Pire que les déceptions, ce sont ces livres qu’on abandonne avant la fin. Quelques uns d’entre eux ont croisé ma route dernièrement. Brièvement, ma route.
Je voudrais tant que tu te souviennes, Dominique Mainard (Joelle Losfeld) : j’avais très envie de lire ce roman et de découvrir du même coup cette auteure. Le sujet un peu étrange, flirtant avec le conte, m’interpelait. Dès la première page, j’ai presque su que ce n’était pas pour moi. L’écriture de Dominique Mainard est irréprochable et très belle. Elle sait créer des ambiances fortes. Malgré tout ça, je ne suis pas parvenu à m’attacher à ses personnages et à son univers étrange. C’est du vent que je lisais. J’avais l’impression que tout ça ne mènerait à rien. Même si je ne l’ai pas terminé, je me dis que j’avais certainement raison de le croire.
Après Shanghai, Judith Brouste (Gallimard) : Jours de guerre, son précédent roman, avec sa drôle d’histoire d’amour entre une femme et un clochard, m’avait beaucoup touché. Je surveillais attentivement la prochaine parution de Judith Brouste. Arrive enfin cet Après Shanghai. Les premières pages m’ont donné l’impression que je renouais avec ce que j’avais aimé de l’autre. Impression de trop courte durée. Cette histoire pas très intéressante et ennuyante d’un médecin volontaire m’a vite lassé.
Chinoiseries, Claude Jasmin (vlb éditeur) : pourquoi lire le nouveau Claude Jasmin? Par désir de me replonger dans son écriture, retrouver l’auteur de l’excellent Pleure pas, Germaine, m’intéresser au nouveau matériel d’un auteur qui nous a donné de belles pages de notre littérature, ne pas bouder sans savoir en pensant que le meilleur est derrière lui. Et Chinoiseries avait l’air pas mal. Malgré toutes mes bonnes intentions, je n’ai pas réussi à le terminer. Ce roman, qui oscille entre la jeunesse et la vieillesse du personnage principal, bien qu’abordant des thèmes très riches, n’est jamais parvenu à me convaincre. L’écriture de Jasmin m’a paru faible et parfois un peu trop naïve et maladroite.
Les vivants et les morts, Gérard Mordillat (Livre de poche) : depuis sa sortie en grand format, ce roman de 900 pages m’attirait. Le format poche traînait sur ma pile depuis un an. J’attendais le bon moment. La semaine dernière, l’été frappant à notre porte, je me décidais à plonger dans ce roman fleuve où m’attendais, croyais-je, une belle chronique familiale touchante. C’est plutôt une chronique sociale un peu aride qui se cachait derrière ce magnifique titre. L’auteur dépeint très bien le milieu ouvrier français avec la dureté qu’il faut dans ce genre de contexte, mais ce n’est pas vraiment le genre de sujet qui me passionne.
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Deception point #3
Les enchantements littéraires se font rares depuis quelques mois. Par contre, les déceptions continuent de croiser mon chemin.
J’en ai pour preuve ces quelques titres :
La traversée de l’été de Truman Capote (Grasset) : ce roman inédit de l’auteur, écrit alors qu’il n’avait que 19 ans, n’aurait jamais dû voir le jour. D’ailleurs, c’était le souhait de Truman Capote. Pour des questions mercantiles (j’imagine), on a fait fi de ses dernières volontés et on a publié ce roman mièvre et dépassé mettant en scène une jeune fille de bonne famille de 17 ans cherchant l’amour. Un titre qui vient entacher la bibliographie de ce grand romancier.
Le moindre des mondes de Sjon (Rivages) : une œuvre qui semble être le fruit d’un auteur islandais totalement inconnu. Pourtant, Sjon est le plus fidèle parolier de Björk, d’où mon intérêt pour ce court roman en prose. Hélas, je suis resté sur ma faim. Le moindre des mondes est une espèce da fable nordique très aride. Le texte m’a rappelé certaines légendes inuit. Vraiment pas ma tasse de thé.
