Voici quatre suggestions de lecture toutes ensoleillées qui égaieront vos journées d’été ou vos passages moroses.
La fin de l’alphabet, C.S Richardson (Alto) : Ambroise Zéphyr n’a qu’un mois à vivre. Plus de temps à perdre donc. Il décide de faire un tour du monde en respectant l’ordre de l’alphabet pour choisir ses destinations. Voilà la base de cette histoire qui, malgré un sujet grave, est tout à fait réjouissante. C’est le ton très anglais qui donne cette saveur à ce roman orignal. On peut parler d’un tour de force de la part de ce romancier canadien. Surtout que c’est un premier roman. Une autre réussite signée Alto.
Une vie merveilleuse/Une épouse presque parfaite, Laurie Colwin (Livre de poche) : Je dois la découverte de cette auteure américaine à ma collègue Dominique. Il y a quelques années Une vie merveilleuse m’avait ravi. Dernièrement, Une épouse presque parfaite m’a enchanté. Dans le premier, on suit l’évolution de deux couples, tout simplement. Si nous ne sommes pas toujours d’accord avec leurs façons de se comporter, on ne veut plus les quitter à la toute fin. Dans Une épouse presque parfaite, on suit le parcours de Polly (très beau personnage), mère, épouse et fille parfaite. Trop. Survient un événement dans sa vie qui fait basculer cette perfection. La grande qualité de Laurie Colwin est sa façon de saisir l’essence de ce que nous sommes. En quelques mots, elle parvient à décrire une situation complète ou à créer un personnage à part entière. Encore une fois, tout est dans le ton qu’emploie l’auteure. Sous une apparence légère se camouffle toujours une certaine gravité. C’est d’une finesse et d’une efficacité étonnante. Les amateurs d’Anna Gavalda, par exemple, sauront apprécier l’univers de Laurie Colwin. À découvrir si vous ne la connaissez pas.
Le soleil de Carla, Camille Pouzol (Planète filles/Hachette) : les adolescentes qui aiment le roman réaliste adoreront se plonger dans ce roman dont l’action se passe principalement en Corse. Carla, qui vient tout juste d’avoir 17 ans, nous relate cette première année passée dans cette contrée lointaine, forcée de quitter Paris et de suivre sa mère suite à la séparation de ses parents. Amours, peines, joies, tracas et petits bonheurs sont au rendez-vous sous le chaud soleil de la Corse. Même si la trame est conventionnelle, Camille Pouzol évite les clichés. Son personnage de Carla est très senti. On s’attache à elle, elle nous touche et on y croit à cette histoire de renoncements et de découvertes.
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Winkie
Heureusement que j’ai fait la rencontre (que je dois à Antoine d’ailleurs) d’un attachant petit ours en peluche car je commençais à être découragé par la littérature. Ce sont mes lectures pour ados qui me ravissent le plus depuis quelque temps. Ça fait des mois que mon cœur et mon esprit ne se sont pas délectés en lisant un livre de grand. Grâce à Winkie, c’est chose faite.
Winkie, vous l’aurez peut-être deviné, c’est lui l’ours en peluche. C’est son histoire, parfois tragique, parfois tendre, que Clifford Chase a décidé de nous raconter. Au début, on assiste au procès de Mary alias Winkie accusé(e) de terrorisme. Déjà, son identité cause problème, ce qui ne fera qu’aggraver sa situation. Pas net, cet ours. Ajoutez à cela la mauvaise foi du juge et l’incompétence de son avocat, un certain Monsieur Unwin, et vous entrez dans un univers complètement absurde, con et tout de même charmant.
Le récit alterne entre le présent (le procès) et les souvenirs de l’ours en peluche alors que, du fond de sa cellule, il se remémore le bon vieux temps. Sa vie était un long fleuve tranquille, dans un cadre familial douillet et aimant. Au nom de la liberté, il se retrouve au banc des accusés.
