Le milieu du livre au Québec s’est déjà mieux porté. Est-il en crise réelle ou simplement en mutation ? L’un force l’autre d’après moi et il faudra s’ajuster en conséquence. Il y aura des perdants et des gagnants, c’est la loi du marché. Actuellement, ma grande crainte est de voir disparaître les bons éditeurs au profit de l’édition commerciale. Ce serait dommage pour les vrais amateurs de livres.
Si l’édition commerciale a tant pris de place au cours des dernières années, c’est parce qu’on a voulu démocratiser le livre en le rendant accessible au plus grand nombre. On l’a d’abord sorti des librairies et on en a disséminé un peu partout pour être bien certain que Monsieur et Madame Toutlemonde ne puissent avoir aucune raison de ne pas en acheter en faisant leur épicerie, en magasinant leurs vêtements et en allant chercher leur prescription à la pharmacie. Non seulement on a mis le livre sur leur route sans leur montrer la bonne, celle qui mène aux librairies, on les a appâtés en leur offrant « des bas prix de tous les jours » auxquels ils n’ont pu résister. Comme la stratégie a bien fonctionné, on a commencé à façonner de l’édition grand public en publiant n’importe quoi en autant que ça vende.
On a aussitôt vu le marché inondé de sous produits ressemblant pourtant à des livres. Ils en ont la forme et l’apparence, mais n’en ont pas la qualité, du moins celle digne des bons éditeurs soucieux d’offrir un contenu de qualité aux lecteurs. La recette est fort simple : on surfe sur les idées à la mode autant dans le roman que dans le livre pratique, on imprime en Chine et on les destine aux grandes surfaces. Le but n’est que de vendre pour vendre. Comme ce sont, en apparence, des livres, ces sous produits se retrouvent également dans les libraires aussi indépendantes soient-elles, ce qui laisse de moins en moins de place sur les tablettes pour l’édition de qualité.
C’est dommage qu’au Québec le livre soit devenu une course à l’argent dans un domaine où il n’y en a pas tant que ça à faire. On a saturé le marché et on est en train de dénaturer la fonction première du livre en publiant de la cochonnerie à tour de bras. À long terme, ça me fait peur. J’ai peur que les vrais lecteurs qui cherchent à lire des livres intelligents et bien édités n’aient plus rien pour satisfaire leur esprit avide de connaissances et de belles rencontres littéraires. J’ai peur que ces mêmes lecteurs désertent de plus en plus les librairies à force d’avoir l’impression de ne plus y trouver leur compte.
Démocratiser le livre est peut-être une bonne chose en soi, mais le prix à payer est probablement trop élevé. J’aimerais qu’on le ramène à sa place, dans les librairies et qu’il retrouve ses qualités et surtout le lectorat qu’il mérite.
Mon discours est élitiste et je l’assume entièrement.
Prochain billet : la « glamourisation » du livre
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Chacun son métier #9
C’est l’excellent article de Pierre Foglia intitulé Costco qui me fait sortir de mon mutisme car c’est la première personne influente au niveau médiatique qui ose un peu sonner l’alarme de la crise qui sévit actuellement dans le monde du livre québécois. De l’auteur au client, la chaîne s’est considérablement fragilisée depuis quelques années. Tout le monde a l’air de s’en foutre. Pas moi. Ça me préoccupe depuis quelques années et ce que j’observe actuellement est loin de me réjouir. Ce que je craignais semble vouloir se produire.
La lecture de l’article de Foglia m’a fait me rendre compte que c’est une sorte de rage que je ressens au fond de moi. Une rage que je ne peux plus contenir. J’ai besoin de faire partie de ceux qui sonnent l’alarme et je crois qu’elle doit venir des artisans du milieu du livre. Ça commence peut-être par démystifier notre univers en donnant l’heure juste aux lecteurs.
