Une semaine au festival de Cannes

Arrivée à Cannes, mercredi le 16, par train. Trop tard pour retirer « mon badge » et tout l’attirail nécessaire à la planification.
Jeudi, deux films et, depuis, trois par jour. Autrement dit, une moyenne de 7 à 8 heures en salle. Les films de plus de deux heures sont nombreux. Il faut aussi compter un temps d’attente à l’intérieur et un autre à l’extérieur.
Au total donc, jusqu’à présent 20 films dont la liste suit. Je leur donne une cote de (1) pour les meilleurs, selon mon goût, et (5) pour les films à éviter qui de toute façon ne viendront sans doute pas au Québec.
Cannes est en effet un festival et un marché. Contrairement à l’idée reçue, il n’y a pas que la Compétition officielle qui conduit aux fameux prix dont la Palme d’or. Il existe une sélection parallèle appelée « Un certain regard » où les journalistes munis d’une carte rose (c’est mon cas) ont le privilège d’éviter la queue. Les deux tiers des films que j’ai vus appartiennent à cette sélection.
Autrefois, je partageais mon temps avec La Quinzaine des réalisateurs dont je garde un excellent souvenir grâce au Déclin, Un Zoo la nuit et plus récemment La grande séduction et combien d’autres. Mais il faut accepter entre 30 et 60 minutes d’attente. Aménagée sous l’hôtel Hilton, la salle dite du Noga est un engagement du promoteur de cet hôtel qui a démoli l’ancien palais qui accueillait le festival à la belle époque.
La Quinzaine pour sa part est née dans la controverse et résiste bien aux ans, malgré l’inconfort de cette salle largement fréquentée par des cinéphiles cannois qui se plaignaient d’être exclus de toutes ces projections et qui peuvent dorénavant s’acheter des billets à bas prix.
Il existe aussi une autre sélection dite La Semaine de la critique où j’ai vu jadis les films de Carole Laure et d’Hugo Latulippe.
Les droits de tous ces films des diverses sélections sont à vendre. Donc ils constituent la matière d’un immense marché complété par des centaines, sinon des milliers de films qui font l’objet de projections privées dans des suites d’hôtel, dans de petites salles du Grand Palais, lequel mérite bien son nom, ou dans les nombreux stands situés au sous-sol ou à l’arrière le long de la mer.
La SODEC y a un magnifique emplacement qui donne précisément sur la mer, choix judicieux de Pierre Lampron dans le temps. Aujourd’hui, Christian Verbert y dirige les opérations. On y brasse de grosses affaires. Dès la première journée, j’ai croisé un Roger Frappier en pleine forme, heureux d’une première vente faite à des Coréens, fier de me présenter Félize, sa grande fille, excité par l’idée d’un prochain film dont l’idée lui est venue à la lecture du dernier livre de Graham Fraser, Sorry, I dont speak french.
Ce fut ma seule escapade de la semaine. J’ai renoncé aux diverses réceptions, même celle de la SODEC, évité les conférences de presse que j’affectionnais autrefois, boudé au moins une soixantaine d’heures de beau soleil. De toute façon, je bronze à l’ombre et c’est moins dangereux. Voir les vedettes en chair et en os, ce n’est pas rien, même si je me suis rendu compte avec le temps que les actrices et les acteurs sont mieux à l’écran qu’en personne. Ils ont en commun d’être photogénique.
Je ne m’arrête plus, non plus, pour assister à la montée des marches, d’ailleurs projetée sur de multiples écrans placés ici et là. Bref, le déjeuner et le dîner ne font qu’un et le souper se prend vers 10h, le plus souvent à La Potinière qui ne tire pas son nom des potins qui fourmillent sur la Croisette.

Le Grand Vide est l’unique dramaturge cosmique

Issu du vide
Tout porte un masque
Haiku

Haiku de Jean-Guy Desrochers

Commentaire de Jean
Toi, moi ou tout être de cet univers sommes les acteurs de la pièce écrite et mise en scène par le Grand Vide. Sur la scène du monde, c’est lui qui mène l’action théâtrale après avoir distribué les rôles. Invisible, il laisse aux personnages qu’il a créés le soin d’occuper l’avant-scène spatiale et temporelle.
Chaque forme, chaque être, chaque personnage n’est finalement qu’un masque théâtral du Grand Vide. Selon la part du texte et de l’action qui lui est confiée, tout protagoniste dévoile quelque aspect du drame cosmique. Depuis son entrée en scène jusqu’à sa sortie de scène, son rôle est de prononcer quelques phrases de l’inépuisable poème dramatique. Il incarne ainsi à sa manière unique l’un des visages possibles qu’emprunte le Vide plénier et créatif pour son jeu dans le monde des apparences.
Cet univers visible est une scène tournante. Les formes, les êtres, les personnages y apparaissent puis disparaissent, étant devenus pour un temps des signes et des porte-parole de la Vacuité silencieuse. Celle-ci est l’Être pur en lequel les êtres surgissent à l’approche du jour qu’ils sont appelés à vivre et en lequel ils se résorbent à l’approche de la nuit qui à nouveau les enveloppera. La Vacuité silencieuse est cette Source invisible de laquelle naissent toutes les formes visibles. Elle est la Présence absente se manifestant à travers ces masques que nous sommes, toi, moi et tout être de l’univers. Elle est le Divin se révélant à visage voilé.

