Depuis mardi, ma vie tourne uniquement autour du Salon du livre de Québec. J’y suis du matin au soir. Ce sera comme ça jusqu’à dimanche. Je suis donc en mode Salon. Chaque année, j’appréhende ce moment. J’ai toujours peur de trouver la semaine trop longue. Une fois que c’est parti, j’ai un plaisir fou et ma grande réserve d’énergie (presque inépuisable) me surprend énormément.
Si j’ai autant de plaisir c’est en grande partie grâce aux nombreuses et belles rencontres que je peux y faire. Du matin au soir, c’est un feu roulant de petties discussions sympathiques, de salutations au loin et de serrage de mains. Si un jour je deviens politicien, j’aurai la technique de base.
Évidemment, je connais beaucoup de gens oeuvrant dans le milieu du livre, mais il y a tous ces clients réguliers de la librairie qui viennent faire leur petit tour. Il m’arrive parfois de saluer une personne que je connais, mais je suis incapable de la situer dans son contexte (un vrai politicien je vous dis). Aux autres aussi ça leur arrive, je vous assure. Je le vois à leurs regards.
Il y a aussi tous les à-côtés qui ne sont pas désagréables comme les invitations à dîner, les cocktails, les après salons. On voudrait tout accepter, mais on reste raisonnable pour garder la forme jusqu’au bout. Que voulez-vous, il faut aussi se garder du temps pour bien servir les visiteurs!
Pour moi, le Salon c’est tout ça. En fait, c’est tout sauf les livres à la rigueur. La preuve, je n’ai même pas pris le temps de faire le tour des kiosques. J’ai jusqu’à dimanche pour le faire. Je ne suis pas certain que je le ferai non plus. Ça dépendra jusqu’où me conduira mes rencontres. Si jamais vous voulez en faire partie, venez me voir au kiosque Hachette. Vous contribuerez à augmenter mon degré de fébrilité et de plaisir qui ne dure que trop peu de temps
Archives pour la catégorie Profession: libraire
David contre Goliath
Je suis de nature plutôt optimiste, mais depuis quelques semaines l’avenir des libraires indépendantes m’inquiète. Le livre est malheureusement devenu un objet de consommation comme tant d’autres. C’est la pire chose qui pouvait lui arriver.
Depuis quelques années, et c’est de pire en pire, on se bat pour attirer la clientèle avec des rabais de plus en plus grand. Avec la marge de profit habituel qui n’est que de 40% sur la vente d’un livre (environ 34% si on déduit tous les frais de gestion d’une libraire), il ne reste plus grand chose.
Les grandes surfaces n’ont jamais hésité à vendre les livres au prix coûtant et ils continuent de le faire sans gêne. De vendre des petits pois, des tondeuses ou des livres, c’est la même chose pour eux. Aucun libraire n’est là pour conseiller ni trouver le fameux titre qu’on a oublié. Pourtant, semaine après semaine, les lecteurs sont nombreux à y acheter les derniers livres de leurs auteurs préférés. Conséquence de cette situation : les gros titres attendus par les lecteurs ne sont pratiquement plus achetés dans les librairies conventionnelles. C’est dommage car c’est avec ces titres qu’une librairie devrait pouvoir tirer son épingle du jeu année après année.
Outre le cas des grandes surfaces, il y a le Groupe Renaud-Bray qui semble vouloir conquérir le Québec au complet. Pierre Renaud, soutenu par la SODEC et la FTQ et fort de son pouvoir d’achat, a les moyens d’acheter de bonnes petites librairies indépendantes augmentant ainsi son pouvoir tentaculaire. L’exemple de Tome un à Lévis en est une belle illustration et il y en aura d’autres au cours des prochaines années. Ce n’est pas son seul pouvoir. Si un titre est en demande, Renaud-Bray a le pouvoir de commander une grosse quantité au fournisseur pour répondre à la demande. Une seule commande du Groupe suffit parfois à prendre tout le stock du distributeur. Ne reste plus rien pour les autres. Au moins, la chaîne n’a pas encore commencé à couper le prix sur les nouveautés.
Pour contrer l’effet tentaculaire de Renaud-Bray, les librairies Raffin (également distributeur) commencent à s’implanter un peu partout au Québec. Ils ont d’ailleurs ouvert récemment une librairie à Place Fleur de lys (comme si la ville de Québec avait besoin de plus de vingt librairies dans sa région!). Leur expansion ne s’arrêtera sûrement pas là.
