Voici un chacun son métier tout à fait personnel.
Le 24 janvier prochain, ce sera ma dernière journée de travail en tant que libraire à la réputée librairie Pantoute.
Le 28, ce sera ma première journée chez Septentrion à titre de Responsable de la promotion. Je continuerai également de codiriger la collection hamac.
C’est une belle grosse bouffée d’air frais (légèrement angoissante) dans ma vie. J’en avais besoin. Je suis prêt à faire le saut même si je renonce à un métier que j’affectionnais particulièrement.
Qu’à cela ne tienne, le monde de l’édition m’ouvre ses portes grâce à Septentrion et je compte bien m’y tailler une belle place. En attendant, j’ai quelques croûtes à manger et toute la motivation de la terre pour y arriver.
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Leçon de base en quatre étapes
Au fil des années, la période des fêtes capitaliste a vu poindre le phénomène des listes de Noël qui viennent enlever toute créativité et spontanéité à la course folle aux cadeaux. On retrouve de tout sur ces fameuses listes et surtout beaucoup de choses introuvables, au grand dam de celui qui l’a entre les mains.
Évidemment, on retrouve des suggestions de livres datant de Mathusalem ou difficilement trouvables en librairie. On a beau le dire au client, ce dernier s’entête à vouloir offrir les titres qu’on a mis sur la liste. À moins de deux semaines avant Noël, l’entêtement continue. En librairie, on a rarement autant de demandes incongrues qu’en cette période de réjouissance qui ne l’est pas toujours. La clientèle, de plus en plus Adulte-Roi, ne semble pas comprendre les contraintes auxquelles on doit faire face pour recevoir un livre à temps pour Noël.
Voici une leçon de base en quatre étapes pour démystifier notre réalité.
1. Même les bonnes libraires généralistes ne peuvent tout avoir en magasin. Elles ne sont pas munies d’un énorme entrepôt dans lequel on retrouverait tous les titres en quantité industrielle. On laisse ça au Père Noël.
2. Si nous ne l’avons pas en magasin, reste la commande spéciale. S’il est disponible chez le distributeur, il faut prévoir un bon 7-10 jours de délai (il peut arriver avant mais ce n’est pas garanti). Ce délai peut paraître long, mais, au risque de vous décevoir, votre commande n’est pas envoyée directement chez le distributeur au moment même où on la prend. Elle peut se faire le lendemain ou le surlendemain et elle doit être traitée chez le fournisseur avant qu’elle nous parvienne, la plupart du temps, de Montréal. Non, vous ne pouvez pas l’acheter directement du distributeur. Non, vous ne pouvez pas la recevoir par Puro. Du cas par cas serait trop lourd à gérer.
3. Les livres demandés ne sont pas nécessairement disponibles chez le distributeur. Dans le jargon du métier, il y a plusieurs appellations : manquant, épuisé ou en réimpression. Manquant signifie que le distributeur n’en a plus en stock momentanément et qu’il attend sa commande de l’éditeur. Le délai : 4-6 semaines. Épuisé signifie que le livre n’est plus édité, donc impossible de le commander. Un statut de réimpression signifie que l’éditeur projette de le rééditer éventuellement mais on ne sait pas quand.
4. Certains éditeurs européens ne sont pas distribués au Canada. Il faut que la librairie offre le service de commandes européennes. Délai : plusieurs mois.
Voilà autant de contraintes qui fait que le livre convoité ait de fortes de chances de ne pas arriver à temps pour Noël. Nous servir l’argument que le livre existe et qu’il vous le faut absolument pour le 24 décembre ne sert à rien. Peu importe l’Adulte-Roi qui se trouve devant nous, dans notre monde réel, la magie n’existe pas.
Conseil de votre libraire : prévoyez donc un plan B!
Incroyable mais vrai
Si les voies de Dieu sont impénétrables, le comportement des clients est imprévisible et ne cessera porbablement jamais de me surprendre.