Au début de ma lecture, j’avais peur que le roman s’essouffle rapidement. Bien au contraire. La fin du procès est jubilatoire. Clifford Chase ne s’est pas contenté d’écrire une histoire absurde. Il a créé un univers touffu sérieusement construit dans lequel gravite cet ours en peluche peu banal. Il évite le piège de la blague pour de la blague. L’humour est plutôt subtil. Il opère lorsqu’on reprend soudainement conscience que c’est d’un toutou dont il est question. En plus, le roman est truffé de références à la littérature ou à des pans de l’histoire et la justice américaine en prend pour son rhume, ce qui ne gâche rien.
Bref, c’est réussi, c’est bon et je vous le recommande. J’espère que vous allez être tenté par l’expérience Winkie, idéale en cette période estivale. Vous serez peut-être nombreux à vouloir faire comme moi : adopter ce pauvre petit ours!
Winkie, Clifford Chase, 10/18 (grand format)
Histoires sans fin #2
Pire que les déceptions, ce sont ces livres qu’on abandonne avant la fin. Quelques uns d’entre eux ont croisé ma route dernièrement. Brièvement, ma route.
Je voudrais tant que tu te souviennes, Dominique Mainard (Joelle Losfeld) : j’avais très envie de lire ce roman et de découvrir du même coup cette auteure. Le sujet un peu étrange, flirtant avec le conte, m’interpelait. Dès la première page, j’ai presque su que ce n’était pas pour moi. L’écriture de Dominique Mainard est irréprochable et très belle. Elle sait créer des ambiances fortes. Malgré tout ça, je ne suis pas parvenu à m’attacher à ses personnages et à son univers étrange. C’est du vent que je lisais. J’avais l’impression que tout ça ne mènerait à rien. Même si je ne l’ai pas terminé, je me dis que j’avais certainement raison de le croire.
Après Shanghai, Judith Brouste (Gallimard) : Jours de guerre, son précédent roman, avec sa drôle d’histoire d’amour entre une femme et un clochard, m’avait beaucoup touché. Je surveillais attentivement la prochaine parution de Judith Brouste. Arrive enfin cet Après Shanghai. Les premières pages m’ont donné l’impression que je renouais avec ce que j’avais aimé de l’autre. Impression de trop courte durée. Cette histoire pas très intéressante et ennuyante d’un médecin volontaire m’a vite lassé.
Chinoiseries, Claude Jasmin (vlb éditeur) : pourquoi lire le nouveau Claude Jasmin? Par désir de me replonger dans son écriture, retrouver l’auteur de l’excellent Pleure pas, Germaine, m’intéresser au nouveau matériel d’un auteur qui nous a donné de belles pages de notre littérature, ne pas bouder sans savoir en pensant que le meilleur est derrière lui. Et Chinoiseries avait l’air pas mal. Malgré toutes mes bonnes intentions, je n’ai pas réussi à le terminer. Ce roman, qui oscille entre la jeunesse et la vieillesse du personnage principal, bien qu’abordant des thèmes très riches, n’est jamais parvenu à me convaincre. L’écriture de Jasmin m’a paru faible et parfois un peu trop naïve et maladroite.
Les vivants et les morts, Gérard Mordillat (Livre de poche) : depuis sa sortie en grand format, ce roman de 900 pages m’attirait. Le format poche traînait sur ma pile depuis un an. J’attendais le bon moment. La semaine dernière, l’été frappant à notre porte, je me décidais à plonger dans ce roman fleuve où m’attendais, croyais-je, une belle chronique familiale touchante. C’est plutôt une chronique sociale un peu aride qui se cachait derrière ce magnifique titre. L’auteur dépeint très bien le milieu ouvrier français avec la dureté qu’il faut dans ce genre de contexte, mais ce n’est pas vraiment le genre de sujet qui me passionne.
Deception point #3
Les enchantements littéraires se font rares depuis quelques mois. Par contre, les déceptions continuent de croiser mon chemin.
