous serez peut-être nombreux à vouloir faire comme moi : adopter ce pauvre petit ours!
Winkie, Clifford Chase, 10/18 (grand format)