Aujourd’hui, je réponds à un appel. La demande est confuse. Je fais répéter. La dame me demande le côté bibliothèque. Je lui rappelle qu’elle a téléphoné à une librairie. Elle croit que je peux quand même l’aider. Je fronce les sourcils. Elle se lance. Elle voudrait parler à quelqu’un qui aurait lu un livre pour avoir son avis. De quel livre parle-t-on? Toujours dans la confusion la plus totale, elle me demande si quelqu’un serait en mesure de l’aider. Diplomate, je lui dis que je ne saisis pas exactement ce qu’elle veut. Je rajoute, par prudence et pour préparer le terrain, qu’elle n’est peut-être pas au bon endroit pour avoir une réponse à ses questions. Elle veut savoir si un libraire a lu La théorie de la relativité. Curieux, je lui demande pourquoi. Elle me dit qu’elle est en train de le lire et qu’elle bloque sur certains concepts. Elle a pensé faire appel à quelqu’un qui l’aurait lu pour l’aider dans sa lecture!!!!
Je mets un terme à ce mini cauchemar en lui disant poliment qu’elle était effectivement au mauvais endroit pour une telle requête. Avant que nous raccrochions chacun de notre côté, un malaise était palpable.
Ce genre d’épisode me décourage. Qu’est-ce qui se passe dans la tête des gens? On est libraire pas des encyclopédies vivantes du livre à qui on peut poser n’importe quelle question.
Je dois vous avouer que ce n’est pas juste dans la tête qui se passe de drôles de choses. Dernièrement, j’ai remarqué que de plus en plus de clients pétaient librement dans la librairie sans gêne et sans complexe. Encore ce soir, juste à côté de moi, une dame s’est laissée aller bruyamment à deux reprises et elle a continué à bouquiner comme si de rien n’était. Le client qui se trouvait tout près d’elle m’a regardé l’air de se demander s’il venait bien de vivre ça.
Malheureusement, ce n’est pas un cas isolé. C’est quoi cette attitude? La liberté d’expression à outrance?
Pour terminer sur une note plus positive, quoique surprenante, depuis une semaine, pas moins de trois clients m’ont serré la main après les avoir servis! Je crois que ça ne m’était jamais arrivé avant. Est-ce une nouvelle tendance liée au fameux Secret? Soyez ultra poli pour créer des liens indéfectibles et vous deviendrez riche rapidement…
L’être humain est définitivement surprenant.
C’est le temps des vacances
Première journée de vacances. Aujourd’hui, direction Chicoutimi pour plusieurs jours. Ce soir, je me promets de boire une bonne Brahma avec mon amie Chantal sur le bord de la piscine creusée de notre hotesse. J’apporte avec moi « Une situation légèrement délicate » de Mark Haddon (que je n’ai toujours pas terminé) et la seconde aventure de Molly Moon dans lequel elle arête le temps. C’est peut-être ce qu’il me faudrait en ce moment pour retrouver mes longues plages de lecture.
À bien y penser, je n’en ai pas très envie. Pour le moment, je préfère profiter de la vie autrement.
David contre Goliath #2
À trop vouloir vaincre on finit par périr, c’est bien connu. Depuis hier, nous en avons une belle démonstration là où je travaille et c’est directement en lien avec la sortie du dernier tome d’Harry Potter en anglais.
Le géant d’en face annonce fièrement un prix dérisoire dans la vitrine de son magasin: 24.97 (au lieu de 45.00). Nous, n’ayant pas les moyens de descendre aussi bas et refusant surtout d’embarquer dans cette surenchère ridicule du prix le moins élevé, affichons discrètement notre 34.95 à l’intérieur de la librairie, ce qui n’est pas si mal. Si Goliaht raffle toute la mise, les invendus retourneront simplement chez le distributeur.
Cependant, Goliath, trop sûr de lui, n’avait pas prévu la tournure que pouvait prendre le combat. Il manque rapidement de stock dès la première journée de vente. Les fans avides de connaître les aventures du célèbre sorcier n’ont qu’à traverser la rue pour se le procurer. Ils sont tellement heureux de le trouver qu’ils ne rechignent en rien sur le prix demandé. David continue de fournir à la demande et pourra le faire encore plusieurs jours sans se saigner à blanc.
Pendant ce temps, Goliath affiche toujours aussi fièrement son prix imbattable.
Petite ritournelle
Il n’est vraiment pas rare d’entendre des gens prononcer cette phrase pendant qu’ils font le tour de la librairie:
J’ai de la misère à entrer dans une librairie sans m’acheter de livres!