Chacun son métier #6

Je ne sais pas quelle malédiction entoure le genre littéraire qu’est l’autofiction, mais j’en ai marre qu’on le dénigre sans cesse au Québec comme s’il s’agissait d’une tare que d’en être amateur. C’est pire dans mon cas car je me suis amusé à cet exercice (pas facile du tout) en écrivant Cher Émile.
À entendre parler les gens, l’autofiction ne devrait même pas être considérée comme étant de la littérature. On accuse, à tord bien entendu, les auteurs qui s’y adonnent d’être des égocentriques exhibitionnistes ne cherchant qu’à étaler leur vie privée sur la place publique. Ces gens-là sont incapables de faire la distinction entre un réel travail d’écriture et le simple récit de vie autobiographique. C’est navrant!
C’est qui encore plus navrant c’est le fait que la plupart des détracteurs de l’autofiction n’en ont réellement jamais lus. Annie Ernaux, Camille Laurens, Hervé Guibert et Nelly Arcan, entre autre, ont signé des romans marquants de la littérature contemporaine. Ils sont tous parvenus à transcender le réel pour en faire des oeuvres à part entière comme le font la plupart des auteurs depuis toujours.
Hélas, tous n’ont pas leur talent! J’avoue que l’autofiction a donné de mauvais romans. La littérature conventionnelle aussi.
Il fallait entendre l’auteur Pierre Gagnon la semaine dernière à Christiane Charrette se défendre (maladroitement) d’utiliser son vécu pour écrire ses romans. On dirait qu’on venait de l’accuser du pire des crimes. C’est quand même drôle que 5-FU et C’est la faute à Bono traitent tous les deux du cancer alors qu’il en a été atteint!
Quel mal y a-t-il à ce qu’un auteur se serve de sa propre personne comme principal matériau d’écriture? C’est peut-être un excellent moyen de rejoindre les autres, non! C’est peut-être cet effet miroir qui fait tant peur aux détracteurs? C’est peut-être symptomatique d’un Québec qui a toujours vu d’un mauvais oeil le fait d’exprimer librement ses sentiments!
Je ne saurais répondre clairement à ces questions, mais une chose est certaine, l’autofiction dérange.

Vous captez?

Je pense que vous jugerez que ce n’est pas déconnant si je vous dis que la caille en carafe sur le pont, qui a eu la niaque de casser le condé qui l’a interpellée, risque de recevoir une contredanse ou même de se faire serrer s’il en a la haine. Si vous m’avez comprise, bien entendu.
Mais si ce n’était pas le cas, le Dico de l’argot de l’Île de France à l’usage des Québécois et autres francophones: http://perso.orange.fr/fredak/dico/dico_argot.htm pourrait sans doute vous être utile.
J’ai pensé qu’après avoir donné la référence, dans la dernière note, qui pouvait permettre aux Français de se familiariser avec le joual et les sacres québécois, il convenait de vous présenter, en contrepartie, le dictionnaire cité plus haut, afin que nous puissions, à notre tour, comprendre leur langue verte.
Certains mots sont similaires aux nôtres, tels les barda, blairer, capter (comprendre) ou chercher (Tu me cherches?). D’autres, comme à donf (à fond) ou à l’ouest (déphasé) nous sont beaucoup moins connus.
Quant à ma phrase d’introduction, ne vous en faites pas si vous n’avez pas le temps d’aller fouiller dans l’ouvrage en question, je vous la traduirai un de ces quatre.

