Voici les cinq meilleurs films que j’ai vus en salle cette année:
1. Babel, Alejandro Gonzalez Innaritu (États-Unis)
2. Le temps qui reste, François Ozon (France)
3. Lemming, Dominik Moll (France)
4. Changement d’adresse, Emmanuel Mouret (France)
5. Manderlay, Lars Von Trier (Danemark, etc.)
Tous les articles par Eric Simard
Apprendre à être heureux
Cet après-midi à la librairie, une cliente s’adresse à moi en me tendant un papier sur lequel on pouvait lire ceci:
Apprendre à être heureux
Boris Cyrulnik, 2006
Spontanément, je lui tends De chair et d’âme, le titre qu’a fait paraître Cyrulnik en 2006. Elle me regarde étonnée en me disant qu’elle avait pris sa référence dans L’actualité. Je fais un air sceptique en me dirigeant vers l’ordinateur pour m’assurer que Boris Cyrulnik n’avait signé aucun livre portant le titre mentionné ci-haut.
En faisant ma recherche (je ne trouvais rien évidemment), elle ajoute que chez Archambault il ne l’avait plus. Fouetté dans mon orgueil de libraire comme je le suis toujours dans ces cas-là, j’appronfondis encore plus ma recherche.
Finalement, j’arrive à démêler tout ça. Apprendre à être heureux n’a évidemment pas été écrit par Boris Cyrulnik mais plutôt par Stefan Klein .
Après le lui avoir prouvé concrètement, je la regarde en souriant et je lui dis:
« Madame, vous venez de faire la différence entre un disquaire et un libraire! »
Palmares 2006: lectures
Voici la liste des dix livres que j’ai le plus aimés au cours de cette année qui s’achève:
1. Il faut qu’on parle de Kevin, Lionel Shriver (Belfond)
2. Le temps n’est rien, Audrey Niffenegger (J’ai lu)
3. Un sentiment d’abandon, Christopher Coake (Albin Michel)
4. Generations of love, Matteo B.Bianchi (Grancher)
5. Puisque rien ne dure, Laurence Tardieu (Stock)
6. Hadassa, Myriam Beaudoin (Leméac)
7. Mitsuba, Aki Shimazaki (Actes sud/Leméac)
8. Palimpseste, Gore Vidal (Galaade)
9. Patricio, je t’aime. Papa., Walter Veltroni (Galaade)
10. L’usage de la photo, Annie Ernaux/Marc Marie (Folio)
De votre côté, quels sont les titres qui vous ont fait vibrer cette année?
Chacun son métier #2
Le très populaire chef Martin Picard du restaurant Au pied de cochon a fait paraître cet automne un beau livre qui est devenu un des succès de la saison. Le travail d’édition est de grande qualité. Étonnant même puisqu’il a été fait de manière indépendante. Ne voulant certainement pas faire n’importe quoi, Martin Picard a su s’entourer et le résultat est impressionnant. Tous les médias l’ont encensé avec raison. L’album, à l’image du chef, est une célébration de la chair loin de l’épicurisme propret de Chrystine Brouillet ou de Francine Ruel. Outre des recettes, on y retrouve des textes, des photos et des planches de bandes dessinées. Beaucoup plus qu’un simple livre de recettes.
Là où le bat blesse, c’est au niveau de la mise en marché du livre. Si on a bien conseillé Martin Picard pour l’aspect éditorial, il en est tout autrement en ce qui a trait à la distribution de son livre.
Quand les médias ont commencé à parler du livre, une grande majorité de librairies n’en connaissaient même pas l’existence; à part les grandes chaînes bien entendu à qui on avait offert une certaine exclusivité. Les bonnes petites librairies personnalisées, qui n’avaient pas été contacté, on du se débrouiller avec les moyens qu’ils avaient pour réussir à le commander afin de satisfaire leur clientèle avisée.
Résultat : les meilleures librairies du Québec ne pouvaient répondre à la demande alors que le livre Au pied de cochon ornait déjà les vitrines des grandes chaînes.
Ce n’est pas tout. Martin Picard et sa bande, ne connaissant pas les enjeux de la distribution, plutôt que de fixer un prix de vente au détail comme c’est le cas dans le domaine du livre, ont fixé un prix d’achat laissant le libraire décidé de son prix de vente.
Résultat : au restaurant Au pied de cochon et dans certaines grandes chaînes, on le trouvait à $60.00 et dans la plupart des bonnes petites librairies à $75.00. La clientèle avisée a évidemment reproché aux bonnes librairies de le vendre trop cher.
