Claude Mrin, l’ex-ministre, a du mal à comprendre Jocelyn Létourneau

Amateur d’histoire et préoccupé par la question identitaire, Claude Morin a demandé à Jocelyn Létourneau de clarifier sa pensée et de « donner ses sources ».

Voici le résumé qu’il m’a fait parvenir:

Texte de l’ex-ministre Claude Morin transmis le 27 août dernier à M. Jocelyn Létourneau, professeur à l’Université Laval.

Trois raisons expliquent l’attention que j’ai portée à votre article «L’histoire à l’ère posthistorique» publié dans Le Devoir du 10 juillet dernier.

La première est que l’Histoire me passionne.

La seconde est qu’après relecture de votre texte, je me suis demandé où vous vouliez au juste en venir, c’est-à-dire quel message vous cherchiez à transmettre au lecteur. Pour moi, ce message s’est, hélas, obstiné à demeurer obscur.

La troisième est l’expression il appert, peu usitée, que vous utilisez deux fois ; elle m’a fait tiquer. Je l’ai d’abord comprise comme synonyme de il semble que, on peut penser que, mais, vérification faite dans le Grand Robert, elle signifie plutôt être évident, manifeste, il ressort que, il résulte que, il est constaté que, etc. Je me suis alors aussi demandé sur quelles données manifestes ou sur quels faits évidents vous vous fondiez pour en arriver à des conclusions sur lesquelles vous avez étayé le message que vous destiniez au lecteur. D’où le courriel que je vous ai transmis le 26 juillet et auquel vous venez de me répondre ce qui suit :

Je regrette d’avoir à vous informer que les données ne sont pas pour le moment accessibles et ne le seront pas avant deux ans. Nous avons commencé à analyser de manière générale certaines données disponibles. La réflexion que j’ai publiée dans le
journal s’inspirait de certaines de ces analyses, mais visait surtout à faire ressortir trois choses : a) le rapport à l’histoire demeure importante pour une majorité de Canadiens à l’heure actuelle ; b) l’histoire familiale est celle que préfèrent les Canadiens ; c) plusieurs Canadiens raccordent histoire familiale et histoire nationale. Voilà ce que j’ai dit en substance – et c’est probablement tout ce que j’ai à dire pour le moment.

Ainsi votre recherche n’est pas terminée, mais vous avez cependant «commencé à analyser demanière générale certaines données disponibles»; et vous vous êtes inspiré de «certaines de ces analyses» pour votre article. Disons qu’«il appert», par mes italiques, qu’une telle approche paraît manquer de rigueur. Caractéristique que je crois retrouver dans le cinquième paragraphe de votre article du Devoir où vous énoncez une hypothèse qui devient une constatation dans le sixième!

Ce qui est également déroutant, c’est, comme je l’ai candidement mentionné plus haut, que je n’ai pas compris où vous vouliez en venir. À titre d’exemple, ce paragraphe :

On ne veut plus être écrasé par la mémoire, l’histoire et l’horizon de la nation; c’est davantage dans la diversité et la multiplicité de ses pratiques quotidiennes que, le cas échéant, on rejoint la nation pour s’y inscrire plus ou moins continuellement et entièrement à titre de sujet singulier — sujet ne renonçant toutefois pas à son individualité ou à sa spécificité.

Ne le prenez pas en mauvaise part, mais n’aurait-il pas été possible, quoi que vous ayez voulu dire dans ces lignes, de l’exprimer clairement? La même remarque s’applique à d’autres passages de votre texte. Je suppose que vous connaissez l’humoriste américain Mark Twain. En 1895, dans un article intitulé Fenimore Cooper’s Literary Offenses, il énonçait les dix-huit règles que, selon lui, tout auteur devrait respecter. La douzième et lit comme suit : «An author shall say what he is proposing to say, not merely come near it». En cette ère «posmoderne, postnationale et posthistorique», je ne crois pas devoir traduire ce précepte ni m’excuser de citer un auteur non Québécois, de surcroît décédé depuis longtemps.