Barbara

Si du côté de la littérature Marguerite Duras a marqué mon parcours, côté chanson c’est Barbara qui a joué ce rôle. Les deux sont arrivées dans ma vie à peu près au même moment, à un âge fondateur, celui de mes 18 ans.
À l’écoute des chansons de Barbara, il y a eu comme une reconnaissance spontanée de ce que j’étais profondément. Ce mal de vivre qu’elle a su si bien décrire et chanter était aussi le mien. Ce besoin fondamental d’aimé et d’être aimé entièrement et ce désir intense de vivre participaient de la même émotion profonde.
Encore aujourd’hui, lorsque la douleur du vide me prend, je vais toujours me réfugier dans l’univers de Barbara. Des chansons comme Pierre, Il pleut sur Nantes, La mort, Le mal de vivre, La solitude, Le soleil noir et Regarde m’aident à atteindre le fond du désespoir. Vient ensuite le réconfort. Je me sens alors moins seul et je peux remonter lentement vers la joie de vivre.
Hier soir, c’est un peu tout ça que j’ai pu vivre en allant voir Marie-Thérèse Fortin chanter pour une dernière fois Barbara au Petit Champlain. Une soirée pleine de vérité et toute en émotion offerte par une grande interprète. En plus d’avoir rendez-vous avec la Barbara connue du grand public, la comédienne en profite pour nous présenter d’autres facettes de la chanteuse en puisant dans une partie de son répertoire moins connu du grand public. Un choix parfois audacieux qui sert plutôt bien le spectacle.
Le plus audacieux est peut-être le spectacle lui-même. S’attaquer au répertoire de Barbara demande un certain courage car c’est probablement la chanteuse la plus difficile à interpréter. Marie-Thérèse Fortin relève le défi avec force et aplomb parce qu’elle ne cherche pas à l’imiter. Elle est habitée par elle et c’est avec tout son corps qu’elle chante si bien ses chansons qu’elle a su s’approprier. Et tout au long du spectacle la voix de la comédienne étonne. Une voix grave, juste et puissante d’une grande intensité.

Prix des libraires du Québec 2007 – les lauréats

Hier soir au Lion d’or à Montréal avait lieu la quatorzième remise du Prix des libraires du Québec. Pour la troisième année, j’agissais à titre de président du comité de sélection. Cette belle soirée très émouvante totalement réussie revêtait pour moi quelque chose de particulier : c’était ma dernière comme président et comme membre du comité.
Côté québécois, Jean-François Beauchemin a été couronné pour son récit La fabrication de l’aube (Québec-Amérique). Son discours a ému tout le monde lorsqu’il a rendu un vibrant hommage à sa femme qui l’accompagne depuis 19 ans. Une déclaration d’amour unique et d’une intensité rare. Avec le charisme qu’on lui connaît, c’était à faire fondre le cœur de toute l’assistance.
Côté hors-Québec, c’est Jonathan Safran Foer qui l’a remporté pour Extrêmement fort et incroyablement près paru aux éditions de l’Olivier. Le mot qu’il avait fait parvenir à l’intention des libraires a ravi tout le monde et nous a tous fait éclater de rire avec ses lampes de chevet lesbiennes!!!
La fameuse mention spéciale, remise pour la toute première fois dans l’histoire du prix, a été attribuée au bédéiste Michel Rabagliati pour l’ensemble de la série des Paul tous publiés à La Pastèque. Il était visiblement honoré et touché de cette reconnaissance tout à fait méritée.
Sinon, chaque année lors de la remise, les libraires qui forment le comité doivent présenter tour à tour les titres qu’ils défendent. Cette étape est très stressante pour nous. On a un peu l’impression d’aller à l’échafaud quand arrive notre tour. Moi, en tant que président, j’avais mon allocution habituelle d’ouverture en plus de présenter la mention spéciale. J’y suis allé trois fois plutôt qu’une sous l’échafaud. Heureusement, j’ai encore toute ma tête. Après ma dernière présentation, j’avais une tonne de pression de moins sur les épaules, tout comme mes confrères et consœurs. On a tous bien fait ça et on s’est couchés avec le sentiment du devoir accompli.
Cette quatorzième édition, probablement la meilleure de toutes, a été un succès sur toute la ligne.
Je sais déjà que tout ça me manquera l’an prochain. Je sais aussi que c’est pour mieux y revenir.

Savez-vous sacrer?

