Voici cette deuxième tournée toute féminine. De bonnes lectures dans l’ensemble mais toujours pas de sensation extrême à l’horizon.
L’année de la pensée magique de Joan Didion (Grasset) : Alors que, comme à l’habitude depuis de nombreuses années, elle soupe tranquillement avec son mari, ce dernier a une attaque cardiaque. Malgré les secours, il meurt. Pour elle, c’est comme si la vie s’arrêtait. Pendant un an, elle scrute presqu’à la loupe tout ce qui entoure la mort de son mari. Pendant un an, elle aurait voulu rattraper le temps afin que tout redevienne comme avant (d’où le titre). Un habile exercice de deuil littéraire qui ne tombe jamais dans le pathos et qui réussit néanmoins à rejoindre profondément le lecteur.
À ciel ouvert de Nelly Arcan (Seuil) : J’aurais tellement aimé pouvoir défendre ce troisième roman de cette romancière controversée qu’on ne cesse de juger par l’image négative qu’elle impose maladroitement. J’avais été subjugué par le talent et le souffle littéraire qu’on retrouvait dans Putain et Folle. De ce souffle, il ne reste à peu près plus rien dans À ciel ouvert. Voilà une grande déception pour l’amateur que je suis. Nelly Arcan nous sert gauchement du réchauffé en abordant le thème qui l’obsède, celui de l’image de la femme à travers le regard des hommes, le sexe et la chirurgie esthétique. Elle troque le je pour le il et, à mon avis, c’est là que tout tombe à plat. Ce il détaché, non intériorisé, qui traque le parcours de Rose et Julie, devient vite détestable pour le lecteur qui n’a pas envie de suivre ces deux gourdes superficielles qui se battent pour le même homme aussi peu charmant qu’elles. Nelly Arcan ne semble avoir aucune empathie pour ces deux personnages, aussi détestables puissent-elles être. Nous non plus. Souhaitons qu’elle passe à autre chose pour le quatrième acte.
La sœur de Judith de Lise Tremblay (Boréal) : Depuis La héronnière (le meilleur livre de l’auteure à ce jour), l’écriture de Lise Tremblay est devenue plus concrète, plus sentie et le lecteur ne peut que s’en réjouir. On la retrouve cette écriture dans La sœur de Judith, mais encore plus dépouillée, ce qui sert très bien la narratrice de douze ans. Douze ans, la fin d’une certaine innocence sociale (et personnelle par le fait même). Avec toute la vulnérabilité qui va avec, Lise Tremblay illustre très bien ce passage à travers le regard de cette jeune fille de Chicoutimi qui rêve d’un ailleurs meilleur qu’elle projette dans la sœur de Judith. C’est tout le Québec des années soixante qui est évoqué sous la plume de la romancière. C’est l’aspect le plus réussi de ce roman et c’est pour cette raison qu’il faut le lire.
Le retour à l’île aux cerises de Louise Turcot (Boréal inter) : j’ai un faible pour cette série jeunesse qui a du mal à trouver son public. De livre en livre, Louise Turcot nous montre l’évolution de Lulu, une jeune fille vivant seule avec sa mère à la fin des années cinquante. À l’instar de Lise Tremblay pour les années soixante, Louise Turcot réussit très bien à évoquer ces années d’après-guerre aux abords de Montréal. C’est encore plus vrai dans ce troisième volet alors que le cœur de Lulu (qui a maintenant douze ans) balance entre Gary et Luc. Elle découvre également le spectre de la seconde guerre mondiale et certains tourments de la vie. L’écriture de Louise Turcot est à son image : simple, fluide, chaleureuse et douce. Si vous l’aimez, vous aimerez les allées et venues de la petite Lulu à l’Île aux cerises. Le vrai public de cette série est définitivement celui de la comédienne.