Le plus frustrant, dans votre article, est sans doute le dernier paragraphe :

Chose certaine, il faudra bien produire une histoire qui crée de l’appartenance et du sens commun, à défaut de quoi le présent sans ancrage s’incurvera devant toutes les tempêtes identitaires qui s’annoncent. Quelle histoire du passé pour permettre au présent de s’enraciner et à l’avenir d’éclore en évitant de se retrouver orphelin d’une présence antérieure ? Telle est l’une des questions pressantes qui se posent à l’orée du XXIe siècle.

Comme historien et chercheur, n’aviez-vous rien à communiquer de plus précis sur cette «question pressante» ? N’aviez-vous pas une réponse à proposer ? Après tout, votre article s’intitule L’histoire à l’ère posthistorique. Ce qui laisse entendre que le texte se terminera normalement par une conclusion, si provisoire soit-elle. Mais non, le lecteur qui a essayé de vous suivre se trouve à la fin davantage dans la brume qu’il n’était au départ.

Ce procédé me rappelle certaines expertises que j’ai commandées à l’époque où j’étais ministre : alors que j’espérais des réponses nettes ou des propositions de solutions concrètes, les auteurs terminaient leurs rapports en me suggérant de poursuivre la réflexion à partir de recherches plus poussées…

Perte de mémoire et la vitesse de google!

Un blogueur très actif a préparé un texte intitulé « deux visions de l’histoire s’affrontent ». Il l’a retiré aussitôt mais non avant que nous puissions en prendre connaissance.

Pourquoi? J’aimerais bien le savoir. Pour l’instant, je garde confidentiel son commentaire.

Cet incident m’a rappelé un excellent roman de Philip Roth intitulé « La Tâche ».

Par ailleurs un autre lecteur, Claude Morin, m’a envoyé un échange très intéressant avec Jocelyn Létourneau. Il n’y a pas de rapport me direz-vous. Peut-être.

Il s’agit toujours de mémoire et d’identité. Et M. Morin m’a autorisé à publié son texte.

À suivre.

Perte de mémoire équivaut à perte d’identité (suite 4)

Pour celles et ceux que ça intéresse, et je constate qu’ils sont nombreux, voici la lettre adressée à M. Dubé. Je n’ai pas jugé approprié de l’envoyer aux journaux. Celà reste entre nous.!

Sillery, le 3 octobre 2008

Bonjour Philippe Dubé,

Après avoir relu ton commentaire dans Le Devoir du 1er octobre, je me demande encore où tu veux en venir. Tu n’as certainement pas bien lu l’essentiel de l’entrevue téléphonique rapportée par Réginald Harvey (Le Devoir, 28 au 28 septembre 2008) et tu ignores sans doute tout de la stratégie fédérale, du programme des commandites et de la surveillance étroite dont les ministres Couillard et Verner ont été victimes.

Il est possible également que l’épisode Pierre Boulanger t’ait échappé. Le journaliste Jacques Samson ne s’est pas trompé en février 2008 lorsqu’il écrit dans Le Journal de Québec : « Personne ne conteste que M. Boulanger possède une formation académique exceptionnelle et que ses diverses affectations lorsqu’il était à l’emploi du ministère des Affaires extérieures du Canada, lui procurent un bagage hors du commun pour devenir délégué du Québec à l’étranger, particulièrement en Angleterre, principal partenaire économique en Europe.

ll n’en demeure pas moins que M. Boulanger a dû être remplacé à la tête de la Société du 400e, le 2 janvier, parce que celle-ci courait vers un fiasco. Le président avait donc échoué dans le mandat qui lui avait été confié par les actionnaires, les gouvernements. Tous les correctifs apportés à la hâte depuis le montrent bien.

Le gouvernement Charest le récupère pourtant aussitôt et lui donne sur un plateau d’argent l’un des postes les plus convoités de la petite diplomatie québécoise, dans ce qui a toutes les apparences d’une récompense politique. Quelle est alors la véritable raison de ce parachute doré ? Serait-ce que plusieurs problèmes constatés à la Société du 400e et pour lesquels il est devenu le bouc émissaire silencieux depuis sa rétrogradation, découlaient de commandes que M. Boulanger a docilement accepté d’exécuter ? L’ascenseur serait alors remonté pour lui cette semaine. C’est la supposition la plus logique. »

Mon cher Dubé, je connais cette histoire sur le bout de mes doigts. J’ai joué dans cette pièce ! Que sais-tu de l’accord Chirac-Chrétien pour commémorer la naissance de l’Amérique française en 2004 et des stratégies développées à la demande du Conseil privé ? Que sais-tu des innombrables refus de la Société du 400e ? Et de leurs justifications ?