La ville sans nom de Christiane Duchesne (Boréal) : premier tome de la trilogie Voyage au pays du Montnoir dans laquelle Christiane Duchesne se serait totalement investie, La ville sans nom ne remplit vraiment pas ses promesses. Je ne sais pas comment j’ai fait pour lire les 349 pages qu’il contient. Seule la grande qualité d’écriture de l’auteure sauve la mise. Pourtant, l’idée de départ a tout pour intéresser. Pierre Moulin passe à travers une pierre fendue et se retrouve dans une ville qu’il ne connaît pas. Où est-il? Que fait-il là? Qui est cet étrange personnage? Habituellement, dans la plupart des romans fantastiques flirtant avec cette idée, on répond à ces questionnements très rapidement. À la page 220, on n’a pas encore résolu ce mystère : « D’où venait-il vraiment, ce garçon hébergé par Julius? La question l’obsédait et l’empêchait de dormir ». Dois-je en rajouter davantage?
Le retour de Bernhard Schlink (Gallimard) : voici la déception des déceptions. Le dernier roman de Schlink était celui que j’attendais le plus ce printemps. Je garde un souvenir intense de son succès mondial Le liseur et un souvenir impérissable de son excellent recueil de nouvelles Amours en fuite. Dans Le retour, qui raconte le parcours d’un homme à la recherche de son père qu’il n’a pas connu, Schlink, à défaut de le captiver, finit par ennuyer et égarer le lecteur en digressions de toutes sortes. Jusqu’à la fin, après de longs moments de persévérance, on ne comprend toujours pas quel était le but de l’auteur. On dirait bien que son sujet a fini par lui échapper complètement. Vraiment dommage.
Bonheurs d’occasion #3
Trois romans québécois qui vont au fond des choses et qui ne veulent surtout pas épargner la sensibilité du lecteur. Trois romans écrits par des femmes talentueuses issues d’une nouvelle génération d’auteure qui apportent un souffle nouveau sur notre littérature.
Crève, Maman!, Mô Singh (XYZ) : Juste à lire le titre de ce roman, on sait un peu dans quel univers on risque de se retrouver. Il n’y a aucune ironie à y déceler. C’est direct, cru et dur. Tout à fait à l’image de cette histoire de haine entre une fille et sa mère. On se promène entre le présent et le passé alors que la mort éminente de la mère en question fait poindre une promesse de libération pour la fille. Sans concession ni considération pathologique, Mô Singh évite de tomber dans les clichés des rapports mère-fille habituels. Un premier roman réussi porté par un réel regard d’écrivain.
Soudain le minotaure, Marie-Hélène Poitras (Triptyque) : Avec cette histoire de viol où elle nous force à se mettre d’abord dans la peau du violeur et par la suite dans celle de la violée, Marie-Hélène Poitras a fait une entrée fracassante et remarquée dans l’univers des lettres québécoises qui s’est consolidée avec son recueil de nouvelles La mort de Mignonne. Avec raison, l’entrée fracassante. Elle va au bout de son sujet et rend souvent insupportable certaines scènes qui nous apparaissent, ma foi, assez réalistes. L’ensemble est extrêmement bien dosé. Les deux points de vue, plutôt qu’un seul, donne toute la force à ce roman dérangeant.
L’enfant dans le miroir, Nelly Arcan et Pascale Bourguignon (Marchand de feuilles) : Avec ce court texte, Nelly Arcan est fidèle à elle-même en exploitant le thème de l’enfance troublée par l’action des adultes. Le spectre de la mort qui rôde, la difficulté de devenir grand, l’image sexuée des fillettes et le regard dégradant des hommes sont autant de facettes de ce texte intense, tordu et viscéral. Les superbes illustrations glauques et psychédéliques de Pascale Bourguignon, qui signe également tout l’aspect typographique alors que le texte se mélange parfaitement à l’image, ajoutent de la profondeur et de l’étrangeté aux mots de l’auteure. L’un ne pourrait aller sans l’autre. Une curiosité très intéressante.