Ce n’est toujours pas tout. N’ayant pas de distributeur attitré, le livre était offert en consignation aux librairies. Normalement, lorsqu’il s’agit d’une consignation, la librairie paye les livres une fois qu’ils ont été vendus. S’il en recommande, comme ce fut le cas avec l’album Au pied de cochon, il devrait logiquement les payer une fois cette nouvelle commande écoulée. Martin Picard et sa bande, grisés par leur succès, ne l’entendent pas comme ça. Ils exigent que les librairies payent au fur et à mesure une fois leur première commande vendue. Les bonnes petites librairies sont un peu prises en otage. Cesser de le commander ou répondre aux demandes de leur clientèle avisée?
Résultat : on laisse un chef-cuisinier nous dicter les règles de la distribution de son livre.
Conclusion : si on ne s’improvise pas chef-cuisinier, on ne devrait pas non plus s’improviser distributeur de livres.
Babel
Quand on connaît le travail d’Alejandro Gonzalez Inarritu (Amours chiennes et 21 grammes), on ne peut résister à l’envie d’aller voir ce qu’il a de nouveau à nous proposer. Je ne pouvais pas rater la sortie du film Babel. Évidemment, j’y allais en ayant beaucoup d’attentes. Elles ont toutes été déclassées: Babel n’est rien de moins qu’un film brillant qui ébloui et qui nous rive à notre siège du début à la fin.
La base du scénario, signé Guillermo Arriaga une fois de plus, tourne autour de l’idée du mouvement qui finit par avoir des incidences sur la vie de beaucoup de gens. Dans Babel, une balle tirée presque au hasard a des répercussions dramatiques dans la vie d’une famille américaine, marocaine, japonaise et mexicaine. Comme cette idée du mouvement nous avait été servie dans Amours chiennes, je craignais une certaine répétition. Eh, bien non. Non parce que le film ne repose pas uniquement sur cet aspect. Le mouvement sert à illustrer le fossé entre les cultures pour mieux en démontrer toutes les richesses propres à chacune. La caméra d’Inarritu parvient avec beaucoup de force à faire ressortir toute l’humanité qui s’en dégage en scrutant les gestes du quotidien de ces gens unis par le mouvement. On passe d’un univers à l’autre toujours un peu secoué par ce que nous venons de voir, de vivre. C’est d’une subtilité et d’une véracité à faire frémir.
Là où Inarritu impressionnne le plus, c’est que le Japon (digne de Wong Kar Wai) et le Maroc qu’il filme sont aussi authentiques que l’est sa terre natale, le Mexique. Un tour de force hallucinant que peu de cinéastes peuvent réussir.
Bref, c’est du grand art.
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J’arrive à l’instant de voir la dernière création de Marie Chouinard Body Remix/Les Variations Goldberg. J’attendais cette soirée depuis avril et je n’ai vraiment pas été déçu. Depuis que j’ai vu la reprise de ses Solos en 1998 à Montréal, impossible de résister à ses spectacles et à son univers.
Avec Body Remix, Marie Chouinard pousse plus loin les limites du corps et de la danse. Elle le fait en utilisant des prothèses et divers accessoires métaliques qui sont « greffés » au corps des danseurs comme s’ils étaient des extensions d’eux-mêmes ou des supports les aidant à les maintenir en équilibre. Elle utilise également l’espace aérien. À plusieurs reprises, les danseurs sont suspendus par un harnais dans les airs. L’effet est subjuguant, parfois déstabilisant, toujours criant de vérité et d’une grande beauté. Le corps est également transformé en créatures de toutes sortes. Il se fait tour à tour taureau, cerf, cygne, scarabé ou amibe lorsqu’il n’est pas complètement disloqué. C’est du Marie Chouinard tout craché.
L’environnement sonore est surtout constitué d’extraits des Variations Goldberg revus et corrigés. Même la voix de Glenn Gould participe à la rythmique et à l’ambiance du spectacle. Assez impressionnant.
C’est difficile de rendre en mots ce que j’ai vu. Mes yeux ont été éblouis et captivés pendant 85 minutes. Il me reste des ambiances fortes, des images sublimes, des figures sorties tout droit de l’imaginaire et une émotion brute.
En fait, il faut voir le travail de la chorégraphe pour mieux saisir sa démarche artistique et en apprécier toute la profondeur et la ludicité. Qu’on connaisse ou non la danse contemporaine, l’univers de Marie Chouinard s’adresse à tout le monde. Ce sont nos tripes qui sont sollicitées avant tout. Sa danse est très communicative. La preuve, je suis sorti du Grand Théâtre de Québec avec un beau gros sourire aux lèvres et le coeur content. J’avais aussi envie de faire toutes sortes de mouvements avec mon corps. Peut-être pour prolonger le plaisir ou tout simplement pour défier le temps et la gravité!