Par ailleurs, tu te méprends sur ma propre démarche d’historien. Un de mes derniers livres a été finaliste au prix du Gouverneur général, un autre m’a mérité un prix de l’Académie de la Marine et en novembre prochain l’Académie française décernera le prix Hercule Catenacci aux auteurs de La Mesure d’un continent. Ces divers ouvrages cherchent-ils à restreindre « l’autonomie, voire la souveraineté du spectateur » ? Devrais-je surveiller mes tentatives de « contrôler » le public par l’écrit et la dictée (ture) des mots. Mes ouvrages d’auteur ou d’éditeur sont-ils le reflet de « convictions politiques » ?

Le plus cocasse dans les circonstances, c’est que je loge à la même enseigne que Robert Lepage avec lequel je partage l’honneur d’avoir reçu le Prix Samuel-de-Champlain de l’Institut France-Canada.

« En acceptant son prix, Lepage n’a pas évoqué son actualité théâtrale ni les nombreuses créations qu’il a présentées en France depuis ses débuts. Il a plutôt parlé de son admiration pour Samuel de Champlain, le fondateur de Québec, où il vit et travaille.

“Nous sommes voisins

Il y a longtemps que je t’aime

Je dois le dire d’emblée: Il y a longtemps que je t’aime ce film écrit et réalisé par Philippe Claudel m’a totalement ému. À ma grande surprise dois-je ajouté puisque l’univers romanesque de l’auteur ne m’a jamais interpelé. J’avais abandonné la lecture des Âmes grises et, à partir de cette expérience, je m’étais désintéressé de son travail de romancier.
Mais là, quel film! Kristin Scott-Thomas est plus qu’admirable dans son rôle de Juliette, une femme qui doit refaire sa vie sans en avoir réellement envie. Elle offre une performance d’une force incroyable qui vient nous chercher à tout instant.
Les autres comédiens ne sont pas en reste non plus (c’est un immense plaisir de retrouver à l’écran l’étincelante Elsa Zylberstein). Tous les personnages de ce film sont bien définis et, à différents degrés, se battent pour mieux exister.
Ce film, plein d’humanité, est un superbe plaidoyer en faveur de la vie. Les émotions qui y sont véhiculées sont toutes sauf gnan gnan.
L’univers de Claudel m’a beaucoup fait penser à celui de Laurence Tardieu. Elle aurait facilement pu signer ce scénario.
Alors, si vous avez aimé Il y a longtemps que je t’aime, allez faire un tour du côté des romans de Laurence Tardieu. Si vous aimez cette dernière, courez voir le film de Claudel.

Perte de mémoire équivant à perte d’identité ( suite 3)

Aujourd’hui 3 octobre, je fais une lettre personnelle à M. Philippe Dubé. Par délicatesse, je lui laisse le temps d’en prendre connaissance avant de la publier ici.

De toute façon, cette « histoire » ne fait que commencer. Pour les plus curieux, je signale que mon ami Gaston Deschênes a été fort vigilant au cours des derniers mois. On consultera avec intérêt son blogue parmi les auteurs du Septentrion.

Perte de mémoire équivaut à perte d’identité

Ce vendredi 3 octobre, je lis avec plaisir l’opinion de M. Sylvain Deschênes.

La voici:

OPINION

Lettres – Le Moulin à Lepage

Sylvain Deschênes, Le 1er octobre 2008 

Édition du vendredi 03 octobre 2008

Mots clés : Robert Lepage, Moulin à images, Spectacle, Québec (ville)

L’intervention de Philippe Dubé, coscénariste du Moulin à images, visant à pourfendre l’opinion de Denis Vaugeois sur l’oeuvre réalisée par Robert Lepage, étonne.

Saluant l’événement, l’historien disait pourtant que l’oeuvre lui apparaissait vraiment géniale, que le choix des images — matériau couramment usité en histoire — était intelligent et il ne reprochait somme toute qu’un manque d’explications au choix des images.

