Archives pour la catégorie Littérature

Le livre pour enfants

Ce roman de Christophe Honoré traînait dans ma pile de livres à lire depuis sa sortie en 2005. Jusque là, je ne l’avais pas sélectionné malgré l’envie que j’avais de découvrir cet autre auteur montant de la nouvelle génération d’écrivains français. À force d’entendre parler d’eux, on finit par être curieux.
Qu’est-ce qui m’a décidé à lire ce livre? Un concours de circonstance, mais surtout la lecture de Parades, publié également aux éditions de l’Olivier (une maison qui me comble de plus en plus). Mon instinct ne m’a pas du tout trompé. Dans son écriture, Honoré est sincère, sensible, brute et parfois drôle. Il y a une proche parenté chez ces deux auteurs qui puisent à même leur expérience personnelle pour mieux parler de la complexité des relations amoureuses, particulièrement chez les homosexuels. Leur discours va bien au-delà d’une littérature de genre. C’est une voix littéraire qui témoigne d’une réalité contemporaine de la même façon que peuvent le faire Annie Ernaux et Camille Laurens .
Ce qui m’a fait plaisir en lisant Christophe Honoré, c’est de me rendre compte que le travail d’Hervé Guibert lui survit alors que ses livres, très populaire à la fin des années 80, commencent malheureusement à tomber dans l’oubli. Lire Le livre pour enfants c’est se replonger un peu dans le monde de Guibert. Honoré fait lui-même un lien direct avec son roman Mes parents. D’ailleurs, la famille, même si l’auteur/narrateur tente de dire le contraire, est au coeur de ce roman.
Le livre pour enfants n’en est pas un. C’est un prétexte pour revenir à l’enfance.

3 livres en 2 jours

Non, ce n’est pas le titre du nouveau film mettant en vedette Sandrine Bonnaire ni le résultat d’un quelconque régime minceur. C’est tout simplement le nombre de livres que j’ai terminé coup sur coup. Ça fait partie des avantages de lire plusieurs livres en même temps.
Pardonnez-moi de Amanda Eyre Ward (Buchet Chastel) : C’est l’une des nouveautés de la saison que je voulais absolument lire car j’avais beaucoup aimé À perte de vue découvert grâce au Prix des libraires. Celui-ci m’a, je dois l’avouer, laissé sur ma faim. L’auteure utilise la même structure narrative en nous présentant la narratrice à des époques différentes. Le présent de Nadine, journaliste téméraire, se mélange donc à son passé. La maîtrise n’est pas parfaite. On s’y perd parfois et ça manque surtout d’intensité et possiblement de profondeur malgré un sujet aussi fort que l’Apartheid. Efficace et un peu convenu.
Exilés au nom du roi : Les fils de famille et les faux-sauniers en Nouvelle-France 1723-1749 de Josianne Paul (Septentrion) : on découvre dans ce livre très accessible comment on utilisait les lettres de cachet et comment on protégeait les familles et la population en exilant les petits délinquants et les faux-sauniers en Nouvelle-France. Si actuellement nous devons faire face à une forte contrebande de cigarettes à cause de leur prix trop élevées, au XVIIIe siècle en France, on faisait la contrebande de sel! Ce sont eux qu’on appelait les faux-sauniers, acteurs tout de même importants de notre histoire. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cette fort intéressante première publication de Josianne Paul. Avec le talent qu’elle a, ce ne sera certainement pas la dernière.
Nuits d’épouvante sous la direction de Marie-Andrée Clermont (Vents d’ouest ado) : je passerai vite ce collectif au titre trompeur. Je ne vois pas comment des ados pourraient s’épouvanter en lisant ces histoires de genre un peu convenues.