Pour mettre la table, voici en vrac quelques données. Les succès d’éditions ne courent pas les rues et les éditeurs ne roulent pas sur l’or. Est-ce que le grand public sait que les ventes moyennes, pour la plupart des titres publiés ici, dépassent à peine les 500 exemplaires ? Ce même public sait-il que l’éditeur ne rentre pas dans ses frais tant qu’il n’a pas vendu le premier tirage d’un livre ? Sait-il aussi que les librairies ne font que 40% de profits sur la plupart des titres vendus, 30% sur les livres spécialisés, 10% sur le scolaire et 20% sur les revues ? Si on enlève tous les frais pour faire fonctionner une librairie, il reste à peu près 35% de remise. En comparaison, les boutiques de vêtements font du 2, 3 ou 400% de profits sur la marchandise (vous devinez bien que c’est le Chinois ou le Pakistanais qui payent la note au bout du compte !).
Commence-t-on à comprendre pourquoi la plupart des librairies ne peuvent pas rivaliser avec la coupe de prix qu’on retrouve chez Costco, Amazon, Archambault et certains autres joueurs ?
Quand j’ai commencé à travailler en librairie en 1989, le livre n’était pas encore devenu un objet commercial. Les coupes de prix comme on les connaît aujourd’hui n’existait pas et on n’entendait jamais un client dire que le livre au prix régulier était cher. Tous les libraires bénéficiaient de la part du gâteau généré par les « best seller ». Si vous ne le saviez pas, ce sont ces « best seller » qui ont toujours permis aux librairies de survivre et surtout d’offrir un fonds digne de ce nom. Tenir un bon fonds dans une librairie est ce qui coûte le plus cher. Moins de ventes = moins de fonds. Moins de fonds = moins de choix. Équation simple.
La commercialisation capitaliste du livre est la pire chose qui pouvait lui arriver et, 20 ans plus tard, on en paye le prix. Les premiers à tomber au combat, ce sont les librairies indépendantes. On en parle depuis longtemps, mais l’hécatombe commence. Boule de neige et Librairie Blais viennent de tomber au combat. Les éditeurs ensuite. Fides est en train d’agoniser, vous le saviez ça aussi ? Ça fait plus que m’attrister, ça me serre le cœur. J’ai peur de ce qui s’en vient. S’il n’y a que de gros points de vente commerciaux, quel choix restera-t-il aux consommateurs ? De la littérature dite populaire uniquement qu’on achètera à l’épicerie ?!
Je vous dis ça aussi comme ça, mais le monde du livre ça fait travailler pas mal de monde. Je suis un de ceux-là.
Je veux être alarmiste : c’est ce qui nous attend si on continue d’acheter des livres au « bas prix de tous les jours ». En même temps, je me dis que si c’est ce que les gens veulent…
Je vous dis ça aussi comme ça, mais le monde du livre ça fait travailler pas mal de monde. Je suis un de ceux-là.
Savez-vous que dans certaines grandes surfaces, comme on le fait pour la nourriture dans les supermarchés, il est possible de payer pour que nos livres soient bien en évidence sur les tablettes ? Qui paye ? L’éditeur. Pensez-vous que tous les éditeurs ont les moyens de le faire ? Savez-vous aussi que ce sont les éditeurs qui payent pour avoir un ou plusieurs titres dans les catalogues de Noël des librairies qu’elles soient indépendantes ou pas ? En moyenne, il en coûte plus de 500 dollars pour avoir un titre gros comme un timbre de poste sur une circulaire. Pensez-vous que tous les éditeurs en ont les moyens ?