La réplique du coscénariste stupéfie: «Le Moulin à images a tenté de dévoiler la trame des 400 ans de Québec en laissant le spectateur faire sa propre lecture des faits qui lui étaient proposés sous la forme de capsules d’images librement organisées.»

Ainsi, le scénariste même d’une oeuvre faite d’images tente de nous convaincre que l’organisation de ses choix iconographiques est «libre» et qu’elle échappe ainsi à toute explication générale. On ne peut proposer aucune lecture particulière du Moulin à images, selon lui. Chacun se fait ainsi «librement» sa propre histoire sans être influencé par celui qui fait tourner le moulin.

C’est peut-être ainsi que la seule chose vraiment réussie des fêtes du 400e a pu être réalisée: en se camouflant derrière un «choix d’images librement organisées».

Heureusement que Lepage est un génie.

Perte de mémoire équivaut à perte d’identité (suite-1)

Le 1er octobre, Le Devoir publie un commentaire de Philippe Dubé qui se présente comme coscénariste du Moulin à images, réalisation pour laquelle j’avais pourtant été passablement élogieux. C’est ainsi que nous apprenons le rôle de M. Dubé. Sur le site du 400e, il n’y avait que le nom de M. Lepage.

Voici l’opinion de M. Dubé:

OPINION

Une histoire sans nom, sans date, ni événement

Philippe Dubé, Coscénariste du Moulin à images et professeur de muséologie au Département d’histoire de l’Université Laval 

Édition du mercredi 01 octobre 2008

Mots clés : Bilan des festivités, 400e de Québec, Festival et fête, Québec (ville)

L’heure est au bilan, maintenant que la fête d’anniversaire de Québec est sur le point de se terminer et que chacun engrange à sa manière, avant de ranger ses outils, le fruit de ses récoltes. C’est d’ailleurs là le sens véritable de la journée de l’Action de grâces qui va sonner sous peu et qui nous invitera joyeusement à mieux «passer l’hiver».

D’emblée, chacun y va selon son point de vue avec sa propre lecture des événements qui, de fait, se sont déroulés dans la bonne humeur générale, et c’est à cet exercice commandé que s’est livré Denis Vaugeois samedi dernier dans les pages du Devoir [«Une fête célébrée à la sauce Canada», cahier spécial Le 400e de Québec et l'histoire].

Plan caché?

En ce qui me concerne, je ne puis partager la vision soupçonneuse de l’historien-éditeur voulant qu’un plan caché du gouvernement fédéral ait cherché malicieusement à nier l’identité québécoise à travers une programmation a-historique venue souligner, durant l’été 2008, le quatrième centenaire de fondation de la ville de Québec.

Je dois plutôt reconnaître que les convictions politiques de l’historien enchâssent désespérément sa perception sur un mince horizon qui, au fond, n’explique rien, sauf sa posture ultrasouverainiste et peut-être, aussi, sa peur de l’effritement de l’édifice sémantique appelé Histoire; celui, bien entendu, construit par les historiens.

Or, on comprendra que ceci est résolument plus grave qu’on ne veut bien le croire, car nous avons, en effet, assisté durant ces festivités à une véritable révolution du sens à donner aux choses de l’histoire. Je reprendrai seulement la dernière phrase de Denis Vaugeois lâchée en toute fin d’entrevue: «En fait, cette ville, ce sont les textes qui figurent derrière le Moulin à Images.» Sans le dire explicitement, l’historien ici avoue regretter le peu de place faite aux discours, aux textes alors que, des vues mêmes de Robert Lepage — en se référant à son oeuvre –, il fallait à tout prix sortir du paradigme éculé du «charmant Château Frontenac» avec ses parfums romantiques pour re-raconter l’histoire de cette ville et l’aborder enfin d’une manière neuve en la projetant sur une surface neutre (non historiée) qu’offrent les élévateurs à grains de la Bunge dans le Vieux-Port de Québec.