Ce n’est jamais fait discrètement, il va sans dire. Ces gens-là ont besoin d’être entendu et veulent surtout impressionner les personnes qui les accompagnent.
C’est à peu près tout ce qu’ils font. Jamais je ne les vois acheter un seul livre.
De belles rencontres #2
Mon métier de libraire m’a encore permis de faire une autre belle rencontre en la personne de Monsieur Antoine Boussin, directeur commercial de chez Grasset. En fait, je le connaissais déjà un peu pour l’avoir vu à quelques reprises à la librairie ou au salon du livre, mais c’est la toute première fois que j’avais la chance de dîner en sa compagnie.
Je n’étais pas le seul chanceux car une quinzaine de libraires privilégiés ont été conviés au réputé restaurant Le Saint-Amour* pour la présentation de la rentrée automnale de la prestigieuse maison d’édition que Monsieur Boussin dirige depuis sept ans.
De la dizaine de titres présentés, deux ont particulièrement retenus mon attention : Un effondrement de Ghislaine Dunant et L’année de la pensée magique de Joan Didion. Le premier traite de la dépression et le second du deuil. Sujets légers comme je les aime.
Ce que l’on retiendra de cette rencontre, outre le fait d’avoir envie de lire tous ces livres, c’est le plaisir communicatif d’Antoine Boussin. Doté d’un charisme fou, il séduit tout le monde par sa passion débordante, sa verve colorée, son sens de l’humour subtil, son esprit vif, sa joie de vivre évidente et par son côté humain qui vient lier tout le reste. Bref, un homme de très agréable compagnie qu’on voudrait pouvoir côtoyer plus souvent.
Comme il aime de plus en plus le Québec, on peut espérer le voir au moins une fois par année. Avec mon inimitable imitation du chant de gorge, vous pouvez être certains qu’il reviendra peut-être plus tôt que prévu! Mes consœurs de chez Clément-Morin et de chez Vaugeois pourraient d’ailleurs vous le confirmer.
D’ici là, avec ses Donner, Labrune, Boyle, Châteaureynaud, Dantzig, Dupont-Monod, Didion, Dunant et Slouka, il y a de quoi occuper notre automne!
*l’élégance d’asperges et les pétoncles de la Gaspésie étaient un pur délice
Chacun son métier #7
Lorsqu’on travaille en librairie, on a l’habitude de se faire poser toutes sortes de questions. On a aussi souvent l’impression que les plus saugrenues sont derrière nous. Détrompons-nous car l’être humain est toujours plus surprenant qu’on le pense, j’en ai encore eu la preuve cet après-midi.
Le téléphone sonne. je réponds et le type me demande s’il peut nous envoyer son manuscrit. Ne sachant si j »avais bien entendu sa requête, je laisse un bon cinq secondes de silence avant de lui dire qu’il appelle dans une librairie. Non seulement c’était bien là son intention, il en rajoute en me demandant si nous pouvions évaluer son manuscrit!
Raccrocher, rire ou répondre sérieusement?
Je reste poli et je lui fais comprendre que ce n’est pas vraiment le rôle d’une librairie que d’évaluer des manuscrits. Je vais même jusqu’à lui proposer de le guider dans sa démarche en lui posant quelques questions sur le manuscrit en question. Je le surestimais. Il a été incapable de me dire si c’était un roman. Il a baragouiné les mots nouvelle et journal et je ne sais plus trop quoi et m’a remercié maladroitement avant de raccrocher.
Je ne sais ce qui m’a pris de ne pas lui proposer de me l’envoyer. Hamac vient peut-être de passer à côté d’un grand… heu… voyons.. heu…
Chacun son métier #5
Depuis quelques années, le nombre de publications à compte d’auteur ne cesse d’augmenter au Québec. Ce phénomène est devenu un irritant pour les librairies. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un de ces auteurs ne nous sollicite afin que nous gardions son livre en consignation. En nous abordant, ils ont souvent une attitude prétentieuse envers le milieu du livre et ne se gênent pas pour dénigrer le travail des maisons d’éditions reconnues et bien établies. Si on ne répond pas positivement à leurs attentes, certains deviennent agressifs pendant que d’autres se mettent à jouer les souffre-douleur comme s’il fallait encourager à tout prix leur grande aventure dans le monde de l’édition.