Pour les amateurs de la chorégraphe, je vous suggère le trait beau portrait qu’en a fait Catherine Morency et le photographe Richard-Max Tremblay dans le livre paru récemment chez Varia Marie Chouinard chorégraphe.
Puisque rien ne dure
Non, je ne suis pas déprimé en ce moment. Je le suis encore moins lorsque je fais de belles découvertes comme ce petit bijou de roman de Laurence Tardieu Puisque rien ne dure (Sotck). Cette réussite tient en très peu de pages (128). Laurence Tardieu possède l’art de la concision. Chaque mot semble avoir été pensé et soupesé avant d’avoir été fixé sur le papier. En même temps, tout est d’une simplicité désarmante et d’une grande puissance évocatrice. Tout pour me plaire.
La disparition est au coeur de ce roman. La disparition d’un enfant, Clara, la petite fille de Vincent et Geneviève. Clara qu’ils ne reverront jamais. Vincent et Geneviève qui s’aimaient d’un amour vrai, d’un amour grand. Mais comment préserver ce qui a été avant, comment survivre après une telle épreuve ?
En nous faisant plonger tour à tour dans la réalité de Vincent et de Geneviève, Laurence Tardieu posent plusieurs questions fondamentales et existentielles. Elle le fait avec retenue en faisant preuve de beaucoup d’intelligence et de sensibilité. C’est une auteure à part entière à n’en pas douter.
Puisque rien ne dure est, malgré sa gravité, une belle histoire d’amour comme on les aime car elle finit tristement.
Je vous laisse sur ces quelques extraits :
« J’ai perdu le chemin qui mène aux autres » p.40
« Je ne savais pas que la douleur éloignait tant des autres. » p.58
« La valeur d’une vie tient aux choix que l’on fait. » p.120
Prix des libraires du Québec 2007
La liste préliminaire du Prix des libraires du Québec 2007 a été dévoilée aujourd’hui. C’est jeudi dernier que mes collègues et moi sommes réunis pour établir cette liste. Chaque année, nous attendons ce moment avec beaucoup de fébrilité (et un peu d’angoisse!). Nous avons eu beaucoup de plaisir à nous retrouver, à nous réunir et à nous asticoter un peu pour défendre nos points de vue. Je dois dire que nous avons fait un excellent travail. Nous sommes très fiers de notre sélection et les réactions sont très bonnes jusqu’à maintenant. Nous nous réunirons à nouveau le 18 janvier pour établir les cinq finalistes dans chacune des catégories.
Sans plus tarder, voici le fruit de notre réunion:
Romans québécois
La fabrication de l’aube, Jean-François Beauchemin (Québec-Amérique)
Hadassa, Myriam Beaudoin (Leméac)
La clameur des ténèbres, Neil Bissoondath (Boréal)
Iphigénie en haute-ville, François Blais (L’instant même)
Parents et amis sont invités à y assister, Hervé Bouchard (Le Quartanier)
Traité de balistique, Alexandre Bourbaki (Alto)
La logeuse, Éric Dupont (Marchand de feuilles)
Sauvages, Louis Hamelin (Boréal)
La rivière du loup, Andrée Laberge (XYZ)
Trois modes de conservation des viandes, Maxime-Olivier Moutier (Marchand de feuilles)
Jeanne sur les routes, Jocelyne Saucier (XYZ)
Mitsuba, Aki Shimazaki (Leméac/Actes sud)
Romans hors Québec
Le chemin des âmes, Joseph Boyden (Albin Michel)
Un sentiment d’abandon, Christopher Coake (Albin Michel)
À perte de vue, Amanda Eyre Ward (Buchet Chastel)
Jours de juin, Julia Glass (Des 2 terres)
L’histoire de l’amour, Nicole Krauss (Gallimard)
Les bienveillantes, Jonathan Littell (Gallimard)
Kafka sur le rivage, Haruki Murakami (Belfond)
Extrêmement fort et incroyablement près, Jonathan Safran Foer (de l’Olivier)
Il faut qu’on parle de Kevin, Lionel Shriver (Belfond)
L’infortunée, Wesley Stace (Flammarion)
Ouest, François Vallejo (Viviane Hamy)
Dans les bois éternels, Fred Vargas (Viviane Hamy)
Vous, si vous aviez à choisir, quels seraient vos choix dans chacune de ces catégories?
(Pour en savoir plus: http://www.alq.qc.ca/#)
Chacun son métier #1
S’il y a une chose que les libraires détestent par dessus tout, ce sont les auteurs qui se manifestent afin de s’assurer de la meilleure visibilité pour leur livre. Tous ne sont pas discrets et subtils, croyez-moi.