Chacun son récit

L’intention de l’homme de théâtre n’était pas badine; il voulait renouveler le récit de l’histoire d’une ville en laissant place aux images qui l’ont illustrée, ne cédant en rien à l’évocation convenue de clichés qui le constitue. De cette manière, le Moulin à images a tenté de dévoiler la trame des 400 ans de Québec en laissant le spectateur faire sa propre lecture des faits qui lui étaient proposés sous la forme de capsules d’images librement organisées.

Ces images ont donc été lues comme de nouveaux textes visuels auxquels tous avaient accès, même celui ou celle qui ne connaissaient rien de l’histoire de cette ville. Tous ont d’ailleurs pu composer à leur guise le récit qu’ils voulaient ou pouvaient bien saisir, évoqué ici en termes presque poétiques. Ce spectacle était en fait une explosion de signes qui nous ont été donnés à voir, fournissant par là des images à l’imaginaire de ceux et celles qui ont pu construire pour une première fois le récit de leur propre histoire.

Cette manière en effet éclatée a permis de révéler les couches successives du temps à travers les chemins qui se sont croisés sur ce site urbanisé. Et chacun était libre d’interpréter, selon sa sensibilité et à partir du point de vue qui le concerne, la part que nous livrent l’Histoire et l’inexorable passage du Temps.

Interprétation libre

Sans vouloir être à mon tour suspicieux, on peut se demander si c’est l’autonomie, voire la souveraineté du spectateur que l’historien craint, voyant peut-être là une menace au contrôle qu’il tente inconsciemment d’exercer par l’écrit et sa dictée(ture) des mots. Je ne crois pas que l’un ait nécessairement à s’opposer radicalement à l’autre, dans une lutte acharnée sans merci entre mots et images.

Mais il s’agit plutôt de laisser plus de place à l’interprétation libre d’un patrimoine reconnu implicitement comme étant la propriété publique. L’appropriation généralisée de l’histoire est une donnée non négligeable pour l’avenir culturel d’une nation, et cette mémoire «populaire» ne peut pas rester captive sur l’écritoire de l’historien.

Perte de mémoire équivant à perte d’identité

Il est encore prématuré de faire le bilan des fêtes du 400e, mais une article du Devoir m’y incite. Je ressuscite donc mon blogue au grand plaisir de Gilles Herman et, je l’espère, de quelques lecteurs.

Voici l’entrevue non sollicitée qui a tout déclenché:

Le 400e de Québec et l’histoire – Une fête célébrée à la sauce Canada

RÉGINALD HARVEY Édition du samedi 27 et du dimanche 28 septembre 2008

Mots clés : 400e de Québec, Nationalisme, Festival et fête, Québec (province), Québec (province)

« Ils avaient peur qu’en brassant l’histoire on ravive la flamme nationaliste »

Photo: Jacques Grenier

La Société du 400e a réservé jusqu’à présent une place plutôt mince à l’histoire, s’il faut en croire les propos de l’historien et éditeur Denis Vaugeois. Ce grand événement fut plus festif qu’historique : le plat a été préparé pour en faire ressortir la saveur nationale canadienne plutôt que celle du Québec, dont le véritable goût a été dissimulé dans le tourbillon des fêtes.

L’historien Denis Vaugeois résume sa pensée sur la place réservée à l’histoire à Québec: «Les gens l’ont ressenti comme une perte d’histoire, et c’est une perte d’identité, et on ne voulait rien faire pour renforcer le sentiment identitaire québécois. C’est quasiment légitime. Depuis 1995, le Canada a vécu un référendum qui lui a causé un grand effroi. Là-bas, ils ont des comités qui scrutent toutes ces questions-là. Ils ont vu venir le 400e de Québec et ils se sont organisés pour aller dans le sens où les événements se sont déroulés. Dans l’esprit canadien, c’est absolument légitime: eux, ils défendent et protègent le Canada. S’ils ont à défendre une identité, c’est l’identité canadienne.»

Laconique, il se prononce de la sorte sur ce que l’organisation du 400e a célébré ou souligné jusqu’à maintenant: «À mon avis, je dirais: rien.» Il s’explique: «Je me souviens d’un article de Robert Laplante qui relevait des propos figurant dans Le Devoir et disant qu’ils avaient raté leur coup, à la suite du spectacle du 31 décembre dernier. Il écrivait plutôt qu’ils ne l’ont pas raté du tout; c’est ce qu’ils voulaient.» Il poursuit: «Le mot d’ordre au départ, c’était d’occulter le passé, l’histoire, et de ne rien retenir à contenu historique, d’éviter cela comme la peste. Telles étaient les orientations qui avaient été retenues et planifiées au début. Voilà ce qui a été réalisé et ce qui a été réussi.»

