Si vous n’avez pas capté

Voici, si vous ne l’avez ni cherché ni deviné, le sens de la phrase d’argot que je vous ai présentée dans la dernière note:
Je pense que vous jugerez que c’est cohérent si je vous dis que la jeune femme jolie en panne sur le pont, qui a eu l’audace de clouer le bec au policier qui l’a interpellée, risque de recevoir une contravention ou même de se faire arrêter s’il en est frustré.

Aki Shimazaki

J’avais envie de partager avec vous le petit hommage que j’ai rendu à Aki Shimazaki lors de la remise du Prix des libraires le 14 mai dernier:
« Actuellement, Aki Shimazaki est l’une des auteurs les plus talentueuses au Québec. Peut-être aussi la plus méconnue de notre littérature. Pourtant, elle a tout pour séduire le plus grand nombre. Selon moi, ce n’est qu’une question de temps. Les grandes distinctions commencent à lui courir après et le grand public suit tranquillement. Tout pour me faire plaisir.
D’un livre à l’autre elle nous offre toujours de petits bijoux littéraires qui brillent par leur concision et leur intelligence et ce n’est jamais dénué d’émotion. Il faut lire sa série Le poids des secrets pour s’en rendre compte. Son écriture est précise et irréprochable pourtant elle écrit dans sa langue d’adoption. C’est assez impressionnant. On retrouve encore toutes ces grandes qualités à la lecture de Mitsuba, une touchante et magnifique histoire d’amour toute simple mais jamais banale qui débute au Japon et qui se termine à Montréal. Mitsuba, qui signifie trois feuilles en japonais, est le nom du café où se rencontrent Takashi et Yûko pour permettre à leur amour naissant de prendre son envol. Mais cet amour-là entre ce jeune cadre talentueux et cette fille dont le père est un homme d’affaire prospère réserve peut-être quelques surprises. On savoure chaque instant, chaque mot et on se laisse porter par cet univers charmant et enveloppant. En refermant le livre, on est touché par une certaine grâce. Mitsuba est un pur plaisir de lecture à s’offrir, du bonbon pour l’imaginaire.
Merci Aki Shimazaki pour ces belles rencontres littéraires que vous me faites faire à chacun de vos livres. J’attends le prochain avec autant de bonheur. »

Bilan et rétrospective (Cannes-2007)

Mes cotes : (1) Excellent ; (2) Vaut le déplacement ; (3) Si on rien à faire ; (4) Sans intérêt ; (5) nul.
Zodiac de David Fincher ( Comp.) pas vu.
Sicko de Michael Moore. ( Hors comp.) Par vu.
1- Izgnanie (Le Banissement) Andreï Zviaguintsey, réalisateur russe. Cote du Film français : (5) mauvais ; une palme et le reste, faible. (2)
2- Le Voyage du ballon rouge de Hou Hsiao Hsien. Avec Juliette Binoche, Hippolyte Girardot et un petit garçon qui sauve un peu le film (sans doute Simon Iteanu). Mauvais. (3)
3- Magnus, de Kadri Kousaar, réalisatrice estonienne. (4)
4- L’Avocat de la terreur de Barbet Schroeder. Documentaire exceptionnel sur Jacques Vergès, né de père de la Réunion et de mère vietnamienne. Se fait connaître au moment de la guerre d’Algérie et de la défense de Djamila Bouhired. (1+)
5- No country for old men de Joel & Ethan Coen. Le tueur ( Anton Chigurh), le shérif Belle ( Tommy Lee Jones), le jeune vétéran Llewelyn Moss (Josh Brolin). (1++)
6- Actrices ( Le Rêve de la nuit d’avant) de Valeria Bruni-Tedeschi, réalisatrice italienne. Passable. (2)
7- La Visite de la fanfare ( Bikur Hatizmoret) de Eran Kolorin, réalisateur italien. Amusant. Acheté par Pierre Brousseau. Rôle principal : Sasson Gabai ( Tewfiq). (2)
8- Tehilim, de Raphaël Nadjari, réalisateur de nationalité française. Film se passe en Israël. Père disparu. (4)
9- Moi fratello è Figlio unico ( Mon frère est fils unique) de Daniele Luchetti, réalisateur italien. (1)
10- Mang Shan ( Blind Mountains, Sombres Vallées) de Li Yang, réalisateur chinois. Intreprète principale, Lu Hunag. (1)
11- Import Export de Ulrich Seidl, réalisateur autrichien. Interprètes : Ekateryna Rak (Olga), Paul Hofmann ( Paul). (2)
12- El Bano del papa, de César Charlone et Enrique Fernandez, réalisateurs de nationalité uruguayenne. (1)
13- La Soledad de Jaime Rosales, réalisateur espagnol (4)
14- Death Proof de Quentin Tarantino (Pulp Fiction), réalisateur américain. (1)
15- Mister Lonely, de Harmony Korine, réalisateur américain. (4)
16- Calle Sante Fe de Carmen Castillo, réalisatrice chilienne (2)
17- The Man fron London, de Béla Tarr, réalisateur hongrois
18- Et toi, t’es sur qui de Lola Doillon, réalisatrice française (2)
19- Kuaile Gongchang ( Pleasure Factory) de Ekachai Uekrongtham, réalisateur thaïlandais.(3)
20- Secret Sunshine, Lee Chang-dong, réalisateur coréen (1)
21- We own the night ( La Nuit nous appartient) du réalisateur américain, James Gray.(1)
22- Una Novia errante ( La Fiancée errante) de la réalisatrice argentine, Ana Katz (3)
23- Mogari no mori (La Forêt de Mogari) de la réalisatrice japonaise, Naomi Kawase (3)
24- California dreamin’ (Nesfarsit) du réalisateur roumain Cristian Nemescu (1)
25- L’âge des Ténèbres du Québécois, Denys Arcand.(1)