Apprendre à être heureux
Cet après-midi à la librairie, une cliente s’adresse à moi en me tendant un papier sur lequel on pouvait lire ceci:
Apprendre à être heureux
Boris Cyrulnik, 2006
Spontanément, je lui tends De chair et d’âme, le titre qu’a fait paraître Cyrulnik en 2006. Elle me regarde étonnée en me disant qu’elle avait pris sa référence dans L’actualité. Je fais un air sceptique en me dirigeant vers l’ordinateur pour m’assurer que Boris Cyrulnik n’avait signé aucun livre portant le titre mentionné ci-haut.
En faisant ma recherche (je ne trouvais rien évidemment), elle ajoute que chez Archambault il ne l’avait plus. Fouetté dans mon orgueil de libraire comme je le suis toujours dans ces cas-là, j’appronfondis encore plus ma recherche.
Finalement, j’arrive à démêler tout ça. Apprendre à être heureux n’a évidemment pas été écrit par Boris Cyrulnik mais plutôt par Stefan Klein .
Après le lui avoir prouvé concrètement, je la regarde en souriant et je lui dis:
« Madame, vous venez de faire la différence entre un disquaire et un libraire! »
Chacun son métier #2
Le très populaire chef Martin Picard du restaurant Au pied de cochon a fait paraître cet automne un beau livre qui est devenu un des succès de la saison. Le travail d’édition est de grande qualité. Étonnant même puisqu’il a été fait de manière indépendante. Ne voulant certainement pas faire n’importe quoi, Martin Picard a su s’entourer et le résultat est impressionnant. Tous les médias l’ont encensé avec raison. L’album, à l’image du chef, est une célébration de la chair loin de l’épicurisme propret de Chrystine Brouillet ou de Francine Ruel. Outre des recettes, on y retrouve des textes, des photos et des planches de bandes dessinées. Beaucoup plus qu’un simple livre de recettes.
Là où le bat blesse, c’est au niveau de la mise en marché du livre. Si on a bien conseillé Martin Picard pour l’aspect éditorial, il en est tout autrement en ce qui a trait à la distribution de son livre.
Quand les médias ont commencé à parler du livre, une grande majorité de librairies n’en connaissaient même pas l’existence; à part les grandes chaînes bien entendu à qui on avait offert une certaine exclusivité. Les bonnes petites librairies personnalisées, qui n’avaient pas été contacté, on du se débrouiller avec les moyens qu’ils avaient pour réussir à le commander afin de satisfaire leur clientèle avisée.
Résultat : les meilleures librairies du Québec ne pouvaient répondre à la demande alors que le livre Au pied de cochon ornait déjà les vitrines des grandes chaînes.
Ce n’est pas tout. Martin Picard et sa bande, ne connaissant pas les enjeux de la distribution, plutôt que de fixer un prix de vente au détail comme c’est le cas dans le domaine du livre, ont fixé un prix d’achat laissant le libraire décidé de son prix de vente.
Résultat : au restaurant Au pied de cochon et dans certaines grandes chaînes, on le trouvait à $60.00 et dans la plupart des bonnes petites librairies à $75.00. La clientèle avisée a évidemment reproché aux bonnes librairies de le vendre trop cher.
Ce n’est toujours pas tout. N’ayant pas de distributeur attitré, le livre était offert en consignation aux librairies. Normalement, lorsqu’il s’agit d’une consignation, la librairie paye les livres une fois qu’ils ont été vendus. S’il en recommande, comme ce fut le cas avec l’album Au pied de cochon, il devrait logiquement les payer une fois cette nouvelle commande écoulée. Martin Picard et sa bande, grisés par leur succès, ne l’entendent pas comme ça. Ils exigent que les librairies payent au fur et à mesure une fois leur première commande vendue. Les bonnes petites librairies sont un peu prises en otage. Cesser de le commander ou répondre aux demandes de leur clientèle avisée?
Résultat : on laisse un chef-cuisinier nous dicter les règles de la distribution de son livre.
Conclusion : si on ne s’improvise pas chef-cuisinier, on ne devrait pas non plus s’improviser distributeur de livres.