Il remonte à la source: «C’est une affaire qui a été pensée à Ottawa depuis très longtemps, tellement qu’on avait, dès les années 2000, prévu de souligner avec insistance la fondation et la naissance de l’Amérique française à partir de l’Acadie. On a mis de l’argent là-dedans, on a organisé des activités concrètes, on a soutenu plein de projets, et de très beaux livres sont parus à l’occasion de la célébration du 400e de l’Acadie (1604-2004): c’était cela qui était reconnu comme la naissance de l’Amérique française. Une fois rendu en 2008, on a mis en place des gens qui avaient comme instruction de souligner l’aspect festif de l’année, donc d’avoir de l’argent pour la fête et de ne pas en avoir pour tout ce qui était des projets à caractère historique.»

Une histoire mise de côté

Les Paul McCartney et Céline Dion en sont la preuve: «La présence de ces deux artistes n’était pas planifiée, mais il y a eu beaucoup d’autres événements festifs. On a eu droit à un feu roulant et cela a été réussi sous cet aspect-là, mais l’aspect historique a été occulté; c’était voulu comme cela. Ils avaient peur qu’en brassant l’histoire on ravive la flamme nationaliste. C’est aussi simple que cela.»

Le Moulin à images présente une exception: «C’est venu très tôt dans la programmation, et Robert Lepage, c’est un nom incontournable, comme le Cirque du Soleil, si on veut. De toute façon, les organisateurs ne connaissaient pas le contenu, qui a priori avait l’air

inoffensif; sur le plan technique, le caractère spectaculaire ressortait. On a donc joué la carte du Moulin, mais il n’y avait pas de quoi vraiment énerver le monde parce que c’était beau, mais il n’y avait aucun contenu et on s’est bien abstenu d’expliquer quoi que ce soit dans ce défilé d’images. J’applaudis à cela et j’ai beaucoup aimé; le choix des images était d’ailleurs correct, intelligent et tout ça était tout à fait approprié pour les silos qui étaient là. C’était vraiment génial, mais même dans la brochure il n’y a pas un mot d’explication.»

De rares propositions acceptées

De l’avis de l’historien, les initiatives ont surgi de plusieurs groupes à la fois: «Il y a eu une infinité de projets qui ont été soumis. Les sociétés historiques ont soumis des choses, les éditeurs ont proposé des projets de livre et les cinéastes ont défendu des scénarios. Je connais un projet en histoire qui a passé et c’est une exposition sur les Juifs de Québec qui a été montrée à la gare du Palais. Je crois qu’une expo a aussi été retenue sur les immigrés et, finalement, on va rescaper des conférences du 400e, qu’on va confier à Bernard Arcand.»

En cours de déroulement, le tir a tout de même été corrigé: «Après l’affaire du 31 décembre et avec l’arrivée de Labeaume, les gens ont été déplacés les uns après les autres. Tranquillement, il y a des projets à caractère historique qui n’ont pas été écartés aussi cavalièrement ou qui ont été jugés inoffensifs et ont été retenus; on ne pouvait pas dire non au petit groupe qui voulait faire l’histoire des Juifs, ce qui aurait été indécent.»

En cas de refus, la même réponse se faisait inévitablement entendre: «Ce n’est pas assez festif. En fait, ils ne voulaient pas de contenu historique.» D’autres ont pris la relève: «L’Assemblée nationale a publié un magnifique livre et les professeurs de l’université Laval ont fait de même. Par contre, je connais plein d’éditeurs et de revues qui avaient des projets; ils ont adressé des demandes au 400e, pour se faire dire non parce que ce n’était pas assez festif.» Une sorte d’état d’esprit s’est installé: «L’idée qui circulait, pour justifier l’approche qu’on prenait, c’était que Québec est trop souvent présentée comme une ville historique qui est chargée d’histoire; il faut maintenant lui donner l’image d’une ville tournée vers l’avenir. Tel était le mot d’ordre.»

