Archives pour la catégorie Lectures récentes

Se résoudre aux adieux

Après avoir lu Les jours fragiles et Un instant d’abandon de Philippe Besson, je ne pensais pas lire son prochain roman puisque ces deux lectures m’avaient laissé sur ma faim. En même temps, il y a quelque chose dans son écriture qui m’attire comme si j’attendais de lui qu’il nous offre une œuvre majeure.
Lorsque j’ai vu que Se résoudre aux adieux était un roman épistolaire à une seule voix et qu’en plus il traitait de rupture amoureuse, je n’ai pu résister. C’est exactement la même structure narrative et le même thème que Cher Émile. J’étais curieux de comparer son travail au mien.
Si certains m’ont reproché d’aller trop loin dans l’intériorité de mon personnage principal, donc dans l’émotion, c’est plutôt l’inverse qui se produit dans Se résoudre aux adieux. Sauf en de trop rares occasions, Philippe Besson ne va pas suffisamment en profondeur dans le désarroi de son personnage principal. On ne sent pas réellement sa peine, donc son amour pour cet homme l’ayant quittée pour mieux revenir avec son ex. On ne comprend pas toujours ses motivations intérieures. Sa fuite autour du monde nous paraît également factice. Se résoudre aux adieux dans un tel contexte ne nous apparaît pas vraiment difficile et encore moins douloureux.
Selon moi, il aurait eu intérêt à se mettre davantage dans la peau de son personnage pour lui insuffler un supplément d’âme et d’émotions, surtout que la forme épistolaire à une seule voix permet justement de créer un rapport intime entre le narrateur et le lecteur. Dans un tel contexte, aucune raison de ne pas aller au fond des choses. Malheureusement, on reste ici un peu en surface.
Ce troisième rendez-vous dans l‘œuvre de Philippe Besson m’a fait le même effet que les deux premiers. Je me résous donc à passer mon tour la prochaine fois!
L’avis partagé de Laure.

Haruki Murakami

Ça faisait des années que je voulais découvrir le travail d’Haruki Murakami et il aura fallu 2007 et le Prix des libraires du Québec pour que je le fasse. Maintenant j’ai la piqûre, on dirait bien!
C’est Kafka sur le rivage qui m’a ouvert les portes de l’univers de cet auteur à l’écriture riche, intelligente et envoûtante mettant en scène des personnages marginaux à un carrefour de leur existence.
Dans Kafka, on suit un adolescent de 15 ans en cavale et un débile léger aux pouvoirs sensoriels étranges sachant parler le langage des chats. Toute la trame est auréolée par la mythologie grecque, mais c’est fait de manière subtile. Cette mythologie vient nourrir de façon impressionnante toute l’intrigue de ce roman foisonnant au caractère tout à fait contemporain. Plus on avance dans l’histoire, plus on en découvre toute la profondeur et la richesse et plus on s’attache aux personnages et aux situations qu’ils vivent.
Dans Le passage de la nuit, même s’il est moins réussi et moins dense que Kafka, on retrouve encore les mêmes thèmes qui lui sont chers. On traverse toute une nuit avec des personnages un peu décalés par rapport au reste de la société. Quelques heures de leurs vies nous sont présentées. C’est suffisant pour s’intéresser et s’attacher à eux. Au petit matin, on les regrette un peu.
Les univers que dépeint Murakami pourraient facilement tomber dans une ambiance glauque, mais il sait éviter ce piège. Il insuffle à son écriture beaucoup de sensibilité et d’humanisme. Il touche à l’universel, à ce que nous sommes tous et sous sa plume c’est grandiose. Pour de la littérature intelligente comme ça, je serai toujours preneur.
Haruki Murakami risque de devenir un auteur que je fréquenterai assidûment. C’est une belle et grande découverte que je viens de faire.
Pour augmenter votre envie, voici l’avis de Florinette