Parades

Ça doit faire des années que je n’ai pas été soufflé par une lecture à ce point. J’ai eu un rapport de parfaite symbiose avec lui et, même après deux jours, l’intensité demeure et elle n’est pas prête de se résorber. Je l’ai lu à point nommé dans ma vie, ça ne pourrait être plus clair.
Avec Parades, Bernard Souviraa m’a forcé à revenir vingt ans en arrière pour mieux me reconnecter à mon présent, à mon essence. Ce n’est pas rien comme effet. Je me suis reconnu dans les questionnements existentiels de Sébastien, le personnage principal. Je me suis reconnu dans son rapport à l’autre, dans se quête de retrouver cet autre. Je me suis également reconnu dans son univers. Jusque ses rêves d’il y a vingt ans ressemblaient aux miens. C’est simple, l’ambiance générale créée par l’auteur est un peu celle qui régente ma vie.
C’est certain que de plonger dans un univers parallèle au nôtre fait remuer beaucoup de choses et suscite des réactions émotives intenses. Au-delà de tout ça, cette lecture m’a beaucoup rassuré et sera, j’en suis certain, un vecteur pour aller de l’avant. Ce serait trop bête de dire qu’il m’a fait comprendre des choses; chaque jour qui passe nous en fait comprendre. Non, c’est plus fort que ça. Je dirais plutôt que Bernard Souviraa a réussi à toucher aux aspects fondamentaux de ma personnalité. Et ça s’inscrit dans un moment clé de mon existence. Ce roman n’est pas le seul responsable de cette situation. Il y participe.
C’est puissant tout de même l’écriture, la littérature plus précisément.
C’est certain que je voudrais que tout le monde lise ce livre, mais je sais très bien qu’il y a peu de chance qu’il ait le même effet sur vous. Mais sait-on jamais!
Je termine ce billet en m’adressant à Denis G. : merci infiniment de m’avoir permis de faire cette rencontre. Tu ne peux pas savoir à quel point elle est importante pour moi. Sincèrement. Éric x

La machine à orgueil

Si ça n’avait pas été d’une amie, je ne pense pas que j’aurais lu ce livre. Avant de m’y plonger, je ne me sentais pas beaucoup d’affinité avec l’univers de Michel Vézina. Après avoir lu La machine à orgueil, je sais maintenant que je ne me trompais pas.
N’allez pas croire que je n’ai pas apprécié ma lecture car il y a de très bonne séquences dans ce roman. On les retrouve surtout au début et à la fin. Au début, Djipi se réfugie dans le bois pour en finir avec la vie. Il ne supporte pas le suicide de Mado. À la fin, on assiste à une certaine rédemption par rapport à la vie.
Entre les deux, ce n’est pas toujours convainquant. Djipi relate sans cesse (et trop) les épisodes de son passé underground et c’est parfois forcé par rapport à l’action principale. Dit plus simplement: ça n’apporte pas toujours quelque chose au roman. On n’est plus avec Djipi et L’Allumé. C’est Michel Vézina qu’on entend nous relater ses frasques de jeunesse. C’est dommage.
J’aurais aimé aller plus au fond des choses avec Djipi comme me l’avait laissé croire le début. À la place, j’ai fait le tour de l’Europe des années 80 avec un punk pour guide. Du moins, c’est l’impression qui me reste de ce livre.

John Burnside

Ça fait un p’tit moment que je voulais vous parler de cet auteur Écossais encore méconnu du côté francophone. J’ai lu ses trois romans traduits, tous parus chez Métailié dans la collection Bibliothèque écossaise. Pour moi, maintenant, depuis que j’ai lu le premier à paraître en français, savoir qu’un nouveau John Burnside s’en vient est source de joie et d’impatience tellement j’ai envie de me plonger dans son univers pourtant (oh, surprise!) pas jojo.
Cet affect littéraire a commencé par hasard avec La maison muette. C’est une attachée de presse qui l’avait envoyé pour qu’on le couvre à l’émission. Personne n’en a voulu sauf moi. J’ai bien fait de tenter l’expérience car ce titre est l’un des meilleurs romans que j’ai pu lire depuis cinq ans. Quand je parle d’expérience, je pèse mes mots.
Avant de vous raconter l’histoire, il faut dire que John Burnside, écrit ce que l’on pourrait appeler du roman social. Ses trois titres se passent tous dans de petits bleds d’Écosse. Il décrit très bien la réalité des gens vivant dans ce genre de coins isolés où la promiscuité n’est pas toujours un gage de bonne entente. S’ajoute à cet aspect, un fort penchant pour la psychologie. La plupart de ses personnages principaux sont un peu décalés et ont un comportement étrange. On ne sait pas toujours comment les percevoir. Il y a toujours quelque chose de déroutant et de troublant dans les histoires de cet auteur très habile et pour le moins talentueux.
Par exemple, dans La maison muette, le personnage principal est un espèce de reclus asocial. Il finit tout de même par se rapprocher d’une femme. De leur liaison naîtront des jumeaux. Il s’en servira pour faire des expériences. Je ne vous dis pas lesquelles. Disons seulement que c’est assez marquant.
Dans le second, Une vie nulle part, le personnage central trouve difficilement sa place. Qu’ils soient familiaux ou sociaux, il est toujours aux prises avec des conflits. Ce qui peut sembler banal ne l’est pas sous la plume de Burnside grâce à la force et à la précision que l’on retrouve dans son écriture.
Il y a aussi tout ça dans son dernier que je viens de terminer. En lisant Les empreintes du diable, on a le sentiment que les trois romans sont liés. Sensation d’être dans le même petit coin perdu d’Écosse, de renouer avec les mêmes personnages un peu fêlés, de découvrir ce monde sous un autre angle. Et c’est un peu vrai. Ce troisième titre serait le croisement du premier et du second. L’auteur nous emmène en cavale. La route est sinueuse, surprenante. On referme le livre sous le coup de l’émotion et je me dis que je devrai attendre je ne sais trop combien de temps avant d’en relire un autre.