J’en ai pour preuve ces quelques titres :
La traversée de l’été de Truman Capote (Grasset) : ce roman inédit de l’auteur, écrit alors qu’il n’avait que 19 ans, n’aurait jamais dû voir le jour. D’ailleurs, c’était le souhait de Truman Capote. Pour des questions mercantiles (j’imagine), on a fait fi de ses dernières volontés et on a publié ce roman mièvre et dépassé mettant en scène une jeune fille de bonne famille de 17 ans cherchant l’amour. Un titre qui vient entacher la bibliographie de ce grand romancier.
Le moindre des mondes de Sjon (Rivages) : une œuvre qui semble être le fruit d’un auteur islandais totalement inconnu. Pourtant, Sjon est le plus fidèle parolier de Björk, d’où mon intérêt pour ce court roman en prose. Hélas, je suis resté sur ma faim. Le moindre des mondes est une espèce da fable nordique très aride. Le texte m’a rappelé certaines légendes inuit. Vraiment pas ma tasse de thé.
La ville sans nom de Christiane Duchesne (Boréal) : premier tome de la trilogie Voyage au pays du Montnoir dans laquelle Christiane Duchesne se serait totalement investie, La ville sans nom ne remplit vraiment pas ses promesses. Je ne sais pas comment j’ai fait pour lire les 349 pages qu’il contient. Seule la grande qualité d’écriture de l’auteure sauve la mise. Pourtant, l’idée de départ a tout pour intéresser. Pierre Moulin passe à travers une pierre fendue et se retrouve dans une ville qu’il ne connaît pas. Où est-il? Que fait-il là? Qui est cet étrange personnage? Habituellement, dans la plupart des romans fantastiques flirtant avec cette idée, on répond à ces questionnements très rapidement. À la page 220, on n’a pas encore résolu ce mystère : « D’où venait-il vraiment, ce garçon hébergé par Julius? La question l’obsédait et l’empêchait de dormir ». Dois-je en rajouter davantage?
Le retour de Bernhard Schlink (Gallimard) : voici la déception des déceptions. Le dernier roman de Schlink était celui que j’attendais le plus ce printemps. Je garde un souvenir intense de son succès mondial Le liseur et un souvenir impérissable de son excellent recueil de nouvelles Amours en fuite. Dans Le retour, qui raconte le parcours d’un homme à la recherche de son père qu’il n’a pas connu, Schlink, à défaut de le captiver, finit par ennuyer et égarer le lecteur en digressions de toutes sortes. Jusqu’à la fin, après de longs moments de persévérance, on ne comprend toujours pas quel était le but de l’auteur. On dirait bien que son sujet a fini par lui échapper complètement. Vraiment dommage.
Bonheurs d’occasion #3
Trois romans québécois qui vont au fond des choses et qui ne veulent surtout pas épargner la sensibilité du lecteur. Trois romans écrits par des femmes talentueuses issues d’une nouvelle génération d’auteure qui apportent un souffle nouveau sur notre littérature.
Crève, Maman!, Mô Singh (XYZ) : Juste à lire le titre de ce roman, on sait un peu dans quel univers on risque de se retrouver. Il n’y a aucune ironie à y déceler. C’est direct, cru et dur. Tout à fait à l’image de cette histoire de haine entre une fille et sa mère. On se promène entre le présent et le passé alors que la mort éminente de la mère en question fait poindre une promesse de libération pour la fille. Sans concession ni considération pathologique, Mô Singh évite de tomber dans les clichés des rapports mère-fille habituels. Un premier roman réussi porté par un réel regard d’écrivain.
Soudain le minotaure, Marie-Hélène Poitras (Triptyque) : Avec cette histoire de viol où elle nous force à se mettre d’abord dans la peau du violeur et par la suite dans celle de la violée, Marie-Hélène Poitras a fait une entrée fracassante et remarquée dans l’univers des lettres québécoises qui s’est consolidée avec son recueil de nouvelles La mort de Mignonne. Avec raison, l’entrée fracassante. Elle va au bout de son sujet et rend souvent insupportable certaines scènes qui nous apparaissent, ma foi, assez réalistes. L’ensemble est extrêmement bien dosé. Les deux points de vue, plutôt qu’un seul, donne toute la force à ce roman dérangeant.