Le combat d’hiver

Ce roman de Jean-Claude Mourlevat m’a été fortement conseillé par Anne-Laure Bondoux, une auteure jeunesse que j’affectionne particulièrement (il faut lire La Princetta et le capitaine, le meilleur roman d’aventure que j’ai pu lire au cours des dernières années). Pour Le combat d’hiver , j’ai bien fait de suivre ses conseils, car elle m’a fait découvrir un grand roman jeunesse!
L’histoire débute dans un orphelinat pour jeunes filles où les règles sont très strictes. Évidemment, toutes rêvent d’une vie meilleure. Jusque là, c’est conventionnel mais tellement bien écrit qu’on est touché par leurs tristes destins. Rapidement, le roman bascule vers autre chose. On est en territoire occupé et on découvre alors un peuple opprimé sous le joug d’une faction qui n’est pas sans rappeler certains régimes totalitaires. Le peuple tentera une libération, mais à quel prix? Ce long combat d’hiver ne sera pas une sinécure.
D’un chapitre à l’autre, par le biais de plusieurs personnages, on va de surprise en surprise en découvrant toujours une facette différente de cet environnement hostile. La grande réussite de cet excellent roman est l’ambiance que Jean-Claude Mourlevat a réussi à installer et à maintenir du début à la fin. Une ambiance grise, sombre, oppressante et parfois lugubre, mais avec certains éclaircis à l’occasion. Il y a beaucoup de profondeur dans ce roman et les situations et les émotions que vivent les personnages sont complexes et jamais prévisibles.
Malgré cet univers lourd d’après-guerre, Le combat d’hiver est un roman captivant et attachant. Même en vaquant à nos activités quotidiennes, on se surprend à porter en nous cet univers particulier et à vouloir le faire découvrir à tout le monde. C’est aussi toujours avec hâte qu’on en reprend la lecture pour mieux y replonger.
J’ai adoré ce roman et il se retrouvera certainement dans mes meilleures lectures de l’année. Merci Anne-L aure!
Le combat d’hiver, Jean-Claude Mourlevat, Gallimard jeunesse, 331 p.

Le vide

Je ne suis pas un amateur de thriller, mais je ne peux résister à l’univers de Patrick Senécal. Je me fais toujours une joie de découvrir ce qu’il a de nouveau à nous offrir. Plonger dans ses romans comprend toujours une part de risque pour le lecteur qui n’en sort jamais tout à fait indemne. Celui-ci ne fait pas exception à la règle, même que… Disons, que j’étais content de le terminer ce matin, question de respirer un autre air moins vicié.
Dans Le vide, on suit trois personnages dont les destins s’entrecroisent et s’entremêlent sans arrêt. Max Lavoie est un riche milliardaire qui produit et anime Vivre au Max, l’émission à sensation qui bat tous les records d’audience. C’est une télé-réalité sans limite où les gens réalisent des rêves de tous genres. Frédéric Ferland est un psychologue désabusé par son travail qui cherche des sensations nouvelles pour se sentir en vie. Pierre Sauvé est un détective ayant survécu à une terrible tuerie en plein cœur de Drummondville. Il a du mal à s’en remettre. Évidemment, le vide est l’élément qui unit tout ce beau monde. Si vous connaissez le travail de Senécal vous savez que tous les ingrédients sont présents pour créer un bon thriller.
À part une scène particulièrement dérangeante vers la toute fin qui m’a presque fait vomir, c’est surtout l’aspect psychologique qui est poussé à sa puissance maximale plutôt que l’action en elle-même. Il prend le temps d’installer lentement les ficelles de son intrigue. Non seulement ça fonctionne, mais c’est nécessaire dans les circonstances. Senécal réussit excessivement bien à cerner ce vide existentiel que nous ressentons tous un jour ou l’autre. À la lecture du roman, le vide s’insinue en nous presqu’à notre insu. Plus on avance dans la lecture, plus on sent un certain vertige qui peut se transformer en angoisse profonde si on est moindrement vulnérable. Les âmes fragiles ou dépressives doivent vraiment s’abstenir de lire ce livre car le portrait qu’il brosse de l’existence, de l’être humain et de nos sociétés est loin d’être reluisant.
Si vous n’avez pas froid aux yeux, plongez tête première dans Le vide. Vous ne le regretterez pas, c’est un bon Senécal.
Le vide, Patrick Senécal, ALIRE, 642 pages

