Ça fait un p’tit moment que je voulais vous parler de cet auteur Écossais encore méconnu du côté francophone. J’ai lu ses trois romans traduits, tous parus chez Métailié dans la collection Bibliothèque écossaise. Pour moi, maintenant, depuis que j’ai lu le premier à paraître en français, savoir qu’un nouveau John Burnside s’en vient est source de joie et d’impatience tellement j’ai envie de me plonger dans son univers pourtant (oh, surprise!) pas jojo.
Cet affect littéraire a commencé par hasard avec La maison muette. C’est une attachée de presse qui l’avait envoyé pour qu’on le couvre à l’émission. Personne n’en a voulu sauf moi. J’ai bien fait de tenter l’expérience car ce titre est l’un des meilleurs romans que j’ai pu lire depuis cinq ans. Quand je parle d’expérience, je pèse mes mots.
Avant de vous raconter l’histoire, il faut dire que John Burnside, écrit ce que l’on pourrait appeler du roman social. Ses trois titres se passent tous dans de petits bleds d’Écosse. Il décrit très bien la réalité des gens vivant dans ce genre de coins isolés où la promiscuité n’est pas toujours un gage de bonne entente. S’ajoute à cet aspect, un fort penchant pour la psychologie. La plupart de ses personnages principaux sont un peu décalés et ont un comportement étrange. On ne sait pas toujours comment les percevoir. Il y a toujours quelque chose de déroutant et de troublant dans les histoires de cet auteur très habile et pour le moins talentueux.
Par exemple, dans La maison muette, le personnage principal est un espèce de reclus asocial. Il finit tout de même par se rapprocher d’une femme. De leur liaison naîtront des jumeaux. Il s’en servira pour faire des expériences. Je ne vous dis pas lesquelles. Disons seulement que c’est assez marquant.
Dans le second, Une vie nulle part, le personnage central trouve difficilement sa place. Qu’ils soient familiaux ou sociaux, il est toujours aux prises avec des conflits. Ce qui peut sembler banal ne l’est pas sous la plume de Burnside grâce à la force et à la précision que l’on retrouve dans son écriture.
Il y a aussi tout ça dans son dernier que je viens de terminer. En lisant Les empreintes du diable, on a le sentiment que les trois romans sont liés. Sensation d’être dans le même petit coin perdu d’Écosse, de renouer avec les mêmes personnages un peu fêlés, de découvrir ce monde sous un autre angle. Et c’est un peu vrai. Ce troisième titre serait le croisement du premier et du second. L’auteur nous emmène en cavale. La route est sinueuse, surprenante. On referme le livre sous le coup de l’émotion et je me dis que je devrai attendre je ne sais trop combien de temps avant d’en relire un autre.
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Entre mes mains
Décidément, j’ai la main chanceuse en ce moment. Tout ce que je lis se transforme en plaisir de lecture. J’avoue qu’avoir du plaisir à lire des livres dans lesquels la douleur est triomphante, on pourrait me traiter de masochiste et ce serait tout à fait juste. Mais j’assume entièrement ma déviance.
Si le ton d’Entre mes mains est à l’occasion plus léger que celui qu’on retrouve dans Philippe, le sujet est tout aussi grave. Il est même à l’opposé. Le roman tourne autour du thème de la maternité non assumée, non désirée. Une vraie mère indigne.
Avant d’en arriver là, on suit l’évolution de chacune des phases de la relation que la narratrice entretien avec Sylvain. L’auteur utilise un ton détaché, hyper réaliste et pimenté de dérision, ce qui n’est pas désagréable du tout. N’allez pas croire pour autant qu’on vous convie à une partie de plaisir. Entre mes mains est tout de même un roman dur.
Anne-Constance Vigier, qui en est seulement à son deuxième roman, fait preuve d’une belle maîtrise d’écriture et démontre un indéniable talent. Cette rencontre réussie ne me donne donc pas le choix de suivre le parcours de cet auteur.
Entre mes mains, Anne-Constance Vigier, Joelle Losfeld, 102 p., 2007.
Philippe
Vous vous souvenez de la polémique autour du roman de Marie Darrieussecq Tom est mort? Philippe en est la cause.