Pensez-vous, grand public, que vous économisez vraiment 10 dollars sur le dernier Michel David quand vous l’acheter au Costco ? Combien vous coûte votre panier à la sortie ? En moyenne, probablement près de 300 dollars. Je le sais, j’y suis déjà allé quelques fois au tout début. Tout comme vous, les prix m’excitaient. Je n’avais besoin d’à peu près rien et je ressortais avec une facture frôlant les 200 dollars, budget que je n’avais même pas. On appelle ça du capitalisme à l’américaine. On nous donne l’impression d’économiser pour mieux nous faire dépenser. Le pire, c’est que ça marche avec la plupart des gens. Ça me pue au nez cette façon d’acheter très petit-bourgeois. Après, les gens se plaignent que c’est trop cher. Moi je dis que ce n’est pas encore trop cher. J’ai hâte qu’on paye les choses à leur juste valeur.
Avant de vous laisser, je vous recommande la lecture du livre de Laure Waridel Acheter, c’est voter. Nos choix de consommation sont politiques. Il faut en être conscient. Si on continue de s’en foutre, tant pis. Par contre, après, il sera trop tard pour chialer et revenir en arrière.
Chacun son métier #8
De nos jours, beaucoup de gens écrivent et rêvent d’être publiés. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi (il y a pire motivation dans la vie), mais très peu y arriveront. Je ne crois pas que ce soit dramatique. Combien ont rêvé d’être astronautes et combien y sont parvenus ?
Depuis deux ans, depuis que je travaille chez Septentrion, j’ai vu beaucoup de manuscrits défilés sous mes yeux. Plus que mes collègues car je suis la porte d’entrée et de sortie des manuscrits. C’est également à moi qu’on remet les rapports de lecture. Sur le lot, j’en ai également lus plusieurs.
Je vous dirais que, dans l’ensemble, les manuscrits que nous recevons sont d’assez bonne qualité. C’est bien écrit. L’orthographe et la syntaxe se tiennent. Souvent, si on prend le volet essentiellement littéraire, l’histoire n’est pas si mal et c’est raconté correctement. Pourtant, la plupart de ces créations sont refusées.
Il est où le problème vous me direz ? Le problème principal c’est que nous n’évaluons pas des travaux scolaires. Pour qu’une oeuvre littéraire soit publiée, ça prend plus qu’une structure correcte. Ça presque tout le monde peut le faire.
Qu’est-ce que ça prend alors me demanderez-vous ? Ça, c’est plus subtil. Pour mieux y répondre, je prendrai deux exemples concrets en dehors de la littérature qui illustrent bien, je crois, le propos : Silence de Fred Pellerin et J’ai tué ma mère de Xavier Dolan.
Ces deux oeuvres ne sont pas parfaites, mais elles sont vraies. Fred Pellerin n’est pas un grand chanteur. Pourtant, toutes les interprétations qu’il fait sur son album sont justes, poignantes et personnelles. Il a su se les approprier en y mettant ses tripes. On ne peut pas faire autrement que de ressentir quelque chose en les écoutant. Xavier Dolan a fait la même chose avec son scénario et ensuite son film. La base de son scénario n’est pas nécessairement originale, mais par contre la voix l’est. Il y a des défauts dans ce film, mais le cri du coeur est fort et on le reçoit en pleine face. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, J’ai tué ma mère demeure une oeuvre personnelle et authentique.
Il y a de l’âme dans l’une et l’autre. Elle peut prendre diverses formes, mais il en faut pour transcender le côté technique d’un texte. Il n’y a pas vraiment de cours pour apprendre ça.
Chacun son métier #7
Voici un chacun son métier tout à fait personnel.
Le 24 janvier prochain, ce sera ma dernière journée de travail en tant que libraire à la réputée librairie Pantoute.
Le 28, ce sera ma première journée chez Septentrion à titre de Responsable de la promotion. Je continuerai également de codiriger la collection hamac.
C’est une belle grosse bouffée d’air frais (légèrement angoissante) dans ma vie. J’en avais besoin. Je suis prêt à faire le saut même si je renonce à un métier que j’affectionnais particulièrement.
Qu’à cela ne tienne, le monde de l’édition m’ouvre ses portes grâce à Septentrion et je compte bien m’y tailler une belle place. En attendant, j’ai quelques croûtes à manger et toute la motivation de la terre pour y arriver.