Molly Moon et le livre magique de l’Hypnose

Je ne sais pas comment j’ai fait pour attendre aussi longtemps avant de lire ce premier tome mettant en vedette la sympathique Molly Moon, cette jeune orpheline qui rêve d’une condition meilleure. Il faut la comprendre: l’orphelinat où elle vit, dirigée par une espèce de marâtre, est une véritable prison.
Elle réussira à améliorer sa condition grâce à un manuel de l’hypnose écrit par un certain Monsieur Logan. Dès les premières leçons prodiguées par le livre en question, Molly Moon découvrira qu’elle est une élève plutôt douée. L’art de l’hypnose lui réussit à ravir et n’aura bientôt plus aucun secret pour elle. Elle parviendra facilement à ses fins et connaîtra la gloire et la richesse. Mais à quel prix? Un vieil escroc désire mettre la main sur le fameux livre unique qu’elle a en sa possession. Molly Moon n’a qu’à bien se tenir….
Évidemment, on reconnaît ce cadre typique à une certaine littérature jeunesse. Quand c’est traité de façon aussi originale, voudrait-on sans plaindre? Georgia Byng est une conteuse hors pair et nous entraîne dans un univers fantaisiste rocambolesque et trépidant. Elle a su créer des personnages colorés et entiers qu’on prend plaisir à aimer ou à détester. On s’attache beaucoup à cette Molly Moon, espiègle, intelligente et déterminée.
En plus, ce sont les enfants qui règnent en rois et maîtres dans cette histoire. Les adultes en prennent parfois pour leur rhume, mais c’est de bonne guerre. Tout pour plaire aux enfants. En ce sens, l’écriture de Georgia Byng rappelle celle de Roald Dahl.
Molly Moon et le livre magique de l’hypnose est un roman de pur divertissement. Plaisir garanti et jubilation assurée!
Molly Moon et le livre magique de l’hypnose, Georgia Bung, Livre de poche jeunesse (dès 10 ans)

Réveillez-vous, Monsieur!

Lorsqu’il est question d’humour en littérature, je ne suis pas toujours preneur. Par contre, quand l’humour est fin, intelligent et un peu absurde comme celui qu’on retrouve dans Réveillez-vous, Monsieur!, j’adhère haut la main.
Difficile de résumer l’histoire de ce roman, mais disons qu’on suit les pérégrinations d’Alan Blair, un jeune auteur (un peu en panne) de trente ans, célibataire luttant constamment contre son alcoolisme. Son valet prénommé Jeeves, qu’il a pu se payer après avoir gagné une cause très payante, le suit partout. Jeeves supporte ses nombreux états d’âme et, comme tout bon valet qui se respecte, ne répond que par des phrases brèves à la « Oui, Monsieur ».
L’action se passe en bonne partie aux environs de New York dans une fondation où les artistes sont (en principe) invités à y séjourner pour parfaire leur art. Souvent entraîné par d’autres, Alan Blair profite de son séjour d’une drôle de façon. Il a le don de se mettre les deux pieds dans les plats, mais en même temps il n’a pas le profil du parfait gaffeur. Disons que c’est un sympathique gentleman maladroit désinvolte.
Tout au long du roman, c’est comme si on était plongé dans la tête d’Alan Blair (et dieu sait qu’il s’en passe des choses à cet endroit!). Lorsqu’il ne s’auto-psychanalyse pas, il théorise sur la vie de façon assez originale. On a droit à des réflexions complètement absurdes, saugrenues, lucides, inusités, stupides, rafraîchissantes et surprenantes.
Bref, au pays de Jonathan Ames, on ne s’ennuie jamais. Réveillez-vous, Monsieur! m’a fait rire de bon cœur du début à la fin. Un vrai livre tonique pour lecteur un peu las de lectures exigeantes ou tout simplement en quête d’un excellent roman à lire.
(Merci Denis pour cette belle découverte!)
Réveillez-vous, Monsieur!, Jonathan Ames, Éditions Joelle Losfeld, 444 p. ($44.50)

Sonde ton coeur, Laurie Rivers

Après un silence de cinq ans, le nouveau Bourguignon était l’un des titres les plus attendus de l’hiver. Si Un peu de fatigue explorait avec brio la crise de la quarantaine, dans Sonde ton cœur, Laurie Rivers, dont toute l’action du roman se passe aux États-Unis en mettant en scène uniquement des Américains, l’auteur a voulu explorer une autre facette de son écriture en nous amenant dans un univers complètement différent de ce qu’il nous avait offert jusqu’à maintenant. Pour un auteur, ce genre de pari est un peu risqué, mais en même temps, ça démontre une volonté d’aller plus loin dans une démarche d’écriture. C’est probablement l’aspect le plus intéressant de ce roman, car selon moi, malgré toutes ses bonnes intentions, il n’a pas réussi son pari.
J’ai eu du mal à m’attacher et à comprendre les véritables motivations de cette enseignante (Laurie Rivers) qui décide d’aider et de prendre en main une jeune étudiante obèse (Alice). On a l’impression que ça arrive de nulle part. C’est précipité et mal amené. Même si tout se révèle à la fin, je n’avais pas plus envie de les connaître, ses motivations. Je n’ai ressenti aucune forme d’émotion pendant ma lecture. Si, une certaine lassitude et un détachement par rapport à ce que les personnages pouvaient vivre.
Sonde ton cœur, Laurie Rivers est un roman correct, sans plus. Son principal problème est son manque de profondeur. C’est comme si Stéphane Bourguignon s’était trop concentré sur la forme au détriment du contenu. On ne sent aucun investissement de sa part dans ses personnages, tous sans exception. Il n’a pas pris le temps de définir leur psychologie, leurs contours et de bien les camper dans un cadre précis, ce que nous retrouvons habituellement dans la bonne littérature américaine.
Bourguignon parle beaucoup mieux de son projet que ce qu’il nous donne à lire. Ce que j’ai lu n’est pas ce qu’il présente. Oui, en forçant, en adaptant mon regard par rapport à ce que j’ai pu l’entendre dire en entrevue. Ce n’est pas normal. Une œuvre devrait parler d’elle-même sans avoir besoin de l’auteur pour la décoder.
Ce roman « à l’américaine » n’était peut-être pas une si bonne idée finalement!