Philippe, c’est le récit écrit par Camille Laurens suite à la mort prématurée de son fils qui n’aura vécu que deux heures dix minutes. Ça remonte à 1994. À la sortie de Tom est mort, elle a accusé Marie Darrieussecq de plagiat. En fait, on s’était rendu compte qu’il s’agissait plutôt d’une accusation de vol d’idées. C’était complètement aberrant. J’avais trouvé que Camille Laurens venait de faire un faux pas et je le pense toujours. Après avoir lu Philippe, force est de constater que le deuil de l’auteur n’est pas complété.
Toute cette histoire n’enlève absolument rien à la force de ce récit poignant et tellement meilleur que Tom est mort. Également supérieur à À ce soir de Laure Adler que j’avais beaucoup aimé à l’époque.
D’entrée de jeu, on est submergé par l’émotion et saisi par une tension. Il y a une force de frappe dans les mots et les images qu’utilise Camille Laurens que ça dépasse le simple récit détaillé d’un événement marquant. Non seulement on vit ce drame de l’intérieur, on est pris à témoin d’une mort qui n’aurait pas dû arriver.
C’est assez intense merci!
Philippe, Camille Laurens, Folio, 83 pages, 2008.
Les années
Il y a de ces livres dont on ne voit pas du tout venir les effets.
Quand j’ai commencé la lecture du dernier Annie Ernaux, j’étais loin d’être convaincu de son entreprise. Je trouvais ça trop descriptif et répétitif. Elle défilait les années de son parcours de vie à une vitesse grand V sans prendre le temps d’installer une ambiance intimiste.
Par contre, je trouvais vraiment intéressant le fait qu’elle ne racontait pas sa vie en utilisant l’autofiction comme elle a toujours eu l’habitude de faire dans ses livres. Alors que le je aurait été de mise, elle nous sert un elle sous lequel se cache un nous collectif que Pauline Marois ne renierait pas.
Et là, mine de rien, ça part. On voit alors défiler les années 40, 50, 60, 70 et ainsi de suite jusqu’à maintenant. Annie Ernaux nous met sous le nez les grands et les petits événements sociaux des 70 dernières années. Elle reste discrète sur sa vie privée. Le ton qu’elle utilise est indescriptible. C’est en fait le regard d’un être humain sur la vie qui passe. Et c’est là que tout prend son sens à mesure qu’on avance dans le temps. Quand on traverse notre espace/temps, bonjour l’émotion!
Annie Ernaux nous livre un magistral exercice littéraire qui redéfinie le genre biographique. Les années, c’est l’oeuvre d’une vie dans tous les sens du terme.
Écoute…
Au début de ma lecture, ce roman pour ados de la toute nouvelle série L’orphelinat des âmes perdues n’annonçait rien de vraiment palpitant.
Dans le prologue, on découvre quatre jeunes filles dans un lycée qui sont en fait des fantômes. L’une se rebelle plus que les autres face à l’autorité.
Dans le premier chapitre, on reste dans un univers d’ados similaire. Cette fois-ci, on suit un groupe de jeunes rockers. Le manque de cohésion au sein du groupe crée des conflits. On nous sert tout le cadre habituel qui va avec. Bref, un ramassis de clichés pour adolescents.
Petit à petit, sans qu’on s’en rende compte, on bascule dans une ambiance à la Stephen King et là ça devient intéressant et très prenant.
Rendu à l’épilogue, on comprend mieux le début, quoique je garde certaines réserves. Le lien sera peut-être plus évident au fur et à mesure que la série avancera.
Écoute… plaira sans aucun doute aux adolescents en quête de lecture à sensations.
L’Arbre du voyageur
Je ne sais pas ce qui se passe, mais toutes mes lectures m’enchantent actuellement. Le dernier en lice: L’Arbre du voyageur d’Hitonari Tsuji. À ce propos, vous avais-je déjà vendu les mérites de cet auteur japonais? Ce titre est un bon prétexte pour le faire puisque c’est le meilleur que j’ai pu lire de lui (il faut quand même ajouter que j’avais beaucoup aimé les autres).
L’histoire est somme toute simple. À la mort de ses parents, Yûji, un jeune homme de 19 ans, part à la recherche de son frère aîné qu’il n’a pas revu depuis une dizaine d’année. Sa quête, qui se transforme rapidement en propre quête existentielle, l’amène à Tokyo où il fait la rencontre de personnes ayant eu un lien privilégié avec ce frère manquant.