Prix des libraires du Québec 2007
La liste préliminaire du Prix des libraires du Québec 2007 a été dévoilée aujourd’hui. C’est jeudi dernier que mes collègues et moi sommes réunis pour établir cette liste. Chaque année, nous attendons ce moment avec beaucoup de fébrilité (et un peu d’angoisse!). Nous avons eu beaucoup de plaisir à nous retrouver, à nous réunir et à nous asticoter un peu pour défendre nos points de vue. Je dois dire que nous avons fait un excellent travail. Nous sommes très fiers de notre sélection et les réactions sont très bonnes jusqu’à maintenant. Nous nous réunirons à nouveau le 18 janvier pour établir les cinq finalistes dans chacune des catégories.
Sans plus tarder, voici le fruit de notre réunion:
Romans québécois
La fabrication de l’aube, Jean-François Beauchemin (Québec-Amérique)
Hadassa, Myriam Beaudoin (Leméac)
La clameur des ténèbres, Neil Bissoondath (Boréal)
Iphigénie en haute-ville, François Blais (L’instant même)
Parents et amis sont invités à y assister, Hervé Bouchard (Le Quartanier)
Traité de balistique, Alexandre Bourbaki (Alto)
La logeuse, Éric Dupont (Marchand de feuilles)
Sauvages, Louis Hamelin (Boréal)
La rivière du loup, Andrée Laberge (XYZ)
Trois modes de conservation des viandes, Maxime-Olivier Moutier (Marchand de feuilles)
Jeanne sur les routes, Jocelyne Saucier (XYZ)
Mitsuba, Aki Shimazaki (Leméac/Actes sud)
Romans hors Québec
Le chemin des âmes, Joseph Boyden (Albin Michel)
Un sentiment d’abandon, Christopher Coake (Albin Michel)
À perte de vue, Amanda Eyre Ward (Buchet Chastel)
Jours de juin, Julia Glass (Des 2 terres)
L’histoire de l’amour, Nicole Krauss (Gallimard)
Les bienveillantes, Jonathan Littell (Gallimard)
Kafka sur le rivage, Haruki Murakami (Belfond)
Extrêmement fort et incroyablement près, Jonathan Safran Foer (de l’Olivier)
Il faut qu’on parle de Kevin, Lionel Shriver (Belfond)
L’infortunée, Wesley Stace (Flammarion)
Ouest, François Vallejo (Viviane Hamy)
Dans les bois éternels, Fred Vargas (Viviane Hamy)
Vous, si vous aviez à choisir, quels seraient vos choix dans chacune de ces catégories?
(Pour en savoir plus: http://www.alq.qc.ca/#)
Chacun son métier #1
S’il y a une chose que les libraires détestent par dessus tout, ce sont les auteurs qui se manifestent afin de s’assurer de la meilleure visibilité pour leur livre. Tous ne sont pas discrets et subtils, croyez-moi.
La plupart joue au client en demandant leur titre et en nous le faisant chercher. S’il est en stock, il ne se contentera pas d’en être satisfait. Non, il insistera pour le voir, allant même jusqu’à nous faire perdre un temps précieux que nous n’avons pas toujours. Une fois le livre trouvé en rayon ou dans les boîtes, c’est souvent à ce moment qu’il se dévoile (ça, ça me tue!). Ce n’est pas tout, le pire survient ensuite. S’il est dans les boîtes, c’est un sacrilège. Il aurait fallu se précipiter pour le mettre sur les rayons. S’il est déjà placé, ce n’est jamais au bon endroit. Certains vont même jusqu’à nous suggérer où nous devrions le mettre même si ça ne cadre pas du tout avec notre façon de placer les livres. On nous suggère également de le mettre en vitrine. Avant de partir, après l’avoir mis de face n’importe où dans les rayons, on nous invite à en faire de bonnes provisions parce que les médias sont sur le coup.
Il y a ceux qui ne s’adressent jamais aux libraires qui sont parfois notre cauchemar. Après leur petite tournée bidon des librairies, ils appellent leur éditeur pour se plaindre du mauvais traitement réservé à leur livre extraordinaire. Résultat: l’éditeur appelle le distributeur qui semonce le représentant qui tète le libraire pour « accommoder raisonnablement » l’auteur en question. L’odieux nous revient encore une fois alors qu’on aurait du faire comprendre à l’auteur que cette facette du métier nous appartenait.
Il y a aussi les auteurs qui s’adressent directement aux gérants des librairies pour se plaindre sans avoir l’air de le faire en tenant un discours faussement humain du genre qu’il est peiné de voir que son livre n’a pas droit au même traitement que tel autre, que c’est un client de longue date, qu’il aurait espéré, m’enfin, bon!