Un effondrement de Ghislaine Dunant (Grasset) : L’exercice de Ghislaine Dunant peut s’apparenter à celui de Joan Didion. Plutôt que d’en être un de deuil, l’auteure a ressenti le besoin de revenir sur la dépression qu’elle a vécu il y a une trentaine d’années. Elle s’attarde principalement à cette période de « gel » où l’esprit de la personne dépressive est complètement détaché du corps qui l’abrite. Le début en fait, qu’elle nomme très justement l’effondrement. C’est surtout l’aspect médical et clinique de la chose qui ressort ici. Quiconque a côtoyé la dépression de près ne peut être insensible à ce livre. Pour avoir accompagnée quelqu’un pendant plus de deux ans, je n’ai pu rester insensible à plusieurs phrases tellement elles avaient une résonnance par rapport à ce que j’avais pu voir ou ressentir. Par contre, je ne peux pas dire que le récit de Ghislaine Dunant m’a complètement satisfait. Il n’est peut-être pas suffisamment porté par l’écriture ou l’émotion.
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Vers à soi
Il y a de ces disques qui ne se laissent pas apprivoiser facilement. Vers à soi, la dernière création de Jorane, est l’une de celle-là. Après la première écoute, je savais que j’étais en train d’écouter un disque à la réalisation impeccable et aux richesses indéniables. Par contre, j’étais incapable de dire si j’aimais ça. Drôle de sentiment ambigu.
Ma première écoute était à peine terminée que j’appuyais à nouveau sur play. Certaines sonorités et certaines modulations m’intimaient l’ordre de les réentendre. D’une écoute à l’autre, je traînais toujours ce sentiment d’incertitude, mais toujours je reconnaissais la qualité de ce disque. À l’heure où je vous écris, je ne sais plus combien de fois je l’ai écouté et je ne m’en lasse pas. Il m’habite complètement ce Vers à soi.
Ce disque de Jorane s’inscrit d’une manière cohérente dans sa démarche d’artiste par rapport à ce qu’elle nous avait offert avant. Elle explore d’autres avenues très inspirantes et en réempruntent d’autres qu’elle avait délaissées momentanément. Le violoncelle reprend la place qu’on souhaitait et d’autres instruments aux accents asiatiques et indiens sont maintenant de la partie. Et elle chante ses propres textes, en français seulement, pour notre plus grand plaisir. Elle les déconstruit à sa façon.
C’est singulier, nuancé, aérien, décalé, incarné, hypnotisant, obsédant. C’est tout, sauf banal. C’est du Jorane à n’en pas douter et c’est peut-être son meilleur disque jusqu’à maintenant. Je dis peut-être car ça aussi c’est une chose difficile à affirmer. Mais on s’en fout. Quand c’est bon, c’est bon, un point c’est tout!
étude #3 pour cordes et poulies
Il ya plusieurs années, je découvrais le travail de la chorégraphe Ginette Laurin avec La vie qui bat, un spectacle tout en mouvement et en émotion d’une sensibilité humaine remarquable. J’en garde un souvenir impérissable, un des plus beaux spectacles de danse contemporaine que j’ai vus.
C’est un peu dans cet esprit que j’allais voir cette étude #3 pour cordes et poulies, ma seconde expérience avec la troupe d’O vertigo.
Si, avec cette dernière création, Ginette Laurin exploite toujours l’idée du mouvement humain, cette fois-ci, elle s’attarde à celui qui nous lie et qui nous empêche d’avancer comme on le voudrait. D’ailleurs, le spectacle aurait pu s’intituler Mouvements interrompus. Les cordes et les poulies, qui sont au cœur de cette chorégraphie, symbolisent très bien cette idée. Les danseurs sont presque continuellement attachés rendant difficiles tous mouvements vers l’autre ou une certaine liberté. Lorsqu’ils ne le sont pas, les mouvements sont saccadés, rarement libres. Qu’ils soient projetés dans les airs, qu’ils s’élancent sur la scène ou qu’ils se roulent sur le sol, les corps se font lourds et ne peuvent se défaire de leur gravité.