Parmi les bons films: Arcand

Avant de parler du dernier film de Denys Arcand, je veux indiquer mon accord aux trois prix décernés à Un certain regard. Mon ordre aurait toutefois été : Nemescu, Korilin et Bruni-Tedeschi dont je n’ai pas eu le temps de vous parler.

Arcand. Son film m’a beaucoup plus. Il souligne encore une fois nos travers avec à-propos. Il promène avec habileté son héros du rêve à la réalité. Il tourne en dérision plusieurs de nos excès, depuis les interdits de fumer, les incessants cours de performance et de rendement, le politiquement correct, principalement dans le langage, jusqu’à l’impuissance de la bureaucratie.

Ses références au Moyen-Âge m’ont bien amusé et accompagnent bien les propres phantasmes du héros. Si une scène m’a paru longue et ratée, c’est plutôt celle de Thierry Ardisson et son émission française et non celle des combats médiévaux dont la finale, vraiment cocasse.

Tous les rôles sont magnifiquement joués, tant Marc Labrèche que Sylvie Léonard ou Emma de Caunes. On peut en dire autant de tous les personnages secondaires, y compris Rufus Wainwright.

Ce n’est peut-être pas le meilleur Arcand, mais on ne s’ennuie pas et ça fait du bien de pouvoir se moquer un peu de nos dérapages dont celui de la maison cossue à plus d’une heure du bureau, si on peut parler de bureau. On dira ce qu’on voudra, les messages ne manquent pas. La satire est au rendez-vous. J’aime ça.