Des dictionnaires, il en existe de toutes sortes, on le sait. Sur le Web, on a même senti le besoin d’informer la population sur la manière de bien utiliser les sacres québécois. Il en est notamment question sur le site de Philip A. Butt, qui s’intitule Guide d’emploi : comment employer correctement les sacres québécois (http://www.geocities.com/philipsfo/hostie/glossaire/jurons2.html).
Et il illustre le tout avec cette histoire tirée des archives de l’école polyclinique de Montréal :
«Le travail du réclamant consistait a descendre du toit d’un édifice de deux étages un surplus de briques qui était resté sur le toit.
«QUESTION : Monsieur, auriez-vous l’amabilité de raconter les faits de l’accident? Votre réponse est enregistrée.
«RÉPONSE : J’pensais sauver du temps. J’ai fixé un madrier avec une poulie en haut de la bâtisse et j’ai passé une corde dans la poulie avec les deux bouttes qui descendent jusqu’a terre. J’ai attaché un baril vide au boutte de la corde, pis j’le monte en haut de la bâtisse. Ensuite j’attache l’aute boutte de la corde à un arbre. Là, j’monte sul toit, pis j’remplis le baril de briques. Ensuite, je r’tourne en bas pis j’viens pour détacher la corde pour faire descendre le crisse de baril, mais le tabarnac de baril est benque trop pesant pour moé et avant que je réalise quoi que ce soit, hostie, le baril me monte en l’air yenque d’une chotte. Là, chu trop haut pour lâcher la corde, j’ava pas le choix, j’ai tenu la corde en hostie. À moitié chemin, j’rencontre le crisse de baril qui descendait; j’en ai reçu un calvaire de coup sur l’épaule; tabarnac que ça m’a fait mal… Mais cé pas toute; moé je continue à monter. Rendu en haut, j’me pette la tête sul câlisse de madrier, pis j’me prends les doigts dans l’hostie de poulie… J’pensa parde connaissance. Quand l’baril touche à terre, le fond pette pis l’baril se vide. Asteur, ciboire, chu plus pesant que l’baril; ça fa qu’hostie là j’descends en tabarnac; pis à moitié chemin en descendant, j’rencontre encore le crisse de tabarnac de baril qui, lui, montait. Y m’a pas manqué l’calisse, y m’a pogné drette s’une jambe; chu v’nu blême. Rendu en bas, j’mécrase sul calisse de tas de briques… J’pensa mourir là. Rendu là, j’me rappelle pu grand chose; chu tout étourdi, ça fa que j’lâche la crisse de corde, pis l’baril se met à r’descendre, pis me câlisse un coup s’a tête; pis j’me r’trouve à l’hopîtal. C’est pour ça que j’demande un congé de maladie.»
(École polyclinique, Service technique des immeubles, 22 octobre 1975)
Ceux qui ne seraient pas familiers avec cette façon de s’exprimer trouveront, sur le site en question, des définitions des sacres les plus usuels. Il comprend également un glossaire du joual et un répertoire de chansons francophones pour illustrer l’emploi de québécismes.

Sortir de soi

Nous ne devions pas être nombreux à attendre avec impatience Sortir de soi, le deuxième disque de Charles Dubé. Le 8 mai a fini par arriver. J’avais très hâte de découvrir son nouveau matériel pour mieux me replonger dans son univers qui sent bon la vie.
J’avais découvert Réverbère, son premier album, un peu par hasard. Par un froid de décembre, j’étais dans une voiture avec des gens que je connaissais à peine. Il devait être trois heures du matin. Nous étions exaltés et jouait à pleine tête dans l’habitacle Un ciel pour le soleil. J’ai été séduit par cette chanson ensoleillée qui décrivait si bien la joie que je vivais à ce moment-là. Quelques chansons plus tard, ce sentiment de bien-être perdurait.
Je n‘ai pas tardé à me procurer l’album de ce chanteur-là qui m’accompagne encore quand le besoin de me blottir dans une bulle de confort me prend. Comble de bonheur, Sortir de soi nous entraîne dans la même matière que Réverbère. C’est ça l’effet de ce naïf lucide qu’est Charles Dubé. Il ose écrire des chansons optimistes de qualité qui parlent de bonheur de vivre. Moi, ça me rejoint. Je me reconnais dans sa perception des choses qui n’est pas non plus dénuée de profondeur.
Même s’il nous entraîne sur un terrain connu, sur ce deuxième album, Charles Dubé explore de nouvelles pistes et de nouvelles textures qui donnent un effet global moins uniforme que dans le premier album. Sa belle voix est plus éraillée, certains textes plus éclatés (L’asile), la façon de chanter plus québécoise et la production un peu plus audacieuse (Jamais plus). Je suis tombé en amour avec la superbe pièce L’étang et il y toutes les autres dans la même veine qu’Un ciel pour le soleil qui nous enchantent : Être bien (qui ne me sort plus de la tête depuis mardi), Encore, Cadence. SOS, Bâtir mon monde.
L’amateur en moi est content même si quelques ritournelles ressemblent étrangement à certaines chansons du premier album. Impossible de s’en plaindre puisque c’est en partie pour ça qu’on aime ce qu’il fait.
Charles Dubé est fidèle à lui-même et il parvient encore à communiquer son bonheur de vivre contagieux. Avec lui, c’est ce qui compte. Il n’y a pas de mal à se faire de bien et on serait bête de bouder notre plaisir!