La place de l’histoire

Denis Vaugeois désigne ce qui aurait dû être réalisé dans un contexte historique: «Il se serait entre autres agi d’appuyer les projets qui se sont faits malgré tout. L’Assemblée nationale a utilisé les services de quatre historiens pendant je ne sais trop combien de temps, pour sortir un ouvrage absolument magnifique sur l’histoire de la ville de Québec; cette initiative aurait dû être soutenue financièrement et publicisée par le 400e.» Heureusement, la Ville a pris la relève dans certains cas et a apporté son appui à des projets à caractère historique: «Elle a dégagé un fonctionnaire à plein temps, a fourni de l’argent et a trouvé un espace dans la programmation pour en arriver là.» Il en est allé de même pour plusieurs groupes privés: «Pour le 400e, on ne peut parler d’une note de zéro en matière de contenu historique, c’est 10 sur 10 qu’ils ont obtenu, parce qu’il n’en voulait pas. Ils ont réussi à « goaler » à peu près à la perfection tout rappel historique.»

Il fournit sa vision d’historien: «Pour nous, Québec, c’est une porte d’entrée du continent. L’histoire du continent est liée à cette ville. On aurait pu expliquer aux immigrants que leurs ancêtres sont entrés ici autrefois, historiquement, par Québec. C’est une ville avec une diversification beaucoup plus grande que le jour sous lequel on veut bien la présenter. En fait, cette ville, ce sont tous les textes qui figurent derrière Le Moulin à images.»

***

Rencontre (Suite)

Pour donner suite à la dernière note concernant la rencontre du 21 octobre, voici les dernières informations:
Lieu: salle du conseil de la Faculté des lettres, pavillon De Konink: 3244
Heures: 9 h à 12 h
Coût: 10$ pour les étudiants de Jocelyne Bisaillon; 25$ pour les membres de l’ACR, de l’ATAMESL et de la SQRP; 35$ pour les autres.
Apportez: une feuille, un crayon et une gomme à effacer.
Des documents vous seront remis.
Le dîner (en sus), pour les personnes qui le désirent, aura lieu au restaurant Bonnet d’Âne, 859, rue Myrand, à quelques pas de l’Université. Informez Anna Olivier si vous désirez vous y joindre afin qu’elle puisse faire les réservations nécessaires. C’est également auprès d’elle que vous réservez votre place pour la demi-jounée, et ne tardez pas, car 22 personnes auraient déjà confirmé leur présence, et le nombre de places est limité: anna.olivier@athenaredaction.com.
J’ai bien hâte de vous y rencontrer!

Le plaisir de nous rencontrer…

Il y a longtemps que je n’ai pas écrit ici, n’est-ce pas? J’ai un peu perdu le rythme, étant très occupée depuis mon retour de vacances. Outre mon travail, j’ai préparé, à la demande de la responsable des Affaires francophones de l’Association canadienne des réviseurs, Anna Olivier, le contenu d’une rencontre d’une demi-journée, une prolongation de mon livre, en quelque sorte. Elle aura lieu en avant-midi le mardi 21 octobre à l’Université Laval (la salle et l’heure restent à préciser). En voici le contenu :
1. Bref retour sur la révision
- Ce qu’elle est
- Ce qu’elle n’est pas
- En quoi elle se distingue de la correction
2. Exercices sur des types de fautes à corriger et échange sur les outils les plus appropriés
3. Quelques types d’améliorations à apporter
- La place du complément selon cinq situations
- Cinq façons de remplacer un participe présent
- Cinq façons de remplacer une complétive
- Mots inutiles à éliminer
4. Récapitulation à l’aide d’un texte
5. Invitation spéciale à une participation collective
Il n’est pas nécessaire de faire partie de l’Association pour y assister, mais vous êtes priés d’en aviser le plus tôt possible Mme Olivier. Vous pouvez la joindre par courriel à l’adresse suivante: anna.olivier@athenaredaction.com.
Que vous soyez étudiants, travailleurs salariés ou à la pige, vous êtes donc tous conviés à cette rencontre! Ce sera une belle occasion pour nous tous d’associer des visages à des noms…