L’enfant dans le miroir, Nelly Arcan et Pascale Bourguignon (Marchand de feuilles) : Avec ce court texte, Nelly Arcan est fidèle à elle-même en exploitant le thème de l’enfance troublée par l’action des adultes. Le spectre de la mort qui rôde, la difficulté de devenir grand, l’image sexuée des fillettes et le regard dégradant des hommes sont autant de facettes de ce texte intense, tordu et viscéral. Les superbes illustrations glauques et psychédéliques de Pascale Bourguignon, qui signe également tout l’aspect typographique alors que le texte se mélange parfaitement à l’image, ajoutent de la profondeur et de l’étrangeté aux mots de l’auteure. L’un ne pourrait aller sans l’autre. Une curiosité très intéressante.
Chute
C’est Geneviève Robitaille elle-même qui a demandé à son éditeur de me faire parvenir un exemplaire de Chute dont elle a écrit le texte en s’inspirant des photographies d’Ivan Binet. Elle sait que j’admire beaucoup son travail. J’avais fait une bonne recension d’ Éloge des petits riens dans le journal le libraire à sa sortie. J’avais aussi beaucoup aimé Mes jours sont vos heures paru précédemment chez Triptyque.
C’est plus qu’une excellente idée qu’elle a eu de me faire parvenir Chute, ça elle ne le sait peut-être pas. J’adore les œuvres littéraires qui s’inspirent de photographies. J’aime également beaucoup le travail que fait les éditions J’ai vu, une petite maison d’édition spécialisée dans ce genre d’ouvrage. Je garde un souvenir très fort de ma lecture de Projections écrit par Andrée A. Michaud et inspiré de photographie de d’Angela Grauerholz. Et, à titre d’auteur, je rêve de participer à un de leur projet.
Dans Chute, Geneviève Robitaille, qui souffre depuis plusieurs années d’une maladie dégénérative, s’inspire de la chute de son propre corps. Elle fait également un lien avec l’effondrement du World Trade Center. Le parallèle est très fort. Il faut dire que son écriture concise, précise et dépouillée de tout artifice ajoute de la puissance à ses idées. C’est franchement réussi.
Ivan Binet, lui, a photographié la chute Montmorency sous plusieurs angles en privilégiant les gros plans. Ça crée un effet d’abstraction et d’étrangeté dominé par le gris, le blanc et le vert. On se croirait dans un autre monde. Les photos sont réunies au centre du livre. Elles ne pouvaient pas être placées ailleurs. Après avoir lu la première partie du texte, lorsqu’on arrive aux photos, on est happé par le vacarme, le mouvement, la grandeur et le silence de cette chute. C’est asses particulier comme effet. On revient au texte de Geneviève Robitaille dans un autre état d’esprit. Après la perturbation vient le calme. En apparence seulement, le calme.
Un petit bruit sec
Ce matin, j’ai terminé la lecture d’ Un petit bruit sec de Myriam Beaudoin, son premier roman publié en 2003 chez Triptyque. Je ne l’avais pas remarqué au moment de sa sortie. Ça arrive trop souvent avec les livres. Heureusement qu’on peut toujours se rattraper.
Je ne sais pas ce qu’il y a dans l’écriture de Myriam Beaudoin mais elle vient me chercher profondément. Si les âmes littéraires existent, nous le sommes. En fait, je le sais un peu ce qui me plaît autant dans son écriture. J’aime ce mélange de simplicité et de profondeur qu’on y retrouve. C’est dépouillé et on ne sent jamais qu’elle veut faire des effets de style. Pourtant, du style elle en a. Tout est dans sa façon si singulière de raconter les choses.
Dans Hadassa, le portrait qu’elle brossait de la société juive orthodoxe était à la fois ahurissant et tendre. Il y a un peu de ça aussi dans Un petit bruit sec dans lequel elle relate le dur épisode de la mort de son père. Oui, c’est un roman troublant, touchant, tendre et bouleversant, mais on est tellement loin du récit personnel habituel. Elle nous offre sa vision à elle en nous permettant de plonger dans ses pensées les plus intimes et incongrues, de celles qu’on oserait à peine penser et encore moins avouer.