Entre mes mains

Décidément, j’ai la main chanceuse en ce moment. Tout ce que je lis se transforme en plaisir de lecture. J’avoue qu’avoir du plaisir à lire des livres dans lesquels la douleur est triomphante, on pourrait me traiter de masochiste et ce serait tout à fait juste. Mais j’assume entièrement ma déviance.
Si le ton d’Entre mes mains est à l’occasion plus léger que celui qu’on retrouve dans Philippe, le sujet est tout aussi grave. Il est même à l’opposé. Le roman tourne autour du thème de la maternité non assumée, non désirée. Une vraie mère indigne.
Avant d’en arriver là, on suit l’évolution de chacune des phases de la relation que la narratrice entretien avec Sylvain. L’auteur utilise un ton détaché, hyper réaliste et pimenté de dérision, ce qui n’est pas désagréable du tout. N’allez pas croire pour autant qu’on vous convie à une partie de plaisir. Entre mes mains est tout de même un roman dur.
Anne-Constance Vigier, qui en est seulement à son deuxième roman, fait preuve d’une belle maîtrise d’écriture et démontre un indéniable talent. Cette rencontre réussie ne me donne donc pas le choix de suivre le parcours de cet auteur.
Entre mes mains, Anne-Constance Vigier, Joelle Losfeld, 102 p., 2007.

Philippe

Vous vous souvenez de la polémique autour du roman de Marie Darrieussecq Tom est mort? Philippe en est la cause.
Philippe, c’est le récit écrit par Camille Laurens suite à la mort prématurée de son fils qui n’aura vécu que deux heures dix minutes. Ça remonte à 1994. À la sortie de Tom est mort, elle a accusé Marie Darrieussecq de plagiat. En fait, on s’était rendu compte qu’il s’agissait plutôt d’une accusation de vol d’idées. C’était complètement aberrant. J’avais trouvé que Camille Laurens venait de faire un faux pas et je le pense toujours. Après avoir lu Philippe, force est de constater que le deuil de l’auteur n’est pas complété.
Toute cette histoire n’enlève absolument rien à la force de ce récit poignant et tellement meilleur que Tom est mort. Également supérieur à À ce soir de Laure Adler que j’avais beaucoup aimé à l’époque.
D’entrée de jeu, on est submergé par l’émotion et saisi par une tension. Il y a une force de frappe dans les mots et les images qu’utilise Camille Laurens que ça dépasse le simple récit détaillé d’un événement marquant. Non seulement on vit ce drame de l’intérieur, on est pris à témoin d’une mort qui n’aurait pas dû arriver.
C’est assez intense merci!
Philippe, Camille Laurens, Folio, 83 pages, 2008.