Chacun son métier #6
Je ne sais pas quelle malédiction entoure le genre littéraire qu’est l’autofiction, mais j’en ai marre qu’on le dénigre sans cesse au Québec comme s’il s’agissait d’une tare que d’en être amateur. C’est pire dans mon cas car je me suis amusé à cet exercice (pas facile du tout) en écrivant Cher Émile.
À entendre parler les gens, l’autofiction ne devrait même pas être considérée comme étant de la littérature. On accuse, à tord bien entendu, les auteurs qui s’y adonnent d’être des égocentriques exhibitionnistes ne cherchant qu’à étaler leur vie privée sur la place publique. Ces gens-là sont incapables de faire la distinction entre un réel travail d’écriture et le simple récit de vie autobiographique. C’est navrant!
C’est qui encore plus navrant c’est le fait que la plupart des détracteurs de l’autofiction n’en ont réellement jamais lus. Annie Ernaux, Camille Laurens, Hervé Guibert et Nelly Arcan, entre autre, ont signé des romans marquants de la littérature contemporaine. Ils sont tous parvenus à transcender le réel pour en faire des oeuvres à part entière comme le font la plupart des auteurs depuis toujours.
Hélas, tous n’ont pas leur talent! J’avoue que l’autofiction a donné de mauvais romans. La littérature conventionnelle aussi.
Il fallait entendre l’auteur Pierre Gagnon la semaine dernière à Christiane Charrette se défendre (maladroitement) d’utiliser son vécu pour écrire ses romans. On dirait qu’on venait de l’accuser du pire des crimes. C’est quand même drôle que 5-FU et C’est la faute à Bono traitent tous les deux du cancer alors qu’il en a été atteint!
Quel mal y a-t-il à ce qu’un auteur se serve de sa propre personne comme principal matériau d’écriture? C’est peut-être un excellent moyen de rejoindre les autres, non! C’est peut-être cet effet miroir qui fait tant peur aux détracteurs? C’est peut-être symptomatique d’un Québec qui a toujours vu d’un mauvais oeil le fait d’exprimer librement ses sentiments!
Je ne saurais répondre clairement à ces questions, mais une chose est certaine, l’autofiction dérange.
Chacun son métier # 5.1
Dans ma dernière rubrique sur les comptes d’auteurs, Jules, avec ses questions toujours aussi pertinentes me demandait ceci : Si tu n’avais pas eu l’opportunité d’être publié par une maison d’éditions, aurais-tu tenté de faire comme eux?
Je dois répondre non en y apportant certaines nuances.
Si j’ai déjà réfléchi à l’idée de publier à compte d’auteur c’est en grande partie à cause de mon entourage. De manuscrits en manuscrits refusés, face à mon découragement de toujours devoir recommencer, mes proches soulevaient souvent cette possibilité. Ma réflexion n’allait jamais très loin en ce sens puisque j’ai toujours partagé les préjugés (un peu fondés) relatifs au compte d’auteur. Pour ma satisfaction personnelle, je n’aurais pas été fier de me publier pour atteindre le but que je m’étais fixé en tant qu’écrivain. Être publié par une maison d’édition reconnue viendrait souligner et légitimer, d’une certaine façon, la qualité de mon travail d’écriture.
J’ai donc persévéré.
Mon premier roman à voir le jour (Martel en tête) était le quatrième manuscrit que je faisais parvenir aux éditeurs. En fait, on pourrait même dire le cinquième puisque la version publiée par les Intouchables était une réécriture complète de la première. Mon rêve se réalisait après près de dix ans de dur labeur.