Malaise et détente

« De quoi parlez-vous », lance Denys Arcand en réaction à une première question de la salle. Maxence Bilodeau, correspondant de Radio-Canada en Europe, se reprend : « Je fais référence aux critiques, à l’accueil assez mièvre que reçoit votre film. D’ailleurs votre conférence de presse n’a pas attiré beaucoup de monde ». « Je ne sais toujours pas de quoi vous parlez », fait Arcand. « Très bien, changeons de sujet, propose Bilodeau, Où situez-vous ce film dans votre démarche ? Y en aura-t-il d’autres ? » « C’est le dernier que j’ai fait et un autre suivra ». Bilodeau posera aussi la dernière question, cette fois à la productrice, Denise Robert, à propos du budget et des ventes de droits. « Les ventes vont très bien, répond-elle. L’Italie a déjà acheté ».
Le coproducteur, Dominique Besnehard, profite d’une question pour dire : « Hallucinant qu’une telle question provienne d’un journaliste canadien ! » Un autre journaliste de Radio-Canada, Hugues Poulain, demande poliment : « Êtes-vous satisfait d’être hors compétition et de clôturer ? ». « Ce n’est pas la première fois et l’expérience antérieure a été positive » et il ajoute qu’une seule raison l’aurait amené à souhaiter être en Compétition, permettre à Marc Labrèche de remporter le prix d’interprétation. « Il l’aurait bien mérité ! » Labrèche est dégagé et souriant. Bilodeau l’attrape à la sortie et l’acteur lui donne un long entretien. Arcand et Robert restent à distance.
L’équipe défile : Diane Kruger, froide, hautaine, Sylvie Léonard, charmante, Caroline Néron, beauté classique autant en personne qu’en photo, Emma de Caunes, mignonne, qui aura bien du mal avec une question posée en anglais à laquelle elle répond, de toute façon, en français.
En fait, peu de questions de la salle : 4 ou 5 tout au plus. L’une porte sur la langue. « Dans le temps, j’avais vu La Maudite Galette avec des sous-titres français. Cette fois, rien de semblable. La langue québécoise a-t-elle changé ? » « L’accent varie selon les classes sociales, explique Arcand. Dans L’âge des ténèbres , l’un est fonctionnaire, l’autre agente immobilière, ce sont des gens d’un certain niveau social qui parle une langue que les Français peuvent comprendre.
« Ce film, est-ce une métaphore sur le Québec ? Voulez-vous montrer une société bloquée ? » L’animateur, Henri Behar, ajoute : « Ou un regard sur le monde occidental ? » « Je parle de la ville et de gens que je connais. Si je le fais bien, sans doute que d’autres peuvent se reconnaître », répond le cinéaste.
Béhar avait ouvert le jeu avec une question sur les références médiévales du film. Celles-ci soulèvent beaucoup de commentaires en effet. Arcand a des réponses toutes prêtes. Il a souvent l’occasion de constater que bien des gens aiment s’imaginer à l’époque médiévale, d’autres à celles des Vikings. Il ne sait pas pourquoi, mais c’est ainsi.
La presse québécoise a été réservée face au film. Nos critiques sont-ils injustes ? Je ne trancherai pas, mais je vais de ce pas me faire une idée.
Comme il arrive souvent, le hasard m’a amené à l’auditorium Debussy, question de tuer le temps avant le film d’Arcand. California Dreamin (Nesfarsit) du cinéaste roumain, Cristian Nemescu, tué dans accident d’auto il y a quelques semaines. Voilà indéniablement, une perte pour le cinéma. Ce film de 2h35 est un délice. On a du mal à croire qu’il est aussi long. Bien joué et bien construit, l’action nous ramène en Roumanie, pendant la guerre du Kosovo. Un train de l’Otan est immobilisé dans un petit village par le chef de gare qui exige des papiers de douane. Quelles sont ses vraies raisons ? Des flashbacks nous fournissent des éléments d’explications mais le personnage reste énigmatique. Il déteste les Américains, sa fille s’en accommode très bien.

Deux frères (deux fois), trois soeurs et encore deux frères

À la sortie du film du réalisateur américain, James Gray, j’ai croisé Odile Tremblay du Devoir. Une esthète dont j’apprécie beaucoup les papiers. Je lui ai lancé comme ça : « Tu diras ce que tu voudras… ». Elle a rétorqué : « Ce n’est pas un bon film ! ». On s’était tout dit. La salle a légèrement hué le film à la fin de la projection. Admettons que la toute dernière scène faisait un peu fleur bleue. Ce n’est pas seule d’ailleurs de We own the night (La nuit nous appartient). Mais personne n’est sorti pendant la projection ! C’est un excellent thriller.
New York à la fin des années 1980. La mafia russe fait des siennes. Un policier célèbre prend les choses en main avec un de ses fils, l’autre qui a changé son nom tient l’une des boîtes de nuit bien branchées où le trafic de drogue est florissant. Les deux frères ont tout de différent, mais il reste des frères.
Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti.
Le film de Gray nous renvoie à celui de Luchetti, vu quelques jours plus tôt. Je suis un inconditionnel du cinéma italien. J’ai forcément adoré cette histoire de deux frères si différents et si près dans les grands moments. Tout est jeu, fugues, grandes et petites passions. Les deux frères sont d’incorrigibles bagarreurs, engagés dans toutes sortes de combats, même en faveur de la démocratie. Accio, le plus jeune qui fait le désespoir de sa mère qui l’appelle La Teigne, renonce bien vite à la prêtrise et se laisse plutôt initier au fascisme. Son frère, irrésistible séducteur, séduit autant les filles que les ouvriers. Ce sera le choc des idées et des poings jusqu’au jour où Manrico, le beau, en veut davantage. Accio s’est assagi. Il lui reste une mission : faire ouvrir les résidences promises par la bureaucratie. La morale de l’histoire : l’Italie est spéciale, mais sa bureaucratie est normale.
Blind Mountains (Mang Shan traduit aussi par Sourdes Vallées !!!)
du Chinois Li Yang