Il y a de très beaux moments, des images très fortes, mais c’est trop furtif. L’ensemble est légèrement aride, un peu lourd justement, comme ces corps cloués au sol. J’aurais aimé que le mouvement fluide se fasse plus présent pour échapper à cet hermétisme étouffant. En même temps, je comprends la démarche de Ginette Laurin qu’elle a probablement réussie puisque, comme spectateur, elle ne m’a pas du tout laissé indifférent.
Le disque de Nathalie
Lu dans La Presse la semaine dernière :
Il n’y a rien que me ferait plus plaisir que de considérer l’album de Nathalie Simard comme n’importe quel autre disque. Je pourrais alors tout simplement dire qu’il compte une couple de jolies versions (On s’est presque touché de Jim Corcoran), une couple de poignantes (I Want To Know What Love Is de Foreigner) et quelques-unes de très sérieusement exécrables (Aimer d’amour de Boule Noire), tout en soulignant que les arrangements sont souvent beaux, que le choix des chansons est pertinent et que Nathalie Simard devrait privilégier le registre grave qu’elle adopte dans les chansons en anglais. Mais voilà, ce n’est PAS n’importe quel disque. Tous les textes des chansons prennent un autre sens parce que c’est Nathalie qui les chantent. Il est tout simplement impossible de faire fi de ce que nous savons et aussi de ce que nous éprouvons tous : le goût de demander pardon à Nathalie Simard pour l’avoir soit idolâtrée, soit ridiculisée du temps du Village de Nathalie. Voilà pourquoi je crois sincèrement que la meilleure raison d’acheter cet album, c’est de le faire en geste de réparation.
Marie-Christine Blais
La Presse
Je trouve ce genre de papier inacceptable. On confond tout là. De la part d’une journaliste de métier, c’est honteux. On est critique ou on ne l’est pas. Rien n’obligeait Marie-Christine Blais à couvrir le disque de Nathalie Simard. Il est où le malaise? Le problème? Est-ce que le drame qu’elle a vécu, maintenant connu du grand public, l’absoudra de tout jusqu’à la fin de ses jours?
Robert Lévesque, lors de son récent passage aux Francs-Tireurs, avait peut-être raison lorsqu’il disait qu’il n’y avait plus de véritables critiques au Québec.
Prix TD 2007
En 2005 et 2006, j’a ieu la chance de faire partie du jury francophone pour l’attribution du livre jeunesse le plus remarquable de l’année chapeauté par la généreuse Banque TD. Je dis généreuse car TD offre une bourse de 20 000$ au lauréat et les autres finalistes se partagent 10 000$.
Cette année, tout comme je le fais avec le Prix des libraries du Québec, j’observe tout le processus de l’extérieur avec beaucoup d’intérêt et de plaisir.
Pour cette troisième attribution du Prix TD, les finalistes sont les suivants:
Le Chat du Père Noé, Editions Hurtubise HMH
Texte : Daniel Mativat
Frisson l’écureuil, Editions Scholastic
Texte et illustrations : Mélanie Watt
Les Enfants de l’eau, Editions de l’Isatis
Texte : Angèle Delaunois, Illustrations : Gérard Frischeteau
Hush ! Hush !, Editions Hurtubise HMH
Texte : Michel Noel
L’Envers de la chanson : des enfants au travail 1850-1950
Editions Les 400 coups, Texte et photos d’archives : André Leblanc
En consultant la liste, ma première réaction a été négative. À part Frisson l’écureuil, à qui je prédis la palme, les autres titres ne me disaient pas grand chose. Après coup, je me suis rappelé tout le processus d’attribution du Prix et la longue journée de délibération épuisante qui mène au couronnement du gagnant composé d’un jury aux goûts parfois diamétralement opposés, et je me suis dit que leurs choix étaient légitimes.