Les années

Il y a de ces livres dont on ne voit pas du tout venir les effets.
Quand j’ai commencé la lecture du dernier Annie Ernaux, j’étais loin d’être convaincu de son entreprise. Je trouvais ça trop descriptif et répétitif. Elle défilait les années de son parcours de vie à une vitesse grand V sans prendre le temps d’installer une ambiance intimiste.
Par contre, je trouvais vraiment intéressant le fait qu’elle ne racontait pas sa vie en utilisant l’autofiction comme elle a toujours eu l’habitude de faire dans ses livres. Alors que le je aurait été de mise, elle nous sert un elle sous lequel se cache un nous collectif que Pauline Marois ne renierait pas.
Et là, mine de rien, ça part. On voit alors défiler les années 40, 50, 60, 70 et ainsi de suite jusqu’à maintenant. Annie Ernaux nous met sous le nez les grands et les petits événements sociaux des 70 dernières années. Elle reste discrète sur sa vie privée. Le ton qu’elle utilise est indescriptible. C’est en fait le regard d’un être humain sur la vie qui passe. Et c’est là que tout prend son sens à mesure qu’on avance dans le temps. Quand on traverse notre espace/temps, bonjour l’émotion!
Annie Ernaux nous livre un magistral exercice littéraire qui redéfinie le genre biographique. Les années, c’est l’oeuvre d’une vie dans tous les sens du terme.

L’Arbre du voyageur

Je ne sais pas ce qui se passe, mais toutes mes lectures m’enchantent actuellement. Le dernier en lice: L’Arbre du voyageur d’Hitonari Tsuji. À ce propos, vous avais-je déjà vendu les mérites de cet auteur japonais? Ce titre est un bon prétexte pour le faire puisque c’est le meilleur que j’ai pu lire de lui (il faut quand même ajouter que j’avais beaucoup aimé les autres).
L’histoire est somme toute simple. À la mort de ses parents, Yûji, un jeune homme de 19 ans, part à la recherche de son frère aîné qu’il n’a pas revu depuis une dizaine d’année. Sa quête, qui se transforme rapidement en propre quête existentielle, l’amène à Tokyo où il fait la rencontre de personnes ayant eu un lien privilégié avec ce frère manquant.
Oui, une histoire simple, mais très forte. Le personnage de Yûji est attachant et on perçoit finement tout son désarroi et toute sa sensibilité. Il y a de l’âme dans ce roman. Il m’a rappelé, en moins étrange, l’univers de Haruki Murakami. L’Arbre du voyageur serait le parfait croisement entre Kafka sur le rivage et Le Passage de la nuit.
Hitonari Tsuji joue dans la cour des grands auteurs japonais. Outre celui-ci, je vous recommande Tokyo décibels (naïve), Objectif (10/18), En attendant le soleil (Belfond) et son recueil de nouvelles La Promesse du lendemain (Phébus).
Pendant ce temps, je lirai les rares titres en français qui me restent à lire de lui.

On n’est pas là pour disparaître

Ça fait longtemps qu’une lecture ne m’a pas autant rejoint que ce roman d’Olivia Rosenthal On n’est pas là pour disparaître. Quand je tombe sur un livre comme celui-là, j’ai l’impression qu’il a été écrit expressément pour moi tellement il y a tout ce que j’aime dans la littérature. Et c’est pas tous les jours que ça arrive.
D’abord, le sujet qui sous tend toute la trame. Le style dépouillé et retenu de l’auteur. L’intelligence de l’écriture à la fois clinique et sensible.
Le sujet c’est la maladie d’Alzheimer, qui, par extension, devient celui de la disparition par l’oubli. On suit d’abord Monsieur T. qui en est atteint et qui a poignardé sa femme à coups de couteau. Il y a aussi le point de vue de la femme. Cette histoire est entrecoupée de réflexions profondes de l’auteur sur la maladie et sa propre vie qui, elles, sont entrecoupées de courtes observations biographiques de la vie du Docteur Alzheimer. C’est cette alternance de ces trois aspects qui donne toute la force au roman. La structure reproduit, d’une certaine façon, le processus mental de la maladie de A.
C’est totalement réussi. C’est un plaisir complet qui interpelle. J’aurais voulu noter l’entièreté du livre dans un carnet tellement chacune des phrases m’interpelait. Je ne l’ai pas fait. Ce sera préférable que je le relise un jour. Ça aussi c’est pas souvent que je puisse dire une chose pareille!