La Chine est un pays immense. En fait, elle regroupe plusieurs pays d’époques différentes. Li Yang nous entraîne dans une vallée splendide où l’homme a façonné de grandioses paysages, loin de la ville, loin du monde. Pour sacrifier les filles au moment de la naissance, on en vient à manquer de filles au moment du mariage. Restent les grands moyens : le commerce de jeunes filles. L’actrice Lu Hunag interprète magnifiquement le rôle de Bai Xuemei, victime d’un enlèvement. Elle est présente à Cannes et monte bravement sur scène. Elle me paraissait plus jolie à l’écran. C’est presque toujours le cas. Elle porte une robe bizarre en forme de tulipe tournée vers le bas et totalement ouverte à l’avant. Lu Hunag est sans doute fière de ses jambes bien droites.
Otage de sa belle famille au milieu de villageois indifférents, elle ne se résigne pas, contrairement à d’autres. Un jour, c’est le drame total. La salle éclate. De partout, jaillissent spontanément des applaudissements nourris qui me rappellent nos réactions de jeunes quand le méchant se faisait enfin donner une raclée. Le réalisateur n’hésite pas: FIN. Un bien beau film.

La Soledad de l’Espagnol, Jaime Rosales

Film tellement lent que je me suis endormi à plusieurs reprises. En fait le réalisateur a sans doute réussi son but. Ne soyons pas injuste. Le film n’est pas sans mérites. Le réalisateur s’amuse avec un procédé appelé la polyvision. L’écran est régulièrement coupé en deux. Parfois ce procédé donne deux points de vue différents d’une même scène ou tout simplement permet de suivre les déplacements d’un personnage d’une pièce à l’autre, encore que l’on cherche à gauche alors qu’il apparaît à droite. Restons-en là, ce film ne viendra sans doute pas au Québec. Après tout, les distributeurs n’ont-ils pas l’embarras du choix.
No Country for Old Men des frères Joel et Ethan Coen
Non seulement ce film viendra au Québec, mais il fera un malheur. Il est d’ailleurs sur ma liste pour la Palme d’or ou tout au moins un prix de la Compétition. Un autre qui se démarque, c’est le film du roumain Cristian Mungiu (4 mois, 3 semaines et 2 jours).
Comme d’habitude, les frères Coen se mettent à deux pour nous offrir un film remarquable, sans genre bien défini, dont l’action se déroule à la frontière mexicaine. Bush et son père adoreront : il y a plein d’armes à feu et des puissantes. Le tueur a vraiment l’air d’un tueur et les trafiquants de drogue, de tristes paumés. Le hasard place sur leur route un type, venu de nulle part, qui résiste. Et vraiment bien. Il étonne jusqu’à ce qu’on apprenne qu’il s’agit d’un vétéran du Vietnam. Même le douanier s’incline. Il y a du pour et du contre. Le shérif ( Tommy Lee Jones) juge qu’il a fait son temps et se retire pendant qu’il est encore en vie. Pour tenter d’en finir avec le tueur (Javier Bardem), les frères Coen tentent le banal accident de voiture. Vous m’en reparlerez.