Chute
C’est Geneviève Robitaille elle-même qui a demandé à son éditeur de me faire parvenir un exemplaire de Chute dont elle a écrit le texte en s’inspirant des photographies d’Ivan Binet. Elle sait que j’admire beaucoup son travail. J’avais fait une bonne recension d’ Éloge des petits riens dans le journal le libraire à sa sortie. J’avais aussi beaucoup aimé Mes jours sont vos heures paru précédemment chez Triptyque.
C’est plus qu’une excellente idée qu’elle a eu de me faire parvenir Chute, ça elle ne le sait peut-être pas. J’adore les œuvres littéraires qui s’inspirent de photographies. J’aime également beaucoup le travail que fait les éditions J’ai vu, une petite maison d’édition spécialisée dans ce genre d’ouvrage. Je garde un souvenir très fort de ma lecture de Projections écrit par Andrée A. Michaud et inspiré de photographie de d’Angela Grauerholz. Et, à titre d’auteur, je rêve de participer à un de leur projet.
Dans Chute, Geneviève Robitaille, qui souffre depuis plusieurs années d’une maladie dégénérative, s’inspire de la chute de son propre corps. Elle fait également un lien avec l’effondrement du World Trade Center. Le parallèle est très fort. Il faut dire que son écriture concise, précise et dépouillée de tout artifice ajoute de la puissance à ses idées. C’est franchement réussi.
Ivan Binet, lui, a photographié la chute Montmorency sous plusieurs angles en privilégiant les gros plans. Ça crée un effet d’abstraction et d’étrangeté dominé par le gris, le blanc et le vert. On se croirait dans un autre monde. Les photos sont réunies au centre du livre. Elles ne pouvaient pas être placées ailleurs. Après avoir lu la première partie du texte, lorsqu’on arrive aux photos, on est happé par le vacarme, le mouvement, la grandeur et le silence de cette chute. C’est asses particulier comme effet. On revient au texte de Geneviève Robitaille dans un autre état d’esprit. Après la perturbation vient le calme. En apparence seulement, le calme.
Un petit bruit sec
Ce matin, j’ai terminé la lecture d’ Un petit bruit sec de Myriam Beaudoin, son premier roman publié en 2003 chez Triptyque. Je ne l’avais pas remarqué au moment de sa sortie. Ça arrive trop souvent avec les livres. Heureusement qu’on peut toujours se rattraper.
Je ne sais pas ce qu’il y a dans l’écriture de Myriam Beaudoin mais elle vient me chercher profondément. Si les âmes littéraires existent, nous le sommes. En fait, je le sais un peu ce qui me plaît autant dans son écriture. J’aime ce mélange de simplicité et de profondeur qu’on y retrouve. C’est dépouillé et on ne sent jamais qu’elle veut faire des effets de style. Pourtant, du style elle en a. Tout est dans sa façon si singulière de raconter les choses.
Dans Hadassa, le portrait qu’elle brossait de la société juive orthodoxe était à la fois ahurissant et tendre. Il y a un peu de ça aussi dans Un petit bruit sec dans lequel elle relate le dur épisode de la mort de son père. Oui, c’est un roman troublant, touchant, tendre et bouleversant, mais on est tellement loin du récit personnel habituel. Elle nous offre sa vision à elle en nous permettant de plonger dans ses pensées les plus intimes et incongrues, de celles qu’on oserait à peine penser et encore moins avouer.
Combien d’heures, combien de nuits, combien de jours tu as supporté ton lit de bois, la dalle de pierre et les mètres de neige. La vermine a-t-elle atteint tes oreilles, tes yeux, ta bouche? La boue et les branches ont-elles fendu la boîte? As-tu au moins appris à respirer dans cette cave de vase et de glace? p.20
Un petit bruit sec n’a rien de chronologique. Elle alterne dans le désordre entre le présent, le passé et le futur, ce qui donne de la force à sa narration. Chaque segment est entrecoupé de lettres qu’elle adresse à son père. C’est dans les lettres que sa plume atteint sa pleine puissance. La dernière partie, qui se passe avant, alors que son père était consul en Afrique, m’a beaucoup fait penser à Duras. Je ne sais pas si c’est voulu, mais je n’ai pas pu m’empêcher de faire le lien. Une chose est certaine, à l’instar de Duras, Myriam Beaudoin fait partie de ces auteurs que j’ai envie de suivre pendant longtemps. Ça tombe bien, elle n’a que 31 ans!