Je dois avouer que j’étais certain que La vie bercée, le magnifique poème à la vie d’Hélène Dorion et Janice Nadeau y figurerait. Je dois aussi avouer que je n’ai pas lu l’ensemble de la production 2006 comme le font les membres du jury.
La morale de cette histoire: il est facile de juger un Prix lorsqu’on ne s’y trouve pas soi-même impliqué.
La grand gagnant sera dévoilé dans deux jours. C’est donc à suivre!
À noter qu’en 2005, c’est François Barcelo et Anne Villeneuve qui l’ont remporté avec Le nul et la chipie publié chez soulières et c’est François Gravel et Pierre Pratt qui l’ont mérité en 2006 pour David et le salon funéraire paru chez Dominique et compagnie.
La tournée d’automne #1
Certains lecteurs étaient impatients d’avoir mon avis sur la rentrée automnale. Voici une première livraison de mes impressions.
La mandragore de Jacques Lazure (soulières) : Exploitant le mythe de la mandragore sous toutes ses coutures, Jacques Lazure signe un roman pour adolescent enlevant qui tient la route du début à la fin. Sylvain Ravine n’est pas au bout de ses peines car on ne se lie pas avec cette racine maléfique sans coup férir aussi gentille puisse-t-elle se montrer… C’est gothique, c’est intelligent, c’est bon et on a envie de le faire découvrir à tous les adolescents.
C’est quand le bonheur? de Martine Delvaux (Héliotrope) : Une énième histoire d’amour que ce roman? Que non! Une belle et vibrante histoire d’amitié amoureuse. Il n’y a rien dans ce roman et en même temps, il y a tout. À pas feutrés, Martine Delvaux nous laisse pénétrer dans l’intimité de cette amitié entre un homme et une femme. Un roman intimiste porté par une écriture concise, simple et totalement dépouillée de tout artifice. Elle s’immisce en nous à notre insu pour finir par nous habiter complètement. Et la fin est très émouvante. Une heureuse surprise, une heureuse rencontre. L’un des meilleurs romans lus cette année.
Tom est mort de Marie Darrieussecq (P.O.L.) : Au-delà du scandale provoqué inutilement par une Camille Laurens complètement à côté de la plaque, Tom est mort, qui traite de la perte d’un enfant, est avant tout un bon roman qui me réconcilie avec l’auteur de l’étonnant Truismes. Moins organiquement flou que les derniers que j’avais lus d’elle et plus senti, Darrieussecq emprunte ici une voie intéressante. L’histoire aurait gagné en force si elle ne s’étirait pas sur trop de pages. L’exercice de deuil auquel nous convie cette femme dix ans après les événements finit par créer un sentiment de répétition au deux tiers du roman. L’exercice est toutefois réussi. Si vous avez envie de vous plonger dans ces eaux troubles, allez-y.
Un monde de papier de François Désalliers (Triptyque) : j’aurais aimé encenser ce dernier roman de François Désalliers que j’avais découvert avec L’Homme-Café. Le charme s’était poursuivi avec Un été en banlieue et voilà qu’il se rompt (temporairement j’espère) avec Un monde de papier. Tout le roman, ou presque, se déroule à l’intérieur des pages d’un magazine féminin alors que le personnage d’Henri y est propulsé bien malgré lui. Avec lui, on navigue de page en page et on découvre tout un monde statique, superficiel, désincarné et drôlement géré. Le cadre est parfait. On a vraiment l’impression d’être dans un magazine. Ce n’est pas mauvais du tout, mais je n’ai pas adhéré à sa prémisse de départ et ça m’a poursuivi jusqu’au bout de l’aventure. Déçu d’être déçu.