Susanne Bier

Je viens de faire une grande découverte cinématographique qui a pour nom Susanne Bier. (Comment ai-je même fait pour passer à côté de son travail pendant toutes ces années?) J’ai vu deux de ses films en moins d’une semaine et me voilà conquis et convaincu. Cette cinéaste danoise sait mieux que quiconque filmer la complexité des rapports humains. Avec elle, n’est prévisible que les événements. Pour ce qui est du reste, c’est-à-dire comment ils sont perçus et vécus par ses personnages, on peut s’attendre à tout.
Dans Cœurs ouverts (merci Anne-Marie!), sans trop vous en dévoiler, tout tourne autour d’un accident grave qui aura des conséquences bouleversantes sur le couple atteint et le couple responsable. Ce n’est qu’un point de départ qui nous amène dans les dédales de la nature humaine pour le moins surprenante. Rien n’est alambiqué. Tout se tient réalistement. Ce drame intime pourrait bien être le nôtre. La caméra est nerveuse, sensible, saccadée et indiscrète comme si elle cherchait à pénétrer l’âme des acteurs pour trouver leur vérité. Je ne sais pas comment elle fait, mais elle y parvient. On craque pour Mads Mikkelsen.
On retrouve tout ça dans Après la noce. Même qu’elle pousse encore plus loin la réflexion de ce que nous sommes, de ce qui nous pousse à agir. À l’intime, ici s’ajoute l’aspect social. Entre l’Inde et le Danemark, c’est un immense portrait de la vie qu’elle embrasse de sa caméra encore plus indiscrète et d’une efficacité dérangeante. Le spectateur est constamment déjoué, secoué et ému tout au long du film grâce à un scénario béton. C’est filmé magnifiquement et c’est porté par une distribution solide. On craque encore pour Mads Mikkelsen.
Susanne Bier est définitivement une cinéaste hors-pair qui réussit à communiquer excessivement bien sa grandeur d’âme et son humanisme.
(Voir également les propos de Virge gravitant autour de ce film)

Deux documentaires inégaux mais importants

L’Avocat de la terreur
de l’Iranien Barbet Schroeder.

Jacques Vergès a 82 ans. Il est au cœur de ce documentaire achevé tout récemment. Au Québec, Vergès est un nom peu connu. La réalité est tout autre en France. Aussi vaniteux qu’intelligent, l’homme dévoile sa logique, celle de l’amertume du colonisé, pour ne pas dire de la haine pour tous les colonisateurs de la planète, la France en tête.
Il est né au Cambodge, d’un père originaire de la Réunion et d’une mère Vietnamienne. Étudiant à Paris, il est de toutes les manifestations anti-colonialistes. Il a connu Pol-Pot. On le soupçonne d’avoir rejoint ce dernier pendant les quelque 7 ou 8 ans où il disparaît. Le film ne nous en apprendra pas davantage à ce sujet. Aurait-il, pendant la même période, fréquenté le célèbre Carlos aujourd’hui emprisonné en France ? Il s’en défend, mais mollement. Il cultive le mystère.
Vergès s’est fait connaître du grand public en prenant la défense de militants du FLN, auteurs d’attentats qui leur valent la peine de mort. Une figure se détache, celle de Rachida Bouhired, en faveur de laquelle il orchestre une campagne quasi internationale. Elle est finalement graciée. Ils s’épousent. Je crois qu’il se fait même musulman pour vaincre la résistance de la belle famille.
De la cause algérienne, il passe à la cause palestinienne puis il disparaît. Il quitte Rachida, apparemment sans la prévenir et sans la contacter par la suite. Quelle cause a-t-il servi alors ? Il nous dit ce qu’il veut et le réalisateur sème les indices mais nous laisse sans piste véritable, sauf peut-être celle d’importantes sommes d’argent.
À son retour, Vergès continue d’assurer, toujours avec succès, la défense de terroristes de toutes provenances. Lorsque Klaus Barbie est retrouvé et traîné devant les tribunaux, Vergès accepte de le défendre. Moment de suprême jouissance alors qu’il affronte 40 avocats. Il le raconte avec une arrogance teintée d’humour. Oui, Vergès réussit presque à devenir sympathique. Pourquoi défendre Barbie ? Pour prendre sa revanche sur les colonisateurs français, ceux de l’Algérie, ceux qui ont agi à l’époque de Rachida. Ce qu’on reproche à Barbie est-il tellement différent ? Vergès profite d’une tribune exceptionnelle. Il n’allait pas laisser passer une semblable occasion.
Ce documentaire, à lui seul, est un réservoir d’histoires qui ont débordé largement le dernier demi-siècle. Il faut plusieurs films pour nous en fournir autant, avec une densité équivalente. Parodiant Sartre aperçu rapidement dans ce film où les documents d’archives ne manquent pas, Vergès lance : « Oui, je défends la violence là où elle est nécessaire ». À un autre moment, il déclenche les applaudissements en rétorquant : « J’ai défendu Barbie, j’accepterais même de défendre Bush ! ».
Calle Santa Fe
de la réalisatrice chilienne Carmen Castillo.