Combien d’heures, combien de nuits, combien de jours tu as supporté ton lit de bois, la dalle de pierre et les mètres de neige. La vermine a-t-elle atteint tes oreilles, tes yeux, ta bouche? La boue et les branches ont-elles fendu la boîte? As-tu au moins appris à respirer dans cette cave de vase et de glace? p.20
Un petit bruit sec n’a rien de chronologique. Elle alterne dans le désordre entre le présent, le passé et le futur, ce qui donne de la force à sa narration. Chaque segment est entrecoupé de lettres qu’elle adresse à son père. C’est dans les lettres que sa plume atteint sa pleine puissance. La dernière partie, qui se passe avant, alors que son père était consul en Afrique, m’a beaucoup fait penser à Duras. Je ne sais pas si c’est voulu, mais je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien. Une chose est certaine, à l’instar de Duras, Myriam Beaudoin fait partie de ces auteurs que j’ai envie de suivre pendant longtemps. Ça tombe bien, elle n’a que 31 ans!
Aki Shimazaki
J’avais envie de partager avec vous le petit hommage que j’ai rendu à Aki Shimazaki lors de la remise du Prix des libraires le 14 mai dernier:
« Actuellement, Aki Shimazaki est l’une des auteurs les plus talentueuses au Québec. Peut-être aussi la plus méconnue de notre littérature. Pourtant, elle a tout pour séduire le plus grand nombre. Selon moi, ce n’est qu’une question de temps. Les grandes distinctions commencent à lui courir après et le grand public suit tranquillement. Tout pour me faire plaisir.
D’un livre à l’autre elle nous offre toujours de petits bijoux littéraires qui brillent par leur concision et leur intelligence et ce n’est jamais dénué d’émotion. Il faut lire sa série Le poids des secrets pour s’en rendre compte. Son écriture est précise et irréprochable pourtant elle écrit dans sa langue d’adoption. C’est assez impressionnant. On retrouve encore toutes ces grandes qualités à la lecture de Mitsuba, une touchante et magnifique histoire d’amour toute simple mais jamais banale qui débute au Japon et qui se termine à Montréal. Mitsuba, qui signifie trois feuilles en japonais, est le nom du café où se rencontrent Takashi et Yûko pour permettre à leur amour naissant de prendre son envol. Mais cet amour-là entre ce jeune cadre talentueux et cette fille dont le père est un homme d’affaire prospère réserve peut-être quelques surprises. On savoure chaque instant, chaque mot et on se laisse porter par cet univers charmant et enveloppant. En refermant le livre, on est touché par une certaine grâce. Mitsuba est un pur plaisir de lecture à s’offrir, du bonbon pour l’imaginaire.
Merci Aki Shimazaki pour ces belles rencontres littéraires que vous me faites faire à chacun de vos livres. J’attends le prochain avec autant de bonheur. »
Prix des libraires du Québec 2007 – les lauréats
Hier soir au Lion d’or à Montréal avait lieu la quatorzième remise du Prix des libraires du Québec. Pour la troisième année, j’agissais à titre de président du comité de sélection. Cette belle soirée très émouvante totalement réussie revêtait pour moi quelque chose de particulier : c’était ma dernière comme président et comme membre du comité.
Côté québécois, Jean-François Beauchemin a été couronné pour son récit La fabrication de l’aube (Québec-Amérique). Son discours a ému tout le monde lorsqu’il a rendu un vibrant hommage à sa femme qui l’accompagne depuis 19 ans. Une déclaration d’amour unique et d’une intensité rare. Avec le charisme qu’on lui connaît, c’était à faire fondre le cœur de toute l’assistance.
Côté hors-Québec, c’est Jonathan Safran Foer qui l’a remporté pour Extrêmement fort et incroyablement près paru aux éditions de l’Olivier. Le mot qu’il avait fait parvenir à l’intention des libraires a ravi tout le monde et nous a tous fait éclater de rire avec ses lampes de chevet lesbiennes!!!