Oui, une histoire simple, mais très forte. Le personnage de Yûji est attachant et on perçoit finement tout son désarroi et toute sa sensibilité. Il y a de l’âme dans ce roman. Il m’a rappelé, en moins étrange, l’univers de Haruki Murakami. L’Arbre du voyageur serait le parfait croisement entre Kafka sur le rivage et Le Passage de la nuit.
Hitonari Tsuji joue dans la cour des grands auteurs japonais. Outre celui-ci, je vous recommande Tokyo décibels (naïve), Objectif (10/18), En attendant le soleil (Belfond) et son recueil de nouvelles La Promesse du lendemain (Phébus).
Pendant ce temps, je lirai les rares titres en français qui me restent à lire de lui.
On n’est pas là pour disparaître
Ça fait longtemps qu’une lecture ne m’a pas autant rejoint que ce roman d’Olivia Rosenthal On n’est pas là pour disparaître. Quand je tombe sur un livre comme celui-là, j’ai l’impression qu’il a été écrit expressément pour moi tellement il y a tout ce que j’aime dans la littérature. Et c’est pas tous les jours que ça arrive.
D’abord, le sujet qui sous tend toute la trame. Le style dépouillé et retenu de l’auteur. L’intelligence de l’écriture à la fois clinique et sensible.
Le sujet c’est la maladie d’Alzheimer, qui, par extension, devient celui de la disparition par l’oubli. On suit d’abord Monsieur T. qui en est atteint et qui a poignardé sa femme à coups de couteau. Il y a aussi le point de vue de la femme. Cette histoire est entrecoupée de réflexions profondes de l’auteur sur la maladie et sa propre vie qui, elles, sont entrecoupées de courtes observations biographiques de la vie du Docteur Alzheimer. C’est cette alternance de ces trois aspects qui donne toute la force au roman. La structure reproduit, d’une certaine façon, le processus mental de la maladie de A.
C’est totalement réussi. C’est un plaisir complet qui interpelle. J’aurais voulu noter l’entièreté du livre dans un carnet tellement chacune des phrases m’interpelait. Je ne l’ai pas fait. Ce sera préférable que je le relise un jour. Ça aussi c’est pas souvent que je puisse dire une chose pareille!
Bonheurs d’occasion #4
À l’abri de rien, Olivier Adam (de l’Olivier) : dans ce dernier roman Olivier Adam s’intéresse à une femme qui s’investie corps et âme pour aider des réfugiés politiques. Même s’il n’a pas la puissance de Falaises, À l’abri de rien réussit tout de même à toucher et déranger le lecteur. L’effet semble encore plus fort chez le lectorat féminin. Olivier Adam est définitivement une figurante importante de la littérature française actuelle.
L’aventure amoureuse, Jean-François Vézina (L’Homme) : si j’avais un auteur préféré à choisir au rayon de la psychologie populaire, ce serait sans doute Jean-François Vézina. Il aborde la psychologie intelligemment en faisant confiance au lecteur. J’avoue qu’au début de ma lecture de celui-ci, j’ai eu peur car dans L’aventure amoureuse, il cartographie l’amour comme s’il s’agissait d’une contrée, d’une destination. Chaque parcelle de territoire représente l’une ou l’autre des phases amoureuses. Kétaine, direz-vous? Pas du tout. Ça tient la route et ça nous interpelle où que l’on soit dans cette lande amoureuse.
Ton kaki qui t’adore : lettres d’amour en temps de guerre, Denys Lessard (Septentrion) : dans cet irrésistible et charmant petit livre, c’est un amour naissant que l’on découvre. Celui de Janine et Gérard, les parents de l’auteur. C’est une infime partie des lettres qu’ils se sont échangées dans les années quarante qu’on y retrouve. J’ai d’autant plus d’affection pour ce livre car c’est le premier que j’ai travaillé avec les médias dans le cadre de mes nouvelles fonctions. La réception a été bonne et avec raison. À vous maintenant de le découvrir.
Beau rôle, Nicolas Fargues (P.O.L.) : À part que ça belle gueule ne laisse pas les filles de marbre, Nicolas Fargues semble très doué pour l’écriture. Beau rôle m’a complètement séduit. Son personnage d’Antoine (mi-trentaine, chiant, drôle, fragile et lucide) porte un regard aiguisé et parfois acerbe sur ce qu’il vit. On acquiesce autant à sa vision qu’on la déteste. D’ailleurs, c’est ce qui fait que c’est bon. Mais Beau rôle est plus que ça, c’est un tableau social que l’auteur brosse avec beaucoup talent. Dans la même lignée qu’Olivier Adam.