D’ailleurs de Gilles Jobidon (vlb éditeur) : il a fait son entrée en littérature de belle façon en remportant le Prix Robert-Cliche avec La route des petits matins un roman superbement écrit qui n’était pas sans rappeler Soie d’un certain Alessandro Baricco. Depuis, Gilles Jobidon fait partie de ces auteurs que j’aime suivre. D’ailleurs, un court recueil de sept nouvelles, brosse le portrait de plusieurs personnages au carrefour d’un segment de leur vie. On se promène au quatre coins du monde. Chacun des portraits est très réussi et chaque lieu est bien rendu, particulièrement celle intitulée Ly Sanh qui se passe à Saigon et qui nous ait raconté par un petit garçon. L’écriture de Jobidon est plus sobre et classique que dans ces ouvrages précédents et peut-être plus efficace parce que moins poétique et moins maniéré. C’est comme s’il avait cessé de se regarder écrire pour laisser toute la place à ses personnages et leurs univers. Et c’est nous qui en profitons. Un bon recueil, vraiment.
Deception point #4
Comme vous pourrez le constater à nouveau, les déceptions littéraires sont encore au rendez-vous. Pour faire un clin d’œil à mon précédent billet, je peux affirmer que les titres ici-bas n’ont pas eu une grande résonnance sur le lecteur que je suis. Constatez-le par vous-même.
La gifle de Roxanne Bouchard (Coup de tête) : Qui donc recevra cette gifle tant attendue dans cette histoire ? Je vous le donne en mile : le lecteur. Un court texte à l’ambiance pseudo italienne qui frôle souvent le cliché et qui, disons-le, sent le fond de tiroir de la jeune auteure. Ce premier texte original de la toute nouvelle maison d’édition de Michel Vézina ne convainc pas tout à fait. Je ne comprends comment Danielle Laurin ait pu en faire l’éloge dans les pages du Devoir.
Antenora de Margaret Mazzantini (Robert Laffont) : après avoir vu le sublime et touchant film Écoute-moi, dont elle avait elle-même fait l’adaptation de son roman, je m’étais promis de lire sa prochaine publication en français. C’est chose faite et je ne sais plus si j’aurai envie de récidiver. L’histoire de cette grand-mère italienne n’est pas très passionnante ni très intéressante. N’eût été de la faible épaisseur du livre, je ne l’aurais jamais terminé. Décidément, l’Italie et moi ne faisons pas bon ménage en ce moment…
La maison d’Élisabeth d’Éric Rohmer (Gallimard) : plus de soixante ans après sa publication, Gallimard vient de rééditer le seul et unique roman d’Éric Rohmer. Après lecture, on comprend mieux pourquoi il ne s’est pas commis une autre fois et qu’il ait plutôt bifurqué vers le cinéma, qui lui sied nettement mieux. En lisant La maison d’Élisabeth, on reconnaît évidemment la signature de Rohmer, mais sans le support visuel ça devient vite confus et agaçant. J’aurai au moins satisfait ma curiosité.
Vous plaisantez Monsieur Tanner de Jean-Paul Dubois (De l’Oliver) : j’ai lu ce livre sur la bonne recommandation de mon agente immobilière. Si elle ne s’est pas trompée sur l’achat de ma propriété, elle s’est un peu gourée avec cette suggestion littéraire qui décrit les déboires immobiliers de Monsieur Tanner après avoir reçu en héritage une vielle maison. Je n’ai pas du tout reconnu ma nouvelle réalité et j’ai perdu du temps précieux que j’aurais pu consacrer au sablage de mes planchers. Il n’y a rien dans ce roman. Après quelques essais infructueux, il y a décidément incompatibilité entre Jean-Paul Dubois et moi.
Sept comme setteur de Patrick Senécal (Édition la Bagnole) : la première incursion de Patrick Senécal en littérature jeunesse, bien que pas si mal, n’est pas une réussite. D’abord le sujet. Le bonhomme sept heures a beaucoup été exploité dans la littérature jeunesse québécoise, donc on peut parler de manque d’originalité. Les thèmes abordés comme le père noël, les lapins de pâques et la fée des dents s’adressent normalement à un jeune public ne sachant à peu près pas lire. Certains personnages sont mal définis. Je pense à la petite fille qui semble avoir 8-9 ans dans sa façon d’agir alors qu’elle ne sait toujours pas conduire un vélo sur deux roues! Le ton, quant à lui, teinté d’horreur fait plutôt 10-12 ans. On se retrouve avec un roman au lectorat mal ciblé ou, si vous préférez, assis le cul entre deux chaises!