Partout, l’Esprit est en gestation

Sur la terrasse
Une pensée qui marche
L’arbre croît

Haiku de Jean-Guy

Commentaire de Jean
L’Esprit cosmique est à l’origine, au fondement et au terme de toute chose. Il fait de cet univers un seul Grand Vivant. Jusque dans la plus obscure parcelle de matière, son onde souterraine est à l’œuvre. Il n’y a qu’un seul courant profond, qu’une seule vibration souterraine, qu’un seul jeu mystérieux en ce monde: l’action créatrice de l’Esprit. Chaque être est le fruit de cette Pensée cosmique. Dans la fleur qui s’ouvre, chez l’oiseau qui construit son nid et au cœur de l’homme qui réfléchit l’univers existe une même Pensée: parole secrète à déchiffrer, île de lumière à contempler, miroir vivant en lequel se reconnaître.
Comment douter que l’Esprit cosmique renouvelle constamment le monde «par ses gestes de naissance», écrivait Maître Eckhart au xive siècle. Il est en marche depuis la particule la plus élémentaire jusqu’à la conscience réflexive de l’être humain. Sa course est évolutive. Son plaisir est d’enfanter, de faire croître et d’amener les êtres vers leur achèvement.
C’est bien cette Pensée, forme lumineuse intérieure de tout être, qui transmua le minéral en vie et la vie en conscience. Tel un alchimiste, c’est elle qui toujours ouvre en chaque personne des chemins vers un plus-être. Déjà inscrite dans la sève ou le sang de toute forme de vie, c’est elle qui constamment fait grandir du dedans chaque être humain, le conduisant le plus loin possible sur le versant accompli de son être.

Marguerite Duras

Lorsque l’on me demande de nommer mon auteur préféré, sans réfléchir je réponds Marguerite Duras. C’est celle qui a le plus marqué mon parcours. Celui de lecteur et celui d’auteur. C’est la lecture de L’amant il y a une vingtaine d’années qui a tout déclenché. Une révélation en quelque sorte. Cette écriture concise, incisive parfois et pleine de non-dits était aussi un peu la mienne. C’était la toute première fois que je lisais une auteure qui abordait l’écriture de la même manière que moi. Après, il y a eu Anne Hébert. Je le dis sans prétention. Je découvrais tout simplement des univers qui étaient compatibles avec le mien. Ça me réconfortait dans ma démarche. C’était nécessaire.
Depuis vingt ans, Marguerite Duras m’accompagne de façon irrégulière. De temps à autre, j’ai besoin de ma dose. Pas trop, juste assez pour me satisfaire. Au cours de la dernière année, il y a eu beaucoup d’ouvrages qui lui ont été consacrés puisque 2006 marquait le dixième anniversaire de sa mort. Satisfait, je l’ai été dernièrement.
Héliotrope, jeune maison d’édition québécoise au graphisme superbe, a eu la bonne idée de republier le court et intense texte très Durassien Sublime, forcément sublime Christine V. Un plaidoyer sur l’idée de la maternité autour du meurtre non résolu du petit Grégory qui fait les manchettes en France depuis plus de vingt ans. À certains moments, le point de vue de Duras rejoint celui de Lionel Shriver qu’on retrouve dans Il faut qu’on parle de Kevin. Condensé, puissant, audacieux et pour le moins dérangeant.
Toujours du côté québécois, Danielle Laurin, après avoir signé le touchant Duras l’impossible chez Varia, a dirigé à la même enseigne Lettres à Marguerite Duras. De vibrants témoignages qui ne tombent jamais dans la facilité et aucune lettre n’est de trop. Ça donne un ensemble homogène très bien construit donnant toute la place à ce monstre de la littérature. Quand on aime Duras, on se reconnaît à travers ces lettres, on est ravi et on se dit qu’on aurait pu nous aussi lui en écrire une aussi inspirée.
Il y a peu, P.O.L. et L’IMEC faisait paraitre ces Cahiers de guerre et autres textes. Ces inédits écrits dans les années 40 et 50 sont loin d’être du réchauffé posthume. Pour les amateurs de Duras, ce recueil est une mine d’or. Un peu comme un chaînon manquant, il vient compléter tout ce qu’elle a publié de son vivant tout en y apportant un éclairage nouveau. Un inédit tout à fait justifié de voir le jour.
Autant de titres qui vous donneront le goût de replonger dans l’univers unique de Marguerite Duras.