Au pays de mes histoires, Michael Morpurgo (Gallimard jeunesse) : Quel ravissement que ce livre! Je savais que j’aimais Morpurgo, mais là il vient de m’enchanter. Au pays de mes histoires mélange des histoires personnelles en alternance avec des histoires inventées. On comprend mieux son univers, ses inspirations, ses motivations et son importance. C’est aussi une extraordinaire leçon sur la lecture et l’écriture que tous les enseignants du primaire devraient prendre le temps de lire. C’est également une belle introduction à l’œuvre de Morpurgo si vous ne le connaissez pas.
Tout m’accuse
Ce matin, j’ai terminé la lecture du dernier roman de Véronqiue Marcotte Tout m’accuse.
Au début, je n’étais pas certain. On suit plusieurs personnages, les uns en Belgique, les autres à Montréal. Ce chevauchement de l’un à l’autre crée une certaine confusion. C’est voulu ainsi. Plus on avance, plus ça se rétrécit et se précise. On entre à l’intérieur de la vie de ces personnages. On découvre leurs failles et leur vulnérabilité. Ils sont vrais et touchants.
Véronique Marcotte, avec sa plume sensible (à un moment donné, j’ai eu peur qu’elle l’ait perdue), vient nous chercher et réussit à nous émouvoir. C’est là sa plus grande force.
J’ai beaucoup aimé. Selon moi, il fera partie des bons romans québécois de cette année.
Je n’ai pas envie de vous en dire plus pour vous laisser le plaisir de le découvrir.
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Tout m’accuse, Véronique Marcotte (Québec-Amérique)
Les miscellanées littéraires de Monsieur S. #2
Voici encore quelques lectures en vrac:
Eden City : Bienvenue en enfer de N.M. Zimmermann (Milan) : deux ans après sa disparition, Saralyn refait surface à Eden City. Une aura de mystère plane autour de sa présence. Elle est contrainte à travailler pour une organisation. Elle devra se défendre, tuer des créatures et se méfier constamment de tout ce qui l’entoure. L’ambiance n’est pas sans rappeler l’excellent film de Luc Besson Nikita. On est dans un univers de paranoïa avec un soupçon très convainquant d’horreur. C’est excellent. Les ados vont adorer.
Une nuit rêvée pour aller en Chine de David Gilmour (Leméac/Actes sud) : un soir, alors que son fils dort, Roman ne peut résister à l’envie d’aller boire un verre tout près de chez lui. À son retour, son fils a disparu. Le roman tourne autour de cette disparition douloureuse. L’auteur, plutôt que de s’intéresser à l’aspect concret de ce drame, nous plonge dans la dérape psychologique du personnage principal. Si certaines scènes (trop peu nombreuses) sont bouleversantes, l’ensemble relève davantage de la curiosité. Loin d’être inintéressant.
Balade en train assis sur les genoux du dictateur de Stéphane Achille (vlb) : voir mon commentaire (et ceux des autres participantes) sur le site La recrue du mois!
Qu’est-ce qui m’empêche de guérir de Jeannine de La Fontaine (GGC) : lors de mon séjour de quelques années À Sherbrooke, j’ai eu la chance de côtoyer de près Jeannine de La Fontaine. Elle œuvre auprès de personnages atteintes de cancer en travaillant avec eux tout l’aspect émotionnel pour leur permettre de mieux comprendre ce qu’ils vivent. Mieux comprendre et mieux gérer ses émotions mène nécessairement à un mieux être. C’est ce dont ce livre parle et il nous éclaire sur ce que nous sommes réellement. Ce n’est pas de la pensée magique, c’est du gros bon sens qu’on oublie trop souvent.
Le froid modifie la trajectoire des poissons de Pierre Szalowski (HMH) : c’est l’idée du battement d’aile du papillon qui peut créer des cataclysmes à l’autre bout du monde que reprend à sa façon l’auteur qui est également scénariste. Son roman a pour cadre la crise de verglas qu’a connu le Québec en 1998. Plusieurs personnages ayant à la base peu de points en commun finiront par être solidaires les uns des autres. Si le début et la fin sont très solides, on ne peut pas en dire autant du deux tiers du roman. L’action retombe tout le temps et on ne croit pas toujours aux situations que vivent les personnages. Le scénariste aurait dû laisser plus de place au romancier.