Nous autres ça compte pas de François Blais (L’instant même) : Iphigénie en haute-ville nous avait séduit par sa fraîcheur, son humour bon enfant légèrement teinté de cynisme et ses pieds de nez à la structure narrative. On retrouve tout ça dans Nous autres ça compte pas mais mais mais! Mais la magie cette fois-ci n’opère pas vraiment pour une simple et bonne raison : tout ce qui se trouvait dans le premier est multiplié à la puissance mille dans le second. Ça finit par irriter légèrement et on rit visiblement moins. Ce n’est pas mauvais mais abuser du cynisme et de la forme narrative c’est comme abuser du chocolat: ça finti par tomber sur le coeur. On espère quelque chose de différent pour le troisième rendez-vous.
Chacun son métier #7
Le travail premier d’un écrivain est celui d’écrire afin de concocter des univers qui sauront rejoindre les gens. Le plus grand nombre est évidemment souhaitable.
À l’heure où les éditeurs se mettent pratiquement tous en mode marketing pour faire vendre le plus de livres possible en récupérant tout ce qui est récupérable et en copiant les stratégies du voisin, on est en droit de se demander si on ne fait pas fausse route en travestissant ainsi un si bel univers .
Le travail de l’écrivain est-il si marchandisable?
Je ne crois pas et je tiens ce discours depuis longtemps. Un éditeur qui met tout le paquet sur une promotion gigantesque réussira certainement à faire vendre un peu plus d’exemplaires qu’il s’il n’avait rien fait. Mais ce n’est pas ça qui fait la différence. C’est le bouche à oreille. C’est donc dire que la base de tous les résultats de vente de livres nous ramène au texte avec lequel le lecteur a rendez-vous. C’est le travail de l’écrivain (ou de l’auteur) qui fait cette différence.
Je crois fondamentalement que chaque livre rencontre le nombre de lecteurs qu’il doit rencontrer et il n’y a rien d’ésotérique dans mon propos. Il y a pleins de facteurs qui influence cette rencontre : le sujet, le style, les personnages, l’univers, le contexte, les idées, le contenu et tous ces détails infimes qui se retrouvent dans chaque livre. Le succès est imprévisible, en quelque sorte.
Qui aurait pu prévoir que L’élégance du hérisson de Muriel Barbery atteindrait le demi million de ventes un an après sa parution? Le tirage initial de Gallimard était de 5000 exemplaires. Le succès de ce roman atypique s’est construit lentement et il ne fait que s’accroître de semaines en semaines. Il est arrivé la même chose à Anna Gavalda après la sortie de son recueil de nouvelles Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part publié, à l’époque, chez un tout petit éditeur Le Dilettante faisant, cette année là, la barbe aux gros joueurs de l’édition française.
Ces livres sont-ils meilleurs pour autant. La réponse est non. Ils ont tout simplement eu une grande résonnance dans l’imaginaire des gens.
Difficile à prévoir tout ça. Quand les ventes ne suivent pas, c’est pareil. Après avoir lu Falaises d’Olivier Adam à sa sortie, j’aurais aimé le faire lire à tout le monde tellement il m’avait pris aux tripes. Je n’ai convaincu qu’une poignée de gens.
Personnellement, je pourrais être déçu du rendement de mes deux publications. Pourtant, je ne le suis pas. J’ai rejoint les lecteurs que j’avais à rejoindre. Je suis conscient d’écrire des romans très introspectifs aux univers troubles et sombres qui n’attirent pas nécessairement les foules. Je croyais que Cher Émile allait avoir une plus grande résonnance, mais ça ne s’est pas produit. Le sujet de l’homosexualité en a freiné sa course. J’ai écrit le roman que j’avais à écrire et je réécrirais le même si c’était à refaire.