Marguerite Duras
Lorsque l’on me demande de nommer mon auteur préféré, sans réfléchir je réponds Marguerite Duras. C’est celle qui a le plus marqué mon parcours. Celui de lecteur et celui d’auteur. C’est la lecture de L’amant il y a une vingtaine d’années qui a tout déclenché. Une révélation en quelque sorte. Cette écriture concise, incisive parfois et pleine de non-dits était aussi un peu la mienne. C’était la toute première fois que je lisais une auteure qui abordait l’écriture de la même manière que moi. Après, il y a eu Anne Hébert. Je le dis sans prétention. Je découvrais tout simplement des univers qui étaient compatibles avec le mien. Ça me réconfortait dans ma démarche. C’était nécessaire.
Depuis vingt ans, Marguerite Duras m’accompagne de façon irrégulière. De temps à autre, j’ai besoin de ma dose. Pas trop, juste assez pour me satisfaire. Au cours de la dernière année, il y a eu beaucoup d’ouvrages qui lui ont été consacrés puisque 2006 marquait le dixième anniversaire de sa mort. Satisfait, je l’ai été dernièrement.
Héliotrope, jeune maison d’édition québécoise au graphisme superbe, a eu la bonne idée de republier le court et intense texte très Durassien Sublime, forcément sublime Christine V. Un plaidoyer sur l’idée de la maternité autour du meurtre non résolu du petit Grégory qui fait les manchettes en France depuis plus de vingt ans. À certains moments, le point de vue de Duras rejoint celui de Lionel Shriver qu’on retrouve dans Il faut qu’on parle de Kevin. Condensé, puissant, audacieux et pour le moins dérangeant.
Toujours du côté québécois, Danielle Laurin, après avoir signé le touchant Duras l’impossible chez Varia, a dirigé à la même enseigne Lettres à Marguerite Duras. De vibrants témoignages qui ne tombent jamais dans la facilité et aucune lettre n’est de trop. Ça donne un ensemble homogène très bien construit donnant toute la place à ce monstre de la littérature. Quand on aime Duras, on se reconnaît à travers ces lettres, on est ravi et on se dit qu’on aurait pu nous aussi lui en écrire une aussi inspirée.
Il y a peu, P.O.L. et L’IMEC faisait paraitre ces Cahiers de guerre et autres textes. Ces inédits écrits dans les années 40 et 50 sont loin d’être du réchauffé posthume. Pour les amateurs de Duras, ce recueil est une mine d’or. Un peu comme un chaînon manquant, il vient compléter tout ce qu’elle a publié de son vivant tout en y apportant un éclairage nouveau. Un inédit tout à fait justifié de voir le jour.
Autant de titres qui vous donneront le goût de replonger dans l’univers unique de Marguerite Duras.
D’autres plaisirs épistolaires
Décidément, les romans épistolaires n’auront jamais autant eu ma faveur. Faut dire que depuis quelques mois, il semble y avoir un nouvel engouement pour le genre. Dans l’ensemble, ma récolte aura été très bonne. Voici trois autres recommandations.
Lou pour toujours d’Elisabeth Brami (Seuil) : Lou et sa grand-mère ont pris la bonne habitude de s’envoyer des lettres durant la période estivale. C’est devenu leur petit univers bien à elles, une bulle de confidence nécessaire. Lou a maintenant treize ans et vit des moments plus difficiles à la maison. Sa grand-mère commence à ressentir les effets de l’âge et son corps refuse d’être aussi actif qu’avant. Elles ont toutes les deux besoin l’une de l’autre. La correspondance d’été ne suffit pas. On suivra leurs chaleureux échanges toute l‘année durant. Sous la plume juste et sensible d’Elisabeth Brami, on y croit et ce beau rapport intergénérationnel nous touche. Dès 10 ans.