Il me semble approprié de présenter ici ce documentaire politique, même si je l’ai vu quelques jours plus tard. Il avait tout me plaire, du moins pour m’intéresser vivement. J’attendais trop, j’ai été déçu. Je n’ai pas retrouvé ce Santiago de 1973, ce coup d’État dont je fus presque témoin.
Carmen Castillo vit à Paris. Elle fut expulsée du Chili. Compagne de Miguel Enriquez, un des dirigeants de la résistance contre Pinochet, abattu par les carabiniers ; elle fut elle-même blessée. Elle entend raconter. Devoir de mémoire bien compréhensible, mais pénible aussi. Les survivants défilent devant la caméra ; elle fait les entrevues. On la voit sans cesse. Un peu plus, elle tournait un film sur elle-même. Tout de même, elle le fait avec honnêteté. Continuer le combat ? Mais quel combat ? Les jeunes tentent de la convaincre qu’il faut penser à autre chose. Les résistants avaient-il une juste cause ? Certes, oui. Les bons moyens ? Les résultats suggèrent que non. La dictature a duré de 1973 à 1990 dans un des pays les plus dynamiques de l’Amérique latine. Il y a eu quelque chose de faux. Le peuple a décroché non sans avoir lutté. Il y a eu les « disparus » et aussi les enfants « abandonnés » volontairement. Pour la cause. Ils témoignent sévèrement.
Malgré ses lacunes, ce film a été chaleureusement applaudi. La cause évoquée a fait oublier les longueurs et une certaines incohérence. Pourtant tous les ingrédients étaient là. La morale ? Tout comme on ne doit pas s’éditer soi-même, il est difficile de réussir un documentaire sur soi-même.
Vergès a été bien servi par Schroeder, Castillo ne l’a pas été par Castillo.

Piètre départ. Retour sur quelques films

Le Bannissement
(Film du Russe Andreï Zviaguintsev à qui on doit Le Retour, 2003).
Les paysages se succèdent, lentement, cadrage impeccable. À ce point qu’il écrase le jeu des acteurs. Un couple mystérieux et leurs deux enfants s’installent dans la maison paternelle, isolée en campagne. Le paradis terrestre ?
« Je suis enceinte. L’enfant n’est pas de toi », annonce-t-elle à son mari. Déjà, celui-ci est un homme fermé, énigmatique. Le pire est à craindre. Et tout se déroule à peu près comme prévu, en pire même. Alors qu’on croyait avoir tout compris, le mystère surgit. Celui de l’Annonciation, nouvelle manière ?
Des vagues indices se succèdent. En rafale. Qu’y a-t-il d’écrit au dos du test de grossesse ? Comment expliquer le comportement de l’époux ? De son frère ? Du fils ? De l’épouse ? Qui est Robert ? Quel est son rôle ? Plus rien n’est clair. Le spectateur se rend compte qu’il n’avait rien compris. À la sortie, il aura tout le temps pour reconstruire ce message qui se veut biblique.
Délibérément, le cinéaste nous prive de toute référence géographique. Où sommes-nous ? À quelle époque ? Cela n’a pas d’importance. Tout est intérieur et très profondément. Même les dialogues sont impossibles.
La clé est dans le casse-tête qui occupe les enfants. Une scène religieuse de Léonard de Vinci, je crois.. Peut-être L’Annonciation. Le film lui-même n’est-il pas un casse-tête ? Autant de spectateurs, autant de regards, de lectures.
Ce bannissement me conduit à celui, bien mérité de Paul Wolfowitz. La bêtise de ce faucon, ennemi du mal, des méchants, des impurs, l’aura conduit à la plus humiliante des déchéances. La réalité dépasse la fiction. Parfois la justice se fait attendre, mais …
Le Voyage en ballon rouge
du Taïwanais Hou Hsiao Hsien.
Film enfantin au sujet bien mince que Juliette Binoche tente de rescaper. Marionnettiste esseulée et débordée, elle est convaincante, mais cela ne suffit pas. Son fils de 7 ans ( sans doute Simon Iteanu) est magnifique, mais cela ne suffit pas non plus. Présenté en séance d’ouverture à Un certain regard en présence du réalisateur et de ses comédiens (dont Hippolyte Girardot), le film a été poliment applaudi.
Magnus
de l’Estonienne Kadri Kousaar.
Décidément, ce Festival 2007, 60e édition, démarrait péniblement. Magnus, c’est une caricature de la misère. Le « héros » est d’abord condamné à une mort prématurée. La médecine fait des progrès pour tout le monde. Son problème pulmonaire a été réglé malgré les cigarettes fumées en cachette assez tôt remplacées par toutes sortes de mélange. La fin est celle qu’on devine. Le père et la mère sont séparés, si jamais ils ont été unis. Ils sont grotesques et vivent d’expédients.
Il est difficile de faire plus laid, plus sordide. Pourtant Magnus est beau, il est presque intelligent. Si ses parents meurent, il ne les regrettera pas ; si lui-même meurt, personne non plus ne le pleurera. La réalisatrice a-t-elle voulu transmettre sa propre détresse ? Il semble bien que c’est tout ce qu’elle a réussi.
En guise de punition, j’imposerais le visionnement de Magnus aux 2 200 employés d’entretien de la STM entre les périodes réservées au maintien des services essentiels, celles où ils collectent leurs allocations de fonds de grèves.