Si, à la base, l’édition à compte d’auteur servait à publier un livre pour les proches de l’auteur sans devoir passer par le réseau des librairies, aujourd’hui ceux qui décident de se publier eux-mêmes prétendent au statut d’écrivain et espèrent une reconnaissance au même titre que les autres. Cette démarche est louable en soi, mais le marché actuel m’apparaît déjà suffisamment saturé sans qu’on en rajoute par la bande.
Il ne faut pas se leurrer, à part une exception de temps et à autre (un livre sur un sujet spécialisé par exemple), la plupart de ces titres n’auraient jamais dû voir le jour*. Il est bien évident que beaucoup de ces livres ont d’abord été refusé par les éditeurs qui ont probablement eu raison de le faire. Vexés dans leur orgueil de création, ces apprentis auteurs auraient intérêts à remettre leur ouvrage vingt fois sur le métier pour parfaire leur art plutôt que de faire paraître une œuvre inaboutie.
Cette croissance sans cesse grandissante de livres publiés à compte d’auteur n’est pas étonnante puisque les moyens technologiques d’aujourd’hui rendent accessibles une telle entreprise. Cette facilité nous fait malheureusement croire que tout peut être publié. Écrire est un art qui ne doit pas être pris à la légère. Plusieurs semblent l’avoir oublié.
Personnellement, je commence à en avoir marre de tous ces gens qui se publient sans rien connaître au monde de l’édition. À temps perdu à la librairie, je m’amuse à feuilleter toutes ces merveilles qui ne demandent qu’à être découvertes. Lire le premier paragraphe est toujours la première chose que je fais. La plupart du temps, je le réécrirais au complet tellement la syntaxe est mauvaise. Parfois, je n’ai même pas à me rendre aussi loin lorsque je vois une faute en exergue, sur la quatrième de couverture ou dans le titre (ça arrive!). Je ne parle pas de la page couverture souvent affreuse et de la mise en page déficiente. Bref, un concentré de mauvais goût qui en dit long sur le reste.
*je ne parle pas des maisons d’éditions émergentes qui ont une réelle démarche d’éditeur.
Salon du livre de Québec (suite et fin)
Le Salon du livre de Québec a pris fin hier après cinq jours d’effervescence ininterrompus. Malgré une fatigue due à mes soixante-dix heures de travail, j’aurais presque souhaité que ça continue tellement je me suis senti bien à cet endroit-là, à ce moment-là.
Il n’y a rien à faire, j’adore le Salon du livre de Québec. À mon avis, c’est le plus beau des salons du livre au Québec. Contrairement à celui de Montréal, devenu une foire du livre étouffante, celui de Québec reste à échelle humaine et le très beau Centre des congrès en fait un endroit propice à la convivialité. Pas étonnant qu’il en résulte de belles et agréables rencontres d’une année à l’autre.
Je ne sais pas ce qui s’est passé cette année, mais tous les éléments étaient réunis pour faire de cette 49ième édition un succès incomparable et un événement mémorable. Le public a répondu à l’appel en venant très nombreux. Le Salon était continuellement bondé. Je n’avais jamais vu ça. Même si on ne savait pas toujours où se mettre et même si on accrochait quelqu’un dès qu’on faisait un petit mouvement, la foule ne s’est pas avérée être un irritant pour personne. Les gens étaient de bonne humeur, compréhensifs, courtois et patients. Chacun semblait avoir laissé ses frustrations et son agressivité de côté avant d’entrer. C’est peut-être ça, au fond, les vertus de la lecture?
Tout le monde avait l’air heureux d’être là. Moi le premier. Les rencontres espérées ont eu lieu. Un feu roulant d’échanges intéressants constamment interrompus par d’autres aussi intéressants. Même s’ils sont pour la plupart furtifs, ils sont tous vrais à leur façon. C’est comme si pendant cinq jours, le monde du livre prenait le temps de s’informer de l’autre. Une fois par année, j’en ai besoin. Ça me grise, ça me fait sentir vivant. Cette année encore plus que les autres années. J’ai mon élan pour les prochaines semaines, les prochains mois.
Un gros merci à tous ceux avec qui j’ai pu entrer en contact durant ce salon. Vous êtes trop nombreux pour que je vous nomme un à un, mais sachez que vous contribuez à faire en sorte que je puisse continuer de croire en l’espèce humaine.