Maxime-Olivier Moutier

Je ne pensais jamais écrire un billet sur cet auteur. Je pensais encore moins le faire de façon aussi positive. Pire, je ne pensais jamais relire un roman de Maxime-Olivier Moutier. Ses Lettres à mademoiselle Brochu sentaient la redite. Je l’avais lâché en plein milieu sans jamais le finir. Je trouvais qu’il était allé jusqu’au bout de son style incisif, nerveux, baveux et narcissique qui m’avait au préalable beaucoup interpelé dans son lucide recueil de nouvelles Risible et noir et touché dans son vibrant roman Marie-Hélène au mois de mars.
Grâce au Prix des libraires du Québec, j’ai lu le dernier Moutier qui marquait son retour à la vie littéraire après cinq ans d’absence. Et quel retour! En lisant Les trois modes de conservation des viandes on découvre un auteur d’une grande maturité en pleine possession de ses moyens. C’est la vie qui veut ça et c’est tant mieux. Cette maturité est palpable au détour de chaque phrase et c’est ce qui insuffle une telle force à ce roman inespéré. Le regard qu’il pose sur lui et sur les autres n’est plus le même qu’avant. Si son propos est toujours un peu provoquant, son écriture est maintenant plus nuancée, plus posée, plus réfléchie et beaucoup plus sentie. Ça se sent du début à la fin. Comme quoi un long temps d’arrêt peut parfois s’avérer salutaire pour un auteur.
Les trois modes de conservation des viandes m’a tant plus parce que j’ai aimé sa vision humaine, aimante et réaliste du couple et de la vie de famille. Son point de vue sur la paternité, en plus de m’apparaître assez juste, est à la fois percutant et touchant.
Au sujet du rôle des parents, il écrit ceci : « grâce au progrès, au siècle et à sa science, les enfants, ça n’entrave plus les désirs et le choix des adultes. Plus maintenant ».
Et de l’amour : « Car quand bien même je parlerais la langue des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ».
C’est ça le nouveau Moutier et on a hâte au prochain.

Puisque rien ne dure

Non, je ne suis pas déprimé en ce moment. Je le suis encore moins lorsque je fais de belles découvertes comme ce petit bijou de roman de Laurence Tardieu Puisque rien ne dure (Sotck). Cette réussite tient en très peu de pages (128). Laurence Tardieu possède l’art de la concision. Chaque mot semble avoir été pensé et soupesé avant d’avoir été fixé sur le papier. En même temps, tout est d’une simplicité désarmante et d’une grande puissance évocatrice. Tout pour me plaire.
La disparition est au coeur de ce roman. La disparition d’un enfant, Clara, la petite fille de Vincent et Geneviève. Clara qu’ils ne reverront jamais. Vincent et Geneviève qui s’aimaient d’un amour vrai, d’un amour grand. Mais comment préserver ce qui a été avant, comment survivre après une telle épreuve ?
En nous faisant plonger tour à tour dans la réalité de Vincent et de Geneviève, Laurence Tardieu posent plusieurs questions fondamentales et existentielles. Elle le fait avec retenue en faisant preuve de beaucoup d’intelligence et de sensibilité. C’est une auteure à part entière à n’en pas douter.
Puisque rien ne dure est, malgré sa gravité, une belle histoire d’amour comme on les aime car elle finit tristement.
Je vous laisse sur ces quelques extraits :
« J’ai perdu le chemin qui mène aux autres » p.40
« Je ne savais pas que la douleur éloignait tant des autres. » p.58
« La valeur d’une vie tient aux choix que l’on fait. » p.120