Tous ces refus essuyés pendant toutes ces années m’ont été nécessaires et salutaires. Ils m’ont permis de façonner mon écriture, de mieux me positionner face au milieu de l’édition et surtout de me dépasser. Avec le recul, je dois également avoué que les éditeurs ont eu raison de refuser mes premiers manuscrits. Ils n’étaient tout simplement pas aboutis. Grâce à tout ça, je possède maintenant une réelle démarche d’écriture.
C’est de cette façon qu’il faut voir les refus. Il faut mettre son orgueil et son égo de côté au profit d’une certaine humilité, essayer de comprendre pourquoi, recommencer et persévérer. Ce n’est pas parce qu’on parvient à achever un projet de roman qu’il est nécessairement publiable. Il faut savoir le reconnaître. Il est trop facile de jouer les incompris, de crier à l’injustice en disant que tous les éditeurs font du favoritisme en ne publiant que les auteurs faisant partie de leur petite clique et toutes ces foutaises pour ne pas voir la vérité en pleine face.
En conclusion, je dirais que le compte d’auteur peut être une solution, mais il faut faire attention car elle n’est peut-être pas la meilleure à long terme.
Chacun son métier #5
Depuis quelques années, le nombre de publications à compte d’auteur ne cesse d’augmenter au Québec. Ce phénomène est devenu un irritant pour les librairies. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un de ces auteurs ne nous sollicite afin que nous gardions son livre en consignation. En nous abordant, ils ont souvent une attitude prétentieuse envers le milieu du livre et ne se gênent pas pour dénigrer le travail des maisons d’éditions reconnues et bien établies. Si on ne répond pas positivement à leurs attentes, certains deviennent agressifs pendant que d’autres se mettent à jouer les souffre-douleur comme s’il fallait encourager à tout prix leur grande aventure dans le monde de l’édition.
Si, à la base, l’édition à compte d’auteur servait à publier un livre pour les proches de l’auteur sans devoir passer par le réseau des librairies, aujourd’hui ceux qui décident de se publier eux-mêmes prétendent au statut d’écrivain et espèrent une reconnaissance au même titre que les autres. Cette démarche est louable en soi, mais le marché actuel m’apparaît déjà suffisamment saturé sans qu’on en rajoute par la bande.
Il ne faut pas se leurrer, à part une exception de temps et à autre (un livre sur un sujet spécialisé par exemple), la plupart de ces titres n’auraient jamais dû voir le jour*. Il est bien évident que beaucoup de ces livres ont d’abord été refusé par les éditeurs qui ont probablement eu raison de le faire. Vexés dans leur orgueil de création, ces apprentis auteurs auraient intérêts à remettre leur ouvrage vingt fois sur le métier pour parfaire leur art plutôt que de faire paraître une œuvre inaboutie.
Cette croissance sans cesse grandissante de livres publiés à compte d’auteur n’est pas étonnante puisque les moyens technologiques d’aujourd’hui rendent accessibles une telle entreprise. Cette facilité nous fait malheureusement croire que tout peut être publié. Écrire est un art qui ne doit pas être pris à la légère. Plusieurs semblent l’avoir oublié.
Personnellement, je commence à en avoir marre de tous ces gens qui se publient sans rien connaître au monde de l’édition. À temps perdu à la librairie, je m’amuse à feuilleter toutes ces merveilles qui ne demandent qu’à être découvertes. Lire le premier paragraphe est toujours la première chose que je fais. La plupart du temps, je le réécrirais au complet tellement la syntaxe est mauvaise. Parfois, je n’ai même pas à me rendre aussi loin lorsque je vois une faute en exergue, sur la quatrième de couverture ou dans le titre (ça arrive!). Je ne parle pas de la page couverture souvent affreuse et de la mise en page déficiente. Bref, un concentré de mauvais goût qui en dit long sur le reste.
*je ne parle pas des maisons d’éditions émergentes qui ont une réelle démarche d’éditeur.
Chacun son métier #4
Marie-Pier Côté a finalement avoué à ses parents mardi soir avoir copié l’oeuvre du français Frédéric Jeorge en publiant son roman Laura l’immortelle.