Je n’ai pas encore parlé des proches des auteurs qui en rajoutent en utilisant les mêmes stratagèmes en nous faisant perdre encore une parcelle de temps précieux. Peut-être davantage car ils vont même jusqu’à nous demander les quantités initiales et les ventes. Elles ne sont jamais suffisantes, évidemment!
Ces comportements franchement désagréables sont le lot presque quotidien des libraires. Le plus choquant, c’est que, dans chacun de ses comportements, le libraire passe toujours pour celui qui ne fait pas bien son travail. Si le livre ne se vend pas c’est parce qu’il n’a pas eu la visibilité qu’il aurait fallu. Oui, c’est toujours la faute aux libraires. L’auteur, lui, semble ne jamais douter de son travail.
Contrairement à ce que semble croire certains auteurs, sachez que le libraire n’est pas con. Si un livre est en demande, il le mettra en évidence et commandera les stocks en conséquence. D’ailleurs, je crois que c’est un peu notre métier que de savoir satisfaire aux demandes des clients, non? Alors, il est où le problème? Je ne sais pas (mais je m’en doute)!
L’art de la joie
Le métier de libraire, malheureusement trop peu payé, nous apporte tout de même son lot de joie et surtout de belles rencontres. Ce matin, au chouette restaurant Éclectique, nous étions conviés à rencontrer l’éditrice Viviane Hamy. Si le nom ne vous dit rien, c’est elle qui publie Fred Vargas. L’an dernier, elle a surpris tout le monde en publiant une oeuvre posthume de l’italienne Goliarda Sapienza L’art de la joie. Une oeuvre dense, complexe et marquante qui a trouvé 100 000 preneurs!!!!
Ce matin, Viviane Hamy, contrairement à beaucoup d’éditeurs, n’a pas joué la carte de vendre ses livres. Elle nous a longuement parlé de son parcours dans l’édition et de celui de certains auteurs de la maison dont François Vallejo. C’était passionnant. Tellement, qu’après, on aurait juste envie de lire tout le catalogue Viviane Hamy. On ne le fera pas, mais c’est tout de même le sentiment qu’elle nous a laissé après son passage.
Ce que je retiens le plus dans le discours qu’elle nous a tenu, c’est d’encore trouver extraordinaire que le livre d’un auteur inconnu puisse se vendre à 300 exemplaires. Dans un monde de plus en plus compétitif qui pense beaucoup à l’argent, d’entendre une éditrice qui connaît de grands succès parler ainsi (le dernier Vargas est rendu à 300 000 exemplaires), on peut être rassuré: le livre est encore un objet respecté.
Le libraire en moi a été rassuré. L’auteur encore davantage car je vois les choses de la même façon. Comble de bonheur, mon éditeur aussi!
Laure Adler
Hier, j’ai eu le privilège de dîner à la même table que Laure Adler. Ce n’est pas quelque chose que j’aurais pu prévoir, encore moins espérer. Ça s’est passé dans le cadre de la journée annuelle de Dimédia (distributeur de livres). Elle était là pour présenter les nouveautés importantes du Seuil, qu’elle dirige maintenant depuis peu.
Comme c’est la coutume, quand arrive le dîner, des places nous sont déjà assignées (j’adore ce concept). C’est de cette façon que je me suis retrouvé assis en face de Laure Adler (quand même!). J’étais très content car c’est une femme de lettres que je respecte beaucoup. Son récit sur la perte de son enfant « À ce soir » m’avait profondément touché. D’ailleurs, je garde un souvenir impérissable de cette lecture intense. Aussi, j’avais littérallement dévoré sa biographie sur Duras, la plus intéressante et la plus complète sur le sujet. Et voilà que je me retrouve en face de cette dame.
Lorsqu’elle est arrivée dans la salle dans l’avant-midi, un peu comme une star en étant tout sauf discrète, je n’aurais pas parié sur un dîner intéressant en sa compagnie. Et pourtant, ce fut tout le contraire. Elle s’est montrée curieuse, intéressée et très à l’écoute lorsqu’un sujet l’interpellait particulièrement. La journaliste en elle n’était jamais loin. Elle a posé beaucoup de questions sur le Québec. On a discuté culture, littérature, radio, télé et un peu de politique. Bref, un dîner animé vachement stimulant pour une rencontre littéraire marquante.
Je me suis senti choyé.
De vraies vacances
Depuis le début de mes vacances, je n’ai presque pas lu. De vraies vacances pour un libraire…