La fameuse mention spéciale, remise pour la toute première fois dans l’histoire du prix, a été attribuée au bédéiste Michel Rabagliati pour l’ensemble de la série des Paul tous publiés à La Pastèque. Il était visiblement honoré et touché de cette reconnaissance tout à fait méritée.
Sinon, chaque année lors de la remise, les libraires qui forment le comité doivent présenter tour à tour les titres qu’ils défendent. Cette étape est très stressante pour nous. On a un peu l’impression d’aller à l’échafaud quand arrive notre tour. Moi, en tant que président, j’avais mon allocution habituelle d’ouverture en plus de présenter la mention spéciale. J’y suis allé trois fois plutôt qu’une sous l’échafaud. Heureusement, j’ai encore toute ma tête. Après ma dernière présentation, j’avais une tonne de pression de moins sur les épaules, tout comme mes confrères et consœurs. On a tous bien fait ça et on s’est couchés avec le sentiment du devoir accompli.
Cette quatorzième édition, probablement la meilleure de toutes, a été un succès sur toute la ligne.
Je sais déjà que tout ça me manquera l’an prochain. Je sais aussi que c’est pour mieux y revenir.
Marguerite Duras
Lorsque l’on me demande de nommer mon auteur préféré, sans réfléchir je réponds Marguerite Duras. C’est celle qui a le plus marqué mon parcours. Celui de lecteur et celui d’auteur. C’est la lecture de L’amant il y a une vingtaine d’années qui a tout déclenché. Une révélation en quelque sorte. Cette écriture concise, incisive parfois et pleine de non-dits était aussi un peu la mienne. C’était la toute première fois que je lisais une auteure qui abordait l’écriture de la même manière que moi. Après, il y a eu Anne Hébert. Je le dis sans prétention. Je découvrais tout simplement des univers qui étaient compatibles avec le mien. Ça me réconfortait dans ma démarche. C’était nécessaire.
Depuis vingt ans, Marguerite Duras m’accompagne de façon irrégulière. De temps à autre, j’ai besoin de ma dose. Pas trop, juste assez pour me satisfaire. Au cours de la dernière année, il y a eu beaucoup d’ouvrages qui lui ont été consacrés puisque 2006 marquait le dixième anniversaire de sa mort. Satisfait, je l’ai été dernièrement.
Héliotrope, jeune maison d’édition québécoise au graphisme superbe, a eu la bonne idée de republier le court et intense texte très Durassien Sublime, forcément sublime Christine V. Un plaidoyer sur l’idée de la maternité autour du meurtre non résolu du petit Grégory qui fait les manchettes en France depuis plus de vingt ans. À certains moments, le point de vue de Duras rejoint celui de Lionel Shriver qu’on retrouve dans Il faut qu’on parle de Kevin. Condensé, puissant, audacieux et pour le moins dérangeant.
Toujours du côté québécois, Danielle Laurin, après avoir signé le touchant Duras l’impossible chez Varia, a dirigé à la même enseigne Lettres à Marguerite Duras. De vibrants témoignages qui ne tombent jamais dans la facilité et aucune lettre n’est de trop. Ça donne un ensemble homogène très bien construit donnant toute la place à ce monstre de la littérature. Quand on aime Duras, on se reconnaît à travers ces lettres, on est ravi et on se dit qu’on aurait pu nous aussi lui en écrire une aussi inspirée.
Il y a peu, P.O.L. et L’IMEC faisait paraitre ces Cahiers de guerre et autres textes. Ces inédits écrits dans les années 40 et 50 sont loin d’être du réchauffé posthume. Pour les amateurs de Duras, ce recueil est une mine d’or. Un peu comme un chaînon manquant, il vient compléter tout ce qu’elle a publié de son vivant tout en y apportant un éclairage nouveau. Un inédit tout à fait justifié de voir le jour.
Autant de titres qui vous donneront le goût de replonger dans l’univers unique de Marguerite Duras.