Films vus et cotes

Cannes 2007. Première semaine.
Mes cotes : (1) Excellent ; (2) Vaut le déplacement ; (3) Si on rien à faire ; (4) Sans intérêt ; (5) nul.
1- Izgnanie (Le Banissement) Andreï Zviaguintsey, réalisateur russe. Cote du Film français : (5) mauvais ; une palme et le reste, faible. (2)
2- Le Voyage du ballon rouge de Hou Hsiao Hsien. Avec Juliette Binoche, Hippolyte Girardot et un petit garçon qui sauve un peu le film (sans doute Simon Iteanu). Mauvais. (3)
3- Magnus, de Kadri Kousaar, réalisatrice estonienne. (4)
4- L’Avocat de la terreur de Barbet Schroeder. Documentaire exceptionnel sur Jacques Vergès, né de père de la Réunion et de mère vietnamienne. Se fait connaître au moment de la guerre d’Algérie et de la défense de Djamila Bouhired. (1+)
5- No country for old men de Joel & Ethan Coen. Le tueur ( Anton Chigurh), le shérif Belle ( Tommy Lee Jones), le jeune vétéran Llewelyn Moss (Josh Brolin). (1++)
6- Actrices ( Le Rêve de la nuit d’avant) de Valeria Bruni-Tedeschi, réalisatrice italienne. Passable. (2)
7- La Visite de la fanfare ( Bikur Hatizmoret) de Eran Kolorin, réalisateur italien. Amusant. Acheté par Pierre Brousseau. Rôle principal : Sasson Gabai ( Tewfiq). (2)
8- Tehilim, de Raphaël Nadjari, réalisateur de nationalité française. Film se passe en Israël. Père disparu. (4)
9- Moi fratello è Figlio unico ( Mon frère est fils unique) de Daniele Luchetti, réalisateur italien. (1)
10- Mang Shan ( Blind Mountains, Sombres Vallées) de Li Yang, réalisateur chinois. Intreprète principale, Lu Hunag. (1)
11- Import Export de Ulrich Seidl, réalisateur autrichien. Interprètes : Ekateryna Rak (Olga), Paul Hofmann ( Paul). (2)
12- El Bano del papa, de César Charlone et Enrique Fernandez, réalisateurs de nationalité uruguayenne. (1)
13- La Soledad de Jaime Rosales, réalisateur espagnol (4)
14- Death Proof de Quentin Tarantino (Pulp Fiction), réalisateur américain. (1)
15- Mister Lonely, de Harmony Korine, réalisateur américain. (4)
16- Calle Sante Fe de Carmen Castillo, réalisatrice chilienne (2)
17- The Man fron London, de Béla Tarr, réalisateur hongrois
18- Et toi, t’es sur qui de Lola Doillon, réalisatrice française (2)
19- Kuaile Gongchang ( Pleasure Factory) de Ekachai Uekrongtham, réalisateur thaïlandais.(3)
20- Secret Sunshine, Lee Chang-dong, réalisateur coréen (1)