Marie-Ève! Marie-Ève! d’ Adrien Thério (XYZ) : Roman épistolaire à une seule voix, celle de Carmélia, une vieille femme ayant toujours vécu dans le même petit village. S’adressant à l’un de ses compatriotes capable de comprendre ce qu’elle a à dire, elle exprime enfin tout ce qu’elle porte en elle. C’est un plaidoyer en faveur de la liberté individuelle contre l’étroitesse d’esprit et les dogmes. C’est aussi le portrait d’une certaine ruralité menacée. Avec le personnage de Carmélia, Adrien Thério a créé un grand personnage romanesque. Elle est crédible du début à la fin, son discours est soutenu et, d’une certaine manière, elle est pus grande que nature. Un excellent roman qui fait le pont entre la littérature du terroir et une certaine modernité. Réédition.
Lettre à D. d’André Gorz (Galilée) : « Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien ». Ainsi débute cette vibrante lettre que l’auteur adresse à sa femme. Comment ne pas succomber?
J’ai aussi lu Lettres à Marguerite Duras publié chez Varia sous la direction de Danielle Laurin, mais celui-ci fera partie d’un prochain billet consacré uniquement à Marguerite Duras.
Vingt-Quatre heures d’une femme sensible
Ceux qui, comme moi, n’ont pas aimé Se résoudre aux adieux devraient se rabattre sur cet autre roman épistolaire hautement supérieur.
Si Philippe Besson a, d’une certaine façon, échoué dans sa tentative de se mettre dans la peau d’une femme bafouée par les affres de l’amour, il en est tout autrement pour Constance de Salm avec Vingt-quatre heures d’une femme sensible. L’instant d’une seule journée, on vivra toutes les phases du désarroi amoureux de cette femme anéantie par le désaveu de l’amour. 44 lettres comme autant de cris du cœur d’une profondeur intense qui l’aideront à surmonter son calvaire.
Toutes les lettres de ce court roman sont criantes de vérité. Écrit il y a près de deux cents ans, ce texte ne semble pas avoir pris une ride. S’intéresser aux choses du cœur était à l’époque assez avant-gardiste, mais Constance de Salm le fait avec tellement de justesse et d’intelligence qu’encore aujourd’hui tout humain peut se reconnaître dans les sentiments qu’elles expriment. Non seulement l’amour n’a pas de frontière, mais il ne connaît pas le temps.
Dans sa préface, Constance de Salm écrit : « Je voulais donc, par ces lettres, prouver que le goût des ouvrages sérieux n’exclut en rien la sensibilité ». Encore aujourd’hui, il est mal vu pour intellectuel d’en faire autant. Dans l’une des lettres, elle fait dire à cette femme sensible : « Les hommes sont bizarres; ils ne savent rien refuser à une femme qui leur est étrangère, et celle qui mérite le plus leurs égards semble toujours celle qui en obtient le moins ». Ça aussi, ça n’a pas changé. Et vous reconnaîtrez-vous dans cet autre extrait: « L’amour tient tant de place dans la vie! C’est quand il n’est plus là que l’on sent le poids de ces longues minutes qui doivent s’écouler sans lui ».
Avec des exemples aussi éloquents, inutile d’en rajouter davantage. Il faut juste remercier les éditions Phébus d’avoir eu la bonne idée de rééditer ce superbe roman épistolaire sur l’état du désespoir amoureux.
Vingt-quatre heurs d’une femme sensible, Constance de Salm (Phébus)
Bonheurs d’occasion #2
Pobby et Dingan, Ben Rice (Pocket) : C’est la comédienne Véronique Côté qui m’a chaudement recommandé cette lecture. Habituellement, c’est plutôt moi qui la conseille mais pour une fois, les rôles ont été inversés. Sans partager totalement son enthousiasme débordant, je dois dire que j’ai aimé me retrouver dans ce bled perdu de l’Australie alors que tout le village tente de retrouver Pobby et Dingan. Lorsqu’on sait que Pobby et Dingan sont les amis imaginaires d’une fillette, le roman prend un tout autre sens. Tout tourne autour de cet événement. D’ailleurs, c’est ce qui fait la force de ce livre. L’auteur a su rester fidèle à son idée de base et ne s’égare jamais dans cette histoire bizarre qui finit par nous émouvoir.