Par ailleurs, bien que l’éditeur du livre, Michel Brûlé, dise être une victime dans cette histoire, il n’en demeure pas moins que l’Association nationale des éditeurs a fait savoir qu’il y a eu un manque de vigilance dans ce cas précis.
Selon la vice-présidente de l’ANEL, l’éditeur aurait dû s’interroger en constatant une oeuvre presque parfaite.
Je ne devrais peut-être pas, mais je me réjouis presque de cette nouvelle.
Quand j’ai vu Laura l’immortelle arrivé en librairie et que j’ai constaté que Marie-Pier Côté n’avait que 12 ans, j’étais sceptique et surtout conscient que l’éditeur voulait profiter de la vague Alexandra Larochelle pour faire, espérait-il, un coup d’argent. Mal lui en prit, on dirait bien.
Cette jeune fille, quant à elle, rêvait probablement de devenir une vedette. Ne connaissant pas les règles de l’édition et aveuglée par son rêve, elle a naïvement plagié le travail d’un autre sans en mesurer les conséquences. Si la télé-réalité permet de devenir une super star en quelques semaines sans avoir aucun talent, il en est tout autrement si on veut devenir un écrivain. Je crois bien qu’elle vient de l’apprendre à ses dépends!
À son âge, je rêvais aussi de devenir écrivain. C’est le premier métier que j’ai voulu faire. Je n’ai pas brûlé (excusez le jeu de mot, il s’est imposé) d’étapes. J’ai vécu ma vie d’enfant et une fois devenu grand, je n’ai pas cessé d’écrire et de réécrire mes textes. Aujourd’hui, je ne suis pas une super vedette littéraire, mais j’ai deux romans à mon actif et plusieurs projets en chantier. Je suis très content de la vie que je mène.
Cette histoire est une belle leçon d’humilité pour l’éditeur et une très grande leçon de vie pour cette fillette qui devra maintenant rêver autrement.
Chacun son métier #3
Dans mon billet intitulé L’obscénité des émotions, je mettais en parallèle quelques extraits de critiques pour simplement illustrer mon propos. Loin de moi l’idée de critiquer leur travail. À mon grand étonnement, s’est alors ouvert un débat sur le rôle du critique. Certains voulaient connaître ma position sur le sujet.
La voici donc.
Qu’on soit d’accord ou non avec leurs opinions, qu’ils pètent leur coche à l’occasion, qu’ils dérapent ou se perdent dans leur propos, qui’ils encensent éperdument une oeuvre qui ne le mérite pas, je trouve nécessaire le rôle des critiques. C’est un métier ingrat qui mérite notre respect. Plus souvent qu’autrement, on leur fait jouer le mauvais rôle. On les aime seulement lorsque leur critique est positive et qu’elle fait l’affaire de tout le monde. Par contre, on n’irait jamais jusqu’à leur donner le crédit pour un succès qui résulteraient de nombreuses critiques dithyrambiques. On prend plaisir à les détester et à dénigrer leurs propos quand ils osent parler en mal de quelque chose. Si c’est un bide et que le public ne répond pas à l’appel, là c’est nécessairement de la faute aux critiques qui n’ont rien compris. Cette attitude un peu enfantine me fait souvent rigoler.
En fait, au Québec, on a de la difficulté avec les critiques négatives. Si on y regarde de plus près, les mauvaises critiques sont souvent en partie méritées. C’est certain que c’est dommage pour les artisans qui y ont cru à fond, mais il arrive que, même avec toute la bonne volonté du monde, on puisse rater son coup. Il faudrait savoir le reconnaître. Une mauvaise critique bien encaissée peut permettre à un artiste de se dépasser au projet suivant ou lui permettre de se rendre compte qu’il fait tout simplement fausse route.