Perreau et la lune
Bref retour sur le magnifique spectacle de Yann Perreau vu au Petit Champlain jeudi soir en très bonne compagnie (un salut particulier aux pipelettes de la belle ville;-).
Perreau fait une démonstration étonnante de l’art de la scène (plusieurs artistes devraient le prendre comme modèle). Il habite complètement l’espace de par sa présence physique et aussi grâce à toute l’intensité émotive qu’ill insuffle à ses chansons qu’il revisite en les dépouillant de tout artifice. Ça donne un spectacle aux allures de cabaret à la fois drôle, poétique et intimiste. Dans cette formule, le charisme de Perreau opère à plein régime (il n’y a pas que les filles que ça dérange, croyez-moi!).
Perreau et la lune est un spectacle que je qualifierais d’intégral offert par un artiste intègre qui ne donne que ce qu’il est et il en a beaucoup a donné. Tellement, qu’après, il n’a pas hésité à se mélanger à la foule dans le hall du Petit Champlain pour bavarder avec le public qui s’était déplacé pour le voir.
Généreux, l’artiste. Vraiment.
Incroyable mais vrai
Si les voies de Dieu sont impénétrables, le comportement des clients est imprévisible et ne cessera porbablement jamais de me surprendre.
Aujourd’hui, je réponds à un appel. La demande est confuse. Je fais répéter. La dame me demande le côté bibliothèque. Je lui rappelle qu’elle a téléphoné à une librairie. Elle croit que je peux quand même l’aider. Je fronce les sourcils. Elle se lance. Elle voudrait parler à quelqu’un qui aurait lu un livre pour avoir son avis. De quel livre parle-t-on? Toujours dans la confusion la plus totale, elle me demande si quelqu’un serait en mesure de l’aider. Diplomate, je lui dis que je ne saisis pas exactement ce qu’elle veut. Je rajoute, par prudence et pour préparer le terrain, qu’elle n’est peut-être pas au bon endroit pour avoir une réponse à ses questions. Elle veut savoir si un libraire a lu La théorie de la relativité. Curieux, je lui demande pourquoi. Elle me dit qu’elle est en train de le lire et qu’elle bloque sur certains concepts. Elle a pensé faire appel à quelqu’un qui l’aurait lu pour l’aider dans sa lecture!!!!
Je mets un terme à ce mini cauchemar en lui disant poliment qu’elle était effectivement au mauvais endroit pour une telle requête. Avant que nous raccrochions chacun de notre côté, un malaise était palpable.
Ce genre d’épisode me décourage. Qu’est-ce qui se passe dans la tête des gens? On est libraire pas des encyclopédies vivantes du livre à qui on peut poser n’importe quelle question.
Je dois vous avouer que ce n’est pas juste dans la tête qui se passe de drôles de choses. Dernièrement, j’ai remarqué que de plus en plus de clients pétaient librement dans la librairie sans gêne et sans complexe. Encore ce soir, juste à côté de moi, une dame s’est laissée aller bruyamment à deux reprises et elle a continué à bouquiner comme si de rien n’était. Le client qui se trouvait tout près d’elle m’a regardé l’air de se demander s’il venait bien de vivre ça.
Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé. C’est quoi cette attitude? La liberté d’expression à outrance?
Pour terminer sur une note plus positive, quoique surprenante, depuis une semaine, pas moins de trois clients m’ont serré la main après les avoir servis! Je crois que ça ne m’était jamais arrivé avant. Est-ce une nouvelle tendance liée au fameux Secret? Soyez ultra poli pour créer des liens indéfectibles et vous deviendrez riche rapidement…
L’être humain est définitivement surprenant.