Vues sur la mer, Hélène Gaudy (Les impressions nouvelles) : À l’automne, ce premier roman a réussi à se faufiler jusqu’à la deuxième sélection du Prix Médicis. Je comprends pourquoi. Il y a du talent à l’horizon. Au départ, on suit une femme (Jeanne) qui quitte son amoureux pour se réfugier dans un hôtel au bord de la mer. Rupture définitive ou solitude momentanée ? L’auteure nous présente sept variations de la même histoire et ça fonctionne. Cette répétition finit par envoûter et déstabiliser le lecteur. L’écriture très minimaliste et pleine de non-dits rappelle, à certains moments, celle de Duras. Je sais que la comparaison est énorme, mais disons qu’elle puise à la même source. J’attendrai avant de crier au génie, mais je répondrai présent à la prochaine publication d’Hélène Gaudy.
Épidermes, Diane Vincent (Triptyque) : J’ai été charmé par ce premier roman policier de Diane Vincent. D’abord, la prémisse est délicieuse : Reiko Thompson, une photographe underground eurasienne qui ne laisse personne indifférent, est retrouvée presque sans vie dans une ruelle montréalaise. Ne voilà-t-il pas qu’on découvre un pénis coupé dans la poche de son manteau. C’est là que tout commence (pas banal quand même!). C’est Josette Marchand, une massothérapeute spécialiste de la peau qui donne un coup de main à son vieux pote d’inspecteur pour le faire avancer dans son enquête, qui nous relate les faits de manière plutôt savoureuse. Ça se lit d’une traite avec le sourire aux lèvres.
Histoires sans fin
Ça ne m’arrive pas souvent de ne pas terminer la lecture d’un livre, mais je m’en donne toujours le droit. En ce qui concerne ces deux titres, j’ai eu beau faire des efforts, ça n’a rien donné.
Sexe et dépendances de Stephen McCaulay (Flammarion)
Après avoir lu Le vide de Patrick Senécal et nombre de livres un peu lourds, j’avais envie de quelque chose de plus léger. Sexe et dépendance me semblait être la lecture idéale pour me permettre de respirer un autre air, surtout que j’en retardais la lecture depuis sa parution et tout le monde n’en disait que du bien. J’ai même eu la chance de discuter (en français) avec l’auteur au dernier Salon du livre de Montréal. J’avais donc plusieurs raisons de plonger dans ce roman.
Le plaisir aura été de courte durée. Après cent pages, j’ai abdiqué. À aucun moment, je n’ai eu de sympathie pour cet agent immobilier de Boston qui tente de se convaincre d’être moins dépendant au sexe. Le problème de ce roman est simple : cet agent immobilier n’est pas un personnage intéressant. Sa vie est d’une pauvreté à faire frémir plus qu’à faire rire. Je n’avais aucune envie de savoir ce qui allait lui arriver. En plus, ce n’est pas vraiment une histoire qu’on nous raconte. On nous présente des pans de vie décousus qui empêchent constamment l’action d’évoluer. Tout pour me déplaire et m’ennuyer.
Mes vies d’Edmund White (Plon)
Moi qui avais tant aimé La symphonie des adieux, ce livre dans lequel Edmund White s’inspirait de son parcours pour brosser un portrait impressionnant des quarante dernières années du milieu homosexuel newyorkais, je me faisais une joie de découvrir son autobiographie.
Dans Palimpseste, Gore Vidal a relaté sa vie de manière fort orignal, efficace et intelligente. C’était en plus porté par une écriture incisive et nettement maîtrisé. Dans Mes vies, Edmund White fait tout le contraire. La qualité de son écriture que l’on retrouve dans ses romans n’y est pas, ce qu’il raconte frôle plus souvent qu’autrement la vulgarité en plus d’être d’un narcissisme désolant. C’est un peu épars et ça va dans toutes les directions, malheureusement pas toujours édifiantes. Il finit par nous perdre complètement. J’ignore quel était le but de sa démarche, mais une chose est certaine elle n’atteint pas sa cible. Après 160 pages, j’en avais assez lu.