Dans l’ensemble, à part quelques petits réglements de compte isolés et quelques incompétents, je crois que les critiques font un travail honnête. Il ne faut pas oublier que, contrairement au grand public, ils bénéficient d’une position privilégiée. Si un critique doit, année après année, évaluer une bonne partie de l’ensemble d’une production, il est peut-être normal qu’il sache y détecter les forces et les faiblesses inhérentes à chacune. Il est également important de se rappeler qu’ils font leurs critqiues en fonction de ce qu’ils sont et non en fonction de toute la population.
Si le rôle du critique est de nous aiguiller dans nos choix, le nôtre est d’apprendre à faire la part des choses, à avoir confiance en notre jugement et à développer notre propre sens critique.
Pour ce qui est des créateurs, ils n’ont qu’à se croiser les doigts en espérant recevoir les éloges des critiques et apprendre à être bon joueur. Se faire fusiller sur la place publique par les critiques fait aussi partie des risques du métier. Tout le monde sait ça avant de se lancer, mais ça peut s’oublier vite!
Chacun son métier #2
Le très populaire chef Martin Picard du restaurant Au pied de cochon a fait paraître cet automne un beau livre qui est devenu un des succès de la saison. Le travail d’édition est de grande qualité. Étonnant même puisqu’il a été fait de manière indépendante. Ne voulant certainement pas faire n’importe quoi, Martin Picard a su s’entourer et le résultat est impressionnant. Tous les médias l’ont encensé avec raison. L’album, à l’image du chef, est une célébration de la chair loin de l’épicurisme propret de Chrystine Brouillet ou de Francine Ruel. Outre des recettes, on y retrouve des textes, des photos et des planches de bandes dessinées. Beaucoup plus qu’un simple livre de recettes.
Là où le bat blesse, c’est au niveau de la mise en marché du livre. Si on a bien conseillé Martin Picard pour l’aspect éditorial, il en est tout autrement en ce qui a trait à la distribution de son livre.
Quand les médias ont commencé à parler du livre, une grande majorité de librairies n’en connaissaient même pas l’existence; à part les grandes chaînes bien entendu à qui on avait offert une certaine exclusivité. Les bonnes petites librairies personnalisées, qui n’avaient pas été contacté, on du se débrouiller avec les moyens qu’ils avaient pour réussir à le commander afin de satisfaire leur clientèle avisée.
Résultat : les meilleures librairies du Québec ne pouvaient répondre à la demande alors que le livre Au pied de cochon ornait déjà les vitrines des grandes chaînes.
Ce n’est pas tout. Martin Picard et sa bande, ne connaissant pas les enjeux de la distribution, plutôt que de fixer un prix de vente au détail comme c’est le cas dans le domaine du livre, ont fixé un prix d’achat laissant le libraire décidé de son prix de vente.
Résultat : au restaurant Au pied de cochon et dans certaines grandes chaînes, on le trouvait à $60.00 et dans la plupart des bonnes petites librairies à $75.00. La clientèle avisée a évidemment reproché aux bonnes librairies de le vendre trop cher.
Ce n’est toujours pas tout. N’ayant pas de distributeur attitré, le livre était offert en consignation aux librairies. Normalement, lorsqu’il s’agit d’une consignation, la librairie paye les livres une fois qu’ils ont été vendus. S’il en recommande, comme ce fut le cas avec l’album Au pied de cochon, il devrait logiquement les payer une fois cette nouvelle commande écoulée. Martin Picard et sa bande, grisés par leur succès, ne l’entendent pas comme ça. Ils exigent que les librairies payent au fur et à mesure une fois leur première commande vendue. Les bonnes petites librairies sont un peu prises en otage. Cesser de le commander ou répondre aux demandes de leur clientèle avisée?
Résultat : on laisse un chef-cuisinier nous dicter les règles de la distribution de son livre.
Conclusion : si on ne s’improvise pas chef-cuisinier, on ne devrait pas non plus s’improviser distributeur de livres.