La plupart joue au client en demandant leur titre et en nous le faisant chercher. S’il est en stock, il ne se contentera pas d’en être satisfait. Non, il insistera pour le voir, allant même jusqu’à nous faire perdre un temps précieux que nous n’avons pas toujours. Une fois le livre trouvé en rayon ou dans les boîtes, c’est souvent à ce moment qu’il se dévoile (ça, ça me tue!). Ce n’est pas tout, le pire survient ensuite. S’il est dans les boîtes, c’est un sacrilège. Il aurait fallu se précipiter pour le mettre sur les rayons. S’il est déjà placé, ce n’est jamais au bon endroit. Certains vont même jusqu’à nous suggérer où nous devrions le mettre même si ça ne cadre pas du tout avec notre façon de placer les livres. On nous suggère également de le mettre en vitrine. Avant de partir, après l’avoir mis de face n’importe où dans les rayons, on nous invite à en faire de bonnes provisions parce que les médias sont sur le coup.
Il y a ceux qui ne s’adressent jamais aux libraires qui sont parfois notre cauchemar. Après leur petite tournée bidon des librairies, ils appellent leur éditeur pour se plaindre du mauvais traitement réservé à leur livre extraordinaire. Résultat: l’éditeur appelle le distributeur qui semonce le représentant qui tète le libraire pour « accommoder raisonnablement » l’auteur en question. L’odieux nous revient encore une fois alors qu’on aurait du faire comprendre à l’auteur que cette facette du métier nous appartenait.
Il y a aussi les auteurs qui s’adressent directement aux gérants des librairies pour se plaindre sans avoir l’air de le faire en tenant un discours faussement humain du genre qu’il est peiné de voir que son livre n’a pas droit au même traitement que tel autre, que c’est un client de longue date, qu’il aurait espéré, m’enfin, bon!
Je n’ai pas encore parlé des proches des auteurs qui en rajoutent en utilisant les mêmes stratagèmes en nous faisant perdre encore une parcelle de temps précieux. Peut-être davantage car ils vont même jusqu’à nous demander les quantités initiales et les ventes. Elles ne sont jamais suffisantes, évidemment!
Ces comportements franchement désagréables sont le lot presque quotidien des libraires. Le plus choquant, c’est que, dans chacun de ses comportements, le libraire passe toujours pour celui qui ne fait pas bien son travail. Si le livre ne se vend pas c’est parce qu’il n’a pas eu la visibilité qu’il aurait fallu. Oui, c’est toujours la faute aux libraires. L’auteur, lui, semble ne jamais douter de son travail.
Contrairement à ce que semble croire certains auteurs, sachez que le libraire n’est pas con. Si un livre est en demande, il le mettra en évidence et commandera les stocks en conséquence. D’ailleurs, je crois que c’est un peu notre métier que de savoir satisfaire aux demandes des clients, non? Alors, il est où le problème? Je ne sais pas (mais je m’en doute)!
5:55
Les initiés savent que 5:55 n’est pas seulement une heure quelconque. C’est une façon de marquer le temps différemment. 5:55 aura marqué mon automne et il marquera peut-être mon hiver. Je parle du disque de Charlotte Gainsbourg.
Je l’ai acheté à sa sortie il y a plus d’un mois. Depuis, il quitte rarement mon lecteur. Au-delà de l’événement médiatique, le travail de la fille de Serge et Jane est une réussite totale. Le lien familial s’arrête là. C’est un disque de Charlotte, tout simplement. Elle est parvenue à créer un univers qui lui ressemble (pas facile tout de même) en s’entourant de musiciens chevronnés et surtout elle y a mis le temps qu’il fallait. Ça s’entend.
5:55 est un disque atmosphérique tout en nuances qui ne casse rien à la première écoute. On trouve ça bien, mais sans plus. On a tout de même envie de le remettre rapidement dans le lecteur question de s’assurer qu’on ne s’est pas trompé. Après trois écoutes, le mal est fait. On l’a dans les veines, on ne peut plus s’en passer. On se met à découvrir toute la richesse de cet univers tout en finesse, à ressentir toutes les émotions subtiles qui s’en dégage. À tout moment durant la journée, on se surprend à avoir certaines chansons en tête. En rentrant à la maison, on se précipite sur le lecteur et on le remet et la plaisir recommence. Le matin en se levant, c’est la même chose. Au coucher aussi. Impossible de résister à cette voix solide et feutrée, un peu éthérée et toujours juste. Impossible non plus de résister à la beauté du piano hypnotique qui revient d’une pièce à l’autre. Le disque atteint son paroxysme sur Everything I cannot see, un pur bonheur.
Charlotte Gainsbourg a signé un des meilleurs disques de l’année. Cette artiste ira loin. Retenez bien son nom!